'Ml
H
' ;
U dVof OTTAWA
39003013112-156
Digitized by the Internet Archive
in 2010 witii funding from
University of Ottawa
littp://www.arcliive.org/details/lepaysdusoleildeOOducli
LE PAYS
DU
SOLEIL DE MINUIT
CALMANN LÉVY. ÉDITEUR
DU MÈMK Âi;Ti:rH
./AFRIQUE OCClDliNTALK. - Nouvel!.. av,.ulnr..s ,1,- cl,a>M. 1 d. voja.. • ^_
1 M volmue iu-S", illustre d. ^ravuros dans lo t.M. H hors toxio
U,.|iu.T U.ilo :iv,'c f.M-s si.,ViauN, do.v snr Iranchr
Un
..■•>•> 1111 X. .<■••.. Il i^l: iivfiii~viiiii> iiii l'uii" «••-•j (I
8
IMUIUUE SAUVAGE. - Nouvoll.s oxawsums an pays .les Âslmugos l.u
vllu," in-80, illusU-éde .ravures dans l,- tox... .. hors lexl., et o,ué de
caries 1 0 oO
Reliure Iode, avec fers s|,.H-iaux, dore sur Irauclie
VOVVCESET AVENTUHES DANS LAKIUQUE ÉQUATOHIALE. - Mun.rs
,., ,..u„„nos des hal.ilauK - Chasse au p.ille, au léopard, a elepi,anU
i, l-hippopoUune, etc., avec dlusUalions ..t carie. In beau vohune 1„ s ^^
uraiid iu-S" ; ' ', oii „
Demi- reliure cliauriu. plais loile, dore sur Iranclie -"
l'MUS. • IMl'. '"■ Muril.l.OT. nl-M Vni.TMKi;. Ib, - 2:W70
Alt
LE PAYS
nu
SOLEIL DE MINUIT
VOYAGES DÉTi;
EN SUÈDE, EN NORVÈGE, EN UAPOME ET DANS UA EUNI.ANDE
SEPTENÏRIONAUE
PAUL DU CHAILLU
ai 1^ M U R E C 0 K R E s !■ O N I» A N T U E LA SOCIÉTÉ 1 1 K ri (. H \ T' H I (J U K DE N E W - \" O H K . DE L \ SOCIÉTÉ
D* H I S T O I R K N A T !■ R E L L E DE 1! O S T 0 N
ET n E LA SOCIÉTÉ E T K S O t. R A I' H I IJ U E A il É 11 I C A I N K
OUVRAGE ILLUSTRÉ D U N ( i R A N D N 0 :>! B R U D !•: VIGNETTES
DONT 31 nous TEXTE
PARIS
CALMANN LÉVY, ÉDITEUR
ANCIENNE MAISON MICHEL LÉVY EUÈRES
3 , ni" i: A L' B E R , 3
1882
'^ WBllOTMèQîJfS
i -
'il. ■ . ■
ROBERT WINTHROP, ESQ.
DE .NEW-YOUK.
A \oiis, mon cher AViiilliro|), qui, en toute circonstance, avez été un ami
tidèle et constant, je dédie cet onviaj;e : /'■ Paijs du soleil de minuil^ en
témoignage de la liante estime ([ue je professe poui' votre caractère et en
souvenir reconnaissant des heures délicieuses que nous avons passées ensem-
hle à votre heureux foyer, toujours embelli par l'accueil hospitalier do votre
aimable femme, et par les acclamations joyeuses de vos clicrs enfants. (Juel
que soit mon sort, dans mon pays ou à l'étranger, votre souvenir et celui
des vôtres sera toujours cher à
PAUL DU CIIAILLU.
.New-Yorli, ftvricr tSSI.
PRÉFACE
Le récit contenu dans ce vdlume sur la pénisule Scandinave et sur la \ie de
son piHiple est le résultat d'une série de voyages exécutés à différentes époques,
de 1871 à 1878, embrassant un séjour d'environ cinq années.
Mon intention, en l'entreprenant, a été d'écrire quelque chose de plus qu'une
simple relation de voyage : je me suis proposé d'élutiicr le caractère physique
du pays, et d'observer attentivement les mœurs et coutumes de ses habitants, en
participant à la vie domestique de toutes les classes. J'étais certain qu'une telle
descri[ition ne pouvait être lidèle que si je parvenais à obtenir ralïeclion et la
confiance des indigènes, que s'ils me considéraient comme un des leurs. Pour
atteindre ce but, j'ai acquis une certaine connaissance de leur langue, sachant
bien qu'il n'y aui'ait de sympathie véritable entre la population rurale et moi, et
que ji' n'obtiendrais aucune connaissance réelle, que si je pouvais converser
avec chacun d'eux.
Afin d'acquérir une connaissance familière du pays, j'ai voyagé d'une façon
irrégulièie, par des roules qui bien souvent s'entre-croisaient, et, à différentes
saisons de l'aimée, soit de la Baltique à la mer Polaire, soit de l'est à l'ouest.
J'ai observé toute la côte deiiuis Ilaparanda jusqu'au point extrême nord-est de
la Norvège, distance de 3200 nulles; en outre, j'ai navigué sur presque tous les
liords, dont les bords ont, au total, une étendue de 3000 milles et même
davantage.
J'ai porté mon attention, tout |uuticulièremenl, sur les âges préliisloriques
et sur celui des Vikings; j'ai mis à profit les recherches les plus récentes des
archéologues norvégiens et suédois, ainsi que les illustrations dernièrement publiées
pour élucider ces sujets, car leurs restes jettent beaucoup de lumière sur le
caractère et les mœurs des habitants actuels, — probaiilcment les plus indépen-
dants, les plus honnêtes et les plus loyaux de tous les |ieuples européens.
l'dur mes informalions, je ne me suis lié qu'à mes ojjservations persomielles.
IV PREFACE
e\ le lortoiir peut rtii' sùf (iiii' iiiPs dcsniplioiis desiiKeiirs primitives ne provieiiiu'iit
pas (l'oiiï-diie, mais reproduisent ce que j'ai mi de mes projn'es veux. Sur les
points scieiitiliques, j'ai consulté les plus hautes autorités locales
La plupart de mes illustrations et tous les poi'traits viennent de photographies
(|ui ont l'ti' prises exclusivriiicnl pour ic livi'c Celles ipii ii'pri'sentent des scènes
d lii\er eu Laponie sont l'ieuvre d'un artiste su('dois, liasse Bergman, qui a
xisité le p:i\s.
Le titre lie cet ou\rai;e di''ii\i' d'un des |ilus reiiiarqualiles plir'uoiiièues du
nord du pays, idiéuouièiie dont, eu iiieu des occasions, jai i't('' ti'uioiu avec
étonuement et admiration.
J'ai adopté Tortho^îraiilie usitée eu ciiaque contrée pour ce qui a rappiul au\
noms de lieux et de peuples, etc.; mais comme les langues suédoise et norvégienne
se resseml)leut beaucoup, et ([ue toutes deux sont maintenant dans tm état de
transition et arriveront graduellement à haser leui' orthogiaphe sur uu modèle
conuuun, nulle conrusiou ne résultera de ce plan.
Je soumets cet ouvrage au puhlic, dans l'espérance qu'il jiarlagera avec moi
l'intérêt qui s'attaciie au peuple Scandinave et à sou curieuv ]iays.
l'ALL DU GHAILLU.
N(.'\v-Yi rk, ffviicr tSSI.
«ffiBi .''.^i?-^—
LE PAYS
DU
SOLEIL DE MINUIT
CHAPITRE PREMIER
Traits caractéristiques de la péninsule Scandinave.
Il est au loin, vers les régions glacées du Nord, im beau pays, un
pays admirable, avec des montagnes couvertes de neige, audacieuses
et magnifiques; des vallées profondes, étroites et bien boisées; des
plateaux et des pentes abruptes ; des ravins sauvages ; des lacs limpides
et pittoresques; d'immenses forêts de bouleaux, de pins et de sapins,
dont la solitude est faite pour calmer l'esprit agité de l'homme; d.e
grands et superbes glaciers sans rivaux en Europe ; des bras de mer,
appelés liords, d'une extrême beauté, s'avançant dans l'intérieur au
milieu d'une vaste perspective ; des ruisseaux sans nombre dont les eaux
cristallines varient de nuances, selon qu'elles sont frappées par les
rayons du soleil pendant leur course vers l'océan, roulant en innom-
brables cascades et rapides, remplissant l'air du bruit de leurs chutes ;
des rivières et des courants qui, dans leur marche précipitée depuis
les sommets jusqu'à l'abîme, plongent en énormes torrents, si beaux,
si blancs et si chastes, tpie le spectateur ne se lasse pas de les regarder;
1
2 LK PAYS DU SOLEIL DE MINUIT
c'esl pour lui comme une vision t'iiclianleresse à la réalité de laquelle il
peut à peine croire.
Ils onl pour contraste d'immenses étendues de terres stériles
et désolées, souvent couvertes de rocs empilés çà et là en masses
épaisses; des landes el des marécages si lugubres, que l'étranger en
éprouve un sentiment de malaise aurpiel il tente en vain d'échaj)per.
Il y a aussi des paysages exquis et sylvestres, si calmes et si pitto-
resques, de la mer et des lacs, des montagnes el de leurs ram|)es,
des rivières et des clairières, que l'on se délecte à errer au milieu
d'eux.
Des terres cultivées ou des vallées fertiles, bordées de bois et de
rochers, avec des fermes el des cottages autour desquels jouent des
enfants, offrent le tableau fidèle du contentement et de la paix. Tels
sont les traits caractéristiques de la péninsule Scandinave, ceinte
presque de toutes parts d'une côte sauvage el austère. La nature, en
Norvège, esl infiniment plus hardie et plus majestueuse (pTen Suède ;
mais certains endroits de la côte, le long de la Baltique, présentent
des vues enchanteresses de paysages ruraux.
Dans la partie .septentrionale de ce pays, depuis les derniei's jours
de mai jusqu'à la fin de juillet, le soleil brille jour et nuit sur ses
montagnes, ses fiords, ses rivières, ses lacs, ses forèls, ses vallées,
ses villes, ses villages, ses hameaux, ses champs et .ses fermes; c'est
pour cela que la Suéde et la Norvège peuvent s'ajjpeler « le pays
du soleil de minuit ». Pendant cette période de jour continuel, on
ne voit pas les étoiles, la lune esl pâle el ne verse point de lumière.
L'été est court : il n'accorde que le temps bien juste aux fleurs pour
pousser, fleurir el se faner, et à peine assez au cultivateur pour
rentrer sa récolte, qui est quelcpiefois compromise par une gelée
hàlive. Peu de semaines après qne le soleil de miiuiil a passé, les
heures solaires déclinent rapidement, el, à la mi-aoùt, l'air devient
piquant el les nuits plus froides, quoique pendant le jour le soleil soit
chaud. Alors l'herbe jaunit, les feuilles changenl de couleur, sèchent
et tombent; les hirondelles el antres oiseaux migrateurs s'envolent
vers le Sud ; le crépuscule reparaît ; les étoiles se montrent une par
une et scintillent comme des escarboucles dans le ciel d'un bleu pâle;
la Inné redevient la reine de la nuit; elle éclaire el anime les longues
ASPECT GENERAL DE LA SCANDINAVIE 3
et obscures journées de l'hiver Scandinave. Le moment arrive enfin
oit le soleil disparait entièrement; les cieux se montrent dans un
flamboiemeni de lumière et de gloire; les étoiles et la lune s'effacent
devant l'aurore boréale.
0 Scandinavie! j'ai souvent erré sur les montagnes neigeuses,
sur tes collines, dans les vallées, sur les lacs et tes lleuves glacés;
et lorsque le renne, ce rapide coursier du Nord, m'emportait dans un
galop vertigineux, il me semblait entendre une voix murmurer à mon
oreille : « Ta as parcouru des contrées où l'on ne connaît point
l'hiver et oii les fleurs s'épanouissent toute l'année ; mais as-tu jamais
vu des nuits aussi splendides que celles-ci? » Et, silencieusement, je
répondais : ry/«nv//^(,-,
fabriqué avec du renadt et une addition d'iiuile d'orange amére et
de quelque chose de doux; ^i finkelbrânvin, ou esprit de vin non
purifié. Autour des carafes étaient rangés des petits verres, et les
messieurs burent l'une ou l'autre de ces boissons pour exciter l'ap-
pétit; les plats et les liqueurs m'étaient également étrangers. Tout était
disposé avec goût sur une nappe aussi blanche que la neige; les
assiettes, couteaux, fourchettes et serviettes étaient placés comme
pour une collation; mais, lorsqu'on ma qualité de convive, on m'in-
vita à me servir le premier, je ne sus comment m'y prendre ; on
mangeait debout. Voyant mon embarras, l'hôtesse vint généreuse-
ment à mon secours en prenant une tranche de i)airi (|u'elle couvrit
de beurre, et choisissant ensuite de bons morceaux avec une four-
chette. Je liai conversation avec mon hôte, mais j'observai con-
stamment les manières de faire, afin de savoir comment m'en tirer
ensuite; on se servait en commun des couteaux et des fourchettes. Je
commençai par du pain beurré et de la viande de renne, que je
trouvai fort bonne, et, voyant chacun se jeter sur le graflax, je résolus
d'en goûter; mais à peine avais-je mis la tranche dans ma bouche, que
je regrettai vivement d'avoir tenté rexpérience. Il était trop tard; il
me fallait manger; pas moyen d'y échapper. Mon estomac se soule-
vait, et pourtant la seule chose à faire était d'avaler le morceau ; un
petit verre de renadt, que je bus aussitcM après, me sauva. Je ne
renouvelai pas l'expérience du graflax ce jour-là, ni bien d'autres
après. Le saumon fumé était un progrés sur le graflax, mais je le
trouvai assez mauvais; la sillsallat, qui est considérée comme une
chose extrêmement délicate quand les harengs sont gras, me parut
agréable; j'aimai beaucoup les divers autres mets, et les poitrines
d'oies fumées me semblèrent particulièrement succulentes; mais je
n'oublierai jamais ma première impression du saumon cru. Plus tard,
je devins très amateur de la sillsallat et même de (ont ce qui était
U) LE PAYS DU SOLEIL DE MINUIT
sur un smôrgâsbord, excepté du graflax, tjue je puis manger main-
tenant, mais je doute (pi'il mo fasse jamais plaisir. Les Suédois le
regardent comme une friandise, et. comme les premiers saumons pris
au printemps sont chers, le grallax est considéré comme un objet de
luxe.
Cepenil;uil le smorgas n'était qu'un piélirainaii-e du diner, lui apé-
ritif. Nous nous assîmes à une grande table et l'on m'assigna la
place d'honneur. Le diner et les vins ressemblèrent à ceux des antres
pays. Au commencement du repas, l'hôte, /e verre en main, souhaite
la bienvenue à ses invités, puis il salue l'hôtesse, et, pendant le diner,
l'hôte, l'hôtesse et les invités, le verre en main, se saluent aussi les
uns les autres et sirotent leur vin. Il est de coutume pour tout cava-
lier de ramener au salon la dame qu'il a conduite au diner; puis
vient la mode charmante et invariable pour cha(pie invité de serrer la
main de l'hôtesse en disant : Tack for maten (merci pour le repas),
à quoi elle répond : Wâlbeliommet (à votre service). La même céi'é-
mome se répète en honneur de l'hôte et du reste de la famille ; les
enfants viennent ensuite et, de la même façon, adressent des remer-
ciements à leurs parents; ainsi, dés leur jeunesse, on leur enseigne à
être reconnaissants envers leurs ascendants. Siiil alois un échange de
politesses, souvent accompagnées de poignées de main et de révé-
rences des convives les uns avec les autres, et un temps considérable
se passe avani que l'on serve le café. J'étais, je l'avoue, en peine
de savoir ce que signifiaient ces étreintes et je ne pensai ni cà remer-
cier ni à tendre la main. Donc, dès le premier jour, je commis deux
bévues : j'avais assisté au diner sans babil de soirée, et je n'avais
pas exprimé de remerciemenis poiu' l'hospitalité reçue.
Le temps était délicieux; on proposa une promenade. « Il faut que
vous voyiez notre petit parc, » me dirent l'hôte et l'hôtesse; et vrai-
ment leur éloge de ce joli lieu de plaisir n'était pas exagéré. C'est le
rendez-vous d'été favori des habitants de Gôteborg. Il est disposé avec
goût; des sentiers serpentent à travers des arbustes le long des bords
d'une petite rivière et des fleurs émergent en profusion de toutes
parts; on paye peu de chose pour l'entrée, mais les voilures en sont
exclues. On prétendait que le printemps était en retard d'une semaine
ou deux ; cependant, l'aubépine commençait à fleurir ; les lilas , les pom-
LES CHEMINS DE FER EiN SUÈDE H
miers et les marronniers étaient en pleine floraison; les penpliers,
es ormes et les tilleuls se couvraient de boutons, et les chênes venaient
de laisser percer leurs jeunes feuilles; l'herbe était verte et la scène
olïrait un tableau charmant. Sous un pavillon central, une bande de
bons artistes faisaient de la musique; des troupes de moineaux
apprivoisés gazouillaient alentour; sous l'ombrage des arbres, des
centaines de visiteurs flânaient, se promenaient ou conversaient en
prenant des rafraîchissements à de petites tables préparées pour cet
objet, en échangeant les courtoisies caractéristiques de ce peuple.
Voilà comment se passa le premier jour de ma visite en Scandi-
navie. La charmante famille, (|ui m'avait reçu comme son invité,
exigea ma promesse de venir lui f.iire une autre visite lors de mon
retour à Guteborg.
Le railway de Gôteborg à Stockholm a été consiruit jiar le gouver-
nement et sous sa direction ; c'est la route principale de l'ouest à l'est;
elle se relie avec le nord et le sud et autres points de la Suède, de
même qu'avec Christiania; ce chemin et le grand railway du sud sont
les deux plus belles artères de la Scandinavie.
Le lendemain, 13 juin, à six heures du malin, je faisais route pour
Stockholm, distant de 42,6 milles suédois. Les wagons sont sem-
blables cà ceux en usage dans toutes les contrées de l'Europe; un
voyageur n'a droit qu'à soixante-dix livres de bagage et le [loids
qui dépasse cette limite est sujet à des frais très élevés. On ne me
permit pas de prendre mon fusil avec moi; c'était contre les règlements,
et il dut rejoindre mon bagage. En quittant Gûteliorg, la scène me
rapiielait de temps en temps la Nouvelle-Angleterre. En maints
endroits, le pays paraissait stérile et rocheux, et bien des champs étaient
entourés de murs de pierres, précisément comme ceux que l'on élève
communément en Amérique; d'autres n'avaient pour cloluic (pie des
planches. De petits lacs, des bois, des marécages, des champs cultivés
me passèrent successivement sous les yeux; les maisons de fermes
étaient peintes en rouge. Plus nous avancions dans l'intérieur tlu pays,
plus la végétation semblait en retard, et la scène devenait particulière-
ment suédoise : des collines de granit poli prouvant raclion des gla-
ciers; des forêts de sapins, de pins et de bouleaux, alternant avec
des pièces de terre arable, des landes et de longues étendues de ma-
12 LE PAYS DU SOLEIL DE MINIIT
rais; çà et là des terres sableuses, couvertes de inerrailles ou d'arbres
rabougris.
On a évidemment apporté de grands soins à la construction de la
route, qui a été faite sous la surveillance des employés du gouverne-
ment et avec les meilleurs matériaux. On a consulté l'économie pour
l'aménagement des détails; des monceaux de fer de rebut sont entassés
le long de la ligne, et chaque pièce est conservée pour la refonte ;
le graissage même des machines et des roues de wagons est exécuté
de façon cà empêcher toute perte de graisse. Les stations sont tenues
dans un ordre parfait; le nom de chacune d'elles s'étale sur la façade
en gros caractères, avec la distance de Stockholm et de Gûteborg;
presque toutes sont entourées de jardins et le bien-être des voyageurs
est admirablement entendu. Les agents du chemin de fer sont très
polis ; les chefs des stations, les conducteurs, les commissionnaires
et autres employés portent invariablement l'uniforme. A des distances
d'environ trois milles, de petites maisons rouges ont été bâties pour
les gardiens qui surveillent le chemin ; elles sont numérotées consécu-
tivement, et chaque gardien est tenu de ])arcourir la moitié de l'espace
de haut en bas pour voir si tout est bien en ordre ; à chaque chemin de
traverse stationne un gardien, les règlements formulés par le gouver-
nement exigeant que les compagnies prennent toutes les précautions
possibles pour assurer la sécurité générale.
Dans l'après-midi, nous fîmes halte à une station appelée Katrine-
holm, l'un des meilleurs buffets des chemins de fer de la Suède.
En entendant le cri de « Vingt minutes pour dîner ! » je m'élançai du
train et courus en toute hâte à la Dintxal (salle à manger), car le
grand air m'avait mis en appétit. Me rappelant mes expériences sur
les routes ferrées de l'Amérique, je pensai qu'il n'était pas impro-
bable que la limite slipulée de vingt minutes en signifiât dix; de là
mon empressement. Mais, quand j'entrai dans la salle, je fus hon-
teux d'avoir coudoyé mes compagnons de voyage aussi bnilalement
que je l'avais fait; tout était calme, bien ordonné, propre, et je
m'arrêtai pour jouir de ce spectacle qui m'impressionna ]iar sa nou-
veauté. Au centre d'une chambre spacieuse, au parquet immaculé,
une grande table, couverte d'une nappe fort blanche, portait toute
une variété de plats tentateurs, comprenant de grands poissons des
UN BUFFET MODÈLE 13
Incs, (lu roast-beef, de rtigneaii, du poulet, de la soupe, des
pommes de terre et autres légumes frais; différentes sortes de pain;
des puddings, des gelées, du lait doux, de la crème, du beurre,
du fromage, et l'immanquable lait de beurre, que beaucoup de per-
sonnes mangent d'aliord, même avant la soupe. Les aliments étaient
cuits à point. Des piles d'assiettes chaudes, avec des couteaux, des
fourchettes et des serviettes se trouvaient à portée du voyageur. L'as-
pect de cette salle était engageant, gai et appétissant ; on aurait pu
croire qu'un banquet avait été apprêté pour la réception d'une société
particulière. Le télégraphe avait annoncé aux pourvoyeurs le moment
exact de notre arrivée, et, comme les trains sont ponctuels, à
moins d'être retardés par de soudaines tempêtes de neige ou des
accidents, tout était piêl i)our nous. J'observai avec beaucoup
d'intérêt les manières des voyageurs : point de confusion ; on faisait
le tour de la table centrale, chacun choisissait le plat qu'il préférait et,
après avoir pris des couteaux, des fourchettes, des cuillers et des
serviettes, on s'asseyait à de petites tables de marbre espacées dans
la salle. On se servait soi-même quand on voulait quelque chose.
Je remarquai particulièrement la modération de chacun ; la portion
d'aliments pour une personne ne dépassait pas celle que l'on aurait
servie à une table privée; chaque voyageur semblait se dire que son
voisin aussi pouvait avoir envie du plat qu'il avait choisi. La vente
des spiritueux étant défendue par le gouvernement dans les stations
de chemins de fer, on ne pouvait se procurer que de la bière ou des
vins légers, que servaient des jeunes filles alertes et avenantes. Les
voyageurs prenaient eux-mêmes du café à une grande urne posée sur
la table ; on pouvait avoir du lait sans augmentation de prix.
Le dîner terminé et la période de vingt minutes étant expirée, nous
passâmes à la caisse pour })ayer notre écol, que recevaient les jeunes
filles. Le i)rix demandé pour cet excellent repas était, y compris
le café, de un rix-dollar et 25 ôre '; il est maintenant de 5 rix-dollar
et 50 cire. On avait ajouté au total la modique somme de 25 ôre,
pour la bouteille de bière. Le compte donné par chaque voyageur
1. Le rix-dollar s'aiipcllc iiiaiutPiiaut kruiia; il est divisé en lOU cire, el équivaut il
26 cents américains, ou I fr. 30 c.
14 LE PAYS DU SOLEIL DE MINLUT
pour la quantité de viu, bière ou café qu'il avait consommée, clail
accepté sans observation, et personne ne se tenait à la i)oile pour
surveiller ceux (pii sortaient. Eu quittant la salle à manger, je me
sentais plus que jamais enchanté de la politesse inépuisable de ce
peuple.
La scène était devenue de plus en plus belle, même avant d'avoir
atteint Kalrineholm, le railvvay côtoyant un lac éiidit el pittoresque,
bien boisé de pins, de sapins, de bouleaux et de chênes dont les bran-
ches s'étendant au loin donnaient un caractère particulier au paysage.
En approchant de S|)arholm, le spectacle devenait plus beau encore :
champs superbes, bocages, forêts, lacs et rivières passaient rapide-
ment devant nous et formaient un panorama charmant. A six heures,
nous atteignîmes Stockholm, et je ne tardai pas à m'étalilir conforta-
blement à l'hôtel Rydberg, sur le S(|uare Gustave-Adolphe, d'où j'avais
la vue complète du palais royal et de la plus jolie partie de la ville.
Le lendemain matin, surpris de voir le domestique poser une note
sur ma table, j'en tirai la conclusion naturelle que l'on s'attendait à
ce que je payasse tous les jours, et, en conséciuence, je lui tendis
la somme nécessaire pour faire face à celte obligation ; mais, tout en
s'excusant avec politesse, il refusa de recevoir l'argent et m'expli(|ua
que l'on avait l'habitude de présenter chaque jour sa note à tout
hôte avec un mémorandum du montant de la précédente journée, f ii
de corriger immédiatement les erreurs s'il s'en trouvait. Les maîtres
d'hôtel des autres pays de l'Europe feraient bieu d'imiter cette cou-
tume, qui est avantageuse pour tous. C'est une honnête mesure, et elle a
servi à fortifier encore davantage ma bonne opinion de ce peuple.
CHAPITRE III
Stockholm. — Première impression. — Giaiidc politesse. — .Sociabilité du peuple. — Vie exté-
rieure. -- Charmantes dames. — Longs crépuscules. — Parcs. — Magnifiques faubourgs. —
Dimanche. — l'n établissement d'instruction. — Institutions libres. — Écoles.
L'étranger fiui, par une belle journée de juin, entre dans la pitto-
resque et charmante ville de Stockholm, éprouve une impression
délicieuse. Bâiie en i)arti(' sur huit îles, reliées par des ponis traver-
sant la ()etile rivière rpii sert d'écoulement au lac Mélar, cette ville
possède un cachet romanliijue diffèrent de celui de toute autre
capitale.
Le massif palais, les siiuares, les musées, jardins, bibliothèques,
institutions scientiliques, écoles, églises et ponts; les quais splendides
qui forment le plus beau trait de la ville et le long desquels les
navires chargent et déchargent des marchandises ; les nombreux ba-
teaux à vapeur qui font Toffice d'omnibus et transporlenl les |)assager9
d'un lieu ou d'une île à l'autre ; les preuves surabondantes de bon gou-
vernement et de prospérité ; tout se combine pour faire de Stockholm
une des villes les plus attrayantes de l'Europe.
La longueur du lac est d'environ soixante-quinze milles; il est
constellé de plus de qtinlorze cents îles; ses bords profonds et dente-
Il) LE PAYS DU SOLEIL DE MINUIT
lés sont éraaillés de villes, de villages , de hameaux, d'églises, de
ruines, de châteaux, de vieux casleis, de modernes villas, de fermes
et de prairies alternant avec d'énormes masses de rochers, des forêts
sauvages et silencieuses et des rivières limpides, pendant que ses
eaux sont sillonnées par des steamers et des navires à voiles se diri-
geant vers la mer ou en venant. La Baltique se déroule à travers un
archipel congloméré, cl Inriiic im cliarniant liord marqué des traits
caractéristiques d'une scène suédoise. La ville couvre un grand espace,
à cause de ses places, parcs, larges quais, et de l'eau qui court rapi-
dement entre les îles. Beaucoup de rues sont étroites, sans trottoirs,
pavées de cailloux, avec des cassis dans le milieu ou sur les côtés
au lieu d'égouts; cependant, la ville est propre. La plupart des mai-
sons sont liantes 'et plâtrées, à peu près comme celles du vieux Paris;
mais quelques quartiers sont ornés de belles résidences. Le plus an-,
cien quartier est bâti sur l'île de Stadsholmen ', nii le i)alais royal domine
de beaucoup les maisons environnantes. C'est une noble et vaste
construction contenant une grande bibliotiièque, beaucoup d'objets de
curiosité et une belle galerie de tableaux; le malheur est que, dans son
voisinage, se trouvent quelques-unes des rues les plus laides et les
plus étroites de Stockholm. L'Opéra possède un très bon orchestre,
qui serait en honneur à Londres ou à Paris, à Berlin ou à Vienne.
Les divers théâtres et autres lieux d'amusement sont quelquefois
fermés en été. Il y a aussi des jardins d'été ou parcs , dans lesquels
on a du plaisir à voir circuler la foule et à entendre de la mu-
sique.
Kungstrâdgarden est un très beau square, avec de grands arbres
et de nombreuses variétés de fleurs; il est oi-né d'une superbe
fontaine et des statues en bronze do Charles XII et Charles XUI.
Le parc Berzélius est un charmant endroit, avec une statue de gran-
deur naturelle de l'illusln' cliiniisle dont il a l'honneur de porter le
nom. Strômparberren, agrémenté de Heurs et d'arbres, est délicieu-
sement situé au pied du pont Norrbro, la rivière coulant rajjide
de l'autre côté. L'étranger ne manquera pas de visiter la colline
i . Les huil iles sur lesquelles est bâlie la ville s'appellent : Kungsliolinen, Riddar
holuien, Helgeandshnlnien, Stadslinlmon, Sld'ppshnlnipii, Kaslellhulnicn, Stnimsborg
et. Djiirgaiïlen.
STOCKHOLM. l'ItEMIKIiH I M rUKSS I( l.\ 17
.Mosfliackc, du t^omiiiL'l de lai|iiL'lk' ou u une admirable vue de la ville
et des environs.
Stocklidlni uliri' au voyaiieiu' (|uel(|ues liiands liolels avec des
l'iianibres edulorlables el bien meublées; leurs [)v\\ sont modérés.
Le plus moderne, le (Irand-HiMel. n'esl pas silné aussi agréable-
ment (jue le Rydberi;, mais eesl le seul (jui ail un ascenseur et des
liains. Les maisons particulières ont rarement des chambres de
bains, et, comme dans presrjue toutes les villes d'Euro|)e, les gens
doivent aller dans des établissemenls publics pour l'aire leui's aldu-
lions.
L'étranger ipii parcourt les rues de Stockholm remanpie de
nombreux écriteaux poitaut ces mots : « Hum for resande », ce qui
excite rétoiuiement du voyageur, |)arce ({uil prend ces établissements
poui' des débits de boisson; mais ces écriteaux annoncent seulement
(pie ce sont des d chambres pour voyageurs ». Les Suédois (pii
viemient à la ville y logent généralement par mesure d'économie.
Le contraste des communautés commerciales de Gôleborg et de
Stockholm est très frappant. Dans la j)remière de ces villes, les
négociants suivent strictement leurs alïaires pendant les heures de
Inireau; mais, dans la seconde, les boiitiipiiers manquent souvent à
leurs établissements pendant ces heures, beaucoup passent trop de
temps dans les cafés.
Bien des magasins sont tenus par des femmes tpii dirigent par-
iaitement leurs alïaires el sont des modèles d'économie; dans d'autres
cas, les femmes et les fdles viennent en aide à leur mari ou jjère;
en un moi. à moins d'être riche, chaque laendu'e d'une famille
conli'ibue à son entretien.
Ma surprise fut grande de voir la propreté des appartements de la
plus humble classe de bouti(juiers et autres gens; tous s'elTorceid de
sauver les apparences et ont généralement quehpie rafraîchissement
à olfrir. soit une tasse de café, soit un verre de vin.
En suédois ou en norvégii'u. //('/■/■ correspond à notre mot mou-
sieur, el frt/, à madame. Quand ou s'adresse aux jeunes dames
bien élevées, on se sert du terme fiv/a'/t; autrefois, ou ne l'appli-
(juail (pi'aux filles nobles.
11 y a trois titres de noblesse eu Suède : f/refre. comte, est le plus
18 IJ-: l'AYs Dr s()Li:i[. dk mixlit
élevé, fjrefciiuui, comiosse; friherr(\ li.irini; frilicrriiKi, liîiroiiiie;
on se sert iiussi dos mnfs li;irnn cl iKii'tiiiiu'. Le ileniiei' degié de
noblesse iTii [loint de lilre;en s'iidressanl aux personnes de eelte classe
on dit ; icâlhontc lirrr (lU fni. Les noms des antres [tersonnes
ayant nu tili'e i|ni'lc()n(|ue doiveiil rire |ii-i''ri''dés île ee litre; ainsi
licrr (hirtar on Iwn' profcssor, ou t(Mit autre grade civil ou mili-
taire. De même (jue partout, sur le continent, les lils liériti'nt du titre
de nol)lesse de leur père; ipiand les tilles mililcs é|iouseid un li(uanie
non titré, elles peuvent ajouter le titre de leur père au n(un (prelles
pi'ennent. Cliose étraune! Le mut iiKintscll, corruptidn iln français
mademoiselle, est usité poin' les personnes de la classe la plus
hnudile. On se sert du mot ji'ni/fi'ii (piand on pai'le aux lilles de
rermiers ou u des servantes. l'Tir/.K est le terme général pour lillettes;
tjcnxtfricha, servante, drainj. donn'stiijue niàle.
Les [lersonnes jolies ne se servent (pie de la ti-oisième personne
lorsqu'elles interrogent. « Heri'A... veut-il venir avec mius? HerrW...
ne |iense-t-il pas ipie le temps est orageux? » La lYnine persimnelle
Hi (vous), est mainli'nanl plus usitée. On se sei't de du (tu, toi). entr(!
amis. Quand deux gentlemen désirent employer ce terme entre eux.
ils (lisent : " Skola vi lâgga hort tillarna? (nous servirons-nous de
nos litres?) » Us s'olîrent un verre de vin et disent : » Skal hrotlicr
(à la santé, frérei; » ils le vident jusipi'au fond et ajoutent : " ïlianks
(merci). »
U y a chez, les femmes de Stockholm et de la Suède une mode qui
est vi'ainu'nl cliai'mante. Non seulement les jeunes dames nobles et
riches sont parfaitement élevées, mais encore on leiu' enseigne la
simplicité dans les manières et la toilette. Iiabilndes (prelles con-
sei'vent dans leurs années de niatiuat('' et (pii leur doinieni ini air de
modestie et de raffinement vraiment inii(pie. Elles ont peu de bijoux,
et encore ceux (pi'elles nn'tleni sont de la siute la plus simple. Elles
portent rarement des robes de soie. et. en général, p,is avant leni'
entrée dans le monde.
Les Suédois, COninie Ions les peuples de l'Eiu'ope, ont un failde
pour les décorations. Cela Halte leur vanité; Les militaires lienneut à
endosser leur nniloriue en toute occasion. La prennére impression
(pie reçoit un voyagein' en arrivant dans ce pays, c'est iju'il est régi
SOCIABILI'I'I-: 1)1 l'i;i l'I.K l'j
par tiii liuiivenit'meiil (l('s|i(ili(|iii'. cl i|(ir rélémeiil civil esl sui.iui-
duiiiié au pouvoir militaire; il iirii esl rien lieureuseraenl, et le pays
ne gémit pas sous une lelli' iiialriiiclion. La liliciii'' de la parole et de
la presse est entière; ou peu! disrulei- librement rabrogation ou la
modification des lois, et la législation est conçue de façon que les
libertés du citoyen ne puissent être à la merci du roi, ou d'un pouvoir
arbitraire; il n'y a point de police secrète, sauf celle qui est nécessaire
pour arrèler les malfaiteurs. Pas un peuple en Europe n'est plus
libre que le peuple Scandinave ; on ne ilcmandc de passe port à
personne, que l'on vienne dans le pays on (jue l'on en parte.
Les habitants des villes portaient ili's vêtements de deuil comme
manine de respect pour la reine défunte. La toilette des dames était
noire avec un col blanc, des manchettes blanches et une ruche
blanche sur la (été; on porte aussi nn laldier blanc, mais les gants
doivent être noirs. Presque tous les hommes avaient nn cré[ie au
chapeau, des gants et des cravates noirs. Heaiicon(i étaient en grand
deuil.
Une des [tarticnlantés les plus curujuses de la vdie, c'est l'air de
contentement et de satisfaction (|ui distingue les manières de ses lia-
liilants. Dans les mes. les corniaissances se saluent continuellement;
les messieurs restent la tète déconverli' en parlant aux femmes de la
classe la plus humble.
Une politesse et une amabilité extrènu's sont les signes caracté-
ristiques de la nation, et se retrouvent dans toutes les classes: le
pauvre salue le riche, et le riidie salue le |(an\i-e. On voit nn ralli-
nement de manières même chez les (lomesti(pies; ils soid ti-aités
avec considération, et nn senlinieid amical réijne l'nhe eux et leurs
maîtres.
Les Suédois observent strictement réli(pietle; on rend in\ariable-
meid le lendemain les visites d'un étranger. Comme nation, les Sué-
dois soid les plu? polis de l'Europe; s'ils ne sont pas démonstratifs,
rien ne leur coûte pour rendre service.
La sociabilité de toutes les classes est remart|nable. Des fanlilles
entières ou des sociétés d'amis dînent ensemble dans les restau-
rants des faubourgs, des grou|)es de tout genre s'amusent dans les
parcs. Des négociants invitent leurs connaissances à passer la joiu'iiée
dans Irais |iilli)i't'si|ii('s villas (|iii (lniiiim'iil les eaux ilii lac ou ili's
fiorcis; c'est souveiil l'occasion d'ini passc-lciiips siinplc cl sans
prétentions.
Onand une sociélr nondiicnsc es! inviltM' à diiicr. les l'onvivcs
ninn^Pid soil dehonl, soil assis, avec leurs amis parlicnlicrs à de petites
tables placées dans les coins du salon on sur les i^aleries. L'Iiùlesse
et ses tilles l'ont les honnenrs avi'c i^ràce el simplicité, servant l'un, on
invilanl l'anlrc à veinr s'asseoir à ime lahle. Puis ai'cive liénéi-alenienl
nn pelil discours de l'In'ile. ipii propose de lioire à la sanli'' d'une ou
de plusieurs personnes de la C(unp,iiinie. Ces diiiers ont l'avanlaiie
d'être sans cérémonie.
Les Suédois bien élevés parlent au moins une el souvent deux
langues étrangères; lors(|u'avec le liMups ils ne réussissent plus aies
parler couramnu'nl, ils les lisenl cependanl el les écriveid toujours
bien. A[)rés les Russes, ce sont les meilleurs liniiuistes de l'Kurope.
Quoiiiue la currespondance officielle se fasse en français et que
bien des personnes des cercles comme il faut parlent cette langue
mieux que les autres, j'ai renianpié chez la nouvelle génération une
tendance à étudier davantage l'allemand el l'anglais.
L'été est la saison la plus |iropice pour visilei' la ville. Le mois
de jinn, et surloni ses di'iw derniéri's si^niaini'S. est répo(pie de l'an-
née la plus agréable, parce (pie bien des gens ne sont pas encore partis
pour la campagiu'. Riches el pauvres passi'nl leurs heures de loisir
au grand air; l'après-midi et le soir, les jardins d'agrénu'nt el les
parcs regorgent de monde; des bandes d'arlisles l'on! de la mnsiipie,
les citadins el les étrangers les écouleid, assis à de petites tables sur
lesipii'lles on leni' sert de la bière, ilii calV'. des sodas, du punch el
autres rafraîchissements. JJes l'anulles eidières, (lére, mère, enfants,
oncles, lantes. cousins ou amis, y passent leurs soirées. Chacun est
propremeni vèln et l'on ne voil ni rudesse ni vnlgarilè.
[.a rupture du long hiver ouvre le blocus glacé ijui inlerceplail
la roule vers le nord ; les docks s'animent et chargeid ou di''cliargent
des navires frétés pour les poris de la Ralliipie, le golfe de Rolhiue,
Saint-Pétersbourg, la Norvège, l'Allemagne, l'Angleterre el la France;
la navigation des canaux el des lacs reprend dès le velour de la sai-
son chaude; des steamers j)arlent jonrnellenu'iit pour les côles méri-
LONGS CltKl'CSraLRS 21
(lionales et septentrionales, donnîml ,111 Iniirisle l'drcasion d'iillcr oi'i
lion lui semlile.
Les plus longs jours dans le snd de la Suède sont alors venus.
Le soleil se lève à Storklnilni, du 17 au 21 juin, à deux lieures
([narante-cin(| miiiules du malin el se couclie à neuf lieiu'cs di\-si'pl
du soir. PeiidanI un rerlain Icnips, il n'y a puiiil (ridiscuriié el le
crépuscule ne dure (pi'eiiviron Iniis lieincs, Alms les jours raccour-
cissent d'une minute le malin el iWtiw niinnle le suir jusipi'à la
fin de juillel ; le dernier joui' i\i' ce mois, le soleil se lève à trois
heures quarante-tpiatre el se couche à huit heures vingt-sept. En
août, les jours dimiuneni [iliis ia|»idement, et, le 31, le soleil se lève
à quatre heures cinipianlc-cimi minutes et se couche à sept heures
quatre minutes; le 30 septembre, il se lève à six heures trois minutes
et se couche à cinq heures trente-cinq.
Au premier aliord, l'absence de nuitsendile liés éliange. Les (piais
où sont amarrés les steamers s'animent de la vie des aÛ'aires, les
navires livrent ou reçoiveni leurs cargaisons, un ucnnhre incalculable
de stévedores (portefaix) a|)p(nlenl les colis à boiil des baleaux. A
une heure du malin, le nombre des |ii(nueneurs diminue sensible-
ment dans les rues, et, à deux heures, on ne voit [ilns (|ue (piehpies
rôdeurs; les volets des l'euèlres sont fermés et les rideaux soigneuse-
ment tirés alin d'exclure la clarté; la ville est silencieuse. De li'ni|is
à autre, se l'ail enlendre la v(jix des veilleurs (pu, des clochers des
églises, crieni l'heure de la nuil, vieille coutume encore régnante; les
agents de |iolice fout leurs battues, el les pas des quelques soldats
qui vont relever la garde résoiuient dans les rues. Sur les (juais.
les douaniers veillent pour voir si personne ne fraude le fisc, el. là
seulement, des signes de vie sont visililes durant lonle la rniil.
La ville renh'rine inie |iopiilaliiin de cent soixanle-ipialorze mille
habitants; elle esl eu lalitude a 'M)" 21', et située à r(q)posé du grand
et large bras de la Baltitpie, en l'orme de fioid, a|ipelé Finskaviten
(baie de Finu) (jui conduit à Sainl-Pétershourg. Quoiipu' à :!.'> milles
plus an sud (pu' la capitale de la Russie, son climat est de 3 ou 4°
plus frais en élé, et de 6 à 8° |)lus chaud en hiver. Celte dilférence
provient de ce (pi'en été les vents soufllent sur la lialliipie et le lac
Mélar. el ipTeu hivei' Sainl-Pélersbourg est exposé aux frimas du
2-2 I.K l'AY^i DL' SULKII. DK MINLIT
pays. Il l'sl Mrs l'.irc (in'a Stdrklinlm le llicriiiiiiiirlic inmili' au delà
(le 88". iiii i|iic. |H'iiilaiil les [iliis i^raiiils IVuiils, il ilrsccmle à 2^".
Les mois les plus diauils smil juillcl cladùl ; la Iciiiiirralun' uinycniio
varie de 02 à 00°. La lempéi'alui'e onliiiairc ilc l'ainK'e limiue uu
lernie moyeu de il à i-i" '.
Les faubourgs de la vilh^ conslilueul son liiaml diarmi'. Ou peu!
passer îles jnurin'i's à rxplni'cr les cuNiniiis |iar ran et |iar li'rre. le
paysage esl pai'liui! d'uu caraclrre |niriMueiil Mirilois cl syl\cslic. Sur
les liiH'ds di's liiirds, des baies el des ilcs. les riMdu'rs alliMiicul avec
des buis de elièiies, de tilleuls, diirmis, de bvues,
;al eu Europe. Il ocrupe une île d'environ 18 milles de
eireouféreuce, portant des villas, des promenades romantiques, des
avenues délicieuses, des sentiers à liavers li's (dairièi'es, des tVu'èts
d arbres ma^uiliques. des lacs et i\r^ masses de ro(diers. On y
trouve des sujets d'amusement, des calés et des restaurants; l'en-
droil le i)lus populaire et le jilns l'réipieuté est Hasselbacken, où
chaque jour vieiuieiit des foules de dineurs. Le parc est d'im accès
facile; on y arrive par de petits vapeurs ipii, à de courts inter-
valles, vieuueni de Xonbi-o el d'autres points, ou par un pont qui
y ciiiidnil en ipiehpies minutes.
Le jietil |ialais de lidsendal, aussi cliarmanl ipie peu préten-
tieux, liaiiil('' alors par la reine douairière, es! situé dans ce jiai'C.
Cette délicieuse reiraile es! presque cai In'e par les arbi'es. DevanI
la maison s'étale nu inagnitiipic \ase en pinphvie. sortant de la
niauufacliu'e d'Elfdal. eu Dal(''c.frlii'. Il \ a encore plusiein's antres
|)arcs et jialais dans les l'anboiu'iis.
Cariberg-Fark. avec ses grands tilleids. ses ormes et .ses chênes,
est un reuilez-vous favori eu i''ti''. Le palais a i''lé Iransfoiam'' en école
I. Il s'ngil ii'i lin llicriiKniirtrc r:ilin'iili('U.
m:s i>Aii(;s i;t les faib(ii kcs 2.'i
niililaiie. Los autres sont : Morichcrg, sur l'ilc de Kun!<;sliolinon.
(|ui a uue école supérieure (rartillerie ; Bellevy, pi'osiiuc ou l'ace de
Haga, avec des arbres admirables; le palais do l'i'lriksdal cl son
beau parc. Droltuingholm est le palais le jikis importaut prés do la
ville; il est situé sur la Lofôu. l'une des ilcs du Mélar. N'oublions
pas nou plus Svartsju, Rosersbori^, Uyditoliolm, et rccomuiaudons uue
promenade à la voile sui' le fiord et le Mélar.
Ce (pii snrprcnd suiioul rclran;4er. c'est (pie dans l(>s l'ésidonces
royales il n'y a ni clolures, ni murs, ni soldats, ni policemeu. Per-
sonne ne touche à rien; les visiteurs se promènent dans les parterres,
auprès des portes et sous les fenêtres, même quand la famille
royale est au château; si elle est absoute, le public pont visiter tous
les palais en demandant simi)lemont la permission à un des domes-
tiques. Il régne uue si grande liberté, et les gens do service sont si
peu nombreux, t[\\r ce bravo et boiuu"'to |)ciqile, (pii no comprend |)as
l'éliquetlo, se trompe souvoiM, et, vn eulranl ilans un |ialais. est
tout étonné de se trouver on face dn loi.
On aj)erçoil des villas et îles résidences d'été dans tous les coins
et recoins dos bords rocheux. Les maisons, à piui d'oxcoptions prés,
sont en bois, bien [leinles. cl siin\enl enloni'i''es di' massifs de llours.
Toutes ont des débarcadères où les sleameis dé|iosenl on preinienl
des passagers; des bains et souvent des hangars [loin- les baleaux.
L'eau est le seul moyen de communication pourbeanconp de ces
villas. Do petits vapeurs ont cliacnn h'ur route j)articuliére ; ils vont
à la ville el l'u vii'nnonl journellement, s'arrètant aux diftérentos
slalions. C'élail poiu' moi une soince di' [ilaisir inépuisabh'. pendant
mes différentes visiles à Slockhobn, (|ne de faire des excursions snr
ces bateaux. A clia(pie débanpu'inent, les femmes et les enfants
accouroid au-devani de leurs maris et pères; des amis accueillent
d'auli'os amis; tous somldi'ul Joyeux el lieurenv de se souhaiter la
bienvenue. Ailleurs, c'est inie dame et sa bonne, revenani du niaiché
di' Slockliolni, avec ini énorme (lanier rein|ili de pidvisions |)onr mut
semaine.
Le pays, Imil \r long des nnites, est dans ini elal île cnllure snfierbo
et^ de loin en loin, ini voit un clianii» de labac.
A Stockholm, le diman(die. on fernu' les magasins el on snspoiid
24 LF, l'AYS nr S(tl>KIN DK MIMIT
les affaires. Penilaiil le service divin, les aiiberiies el cafés doivent être
clos; mais, comme chez d'aiilres nalioiis prolestanles de l'Euroiie,
c'est aussi un jour de récréation pour le travailleur (|ui se repose. Quand
le service du m;ilin est terminé d.ins les éf(lises, les hihliolhéques el
les musées se remplisseid (rindnslriids i|iii ndnl pdini d'anlre jour
à consacrer au rejios ou au perl'ccliDnni'nu'nl inirliccincl. Les parcs
sont ouverts aux familles d'artisans et de marcliands; les pères et mères
prennent part aux jeux de leurs enfanis et jouisseni des beaux jours
d'été. Ces tjens ap|iarliennent en majeure [)arlie ;i l;i classe ouvriéic,
ou sont des houticpuers qui n'ont point de maison de campagne p(nn'
y passer leurs moments de loisirs, point de villes d'eaux |)our aller
s'amuser, poini d'ar^cid |Miur des objets de lii\e cl ipn se senlcnl
heureux quand vient l'aprés-midi du dimanche. Après l'office du malin,
ils vont avec leurs femmes et leurs enfanis res|iirer l'air ]un' el forli-
iiant, (jui leur infuse une nouvelle vie, avani de relourner s'enrcimer
dans les manufactures où ils sont occupés |)end;inl six jours jiar se-
m;iiiie. L'iidluence salul;iii'c des parcs dans les villes n'a |tas èlè, je
crois, suffisammeni ,ip|irt''ci(''e; ils l'onl iicancoiqi de bien; main! ;irli-
san, an lieu de passer des heures à boii'e, ir;iil di' i^rand c(enr avec
sa famille jouir de cet innocent plaisir.
C'est le comble de l'égoïsme quand des iicns qui viveni à la c;nu-
pagne, ou (pii on! Ions les conioris de la vie dans les villes, ou (pii
peuveni s'absenler à leur gi'è et assister aux fêles. Iroiivenl mauvais
que la population ouvrièiM^ s(U'le le (liuiaiiclie pmn' forlifier son corps
on perfeclionner son esprit. Je viiudrais (pie ceux ipii pensent ainsi
fusseni à la place de ce pauvre |ieuple, el muis verrions ce (ju'ils
diraient d'iui si'joiu' dans les chambres d'iuie maisiui. sur les uuu's
bn'dants de h'Kjuelle le soleil de juillet a darii('' l(Uile la jinnaièe ses
rayons enllammés.
La ville est le siège de plusieurs grandes maisons de banipie. La
plus iiuporlanle est la Riksbaid^en. sous le contrôle de la diète ;
puis rEuskilila-IJank de Slocklidini, lnndèe eu llS.'iO. Le directeur
herr \V auquel je suis |-e(li'\able de bien des obligeances, et iloid
j'apprécie hautement l'aniitiè, est connu cnuiuie l'un i\i'^ liiiaui'iei's
les plus capables du pays. Il repr(''seute StdciJmIui à la diète,
comme mi'Uilu'e de la preiuière chambre. Sa vie a f''t('' aussi acci-
INSTIT[ TinX>; SCIK.XTIFiniKS KT Ml'^KES 2^
dentée (|iie celle de loiil linmnie du nouveau-monde. Fils d'un
évè(|ue lulliérien, il parlil cuinnic mousse sur un navire américain.
Élanl jeune homme, il avail aidielé à Xew-York la Familij Lihnin/
(liildiollièque de famille) de llai|(er, qu'il a conservée avec soin ri
(|u'il m'a montrée avec orgueil comme l'un de ses amusements, en
me faisant remarquer (|u'il l'avait payée de ses économies et avec
liien du mal. II s'intéresse tort aux alïaires américaines; en politique,
il compte parmi les liliéi-aux et ap|)arlient au parti de la Réforme.
Il a été l'un des premiers, sinon le premier, dans les trois royaunn^s
Scandinaves, à appeler l'attention publique sur la nécessité de
prendre l'or ]iour étalon. Dés i8."j3. il essaya aussi de faire adopter
le système décimal des poids et mesures. C'est lui qui. le premier, a
employé les femmes dans les banques dont il est directeur, et
quelques dames y occupent des emplois de grande responsabilité ; il
est d'avis qu'il faut étendre le clianqi d'occupation des femmes, et
il dit (pie, dans bien des cas, leur éducation les met à l'ahri des
tentations auxquelles sont exposés les hommes.
La capitale de la Suéde n'est pas seulement une ville de plaisir et
de commerce; c'est aussi un grand centre de savoir et de science. Ses
musées, hôpitaux, institutions scientifnpies; ses nombreuses écoles et
son dévelo|ipement général d'éducation, lui onl valu une société liau-
temenl spiriluelli\ raflinéc, délicieuse, ipii- cmilribne à en l'aire une
des villes les plus cliarnianles de rEur(q)e. Professeurs, ddcleurs,
riches négociants, personnes engagées dans toutes les branches de
l'art, de la science et de la littérature, hommes de loisirs et hauts
fonctionnaires, réunissent en eux les plus b(dles (pialités du pi'uple,
et sont toujours prêts à rendre service à ceux (jui vienm'nt visiter leui'
])ays.
L'Académie des sciences est un gi'and liàlinienl, sans pi'élenlions
architecturales; mais elle possède une belle bibliotliéipie et une vaste
collection minéralogique et géologi([ue qui passe pour une des plus
remar(|uables de l'Europe; les spécimens de bolani(pie et de zoologii-
sont aussi très précieux. Parmi ses rares cui'iosilés. il fini citer de nom-
breux aérolilhes de joules (ailles, dont l'ini est le plus giand ipie l'on ait
jamais li'onvé; il a élé découvert par le prol'esseiu' Xonliuiskiôld. (pie
sesexploralionsaunord onl rendus! clier,'( la science : le poidsilecel :ier(t-
26 JJ-; PAYS Dr s(»ij:ii. dk mi.nl it
litlie dépasse qiiarnnlo-nouf mille livres. Dniis runedos salles nfi onl lien
les séances ré^'iiliéres de l'Académie. (|ne }iréside souvent le loi, on
voit le lont; des murs les porlrails des premiers académiciens, donl
quelques-uns ont laissé îles noms impérissables dans les annales de
la science; entre autres, eenx de Linnée et de IJerzélius. L'inslitnl
Caroliii a une hibliolliéipie, ini laboratoire de rliimie et de iirécieuses
collections; l'instilnl tecbn(jl()!.;i(pu^. est un antre éilitice publie ipi'au-
cun étranger ne mampie de visiter. La Lainllbrnks Akademien
(.\cadémie d'auriculture), est uiu' institution ayant une ferme (n'i se
font les expériences agricullurales. Le séminarium, collège oii \\\\\
enseigne aux dames lesbrancbesles pins hautes dn savnir, est une splen-
dide péj)iniére d'institutrices privées et publi(pies; les professeurs de
r.\cadémie des sciences font des cours réguliers et des conférences dans
cette institution et dans les autres écoles; l'observatoire, les écoles, et
l'hôpital sont également dignes d'un examen attentif. Le musée
national, snpei'be consirnclion, cuntient inie galerie de Imhis tableaux
et des statues. l'I une précieuse collection de un)nnaies, la plu|iart
trouvées en Suéde et dont (|uel(pies-unes sont foit lares; on peut y
admirer aussi des ornements en t>v d'une anli(|uilé reculée et des
ustensiles appartenant aux âges de la pieric.dn bronze et du h'r. lue
exposition extrêmement intéressante est la collection historiipie de vête-
ments anciens ; il s'y trouve la chemise (pie poilait ('iusla\e-Ad(dphe ;i la
bataille de Lnizi'u; des taches dénotent les endroits teints du sang de
ce héros; le costume de Charles XII et son chapeau troué par la balle
qui le tua ])endanl qu'il élnit seul dans la tranchée dev.int Fredrikshald,
à faii'e des observations lopographnpies ; le domino ipie portait
Gustave III (piaiid il lui assassiné; et. de plus, des boucliers, des
cas(pies. et anlivs attirails gneri'iers diuil chacini a sou hislitire.
Les églises sont en gi'auii inunbre, uiais anciun' n'a de pi'éienlion
architecliu'ale. La plus intéressante est J'église de Uyddarholnieu. avec
sa llêclie en fei', haute de plus de 300 jtieds. Cette église est chère
aux Suédois, car c'est le mausolée où rej)Osenl leurs plus grjuids
honinu's. C'est ici (pie se trouve la tombe de Guslave-.\dolphe. h' héros
de la guerre de Trente ans. le champion du pidlesliintisnie. Sur le
.sarco|)hage on lit ces mots : Mor/c/ts /rl/n/i/i/n/ri/ ; h c('ité de lui est
couchée s;i l'enniie. I.i reine Miirie-Mléonore. L;i It.isiliipie contient
LE^! ÉCOLES PrOMorES 27
aussi li'S tombes do Charles X et île Charles XI avec leni's (■■[loiiscs,
ainsi que celle de Charles XH et de plusieurs autres guoriiei's illus-
tres. Le sol est couvert de dalles sous lesquelles gisent les vestes de
maints grands hommes dont les noms ont rempli le monde, et qui sont
}a gloire de la Suède. Ce n'est pas seulement par ses souvenirs his-
toriques (pie la Riihlarluis est intéressante: c'était autrefois la maison
où la noblesse, comme l'un di's (piaire coips cnnstiluanl la diéle,
tenait ses sessions. Elle est ornée d'un grand nombre d'écus, por-
tant les armes de la noblesse suédoise, dont bien des familles sont
aujourd'hui éteintes.
A l'ouveriiu'e ou à la clotnie de la diéle, l'étranger peut voir que
toutes les classes du peuple sont re|)rés(>ntées dans l'auditoire, depuis
la simple servante avec son mouchoir sur la tête, jusqu'au plus no-
ble et au plus riche du pays. A moins (pi'il n'eu soit empêché par la
maladie, le roi en personne ouvre et ferme généralement les sessions.
Cette cérémonie, que l'on exécute avec toutes les formalités voulues,
n'est (pi'nne mascarade dont les Suédois sont les premiers à se mo-
quer. Le souverain est entouré des chevaliers de l'ordre des Séra-
phins, fondé il y a bien longtemps; tons portent i\i's costumes vrai-
ment grotesques.
Les écoles publii|ues sont nombreuses et l'inslruclion est obligatoire.
Le nombre des enfants de Stockholm en âge d'allei' à l'école (de sept
à (pialorze ans), d'après le recensement de 1870, était de 1(),843.
Noml)rp (les assistants h l'école tous les jours 12, 849
— — ilïiiis (faiitres écoles ^î.Sl.t
— dans les all'aices ou à i'ouvraire '.170
— (les incapaliles par malailies I Iti
— n'allant jias à r(''coli' oit.")
Sur celte quantité de l.'j. 102 écoliers, .T,19i j)ayaient le prix entier
de l'écolage, 2,313 n'en payaient (pi'une partie, et T.O.'io ne payaient
rien ; cette dernière classe suit les cours des écoles du |)euple (foIÂ-
s/,ul(ii)]\\\{ ville paie pour rinstriiclion l8o,79o 38 kronor, ou 24,26
(")re pai- enfant. Il y a 208 prol'esseiirs masculins et féminins avec
une moyenne de 38,8 enfants iiour chacun; la moyenne d'âge des éco-
liers est de dix ans. Sur les 7, 6.3."î élèves gratuits. 99,0 pour cent a[ipre-
m i.K l'AYs Di" som:ii. dm mimit
naioiil If catécliismo, le suédois, r;uilliinéliini(' et l'écriture ; 02,6 pour
cent îipprenaienl en sus Tliistoiie et la géogia[)liie ; 57,6 |)oni' cent
l'histoire naturelle, o2,7 pour ceiil le dessin; 9 poui' cent la géomé-
trie; o6 pour cenl le cliant et la gynuiastiipie. Parmi les tilles, 2,180
apprenaient à coudre, etc. Ceux rpii s'absenleni de l'école à une épo-
que ou l'autre n'étaient que 9,6 pour cent; les absents pour rai-
son valable 3,2 pour cent ; sans raison 1/2 ou 1 i)our cent ; par paresse,
4 pour cent; par pauvreté, 1 pour cent. Ainsi, pendant l'année, les
enfants ipii oiiL manipié à l'école étaient de 721. Ceci parle liaule-
ment en faveur du peuple et de l'efficacité des lois sur les écoles.
11 existe une classe d'écoles, appelée Hur/ro EJementar larorerk
(Hantes classes élémentaires), où l'on enseigne les langues mortes et
étrangères, eu même temps ipie les branches avancées de la science;
on y prépare aussi les étudiants ipii veulent entrer dans les universités.
Us n'onl qu'une faible somme à |)ayei' pour leur instruction et ceux
ipii n'en on! jias les moyens la reçoivent gratuilcmenl. Des gymnases
sont attachés à ces institutions.
La Slodjskolan est une écide industritdle lilti'e, dans laipndle les
étudiants apprennent la pratiipn» des matliémaliipies; construction
géoméiriipie ; dessin d'oi'nemi'iii, linéaire un d'après la bosse ; méca-
iiiipie; architecture; gravure; scidptni'c ; peininre ; lilliograpliie ;
langues suédoise, bancaise, anglaise el allemande ; tenue des livres ;
les élèves soid surtout des ouvriers des deux sexes. Celte splendide
école, (pii fait tant d'iioinieur à Siocklndui, était fréipientée en 1871
par l,7(i.") élèves, 992 gai'cons el 77.'^ filles. Outre les (dasses du
soir, il y a encore celles iln jour; mais ces dernièi-es ne sont ((ue
|ioni' les lillcs (pii payent (diacinie .'iO ("ire par lUdis. Un y donne une
instruclion spéciale en dessin, peininre, monlagi' en terre el en cii-e,
lithogi'apliic. gravure sur liois el sur cuivie, lenue des livres, arilh-
mèliipie, géométrie, langues française, anglaise et allemande. Ces
classes étaient suivies par 791 élèves, formaid pour toute l'inslilulion
un hilal de 2,."i.")() élèves. On a du plaisii' à traverser ces nom-
Iti'enses salli's el à (diserver ces hommes el ci's h'mmes, humbh/s
mais initdligents. dunl loiiles les ènergii's semblent tendues vers
leur perh'ctionnemeiil iiihdiectiiel. Ci'lle ècide est oiiverle du l" (ic-
lobre au l" mai.
IXS'riTI T CKNTItAL DK (iV.M.NASTlni K -2'.)
Liiiii' lies iusiiliiliiiiis les jilus iiii|M)il,iiilcs es! le " Koiigliga Gym-
ii.'istika ceiiti'al Iiisliliilcl » (Royal insliliil ci'iilial ilc ,uyiiiiia5;li(|iie). (|ui
(lovrail (Mi'c iiili'oiliiil en tdiis |Mys. Stm Inil csl de (lt'vt'li)|)|M'r la
nymiiasliiiiii' |)i'alii)iu', di' [jrrpari'i- îles ('linliaiils en iiitMlecinc ri (Irs
instructeurs pour toutes les écoles, et eiiliii de liaiu r les maladies
qui exigent un exercice iiliysii|iie ; les cures elVecluées sous celle
forme sont souveul reiuar(|ualiles. On enseigne aussi l'anatomie, aliii
de douuei' la connaissance du système musculaire. Le uoiubre moyen
d'élèves (jui suivent ces cours est d'environ 1.500. rpii, en majorilé,
sortent des écoles |inMii|ues.
Une académie libre des beaux-arts pourvoil à rinsirnclion de
la |ieinture. de la sculptm'e, de rarcliileclnre, elc. Une académie
royale de uuisique enseigne gralnilemenl la mnsi(ine el le cliani; le
nombre des élèves des deux sexes esl d'environ 2oO.
La statisti(|ui' se jiroiuuice eu faveur de Slockliolm et de ses
liabitauts, et les autres pays tiouveraieul toul avantage à copier
maintes de ses institutions. Nulle nation n'est plus prés de sa
décadence (pu' celle dont l'orgueil se refuse ;ï accepter les amélio-
lalions et les inventions îles autres, parce (pi'elles ne lui sont ]kis par-
ticulières, ou (pii iiicubpieà sa jeunesse qu'elle lient la lèle de la civi-
lisation et iiue le monde doit suivre sa dii'ection.
CHAPITRE IV
Cliiiiles W, nii (Ir Siiùde et de Nuivi'gc. - Sun iii'cut'il amical. -- Convcisaliuii sur dilVcreiils su-
jets. - Sa syiii|i.Uliie |iour les l"i'an(;ais. — Il est oiiposé à la jieiiie de iiiorl. — Lnc \isili;
au [lalais Ulriksdal. - CioiUs de Sa Majesté. — Le parc Haga. — l'n ilinianche eu Suéde. —
Palais de lioselidal. --l'n visiteur niatinal. — l'Iiolograpliies. — .Murt du rui Charles. —
Regrets sur sa perte.
Ihi s(|ii;ire (liislavL'-Adol[ilio, cli icgaidaiil |)ai-ik'sslis Noirbio,
un voit II' massif palais royal; à sa di'oite vient se raltacliei' un
petit ('(ii|is (le liàliiiieiit. Les "'oiits simjjles el sans (islentalidii île
Charles XV. lui uni rail clioisir poiiili.iiiilaliini celle |)arlie modeste de
ce vaste bâtiment; les grandes salles de l'aile principale ne servent
qne dans les occasions solennelles et ponr les cérémonies officielles.
Dés mon arrivée, je désirai voir le roi, non |iai' cniinsilé ni vaniié,
mais pour otïrir l'hommage de mon respect an souverain dont j'al-
lais parcourir les Etals. .\prés m'étic reiisi'iuné. je m'aperçus ipie la
chose n'était pas facile. La cour pnriail le diiiil de la reine décédée
ijuekjue temps avant mon arrivée, el le roi, (|ni relevait à peine de
maladie, n'haliilait pas Stockholm à celle époque, .le lis néanmoins
une demande régulière d'audience, et, à ma grande surprise, le mi-
nistre d'Amérique recevait le lendemain la lellre suivante, écrite en
français :
EXTHKTIEN AVEC LE HOl DE S CÈDE 31
<( Le iniiiistie des affaires étraiii;ères a le |ilaisir (raiiiioiwei- à .\L Ainlreus.
iiiiiiislie résidant îles Elals-l'iiis irAiiiéiiiiue, (|iie sa Majesté le roi recevra M. Du
(liiaillu en auilieiice privée, tleiiuiin samedi, à onze heures ilLidii matin, dans
les petits appartements de Sa Majesti', au palais de Stockholm.
■1 Le couite de Walchnieiuster prolite de cette occasion pour [iiésenter à
.M. Andrews l'assurance de sa considi'ratlou la plus distinguée.
'• StocKliolm, l(i juin IST I. u
Non seiilciiiciil laii ivqiit'le avait été agréée sui-lc-chamii, mais
encore Sa Maje.'^lé me l'aisail i'iioiineur de venir à Slocklioim et de
m'accorder iiin' audience privéi'. .l'.irrivai ;i la modeste entrée des
a|i[)arlcmenls |iailiculiei's trois nu qiialre miiiules avant le moment li\é
|i(inr ma réc('|ilion; nu t'aclioimaire gard.iil l;i porte extérieure, mais
lie nn' demanda i»as où j'allais. Accomi»agué diui (lomesli(|ue de
riiôlel. (|ui était venu pour me montrer le cliemiu, je montai les esca-
liers et j'arrivai auprès de deux valets eu demi.. le demandai le roi;
ils ouvrireid Hue pnrlc c( m'iulroduisirenl dans une liildiolliéipic l'iirl
sim|ile au centre de laijuelle se Irouvail uu lu'll.ird; les livres élaieiil
reliés sans luxe, évidemment dans rinli'iilioii de s'en servir, el nou
pour être seulement regardés. J'étais à peine depuis trois minutes
dans cette j)iéce. loi'S(|u'un gentleman, vêtu avec grande simplicité,
entra vivemeul, suivi de deux officiers. Il me souhaita le bonjour, el
passa dans la chandire vdisine. dont il ferma la porte. Il avait tra-
versé si rapidemenl. (pi'il ne me laissa })as le temps de lui rendre
son salul. Les officiers revinrent, et, après s'être inclinés devant moi,
me dirent: " Le roi est prêt à recevoir M. Dn Cliaillu; » puis ils
m'introduisirent dans la chandire du souverain, avec le(|uid ils me lais-
sèrent seul. Charles XV vint à moi. me (eiidil la lu.iiu el me dit
([u'il était lieuri'ux de nu' voir en Suéde. Son accueil amical, sou re-
gard franc et ouvert el l'alisence totale de cérémonie éveilléreut ma
plus vive sympathie, el je me sentis tout à l'ail à l'aise.
Le riii était grand el élancé, de teint brun. Quiii(|u"il piul'il sur
la ligure des Iraces de sa récente maladie, je ne m'éloimai pas (pie.
(|liel(iues années plus tôt, il eût passé pour le jikis beau des souve-
rains existants.
Je remerciai Sa Majesté, au nom des liltéi'ateitrs et îles voyageurs
américains, d'aVoir bien voulu m'accorder une loidi e. el j'ajoutai
■^■2 lA'] PAYS DU SULE1I> D K MIMIT
(|uo, clioz iiniis. ;m\ Etals-Unis, on le cuiHKiissait cominc iioèlc cl
arlisle, ti (juc Imis. nous l'admirions surloul cuniuie monai'(|uu d'un
pays librt'. " Oui, répondit-il, nous sommes libres, car nous avons
un tiduvcnicnii'iil constitulimiiici. Je suis lieiiirux ii'a|i|)i'endre i|ne
vous allez viivauer en Suède et en Norvèi;e, et nous voir tels nue
nous sommes. » .le répartis cpie j'avais riutenlion d'explorer eutiére-
menl la péninsule Scandinave d'une extrémité à l'anire, [lendaid pln-
siciu's aimées, piiin- bien connaître le penjile. .le ne savais ipie 1res
|ien de chose aliirs des jiolitesses et courtoisies de tout i^enre qui
m'allendaienl parlonl.
— Asseyons-lions, dit le roi eu m'iiidi(|uanl une (diaise au-
près d'une petite taille devant la IVnèlic ; et. liranlunètui de sa |(oclie,
il m'ollrit iiii cigare. En ap|nenaid (pie je n'avais jamais l'unie ni
prisé de ma vie, il me dit. avant d'allumer sou cigare :
— La l'iimée vous gèue-l-elle?
— En aucune façon, répondis-je.
— .le suis étonné qu'un voyageur comme vous ne fume pas,
reprit le roi en lâchant une forte boiilTèe de fumée ; vous ne savez
pas ce que vous perdez.
— L'ignorance, en ce cas, est un bonlieur. ré|iliipiai-je.
— Nous vous connaissons en Scandinavie, ajoula-l-il. IMusieurs
de vos ouvrages ont été traduits en iiorvèi^ieu l'I eu suédois; vous
verrez que vous n'êtes pas un élraiiger pour nous!
— Votre Majesté veut-elle me faire l'Iionnenr d'accepter mes
œuvres en anglais?
— Avec plaisir. Voyagez bien ; visitez nos écoles en Norvège
et en Suéde, nos universités, nos institutions scienliftipies; tous nous
croyons en l'éducation. Voyez nos raihvays, nos canaux ; oltservez
chaque cliose. Vous ferez probablement connaissance avec beaucoup
de nos savants (pii, je n'eu doute pas, seront enchantés de vous
moiilrer nos collections.
Nous parlâmes agriculture.
— Avant d'élre l'oi, dil-il. j'étais feiinier. .l'aimais beaucoup celte
vie, mais je dus la (piiller; inaiiileiiaiil, il ne me reste point assez
de temps; car j'ai beaucoup d'occupations. Puis il jiarla des progrès
(pi'avaient lait la Suède et la Norvège en éducation. — Il faut
r-pipinii-s; sçj-^'- ^i "^ fVSSflSWÏ'*"
J
ENTUETIE.N AVEC LE UUl DE S LE DE 35
qiu' ri,uiioi"iiil suil parlielleinciil iiisiruil. N'uus avons uiil' lui l'xci'l-
lenle; chaque entant est tenu (l'aller à réeole.
Et ses traits s'animaient à mesure qu'il (larlait.
— Je suis très heureux, répondis-je, de voir i|ue Votre Majesté
n'est pas un de ces hommes ipii. étant insiruils. croient (|ue les
autres doivent demeurer ignorants; un de ces hommes (pii s'op-
posent à l'éducation générale, mais (|ui ne voudraient pas (pie hnns
enfants fussent mal élevés.
Ensuite la conversation roula sur les lélégiaphes. les chenuns de
fer, les manufactures.
— Il faut, reprit le roi, (jue nous ayons i)lus de chemins de
fer, plus de capitaux et plus de peu[)le; car notre pays est vaste, et,
s'il était complètement perfectionné, nous pourrions entretenir nue
plus nombreuse population.
Nous conversâmes sur la Laponie et le nord de la Suéde.
— J'ai beaucoup voyagé en Laponie, me dit le roi, j'aime \eé
voyages.
Jetant les yeux sur la collection ('X(piis(> d'autiipiités, d'armures,
et de curiosités anciennes qui garnissait la chambre, je demandai la
permission de l'examiner. — (cCertainemeid, » ré|)li(pia le roi ; et il prit
grand intérêt à me montrer et à m"explii|uer l'histoire des spécimens
précieux amassés par lui. Revenus anjirès de la table, nous causâmes
politique, de l'état de la France, de la guerre désastreuse dans
la(|uelle elle s'était plongée elle-même et ipii venait de finir.
— J'ai appris, lui dis-je, (pie Votre Majesté est opposée à la
peine de mort.
— Un homme n'a pas le droil de prendre la vie de son sem-
lilalilc. lit-il tristement et d'un Ion rêveur. J'ai été obligé de
signer un ou deux arrêts de mort, c'est parce (pie je ne pouvais
réagir contre l'opinion publi(pie du pays, i'uis, consultant sa
montre, il dit: " Vous savez ((lie je suis en deuil; ma santé n'est
pas bonne et je ne demeure pas à Slockholm. Venez demain
(dimanche) à Ulriksdal où je réside maiiilenani, ce n'est qu'à une
courte dislance de Slockholm. » Il eiil la iMnilé de m'indi(juer la
roule poui- m'y rendre en bateau el il ajdiila; » Je vais vous écrire
sur une carie cominenl vnus devez vous y [irendre, dans lii crainle
36 LE PAYS UU SULEU, DE MINUIT
que vous puissiez l'oublier. » N'ayant point de papier, je le priai
d'écrire sur une de mes cartes de visite; son crayonne marquait pas,
je lui prèl;ii le mien: juiis il se leva, ce qui signifiait qu'il étail
temps de partir.
Sa Majesté me donna une cordiale poignée de main, me dit: » A
demain! » el je me relirai après une audience d'une heure.
Une charmante navigrdion de deux heures me conduisit au point
de débanjuement de ri'lriksdal. Le p;d;iis est délicieusement situé
sur les rives de l'Edsviken [rihvn. haiei. il 0(cu|)e trois côtés d'un
quadrilatère et a été construit par le grand capitaine Jacques de la
Gardie. Le roi Bernadotte, grand-père du roi actuel, s'en servait
comme de caserne ; Charles XV l'a Inuisl'ormè en belle résidence
d'été et il y demeure pendant la saison chaude. Du délKirc;idère au
palais, je n'aperçus pas un soldai, pas un policcrnan. |ias même
un domestique en livrée; les promeneurs allaient et venaient. Les
portes conduisant aux différents escaliers étaient ouvertes, ainsi
que les fenêtres du rez-de-chaussée, par lesquelles chacun aurait pu
facilement entrer, et des pécheurs jetaient leurs iilets en l'ace de la
résidence royale.
Je m'arrêtai au pied du i^rand escalier, mais je ne vis personne;
je me dirigeai vers un autre sans plus de succès. « N'y a-t-ii
persoime ici? » m'écriai-je alors. Un homme, se penchant sur la
balustrade de l'étage supérieur, me regarda d'un air qui voulait dire :
« Que désirez-vous? — Le roi est-il chez lui? demandai -je.
Non, fut la réponse. — Il y est, repris-je; il m'a invité à venii! »
A ces mots, l'individu disparut ]iour reparaître au liout d'un
instant au bas de l'escalier: il me fit une profonde révérence et
me montra le chemin. En atteignant le |»remier étage, il m'expliqua
(jue Sa Majesté se tenait au bout d'une suite d'appaitements oij
j'entrai. Dans la quatrième chambre, je vis le roi en train de
jieindre. Dés qu'il eidendit mes ])as, il mit son habit en s'écriani :
«Soyez le bienvenu à Uli'iksdal, Monsieur Du Chaillu, » el me donna
une poignée de main. « Comme vous voyez, continua le roi, je
peins, je finis un jiaysage; » en même temps, il me présenta à son
professeur.
— Pourquoi Votre Majesté prend-Elle la peine de reineltre son
UNE VISITE AU PALAIS D'I^LRIKSDAL 37
liabit? ilemandai-je ; Elle ne pourra pas peindre aussi aisément.
Mais le roi garda son frac, cl nous entrâmes en conversation.
— J'ai eu grand'peine à trouver Votre Majesté, lui dis-je, car
ni soldats ni policiers ne veillent sur Elle, el les domestiques n'em-
pêchent personne de s'inlrodiiire dans le palais.
— Di^s soldats pour me garder! s'écria le roi en souriant; en
Cliaiii^s XV.
eiï'et, il n'y en a poini. Les soldais sont pour le pays, et non pou/
moi. J'aimerais mieux renoncer à être roi, si j'étais obligé d'avoir des
soldats pour veiller sur moi. Nous sommes tons libres ici.
Voilà ce qu'était la simplicilé de manières de Charles XV. Le
peuple semble si bien connaître les convenances, qu'il s'abstient d'im-
portuner un homme et de le suivre à la piste. Itien que ce soit un
38 I-E l'AYS Y)V SOIj;]L DE MINIIT
souverain. On janil allribuer ce peu ilf euridsilé à ce qirou voil le
roi parlout, comme tout autre citoyen, et qnc le peuple s'accoutume
à sa présence.
Je priai Sa Majesté de continuer sa peinture. « Non. ilil le roi;
je veux vous faire voir les curiosités (jue j'ai réunies dans ce palais.
J'aime tant cet endroit, que j'y passe toujours une giande partie de
l'été. » Il me pria de garder mon cliapeau. et, 'se Icoillanl lui-même
d'un feutre mou à larges liords, il me conduisit de cliamltre en
chambre, me montrant avec fieilé sa belle et rare collection d'ameu-
blements, de porcelaines, de tapis des Gobelins, de vieilles poteries, de
vases, de coupes à boire, de cornes, etc. ; la plupart de ces objets 1res
anciens et de grande beauté, quebpu's-uns d'un |iuissaut iidérèt his-
torique, et tous témoignant de son goût artistiipie.
Nous entrâmes ensuite dans sa propre chambre, où il unvril une
cassette dont il sortit quelques-unes de ses pliotograidiies. Il me
demanda si je les trouvais bonnes et m'en donna une sur laquelle, à
ma requête, il mil sa signature. Puis, prenant un album contenant des
autographes de personnes illustres, il me dit à Ijrùle-poui'point :
« Faites-moi l'amitié d'y inscrire votre nom, » ce ipie je lis, un
peu malgré inoi. »
Quand sonna l'heure du dépari, il descendit l'escalier el m'ac-
comitagna jusqu'à la porte pour me dire adieu. Il me serra la main
très alïectueusement. me souhaita santé et succès pendant mon voyage
au Nord et ajouta : « Ne manquez pas de venir me voir à votre
retour.
Le lendemain matin, une ordonnance m'ap|)orta un |ia(pui (pii
conienail dru\ lithograpldes représentant la salle à manger de l'L'lriUs-
dal que m'envoyait le roi, et une lettre de l'un des chambellans accom-
pagnant le cadeau, avec les meilleurs souhaits de Sa Majesté pour
mon voyage.
Telle fut ma première connaissance de cet aimable monarque.
Plus je le vis ensuite, plus j'apjjréciai ses senlinienls alTecluenx envers
moi, et. comme ses concitoyens, j'appris à admirer les nobles traits
de sou caractère.
On le voyait souvent dans les rues de Stockholm et de Christia-
nia, visitant les magasins comme un simple particulier, et. lorsqu'il
I.K BON M(il CHARLES 'M
était recoiuiii. cli.icmi sciilail ijuo le souverain avait, comme toute
autre personne, le droit de se promener dans les rues sans être suivi
ou regardé. On se conlenlait de le saluer; mais celte coutume est si
générale, que tout liomme conini n'a pour ainsi dire lien à faire rpie
saluer ceux qu'il rencontre. J'ai vu (pieli|uelois le roi descendre de
voiture pour parler à des gentlemen et y remonter une fois l'entretien
fini, prouvani ainsi (pi'il était fidèle an\ rèijles de la politesse. Sa
ponctualité dans Ions ses rendez-vous élail pi'overhiale.
Il mouiiil le \H seplemlire 1872 et fui pleuré d'un boni à l'autre
de la Scandinavie. Dans les plus humbles chaumières, où son por-
trait était suspendu aux murs, j'ai entendu exprimer de sincères regrets
de sa perte. On l'ajjpelait « le bon roi Charles ». Ses meilleurs amis
furent les paysans et les gens de la basse classe; bien des Suédois
m'ont dit qu'ils croyaieni (pie, depuis lesWasa, aucun souverain n'avait
élé autant regretté (pie lui. On l'aimait malgré ses défauts; Jamais il
ne rechercha la poi)ularilé, car il éiaii iiulépendanl et délestait les
façons cérémoniales ; celle indépendance même le rendait cher aux
masses; elles aimaient la simplicité de ses manières, la bonté de son
cœur, sa tVanchise et même sa brusquerie. Il y avait dans son main-
tien un cerlain magnétisme ipii attirail l(>s gens. .l'ai entendu certaines
personnes censurer ses habitudes de simplicité, et déclarer (pi'il
aurait dû être plus l'ormaliste. Il eiil des défauts, — (pii n'en a
pas? — mais ses grandes (pialités les faisaient oublier. Sa lille
unique est mariée au prince royal de Danemark. Il a eu pour succ(^s-
seur son frère, aujourd'hui Oscar II, qui, sous bien des rapports, ne
lui ressemble pas. Le roi actuel est un savant accompli, bon musi-
cien el poète, et homme de grand tact. Il |)arle plusieurs langues
et s'exprime parfaitement en anglais. Je ne puis que lui souhaiter
longue vie et prospérité, et une popularité comme celle dont jonirenl
son père Oscar I" et son frère Charles XV.
CHAPITRE V
Appareillage vers le soleil de minuit. — Navigation à vapeur dans la Baltique. — Caractéristique
des passagers. — .Arrangement. — Aspect de la cote. - Débarquement. — Fêtes à bord. —
l'n liame.iu. — Haparanda. — Manière de voyager.
C'est à l'extrémité nord du golfe de Bothnie, sur la rive droite
de la pittoresque rivière Torne, qu'est située Haparanda, la ville la
plus septentrionale de la Suéde, où les touriste.s se donnent rendez-
vous pour voir le soleil de minuit et observer la côte. Pendant les
mois d'été, de confortables steamers (piitlciil toutes les semaines
Stockholm pour celle partie de la Suéde, et s'arrêtent à ditïérenis
points. En prenant un de ces bateaux, vers le 13 ou le 18 juin, le
voyageur peut faire une petite tournée agréable, et jouir sans efl'ort
de la vue du soleil de minuit. La traversée dure environ trois jours,
mais il ne faut pas manquer de retenir une cabine à l'avance, car ces
bateaux sont souvent encombrés. Le seul désagrément consiste dans
le bruit que l'on l'ail aux différents lieux d'arrél en déchargeani ou en
recevant la cargaison, ce qui empêche de dormir.
Il y a deux manières d'entrer dans la Baltique en quittant Stock-
holm : l'une par le liord et l'autre par le Mélar, qui est relié à la
mer par le canal Sôdertelge. La côte, de chaque côté du fiord, est
SUR LA BALTIQUE 41
littéralement ourlée d'îles, dont beaucoup ne sont que de simples
rochers émergeant de l'eau; quelques-unes sont grandes, cultivées
ou couvertes d'arbres conifères, tandis que d'autres sont habitées par
des pêcheurs.
Par une de ces belles matinées, si communes en Suéde en
cette saison, je partis pour le Nord, au moment où le soleil levant
dorait de ses rayons le sommet des collines. Le bateau passa devant
Waxholm, qui défend les approches de Stockholm; tous les ans, on
augmente ses fortifications. Les îles succédaient aux îles; la scène
devint graduellement plus sauvage et le rivage plus stérile : des
sapins, largement espacés, couvraient les rochers ; parfois on aper-
cevait un moulin à vent, ou une maison de pêcheur, ou quelques
vaches appartenant à une petite ferme paissant auprès de l'eau.
Après avoir navig.uè quatre heures, nous prîmes par le travers de
l'île d'Arholma, sur laquelle on voit un vieux sémaphore, que ses
bras en saillie font ressembler à un moulin à vent. Plus loin, nous
passâmes entre la terre ferme et l'île d'Aland; nous entrâmes dans
le golfe de Bothnie, et peu à peu nous perdîmes de vue la terre.
Notre steamer, lourdement chargé, ne faisait pas plus de dix milles
à l'heure. La mer était unie comme un miroir; les vents nous arri-
vaient de la Suède, apportant les émanations des forêts de pins et
de sapins, et des prairies; point dr houle, à peine une ride sur
l'eau sombre formant un contraste singulier avec le bleu pâle du
ciel. Je fus particulièrement frappé de l'absence d'oiseaux aquatiques;
nous ne vîmes ni canards, ni mouettes, ni goélands. Nous voguions
en droite ligne, en nous tenant éloignés des nombreuses îles (|ni
constellent la côte. La Baltique et le golfe de Bothnie sont riches
en poissons; le long des bords et dans quelques îles, la [lêclie est
d'un grand rapport.
Notre bateau n'avait pas beaucoup de passagei's de première
classe ; cela tenait probablement au petit nombre d'endroits oii nous
devions toucher, et à la crainte d'être arrêtés par les glaces. Parmi
les personnes qui occupaient la cabine, se trouvaient la fenime du
capitaine et une jeune dame d'environ dix-huit ans, très polie et
extrêmement réservée. Elle parlait un peu l'anglais et le français,
revenait de Stockholm, où elle avait été à l'école, et retournait chez
42 LK l'AYS 1)1 Sdl.KII. DK MlNl'lT
elle, au Non! luiiilaiii ; il y av;iil encore une autre dame qui voyageait
avec son mari. Parmi les hommes, on complaît un jeune employé
(les douanes qui se rendait à Ilaparanda pour occuper son posic pen-
dant la saison de la navigation ; c'était un aimable et gai compagnon,
aui|uel je dois encore ajouter un actein' el deux négociants.
Tous étaient très polis l'un pour l'autre et surtout pour moi. Le
capitaine me présenta à sa femme et celle-ci aux deux autres dames.
Ainsi que cela est habituel sur les navires, les hommes firent con-
naissance sans savoir comment — chose bien facile en Scandinavie, —
et bientôt nous fûmes bous amis.
Les passagers dn ]»oiii étaient nombnMix. C'a toujours été une
source de plaisir pour moi que d'observer ces braves gens à bord des
steamers norvégiens ou suédois: car ils olïrent toutes les particula-
rités de la vie campagnarde. Il est très rare qu'un fermier, même
l'iche, prenne un |)assage de |ircmière classe; })0ui' Ini. l'argent
dépensé pdui' une traversée est perdu sans reloni'. Ils s(nil toujours
joyeux et contents; aucune t\{'<. convenances de la vie élégante ne les
tronble; ils crient, ils sautent, ils rient, ils se bappeid sur le dos;
la liberté légne dans tout ce qu'ils font, et ils s"inquiétent peu de
savoir si le citadin petit-maître en serait choqué. Il y a dans leurs
manières une géniale boulé el une innocente gaieté (pii font plaisir à
voir. (]es gens paraissaient les jdus heureux de tous ceux qui étaient
à bord; évidemment ils tenaient à voyager au meilleur marché pos-
sible, ne payant que leur passage; car ils emportaient avec eux leurs
victuailles dans des cofl'res en bois ou en écoi'ce de bouleau. Leurs
provisions consistaienl en hareng salé, beurre, fromage, etc., et en
pain noir. Ils en avaient une sorte appelée f'f(//////,(//,n/\ |iain plus
noir encore ipie le knâckebn'id et tellemcnl dnr. (|u'on éprouve de
la difficulté à le manger; on le conserve des mois entiers, passé
dans des perches au moyen d'un trou fait au ceidre. De temps en
temps, de vieux amis ou des connaissances nouvellemeid faites se
régalaient d'une bouteille de bière sur le comptoir (bar), on plus
souvent d'ini verre de bivlnvin. (pi'ils liraient d'une liole soigneuse-
ment empaquetée dans leurs collVes. ou mise en snrelé dans une de
leurs poches.
Qnand arriva flieure de dormir, le spectacle devint réellement
I,ES PAS^^AiiElis DK 1/ Kul I l'Aii !•; 4;î
plaisanl : ils cliorchèrcnt à se faire de la place et des lits le mieux
possible, au milieu des caisses, des sacs et de toute sorte de mar-
chandises; ils prirent des poslures liétérocjiles, qui auraient riscjué
de cliiiipirr la sensihililé de gens un peu lrn|) [hikIcs. Maris et
femmes, IVim-cs cl sihui's. mcnic les amoureux, durinaicnl dans les bras
l'un de l'aulrc, s'inijuii'l iiil loil )ieu de ce ([iie d'aulies en (tiiui'raienl
penser. Queli|ues-tnis se |)lacèrent côte à côle, se blollissani dans
des coiiveriures pour avoir chaud, ou dans des coins, ou sous des
prélaris. Ceux cjui étaient assez niallieureux pour n'avoir pas de cpioi
se couvrir, s'endormaient juscpi'à ce (pie le froid les réveillât et les
obligea! à se donner du mouvement pour se récliauiïer. Les nuils
étaient glaciales, (pioitpie pendant le jour le soleil fui vraiment chaud.
Ces passagers du pont ont parfois à endurer de grandes privations,
cjuand la traversée dure plusieurs jours et quand le temps est ora-
geux , comme c'est souvent le cas à l'automne ; mais , plutôt que
de payer un supplémeni, ils préfèrent être mouillés, et souffrir du
froid.
J"ai toujours été frappé de la politesse des capitaines, et de tous
les ofliciers à Itord des steamers norvégiens et suédois. Je crois qu'il
n'existe j)as une contrée où ceux cjui commandent un vapeur de la
marine marchande, montrent aulant de courtoisie et paraissent si bien
élevés; ils parlent toujours une langue étrangère, généralement l'an-
glais , souvent le français el l'allemand , el quelquefois les trois
langues. L'alTabililé de leurs manières tient probablement à ce que
la plupart a|)par(iennent à la flolle ou lui ont apparlenu.
Ce qui me plaisait particulièrement, c'était de voir comme les
passagers de seconde classe et du pont étaient bien traités. Chacun à
bord est civil pour eux et l'on ne bouscule pas leur bagage ni rien de
ce qui leur appartient. Us sont sûrs d'obtenir une léponse polie à
leurs questions, et l'on ne se permet pas de termes licencieux.
La cabine, bien aménagée, était chauffée par la vapeur; tout était
propre et notre couchage excessivement couforlable; il y avait un
bon jiiano dans le salon. Je ne m'étonnai pas que cli npie chose fût
sii convenablement tenue, car tous les domestiques à bord des slea-
mers de la Haltique. y compris les cuisiniers, sont du sexe féminin,
el sons la surveillance d'une intendante, qui a la charge du dépar-
A/t
i>E PAY^i nr >()i,i:ii. de mixtit
fcnK^nt ru1iiiaiie\ On dit (|iii' r(>t|p cnutiinip (remployer des
femmes comme servantes date du temps de Charles \ll, aidrs que
ses guerres eidevèreiit la population mâle.
La salle à mander était sui' le puni, liiand avaiitai,'e pour
Navigaliiin vers le sulril de minuit.
nous qui n'avions pas ainsi l'odeur de la cuisine comme dans la
cabine ; on servait trois repas par jour : — déjeuner, dîner et souper,
— avec de la bière et du vin de liiiiuie qualité. Les repas n'étaient
|ioinl c(uiipris dans le coùl de la traversée. La cuisine me parut
lionne, le service excellent, et le tai'if 1res modéré.
A bord de ces steamers, réiiue une coutume (pii démontre la
grande honnêteté du peuple. .\ la lin de chaque repas, ces messieurs
écrivaient quelque chose dans un grand livre déposé dans le salon.
Le second jour seulement, après avoir été aux renseignements,
j'appris que tout passager devait, une fois le dîner fini, écrire son
nom avec ce qu'il avait ciuisommé, et surtout les extras en vin, soda-
water, café, liqueurs, bière, cigares, etc.
■v wi
^ ■■T'-'^'^m^-v.
\ \ \ 'i
I.A CAHTI': A l'AÏKIt 47
J'étais cmelk'iaeiil eiiibiiiTassé ; car, 110 coniiaiss.iul pas cette
règle, je n'avais rien écrit et lie nie ia[i|)i'lais plus ce (|iie j'avais
demandé ; je savais seulement i|iie j'avais i^m'ilé à lous les plats
et régalé mes amis, comme ils l'avaient- fait avec moi, de café, de
cigares, etc., surtout d'ct ae/era. Je priai un de mes compagnons de
route de m'aider à sortir de ce dilemme ; nous appelâmes l'inten-
dante, el. après avoir rassemblé nos souvenirs, hiut renlr.i dans
l'ordre; lorsipi'il y ciil doiilc.je lis inscrire le maximun. Tout étant ter-
miné au mieux, je recommandai à la servante d'écrire dorénavant mes
commandes, et de ne point se fier à moi, allcndii (pie je suis 1res
oublieux. Son regard, lors(|u'elle me répondil oui, disait clairemeul
(|u'elle s'amusait fort de mon ignorance. Quand le voyageur est sur le
point de quiller le steamer, il appelle la lille. cl lui donne son nom ; elle
inscrit alors le prix decliaipie ronsoinin.ilioii. fail raddiliim el meten
|iOclie l'argent (pi'elle reçoit ; (piand le poids de la monnaie devient
trop lourd, elle !a sort sans comi)ler el la donne à la maîtresse.
On offre alors une petite gralificalion à la lille. ce dont elle parait
très reconnaissante, en disant : Tavknr aidra ud)iijii/iust l — « Je
vous remercie infiniment; » et cela si sincèrement, que l'on regrette
de ne pas lui avoir donné davantage. Le restaurateur court ([uelque '
risque ; car un voyageur [leut oublier d'inscrire tous les détails de
sa consommation; néainuoins, on se fie à riioiinéteté des gens, et
cette confiance rend chacun très scrupuleux.
La côte suédoise, depuis le Sund Aland du côlé nord jusipi'à
la ville d'Umea, l'orme le fer à cheval, et entre ces deux points on
perd de vue la lerre. Nous rencontrâmes de grands amas de
glaces dans le détroit de Qvarken; un labyrinthe d'îles qui s'éle-
vaient du cùté fimiois les arrèlail. el le vent d'est en poussait des
masses vers le bord. Sur un champ inunense se prélassaient des
phoqties en grand noml)re.
Nous dépassâmes le phare de l'ile de Norrskâr el plus loin le
phare fiottant , ap[)elé Snipan , (|ui prévieni le marinier du danger.
Après une excursion de trente-deux heures depuis Slockholin, nous
cinglâmes entre la terre ferme et un groupe d'îles dont la plus im-
portante est Holmon, en face de la jolie petite ville d'Umea, mais à
assez bonne dislance de la côte. Là, nous trouvâmes un nombre
48 LE PAYS DU SULKIL DK MIMIT
considérable de grands ke-floes (bancs de glace), poussés de la côte
finnoise vers le liord suédois. L'hiver de 1870-71 avait élé excessive-
ment rigoureux, et l'on reiiconira des champs de glace jusqu'aux der-
niers jours de juin.
La température était très h'aîche, et sur le pont on endossait le
|)ardessus avec plaisir ; le petit vent qui nous poussait souillait
du nord. De larges glaçons passaient toujours près de nous, el, par
moments, le lliemiumélre descendait à 42°; ]uiis, en qmdques
minutes, il renniutail h oO' ou .ïl" ; juMiilanl la nuil, il se liiil cnlre
41° et 46°.
De nombreux haleaux, spécialement construits |)our la chasse aux
phoques dans la Baltique ou le gtili'e de Bothnie, se voyaient dans
toutes les directions. Ils sont d'une forme toute particulière : l'avant
monte graduellement du centre vers la poujje ; la pointe est arrondie
et s'élève au-dessus de l'eau, de sorte ([ue le bateau peut franchir les
masses de glaces, ou dèbar(pier l'éipiipage sur les ice-lloes, pour per-
mettre aux chasseurs d'appiocher des phoques. Avec un bon vent, ces
bateaux voguent extrêmement vite.
Plus nous avancions, plus l'eau devenait sombre el fraiclie;car,
■à cette époque de l'année, la mer reçuil des ipiaidités immenses de
neiges fondues (|ni descendent des montagnes de l'intéiieur. La côte
était basse, monotone, n'olFrant à la vue (pie des pins, des sapins el
des bouleaux.
Quand le steamer approcha du débarcadère de la station, nous
aperçûmes des fermes, des hameaux et des scieries. Chaque dé-
barcadère a un caractère (jui lui est pioiire ; ipielques-uns ne sont
que de simples avant-postes de villes ou de villages et ont l'air aban-
donné. Pour l'étranger qui erre dans leurs environs, les foiéts pa-
raissent solitaires, et la petite taille des arbres lui donne une pauvre
idée de la végétation, car les plus grands ont été abattus. Les rochers
sont couverts de lichens, el des blocs erratiques sont visibles dans
tontes les directions.
Partout où l'on s'arrête, on hisse un tableau noir sur lequel est
inscrite l'heure de départ du bateau ; c'est un avertissement pour les
passagers. Trois coups de siftlet stridents, poussés à de courts inter-
valles, rappellent tous ceux qui soUl allés à terre, et le steamer part
LE (lULFE DE BOTHNIE 49
peu après le dernier signal. Ici, nous déposâmes el nous reprimes
des passagers, dont le nombre croissait, ;i mesure que nous marchions
vers le nord.
Quoi(pie la saison fût assez peu avancée pour (jue le golfe de
Bothnie chariiàt encore des glaçons, un grand nombre de navires à
voiles étaient déjà venus pour charger des bois de charpente.
Un air de tristesse est répandu sur toute la contrée ; heureuse-
ment, elle est égayée par le bleu profond du ciel (|ui caractérise la
claire atmosphère de la Scandinavie. Des forêts d'arbres nains, con-
sistant en pins et en sapins, bordent les roules, tandis ipie,ç;iet là,
des prairies, des champs d'orge, d'avoine et de seigle tempèrent la
monotonie du paysage. Les fleurs sauvages poussent en abondance ;
quelques [tapillons voltigent autour d'elles, et île loin en loin une pie
ou un corbeau vient troubler la solitude. Rarement on voit un chariot
sur la route. Ce fut un vrai charme |)our moi de cueillir à minuit,
au grand jour, de jolies violettes et des boutons d'or (pii poussaient
sur les rochers ou sur les côtés des chemins, et d'entendre par
moments les in^tes du coucou. L'air était si viviliant, la scène si neuve,
que je n'eus pas la moindre envie de dormir.
A terre, il faisait beaucoup plus chaud; les rayons du soleil étaient
assez |)nissanls pour qu'à midi la chaleur atteignît (pielquefois 70 °à
l'ombre. La végétation faisait des progrés rapides ; les pins et les
sapins portaient déjà des rejets longs de quatre pouces. Les petites
villes étaient bien tenues, quoique n'ayant point de trottoirs; les mai-
sons de bois reposent sur des fondations eu pierres; on eu voyait
de très grandes, à un et deux étages, et presque toutes bien peintes;
des roses, des œillets, des géraniums et d'autres Heurs en plein
épanouissement égayaient les fenêtres. Personne en haillons; pas
un mendiant. Les hommes avaient l'air indépendant; les femmes
portaient coquettement des mouchoirs sur la tète, et, jusqu'aux
plus pauvres, joutes étaient proprement vêtues. Des petits garçons et
des petites filles, tête et pieds nus, heureux comme le sont les
enfants, remplissaient les maisons d'école. L'église ihunine les autres
bâtiments.
Quand notre bateau abordait à l'une des stations principales,
toute la population accourait pour nous saluer. Notre arrivée était
30 LK l'AYS DU SOLEIL DE MINIIT
pour eux un tiiaiid événement . el à [)eine étions-nous amarrés au
(juai que tout le monde grimpait à bord. Quel admirable accueil font
aux premiers steamers de la saison les habitants du Nord lointain!
Qu'ils sont lieureux lorsque le blocus glacé est rompu! car avec cette
rupture la clarté du soleil est veiuie ; alors la grande loule des mers
du globe leur est ouverte ; leurs rivières transportent les arlii'es (|ui
ont été cou|)és pendant les mois d'hiver; leurs scieries fonctionnent;
des centaines de vaisseaux viennent charger leurs immenses quan-
tités de bois de construction qui attendent l'embaniuement; leurs
amis arrivent les visiter; des familles, qui redoutaient le voyage par
terre durant le long hiver, se rejoignent, pendant que d'autres vont à
Stockholm, on dans le sud ensoleillé di^ la Suéde, ou sur le continent;
les commerçants reçoivent les marchandises nouvelles ; les objets de
luxe d'une latitude plus chaude se font voir; la saison de la pêche
s'ouvre ; le saumon afflue dans les cours d'eau et le cultivateur
affairé nourrit l'espérance d'une bonne récolte.
Ici, les steamers sont des sortes de restaurants flottants. Pendant
(pie l'on charge et que l'on déchaige les cargaisons, les hommes
viennent à bord pour boire et manger, pour goiiteraux radis, asperges,
salades, aussi longtemps (pie le navire demeure dans le port. Les
uns s'en vont, les autres restent jusqu'au dépari ; il n'y a point de
luiit et tous les visiteurs sont bien décidés à s'amuser après leurs
repas; mais, au milieu de toute cette gaieté, on n'enlcnd ni grossièreté,
ni vulgarité. Le pont était encomliré; la salle à manger regorgeait de
monde; ce fut un grand jour [tour notre excellent restaurateur; son
heureuse face rayonnait. Point de repos pour les servantes; elles
volaieid d'une place à une autre, riaient aux compliments (|ue leurs
adressaient leurs nouveaux admirateurs, et s'occupaient strictement de
leur atlairc; point de sommeil poiir elles; elles avaient ;i travailler.
([n'importe depuis conibi(Mi de temps elles n'avaieid pas dormi I bien
(pie fatiguées, elles étaient lestes, toujours de bonne humeur, el se
souvenaient de cha(|iie commande. Personne ne pouvait résister à la
vue de tout ce festin ; le seiUimeni que chacun devait manger ou
boire de\eiiail irrésislible ; el, entre l'Iiilarilé générale et le bruit
causé par le débanjuemeut de la cargaison, je vis bien ipi'il ne m'au-
rait servi à rien d'essayer di^ dormir.
FETES A BUHD 51
Tout en regardant autour de moi, j'observai un groupe de (|ualre
ou cinq gentlemen devant une bouteille do vin. Tous se linrenl
debout après que les verres eurent été remplis; un des leurs les avait
invités à boire à la santé d'un ami préseni qu'il n'avait pas vu définis
longtemps. Il fit une pelile allocution, [tarla des années écoulées
et de la vieille amitié; cela dura liien de dix à quinze minutes.
Tous s'inclinèrent et vidèrent leurs verres. Celui qui avait été
l'objet du toast remercia, puis les verres se remplirent et se vidèrent
de nouveau.
Ailleurs, des amis sur le poini de se séparer buvaient à leur pro-
chaine rencontre, et, cette l'ois encore, un discours s'ensuivit; là,
d'autres riaient et s'amusaient, le vin et le punch suédois ayant
évidemment surexcité leurs esprits. Us semblaient prêts à s'embrasser
les uns les autres. Une société prenait du café et tous parlaieni
d'affaires. C'étaient bien certainement des marchands (pii Irnilaienl
des questions d'argent avec l'espoir d'en lirer des bénéfices.
Cette allégresse dura toute la luiil, jusqu'au départ du bateau, (|iii
s'etTeclua à cinq heures trente minutes du matin. Après le dernier
coup de sifflet, un mouvement général se produisit; les consommateurs
payèrent en hâte et remirent quelque meiuie monnaie aux servantes
aimables, qu'ils avaient lennes éveillées (ouïe la nuit.
Ceux qui préconisent l'abstinence seront jieut-ètre scandalisés de
cette description ; mais qu'ils essayent de faire des remontrances, el
on leur répondra simplement (jue de tous les peuples, les Suéilois el
les Norvégiens sont ceux qui vivent le plus longtemps.
Après une belle scène de gaieté, le prochain lieu d'arrêt pouvail
être un bord solitaire, ou quehpie fiord avec un débarcadère en bois
et un hangar, sans une seule maison en vue. Mais il ne faut pas se
laisser abuser par cette apparente solitude ; souvent, à peu de distance,
entre les collines rocheuses ou derrière les forèls, on trouve des
fermes, des hameaux, des scieries, à une faible distance de la grande
roule.
Lorsque notre voyage toucha à sa (in el (lue nons approchcâmes
de l'extrémité supérieure du golfe de Bothnie, le crépuscule avait
disparu et une heure à peine s'écoulait entre le coucher et le lever du
soleil. Nous arrivâmes à Strômsund. noire dernier point de Uesiuintion
S2 LE PAYS DU SOLEIL DE MINUIT
avant t quelque peu au-dessus de l'eau, on
aperçoit une croûte de glace de plusieurs pieds d'épaisseur, qui per-
siste quelquefois pendant toute l'année. L'eau de ce puits est déli-
cieuse.
Une foire se lient à Ranea au commencenu^nt de juillet,, et
beaucoup de maisons vides, en bois, non peintes, (jui sont utilisées
en ce seul moment, donnent à l'endroit un aspect d'abandon. De
temps en temps, on voit se mouvoir un lioninic on une femme.
LE FIORD RANEA 33
comme pour attester que le hameau n'est pas entièrement livré à
lui-même.
Le médecin du village était chez lui et me reçut avec beaucoup
de bienveillance; il me dit que l'hiver avait été très rude, que le
thermomètre était parfois descendu à 40° et 45° au-dessous de zéro,
et qu'il y avait encore de la neige sur le sol le 2 juin. Mais mainte-
nant, dans les jardins, les pois avaient déjà deux pouces de hauteur
et seraient bons à manger à la fin d'août ou an commencement de
septembre. Le parquet, en sapin poli, était si jiropre et si blanc que
j'avais peur de marcher dessus. La modeste bil)liothéqne contenait
des ouvrages scientifiques et médicaux, ainsi ipie des volumes en
anglais, français et allemand; chaque objet était simple et confortable,
les chambres grandes et les fenêtres garnies de pots de fleurs.
Il m'invila gracieusement à dîner; mais, dans ma crainte de man-
quer le bateau, je refusai. Cependant, l'hospitalité du bon docteur ne
me permit pas de quitter sa maison sans prendre quelque rafraî-
chissement, et, si j'avais été fumeur, sans allumer une pipe ou un
cigare.
Revenu à Sfrômsund, j'y trouvai une animation générale. J'étais
stupéfait. D'oii pouvait venir tout ce monde? De nombreux chariots
étaient arrivés de différentes parties du pays pour prendre la cargai-
son débarquée par le steamer, savoir : de la farine de seigle et d'orge,
un appareil à va[)eur complet pour une scierie, des barils de tabac à
priser, des caisses et des pièces de vin de Bordeaux et autres, des
pots en fer, des boîtes de clous, des articles séchés de toute sorte,
des sacs de café, de sucre, en un mot tout ce qui convient à un
magasin de la campagne.
Un autre vapeur, chargé d'hommes des districts de l'intérieur, ve-
nait d'aborder, et il fallait ajouter ces deux cents individus à ceux
déjà venus. Tous étaient des fermiers ajjpartenant à la bewàring,
l'une des organisations militaires, qui allaient faire l'exercice et
manœuvrer pendant plusieurs semaines, sous les ordres d'officiers
compétents, sur un point de la côte plus au sud.
De la rivière Rane , la cote , qui forme la i)ointe du golfe de
Bothnie, court à l'est et à l'ouest. Un trajet de peu d'heures conduit à
l'embouchure de la rivière Thorne; mais, à cause de la barre et du
54 LE PAYS DU SOLEIL DE MINUIT
peu de profondeur de l'eau, les navires sont forcés de s'arrêter à
quelques milles au-dessous. Un petit vapeur vient alors prendre les
passagers pour Haparanda, queUjues milles plus haut.
La ville est au 60° 31' N. en latitude, et à 41 milles au sud du
cercle arctique et renferme une population d'environ mille âmes; les
haliilants, pour la jdus grande partie, sont Finlandais. Haparanda est
à 1° 18' plus au nord ipTAn'liangel et à la même latitude (pie la
partie la [ilus septentrionale de l'Islande. Le soleil se lève le 21 juin
à 12 11. 01 du matin et se couche à 1 i h. 37 du soir.
Du 22 au 25 juin, le voyageur peut jouir de la vue du soleil de
minuit depuis Avasaxa, montagne de 680 jiieds de hauteur, éloignée
d'environ 43 milles, de l'autre côté de la rivière; et, quelques jours
plus l;ird, en s'avaiiçaiil au nord sur la grande route, il peut encore
trouver l'occasion de le voir.
Haparanda est une ville en pleine prospérité, avec de grandes
mnisons bien peintes; elle a des magasins et 'une sorte de dépôt
commercial pour la population du nord plus lointain; elle exporte
principalement des bois de charpente et du goudron. Elle s'est
élevée à ses dimensions actuelles depuis que la Suède a cédé la Fin-
lande à la Russie. Autrefois, le siège du commerce était dans l'ile
de Tornéa , presque en face. Elle a deux églises , une école
supérieure où les étudiants peuvent se préparer aux universités, et
où l'on enseigne le français, l'anglais , l'allemand et les langues
mortes; des écoles publiques pour l'instruction primaire, et même un
jom'iial.
C'est la dernière station télégraphique au nord de la Suède d'où
l'on peut envoyer des messages dans toutes les parties du monde. Les
télégraphistes sont des hommes instruits qui ont passé un examen
sévère et qui sont obligés de comprendre l'anglais, l'allemand et le
français. Les mêmes règlements sont imposés aussi en Norvège. Le
système de télégraphie postale a toujours existé dans les deux pays
et le tarif des taxes es! uniforme, que la distance soit courte ou
longue.
11 y a un bon hôtel où les chambres sont confortables et la nour-
riture excellent I' ; on ne trouve que très peu de villes, entre Stockholm
et ce iKiiiil, (iji l'un soit aussi bien traité. L,i forte taille du maître
DEBARQUEMENT A HAPARANDA S5
(le riiôlel el celle de sa honne et nimable femme pailoiit hautement en
faveur de la nourriture el du climat du pays.
L'annonce de mon arrivée se répandit bientôt dans la i)etile ville.
Le juge, le pasteur, les employés de la douane, le maître d'école, le
maître de poste, le banquier et d'autres personnes, vinrent à l'hôtel
pour me voir et me souhaiter la bienvenue. Quoique vivant au nord
lointain, ils avaient la politesse de leurs concitoyens des districts plus
populeux du sud.
Quand je leur eus appris que j'avais l'intention d'aller au nord aussi
loin que je le pourrais par terre, ils semblèrent <
Ils ne voyaient pas comment je pourrais aller si loin. « N'allez pas
au delà de la grande route, et revenez; » tel fut leur conseil. « Non,
repris-je ; je veux pousser jusqu'au cap Nord. »
Me voyant résolu à partir, ils prirent autant d'intérêt à mon projet
que si j'avais été un de leurs parents les plus chers; ils me procurèrent
un excellent guide et semblèrent enchantés d'avoir pu m'en trouver un
qu'ils savaient être un honnête homme. Ils ne se trompaient pas. Ce
guide s'appelait Andrews Jacob Josefssohn. C'était un grand Finlandais
d'une bonne figure, qui avait habité la Californie un certain temps et
qui parlait un peu l'anglais. Revenu en Suéde pour revoir sa fiancée et
l'épouser, il aurait désiré retourner en Amérique, mais elle ne le voulut
|ias, et il s'était établi ici, au foyer de sa femme.
Le grand charme d'un voyage en Scandinavie, c'est de le faire par
les stations de relai appelées en Suéde ffâstffifva?'effa?-d. Le véhicule
dont on se sert est un char ap|ielé lârru, tiré [)ar un seul cheval,
voiture légère à deux roues, dont la caisse et les brancards ne font qu'un,
généralement sans ressorts, avec un siège assez large pour deux per-
sonnes et un bagage modéré.
56
I.E PAYS DU SOLEII. DE MlNllT
II y a plus de seize mille milles de routes en Suède, toutes avec des
stations de poste, au nombre de 1 ,500. Ces routes sont de quatre sortes :
les lamgsvâfj (routes royales), les plus belles ; les hâmdsvâg (routes de
pays), presque toutes bonnes; les sockenvâg (routes de paroisses), pas
aussi bonnes et souvent mauvaises , et \es bf/vâ(/ (routes de villages),
étroites et très cahoteuses. On peul jiar çonsèiiui'iil juger s'il y a beau-
coup à faire pour celui qui veut voir le pays et le connaître à fond. Dans
les districts peu habités, quelques-unes des stations sont très modestes;
mais le voyageur est heureux d'y arriver après une journée de fatigues.
Karra avec ressorts altadiés au sièare.
La dislaiice entre cliaque slalido csl en t,'éiiéral d'im mille et demi
suédois, rairmciit moins d'un milh^ on jiliis de deux milles, bien que,
dans l'crlaiiis districls, les inlei'valles soient plus grands à cause de la
population clairsemée. La phqiart de ces stations sont des fermes, où
l'on lient a von' logement et nourriture ; beancoup sont très confortables,
si)éciaiement sur les grandes routes qui relient les villes ; mais, dans
les districts éloignés ou peu fréqueidés, la nourriture est e.xtrème-
menl pauvre, et un étranger ne s'habitue pas facilement à ce régime.
Les gens (pii les tiennent reçoivi'ut généralement une subvention du
gouvernement ; mais le montant qu'on leur paye est proportionné à
MANIÈRE DE VOYAGER S"
rétendiie du trafic. L'État prend ces arrangomeats avec les fermiers les
plus solvables de chaque district et s'assure ainsi un bon et loyal
service. A chaque station est déposé un registre dans lequel les voya-
geurs inscrivent leurs noms, leur destination, l'endroit qu'ils ont quitté,
leur profession et le nombre de chevaux qu'ils prennent. Sur la cou-
verture de ce livre sont transcrits les lois et règlements relatifs aux
routes ; le nombre d'heures pendant les([uelles le voyageur est obligé
d'attendre se règle d'après le nombre de chevaux qu'il a pris précédem-
ment. Le tarif des prix d'une station à une autre est indiqué avec la plus
scrupuleuse précision, afin qu'aucune erreur ne puisse être commise.
Généralement le taux est d'une krona et vingt ôre par mille suédois,
à la campagne, et d'une krona et soixante ôre dans les villes. Tous
les mois, les employés du gouvernement relèvent les notes, et si
un voyageur a une plainte à formuler, il l'enregistre et ajoute sa
signature.
En Suède, tous les fermiers, à une distance spécifiée, sont obligés
de fournir des chevaux sur la réquisition d'un maître de station. Cette
loi semble rigoureuse, mais c'est sans doute le seul moyen praticable
pour atteindre le but désiré. Aussi les stations sont-elles établies
dans des endroits où l'on peut constamment obtenir des chevaux de
renfort. Le voyageur est tenu de verser une somme additionnelle
pour l'usure des véhicules et harnais ; le taux usuel pour le traîneau
ou le char est de trois ôre par mille pour un char sans ressorts, et
de six ôre pour un char avec ressorts. Le maître de station fournit
le conducteur. Le péage des lacs et des ponts est à la charge du
voyageur.
Le montant du poids alloué est de quatre cents livres y compris
le passager; mais il n'y a jamais de difficulté, à moins que le voya-
geur n'ait une quantité extraordinaire de bagages ; deux voyageurs
ensemble ne payent que pour un et demi. Un conducteur est mis à
l'amende de vingt-cinq kronas lorsqu'il est convaincu de surcharge.
Si le voyageur blesse le cheval en le faisant aller trop vite, il est
responsable du dommage. La vitesse accordée par la loi est d'un
mille suédois pour une heure et demie ; mais on va plus vite, et la
moyenne est d'un peu plus de cinq milles anglais par heure. Quand
on envoie un fôrbud (c'est-à-dire quand on fait retenir d'avance un
S8 LE PAYS DU SOLEIL DE MINUIT
cheval) soit par messager ou par lettre, si le voyageur vient trop tard,
il doit payer vingt-cinq ôre par heure, et le conducteur n'est obligé
d'attendre que quatre heures. Quelquefois l'administration des postes
doit changer les stations, soit parce que les fermiers refusent de les
garder plus longtemps, ou parce qu'ils ne les tiennent pas bien.
CHAPITRE VI
La contrée en dedans du cercle arctique. — Je quitte Haparanda. — Une station finnoise. — Les
moustiques. — Conducteurs féminins. — Bonté du peuple pour les bétes de somme. —
Fermes confortables. — Un hameau. — Le soleil de minuit. - Sattajârvi. — Désir d'aller
en Amérique.
La contrée qui s'étend du golfe de Bothnie à rextrémité septentrio-
nale de l'Europe est presque entièrement dans le cercle arctique et
présente une végétation qu'on ne voit pas ailleurs, à des latitudes aussi
élevées. De vastes étendues sont couvertes de forêts de pins et de
sapins; ces derniers prédominent, et les hauteurs se cachent sous de
blancs bouleaux jusqu'à leurs sommets.
On peut traverser de longues distances par eau, car on trouve des
stations de bateaux sur les bords des lacs et des cours d'eau. Un coup
d'œil sur la carte prouve combien cette contrée est bien arrosée;
le saumon pullule dans les rivières, et les lacs regorgent d'autres
poissons.
La Lule, la Kalix et la Tliorne sont les principales rivières de ces
régions. La Kemi coule à travers la Finlande.
La Thorne est la rivière la plus longue et la plus septentrionale qui
se jette dans le golfe de Bothnie; elle forme aujourd'hui la frontière
entre la Suède et la Finlande russe. Sa branche septentrionale, la
60 LE PAYS DU SOLEIL DE MINllT
Muonio, sort du lac Kil|iij;irvi, 69° N., à trois cents milles de la mer,
tandis que l'Alteny, la Tana et d'autres rivières moins importantes,
coulent vers le Nord, dans l'océan Arctique. Les niontngaes sont en
pente douce de ce côté, mais, vers la Norvège, elles sont abruptes el
à pic.
Le trajet de Haparanda à la mer Arcti(iue est extrêmement intéres-
sant, en été comme en hiver; la distance à vol d'oiseau dépasse cinq
degrés de latitude à l'extrémité la plus méridionale du pays; mais
la route qui va du cap Nordkyn au détroit de Stagero est d'environ
cinq cents milles. La contrée est habitée i)ar des Finnois qui cultivent
le sol.
Les Lapons parcourent le pays avec leuis troupeaux de rennes. L'été,
le climat est délicieux, et. pendant la jiéiidde de jour continuel, on
peut, si on le veut, voyager toute la nuit. Mais il y a de grands
mécomptes : de la fin de juin jus(pie vers la fin d'août, la contrée est
infestée de moustiques fort gênants. La nourriture est grossière, et,
pour celui qui n'en a pas l'habitude, elle est loin d'être agréable.
De Haparanda, la grande route se dirige vers le nord, aussi loin
que Pajala et Kengis, à une distance de plus de dix-sept milles sué-
dois, traversant parfois un beau pays el parfois des forêts, des maré-
cages et des régions désolées. Il y a onze stations postales où l'on
change de chevaux et oii l'on peut obtenir la nourriture et le loge-
ment. On fera bien de ne se munir que d'un mince bagage pour cette
tournée.
Nous allons quitter pour im certain temps les bords du golfe de
Bothnie et pousser vers le nord, afin de faire connaissance avec le
climat d'été de ces régions.
Le jour de mon départ, la cour de l'hôtel ofl'rait une animation
inaccoutumée. Le juge, les em])loyés de la douane, le bauquier et
autres amis s'étaient réunis pour boire à ma santé et au succès de mon
voyage. Ils tinrent des discours et recommandèrent à mon guide,
Josefssohn, d'avoir bien soin de moi. Quand mon cheval se mit en
mouvement, tous levèrent leur chapeau en l'air et poussèrent trois
hourras. Je les leur rendis, et, après avoir fait claquer mon fouet, nous
partîmes; comme je tournais la tête pour leur jeter un dernier regard,
ils crièrent encore et agitèrent leurs chapeaux. Le cheval prit le trot
UNE STATION FINNOISE €1
sans que j'eusse besoin de le toucher du fouet. Nous passâmes devant
deux ou trois maisons de fermes, bien peintes, avec de bonnes clô-
tures autour des jardins. La Tliorno et ses nombreuses îles apparais-
saient de temps en temps; au loin, s'élevait TAvasaxa; des bois, des
prairies, des champs cultivés, des maisons peintes et des collines
éloignées complétaient un charmant paysage. Le temps était délicieux,
l'atmosphère sèche et fortifiante; peiidaiil le jour, le thermomètre mar-
(piait de 68° à 70°. La soirée était avancée (piand je fis halte à une
station de poste où la famille parlait suédois; le hameau consistait en
quelques fermes éparses. Au premier moment, les gens de la station se
montrèrent défiants; mais, après qu'ils eurent appris que j'étais Améri-
cain, ils devinrent tout à fait confiants, car plusieurs personnes de ce
district avaient émigré aux États-Unis. La ferme se trouvait à vingt
milles à peu près du cercle arctique. La disparition du soleil
au-dessous de l'horizon dura peu et son coucher fut très brillant.
Le soleil levant, qui suivit immédiatement, était d'une beauté indes-
criptible.
Pendant le grand jour de la nuit, }ibisieurs chariots entrèrent dans
la cour. Les hommes dételèrent leurs chevaux, les mirent à l'écurie,
leur donnèrent du loin qu'ils avaient apporté et de l'eau ; puis ils
entrèrent dans les maisons où ils pouvaient se reposer et dormir; car,
dans cette partie du monde, les portes des habitations ne sont pas
fermées à clef. Les uns ne s'arrêtaient que pour faire reposer leurs
chevaux et les autres demeuraient i^our se livrer au sommeil dont ils
avaient besoin. La plupart de ces chariots étaient chargés de mar-
chandises variées (pi'ils transportaient dans les boutiques des villages
et des hameaux; d'autres avaient des sacs de farine russe, l'appro-
visionnement de la ferme étant devenu insuffisant.
Après un déjeuner composé de viande de renne fumée, de
beurre, de fromage et de pain dur suivis d'une excellente tasse de
café, je quittai la station. La femme voulut d'abord refuser tout
payement, parce que, disait-elle, j'avais donné aux enfants des pré-
sents qui valaient plus que ma dépense.
A ce moment de l'année, les hommes sont très occupés, soit
dans les champs, soit au ilottage des bois, soit dans les scieries.
A chaque station, j'eus une jeune fille pour conducteur, et ces
62 LE PAYS DU SOLEIL DE MINUIT
enfants iln Nord ne senibhiient pas avoir la moindre peur de moi.
Ma première conductrice s'appelait Ida Catharina; elle me donna
une bague d'argent et fut enchantée ipiand elle la vit à mon doigt.
Je promis de lui eu ;ipporter nue en or l'hiver suivant, et je tins
parole. Elle parut heureuse ([uaud.à la lin du relai, je lui remis une
pièce d'argent en sus de la taxe. Une autre conductrice de douze
ans se nommait Ida Caroliua. La liaiide d'une de nos roues s'étant
défaite, elle se montra à la hauteur de l'événement. Descendant de
voiture, elle'cala la roue avec une pierre, alla dans une ferme où
elle emprunta des clous et un marteau; puis, avec l'aide du fermier,
remit les choses en bon état eu fort peu de temps ; elle ne paraissait
pas le moins du monde troublée par l'accident. Elle causa tout le
temps, bien que je ne comprisse pas ce qu'elle disait, car je ne con-
naissais pas encore la langue finnoise. C'était une petite beauté avec de
grands yeux bleus, une épaisse chevelure et des joues rosées. Dès
leur jeune âge, on apprend aux enfants à ne compter (|ue sur eux-
mêmes.
Niémis était la station la plus rapprochée; la petite ferme isolée
avait l'air assez pauvre ; il s'y trouvait (|ualre ou cinq bâtiments bas, aux
toits couverts de gazon. La maisonnette destinée aux voyageurs reluisait
de propreté, mais n'avait qu'une chambre avec deux lits, quelques
chaises, une table, nu inii'oir cl une armoire, dans Lupielle la famille
enfermait ses richesses; à côté de cette chandjre, un petit cabinetoù l'on
conservait le lait. La maison d'habitation, contiguë à la |»récédente,
était humble et sale. Un vieillard aux cheveux longs, hérissés et noirs,
sa femme, et une nièce, jolie fdie à la belle chevelure, nommée Kristina,
l'occupaient. Immédiatement après mon arrivée, Kristina se lava la figure
et les mains, peigna ses cheveux, passa une chemise blanche, ajusta
sur sa tête un mouchoir propre, et sa toilette fut complète. On mit
ensuite sur le feu le ])ot à café et l'on m'en versa une tasse. La vieille
femme avait le teint brun, les cheveux presque noirs, traits qui n'étaient
assurément pas ceux des Scandinaves ni des Finnois; elle me rappelait
Une gipsy. Quand cilr cul ap|iris d'où je venais, elle me serra dans.ses
bras et m'embrassa; je lui rendis sa politesse, sans eu redouter les con-
séciuences, car j'aurais pu me méfier de ses cheveux. En me voyant
prêt à partir , le vieux qui était mon conducteur , endossa son
LES MOUSTIQUES ET LES CUUSINS 63
meilleur habit , lequel avait probablement vu le jour vingt ans
plus tôt.
La station subséquente, le meilleui' lieu d'arrêt entre Haparanda et
Pajala, se nommait Ruskola. Le fermier et sa femme parlaient le suédois
et tous deux comprenaient ce que c'est (pie le confort. La feime était
vaste et productive. A une courte distance, se trouvait le hameau de
Matarengi, avec une église rouge d'un aspect étrange, très vieille, ayant
un beffroi séparé et le presbytère à côté. Quelques boutiques campa-
gnardes me rappelèrent celles des petits villages d'Amérique. Maintes
fermes avaient l'air d'être bien tenues ; de grands morceaux de terre
cultivée et de belles prairies les entouraient. Nous étions dans la socken
(paroisse) de Ofre Tornea, laquelle renferme une population d'environ
2,700 âmes.
Le voyageur f[ui ne serait pas parti à temps pouvait s'avancer jus-
qu'à Pajala, et, du haut des collines, de l'autre côté de la rivière, il au-
rait joui de la vue du soleil de minuit quelques jours plus tard. Combien
semblent étranges à ceux qui vivent dans des latitudes plus méridionales
ces crépuscules du soir et du matin qui se fondent insensiblement l'un
dans l'autre! comme on s'étonne de voyager dans un pays qui n'a ni nuit
ni étoiles, où la lune ne projette point de lumière, et, en allant plus au
nord, où le soleil brille continuellement! Dés l'abord, le voyageur ne
sait pas quand il doit se mettre au lit, ni quand il doit se lever; mais
les gens du pays connaissent l'heure du repos par leurs montres, ou
par le soleil.
Je tombai dans un profond sommeil, et, quand je m'éveillai, l'astre du
jour brillait dans toute sa splendeur ; toutefois, cela ne voulait pas dire
que la journée fût avancée ; et, en effet, il n'était que trois heures du
matin. .le me rendormis. En me réveillant, tout était si tranquille dans la
maison, que je repris mon somme. Après m'être réveillé pour la troisième
fois, je vis que ma montre était arrêtée; je passai dans la chambre voi-
sine, où l'horloge m'apprit qu'une heure de l'après-midi venait de
sonner. La famille se mit à rire ; tous s'étaient tenus tranquilles pour
ne pas me déranger.
Dans ces latitudes, à peine la neige est-elle fondue, que les mous-
tiques apparaissent en essaims innombrables et que personne n'a plus de
repos, ni jour ni nuit. Ils s'étaient déjà montrés et leur nombre augmen-^
64
LE PAYS DU SOLEIL DE MINUIT
tait journellement; ils devenaient de i)lus en plus voraces, et leur mor-
sure plus douloureuse; dans les districts boisés, ces insectes sont une
vraie peste pendant le mois de juillet et jns(ju'au milieu d'août; après
eux arrivent les cousins. Ceux-ci mordent très fort pendant le jour, mais
au moins ils vous laissent en paix la nuit; car jamais ils n'entrent dans
les maisons. Les derniers qui viennent sont des espèces de moucherons
qui sont aussi fort désagréables. A un tournant de la route, je fus tout
surpris de voir un nuage noir, composé en apparence de mouches
Mlaiiucs par les niunsti(|iies.
minuscules. Celait un essaim de moustiques, tellement épais, que l'on ne
voyait rien au delà. Je poussai le cheval en avant, quand soudain il s'ar-
rêta, et j'aperçus travaillant sur la route trois hommes (jui, au iiréaiahle,
avaient été invisibles. Ceci peut sendiler incroyable; c'est cependant la
vérité. Josefssohn se mil à rire et nu" dil : » Nous avons ici un dicton
qui prétend qu'un voyageur peut écrire sou nom sur un lil de moustiques,
et qu'il le retrouve s'il revient l'année suivante. »
Nous passâmes rapidement à travers le nuage; mais une partie de
ces animalcules nous suivit comme des oiseaux de jiroie. Ils nous
entouraient par myriades et leur bourdonnement était loin de nous char-
BONNES GENS ET BONNES BETES 65
mer. Je n'avais pas encore vu d'essaims aussi immenses, ni rencontré
quelque cliose de ce genre dans les marais des États du Sud, dans le
New-Jersey, ou dans l'Afrique équatoriale. On devrait jiorter un voile
autour d'un chapeau à larges bords pour proléger la ligure. Les natifs
supportent cette peste avec une apparente sérénité. Ces moustiques
sont d'une espèce distincte, lourds et faciles à tuer, n'ayant point d'ailes
comme les variétés mieux connues ; leur morsure est moins douloureuse
que celle de la sorte commune, mais elle est agaçante. Je fus obligé
de mettre des gants; car, après en avoir écrasé des milliers, le nondjre
de mes assaillants grandissait d'instant en instant.
Partout j'ai remarqué la bonté des gens pour leurs bêtes de
somme. On ne peut pas i)ousser les chevaux dans un pays montueux.
quoique je suppose que cela arrive quelquefois lorsijue l'homme est
sous l'inlluence de la boisson, ou (ju'il a un mauvais cœur. Dès qu'un
cheval arrive au \)\ei\ d'une côte, il s'arrête afin de laisser aux per-
sonnes assises dans la voiture le temps de descendre; il tourne la tête
pour voir si chacun a mis pied à terre, puis il commence l'ascension.
Si tous ne descendent pas, il attend encore, et, (piand on l'excite de la
voix ou par un léger coup de fouet, il parait tout étonné, et souvent,
pendant la montée, il se retourne conune [xiur dire à ceux qui sont
restés sur le char : » Pouripioi ne descendez-vous pas? » Les fermiers
et leurs familles montent invariablement toutes les cotes à pied; c'est
pourquoi les chevaux sont désagréablement surpris lorsque leur poids
n'est pas allégé et particulièrement quand on les touche du fouet.
D'une station à l'autre, le conducteur s'arrête souvent, coupe sou pain
noir en petits morceaux, les donne à son cheval qu'il caresse, y ajoute
une poignée de foin, puis continue sa route. Ce bon traitement ne parle
pas seulement en faveur du jjcuple, il rend aussi les chevaux doux et
dociles ; on en voit rarement de vicieux. Les poulains sont très dor-
lotés; ils viennent jusque dans la cuisine, où on les caresse et où on
leur donne du sel, ou autre chose qu'ils aiment.
La station où je m'arrêtai pour la nuit était pauvre. Le bâtiment
destiné aux voyageurs n'a qu'une chandjre; les hommes dorment sur
des peaux étalées par terre, et d'autres sur des bancs dans leurs vêle-
ments ordinaires. Une vieille femme, sa fdle et son balty couchaient dans
un lit, un vieillard dans l'autre, et tout paraissait malpropre. Je ne pus
66 LE PAYS DU SOLEIL DE MINUIT
trouver pour me rassasier que du poisson froid ; l'un des liomraes
m'offrit d'aller en harponner un: mais je me décidai à manger ce qu'il
y avait et à dormir ensuite. On jeta de la paille fraîche sur le jjlanchcr,
on la recouvrit de deux peaux de renne, d'une peau de mouton, et ma
couche fut ainsi complète.
Le touriste est surpris de rencontrer tant de fermes confortables,
avec de vastes demeures qui, y compris la grange et la vacherie, sont
les trois bâtiments essentiels. Il y a, en outre, plusieurs autres maisons,
telles que hangars, magasins, ateliers de forgerons, etc. Dans la cour,
qu'entourent généralement trois corps de bâtiments, se trouve le puits
à la vieille mode, avec son levier portant un seau à l'nne de ses
extrémités et une pierre à l'auti'e. Du puits, une auge communique
avec l'étable des vaches. Cette structure est particulière : le plafond
est bas, les fenêtres sont très petites et ne donnent que peu de jour, le
sol est iilanchéié et des parcs sont bâtis de chaque côté; le long de
ceux-ci un chéneau recueille toutes les déjections que l'on conserve
avec grand soin, car l'engrais est rare. Le bétail ne couche pas sur de la
paille ni sur du foin. A l'une des extrémités, il y a une maçonnerie
dans laquelle est enchâssé un pot de fer de trois ou quatre pieds de
diamètre sur trois de profondeur, servant pour la cuisson de la nourri-
ture du bétail ; cette nourriture est généralement grossière ; elle con-
siste en herbe des marais, mélangée de poussière provenant du nel-
oyage des grains; on se sert aussi de ce pot comme baignoire et cuve
de lessive. Quand les moutons sont nombreux, on leur construit un abri ;
sinon, ils sont parqnés dans un coin. Les chevaux ont une écurie
séparée.
Le bâtiment d'habitation, saufquehpies exceptions, consiste en un
seul étage contenant habituellement deux chambres, une de chaque
côté. On se sert de l'une comme de boulangerie et de cuisine, et aussi
comme de chambre à coucher ; dans un coin, on a établi une cheminée,
structure étrange de six ou huit pieds carrés, en dalles de pierres,
généralement plâtrées par dessus. On place le bois dans ces espèces
de fours, et, quand il est consumé, qu'il ne reste que des tisons,
on tire une trappe de fer ipii i^upêche la chaleur de s'échapper. La
chaleur ainsi produite est tellement forte pendant les premières
heures j que le séjour de la chambre devient insupportable pour ceux
STATION DE MATAHENGI 67
qui n'oiil i);is riiabiliulc de cette atmosphère, laijuelle j)ersisle sou-
vent pendant deux ou trois jours; dans une section du bàlimeni, on
a consliuil une cheminée ouverte pour la cuisine. Des lils sont pla-
cés le long des nuu's en nombre suffisant pour la famille. Ces lits
sont des esi)éces de coiïres à tiroirs, de sorte qu'on peut les faire
de diverses largeurs selon que le besoin l'exige; on les remplit de
foin ou de paille, et on les garnit de couvertures ou de peaux de
mouton, (juehiuefois aussi d'édredons en duvet d'eider, et d'oreil-
lers. Le malin, on ferme ces coffres et l'on s'en sert comme de
sofas, sur lesquels on se repose pendant le jour. Toute la famille,
y compris les domestiques mâles et femelles, dort dans celte
chambre. De l'autre côté se trouve la pièce réservée aux hôtes, qui
sert aussi de cliambre à coucher. Un ou deux bois de lit remplis de
plumes d'eider et garnis de couvertures, forment la jjartie principale
de l'ameublement.
Il y a beaucoup de pauvres et petites fermes oii une nombreuse
famille a fort à faire pour tirer sa subsistance du sol ; dans ces demeures
malpropres et étroites, la fièvre typhoïde fait souvent de grands
ravages. Les fermes sont presque toujours sur les bords des rivières
ou près des lacs ; car la terre y est meilleure et le poisson abondant.
Le revenu que l'on tire du sol, dans celte région septentrionale,
serait Itien modiipio sans le poisson (|ne l'on prend dans ces eaux
et sans le gibier qui abonde. L'argent que procure la vente de ces
objets et les produits de la laiterie constituent souvent les seuls
revenus du fermier.
Depuis Matarengi, la roule monte le long d'une montagne à
pic, hors de vue de la rivière, et, pendant plusieurs milles, elle
passe par un pays désolé, que l'incendie des forêts rend i)lus Iriste
encore.
Entre les stations de Kunsijârvi et de Ruokojârvi (en liniiois, jârvi
signifie lac), nous traversâmes le cercle Arclique à 66° 32'N. ou 1408
milles géograi)hiques au sud du pôle, où le soleil brille [MMitlaid un joui'
entier le 22 juin ; l'observateur le verra au-dessus de riidrizoïi à niiimit
et exactement au nord. Après celle date, en se dirigeani an nord par une
moyenne de dix milles par jour, on continuera de voir le soleil de
minuit jusqu'à ce que l'on atteigne le pôle. Le 22 septembre, le soleil
68 LE PAYS DU SOLEIL DE MINUIT
descend à l'horizon, où il demeure, pour ainsi dire, toute la journée;
le lendemain, il disparaît jusqu'au 22 mars.
En redescendant vers le sud avec la même vitesse, le voyageur
continuera de voir le soleil de minuit sur l'horizon, jusqu'à ce qu'il
atteigne le cercle Anii([ui' où, pendant un jour seulement, comme nous
l'avons liil, l'astre est visible.
A minuit, le soleil est toujours au nord de l'oliservateur en raison
de la position de la terre. Il semble l'aire le tour d'un cercle, exigeant
vingt-quatre heures pour son acconqdissement; à midi, il atteint sa plus
grande élévation et, à minuit, sa plus basse. Au i)ôle, son ascension et
sa descente sont si imperceptibles et ses variations si légères, qu'il s'en-
fonce très lentement au sud. et sa disparition au-dessous de l'horizon
est presque immédiatement suivie de sa réapparition.
Je vais essayer maintenant d'expliquer le phénomène du soleil de
minuit. La terre tourne autour du soleil dans le cours d'une année et
fait sa rotation sur son axe toutes les vingt-quatre heures. L'orbite
de la terre, ou coiu's décrit }(ar elle dans sa révolulioii annuelle
autour du soleil, est, jtour ainsi dire, un cercle un iieu allongé, ajjpelé
ellipse. L'axe, autour duquel la rotation quotidieimc a lieu, est une
ligne droite cjui passe par le centre de la terre et dont les extrémités
s'appellent pôles, un au nord et l'autre au sud. L'axe n'est pas per-
pendiculaire au plan de l'orbite; il est incliné à un angle de 23°28',
lequel angle est appelé obliquité de réilipti([ue. Par conséquent, la
terre, en se mouvantautour du soleil, n'est point verticale, mais inclinée,
de sorte que, dans les dilïérenfes parties de sa course , elle pré-
sente toujours au soleil une moitié de sa surface, mais toujours une
moitié différente, qui sera plane. Deux fois dans l'année, le 21 mars
et le 21 septembre, l'exacte moitié de la terre le long de son axe
est éclairée. Donc, à ces dates, chaque point sur la surlace de la
terre est, pendant une rotation de la terre sur son axe, la moitié
du temps dans la lumière et la moitié dans l'ubscurilé , c'esl-à-
dire que le jour et la nuit sont de douze heures chacun sur tout
le globe. Par cette raison, on appelle ces dates équinuxes. Le
21 mars est l'èquiiioxi' du i»riiilemps, et le 21 septembre l'équi-
noxe d'automne. Pendant que la terre se meut sur son orbite après
le 21 mars, le pôle nord incline de plus en plus vers le soleil jus-
AU CERCLE ARCTIQUE 69
qu'au 21 juin; après quoi, il s'en éloi<;iie lentement. Le 21 sep-
tembre, le jour et la nuit sont encore une fois égaux sur toute la
terre, et, immédiatement après, le pôle nord se détourne entièrement
du soleil et ne reçoit plus sa lumière qu'au mois de mars suivant.
On voit ainsi que, de l'ècpiinoxe de printemps à celui d'automne, le pôle
nord est dans la lumière du soleil et qu'il a un jour d'une durée de
six mois. Plus le pôle nord incline vers le soleil, plus la région autour
de ce pôle s'éclaire, et c'est pourquoi chaque point de cette région
est, pendant vingt-(piatre heures, plus longtemps dans la lumière que
dans l'obscurité, et son jour est plus long que la nuit. Plus le point
est près du nord, plus longue est la durée du jour.
Consèquemment, le nombre de jours de soleil constant dépend de
la latitude de l'observateur, et plus il se trouvera loin du nord, plus
ce nombre sera grand. Ainsi, au pôle, ou voit le soleil pendant six
mois, au cercle arctique pendant un jdur, et à la base du cap Nord, du
15 mai au V août. Au pôle, l'observateur semble être au centre
d'un grand mouvement spiral du soleil, ([ui, plus biin au sud, prend
la place du nord.
Nous venons de parler comme si l'observateur était de niveau avec
l'horizon; mais s'il gravissait une montagne, le soleil, cela va sans
dire, semblerait plus haut; et si, au lieu de faire quinze milles vers le
nord, il s'élevait chaque jour de 220 pieds au-dessus du niveau de la
mer, il le verrait absolument de même que s'il avait été au nord;
par conséquent, si, au cercle Arctique, il se tenait à cette élévation, et
qu'il eût une vue sans obstacle de l'horizon, il apercevrait le soleil un
jour plus tôt. S'il grimpait à une hauteur plus grande encoi'e et qu'il
ait la même vue sans obstacle, il verrait le soleil de minuit pendant
plus longtemps. C'est pourquoi, de Haparanda, les touristes préfèrent
aller à Avasaxa, montagne de 680 pieds au-dessus du niveau de la
mer, d'où, bien qu'à 8 ou 10 milles au sud du cercle Arctique, ils
peuvent voir le soleil de minuit pendant trois jours.
L'éclat de l'orbe splendide varie d'intensité, comme ceini du lever
et du coucher du soleil, selon l'état d'humidité de l'atmosphère. Un
jour, il sera d'un rouge foncé, teignant chaque chose d'une nuance
rosée et produisant un elfet soporifére. En certains moments, les
changements de couleur entre le lever et le coucher du soleil peuvent
70 LE PAYS DU SOLEIL DE MINUIT
être comparés aux variations d'un feu de charbon, brûlant d'abord avec
une incandescence d'un rouge vif, puis s'évanouissant et se rallumant
avec un plus grand éclat.
Il y a des jours où le soleil a un aspect pâle, blanchâtre, et ui'i l'on
peut le voir pendant six on sept heures avant niiuuil. A l'approche de
cette heure il devient moins éblouissant, il change graduellement en
ombres plus brillantes lorsqu'il s'incline vers le point le plus bas do sa
course. Son mouvemenl est très lent et, pendant quelque temps, il suit
en apparence la ligne de l'horizon et semble fidre une pause comme
quand le soleil atteint midi. Il est minuit. Durant quelques minutes
l'éclat du lever se mêle à celui du coucher, et l'on ne peut dire leipiel
prévaut; mais bientôt la lumière devient lentement et graduellement
plus brillante, annonçant la naissance d'un autre jour — et parfois,
avant qu'une heure se soit écoulée, le soleil apparaît si éblouissant
que l'on ne peut le regarder à l'œil nu.
La grande route finit subitement au liamraii de Pirliniemi, sur les
rives d'un petit lac; elle coiilinae sur le bord (qqiosé. On aperçoit quel-
ques fermes, mais le voyageur doit faire provision d'une bonne dose
de patience avant de eontiiuier son chemin ; les chevaux ont été lâchés
dans les bois pour y chercher leur pâture et il faut du temps pour les
retrouver. Arrivés sur le boni, nous traversâmes le lac sur un grand
bateau plat qui pouvait contenir deux cliars et deux chevaux; il était
gouverné par deux vieilles femmes, donl les vigoureux coups de rames
prouvaient qu'elles connaissaient leur affaire ; nous mîmes dix minutes
pour traverser du côté septentrional, où se trouvaient plusieurs fermes.
Les bestiaux étaient pour la plupart de petite taille, mais très beaux; je
remarquai aussi un su[)erbe troupeau de vingt-six vaches ])resque
toutes blanches.
Ma conductrice, une fdle de treize ans, ne sendjlait pas avoir peur
de moi, quoiqu'on ne rencontrât pas une âme sur la route et que
Jûsefssohn fût loin en arrière. Je lui donnai un petit morceau de
candi ; elle en fut si enchantée, qu'elle me prit par le col et m'embrassa.
Le trajet continuait d'être monotone, mais j'aimais à m'arrêter'
dans les différents hameaux. A Sattajârvi, dernière station postale avant
d'atteindre Pajala, jeunes et vieux m'entourèrent, et Josefssoliii linl con-
versation avec eux. Ils s'émerveillèrent quand ils apprirent ipi'il avait
KRISTINA 71
élé en AmiMiquo, ot, me désignant, ils s'écrieront : « Parle-lui en
américain! » Puis ils demeurèrent silencieux ])our nous écouter.
Les enfants arrivèrent en foule se joindre aux précédents. Je
crois cjue je n'ai jamais vu un tel rasseml)lement de beaux jeunes gens.
Leur alimentation grossière parait leur convenir, car ils reluisaient de
santé. Les filles ont de forts jolis noms : Ida, Kristina, Lovisa, Marga-
rita, Eisa et Helena. Elles étaient belles avec leurs cheveux blonds, leurs
yeux bleus, leur teint rosé et leur peau satinée; elles faisaient un con-
traste frappant avec les vieilles femmes, qui semblaient usées et por-
taient les traces d'un rude travail.
En Scandinavie, les fdles ne sont mises à un ouvrage fatigant
qu'après leur confirmation. Leurs jeunes années se passent à l'école;
mais elles se développent de bonne heure, car elles ont à remplir les
devoirs du ménage, à traire, à soigner le bétail, et à travailler un peu
dans les champs. Tous ces travaux tendent à leur donner de la santé et
h renforcer leurs muscles. Elles sont extrêmement belles entre quinze
et dix-sept ans; mais elles se fanent vite, et, dans l'âge mûr, leurs
traits grossissent. Je demandai à quelques-unes si elles aimeraient
d'aller en Amérique, et leur réponse était toujours un enthousiaste
« Oui ! »
J'en remarquai spécialement une, nommée Kristina, d'environ
seize ans, qui, en compagnie de beaucoup d'autres, me suivait par-
tout où j'allais. On aurait pu croire que je l'attirais; elle me prenait
la main, et causait avec animation. « Vondriez-vous être ma conduc-
trice, et venir avec moi en Amérique? » lui demandai-je. « Oui! »
dit-elle en fixant sur moi ses beaux yeux bleus. « Oui! » dit aussi
la mère. Toutes deux disparurent soudain et je crus les avoir
effrayées; elles étaient allées préparer mon dîner.
Mais une aventure m'attendait. Au moment où nous allions quitter
cet endroit, je fus étonné de voir Kristina venir à moi avec toute sa for-
tune — un paquet de vêtements — enveloppée dans un mouchoir. Son
père, sa mère, ses sœurs et ses frères se tenaient h ses côtés. Toute la
population de Sattajârvi était venue pour dire adieu à la jeune fille.
Elle avait revêtu ses meilleurs habits, comme si elle se mettait en
voyage. Quand je montai dans le char, elle me suivit et tous s'écrièrent :
erches, el ci'lle sorte de radeau, (pie l'on conlie an couranl,
atteint sûrement sa deslinalion. Ue grandes quantités de goudron des-
cendent ainsi les rivières du Nord. Dans certaines années, la Suède en
exporte plus de cent mille barils.
:t...-j..'^.\.èlùi.^'.
].ES FOriiMlS SCANDINAVES 83
Dans; mes courses en forêt, j'ai rencontré souvent plusieurs espèces
lie IVniiniis, et parmi elles la formica rufa^ appelée en suédois stack-
mi/ra, commune même aussi loin au nord. Un sentier bien battu con-
diiil aux fourmilières, lesquelles ont enviiou deux pieds et demi de
haut, coustniili's avec de petits morceaux de bois. Les fourmis venaient
en firand nombre de toutes les directions, chacune portant sa brindille
(|u"ellc dé[)osait sur le monticule. Quand elles gravissaient la montée,
les brindilles do bois cédaient sous elles, mais jamais elles ne quittaient
leur t.iclie sans l'avoir accomplie. Quand je démolissais leur fourmi-
lién', j'arrivais à une profondeur d'un pied avant de les trouver. Beau-
coup emportaient des œufs, et, si je plaçais un bâton devant elles, elles
se levaient sur leurs pattes de derrière et le saisissaient, montrant ainsi
leur bravoure.
A douze milles et demi de Pajala , nous arrivâmes aux ra[)ideâ
de Muoniokoski, auprès dcsipirls un niiséralde liameau, appelé Muonio-
nalusla. possède nue cliapeUe oii l'on ne cèlèlire le service divin qu'à
certains dimanches désignés à l'avance. Ici, mes bateliers quittèrent la
rivière, el a[)rès une marche de quatre milles sur un terrain très maré-
cageux, couvert de pins et de sapins, nous nous trouvâmes tout à coup
devant une belle ferme. Au-dessus de la porte on lisait ces mots :
KUNGL POST STATION.
C'était Muoniovaara. .b' fus reçu de la façon la plus cordiale par
Ilerr Forsslrom, lecjuel était Suédois, el par sa femme. Deux aimables,
moilesles et timides jeunes filles, portant les noms suédois de Hilda et
de Hedda, et trois fils, Gustave, Jean et Oscar, composaient la famille
de ce conforlalde foyer septentrional.
La fermi' dominail la Muouio, qui était ici large comme un lac; les
prairies s'étendaient jusqu'au liord de l'eau. Auprès de la maison, un
anlin potager dans le({uelles pois avaient environ deux pouces de crois-
sance, avec des carottes, des pommes de terre et de l'oi'ge déjà avan-
cée; mais les pâturages et la fabrication du beurre étaient l'industrie
principale ; car, dans celte région, la récolte du grain est incertaine, et
c'est à i»eine si les fermiers en sèment assez pour leurs besoins, préfé-
rant acheter leur farine.
De l'autre côté, en Finlande, se trouve Muonidniska . ipn a une église'.
84 I.E PAYS DU SOLEIL DE MINUIT
et qui est la résidence (riiii ecclésiastique. Là, comme en Suède el en
Norvège, le peuple est lulliéiien, et depuis l'acquisilion de celte pro-
vince par la Russie les elïurts du gouvernement n'ont pas réussi à
détourner les Finlandais de leur croyance proteslante pour les amener
à l'Église grec(iue.
Herr F... était maître de poste ; la malle apporlail les lettres et les
journaux deux, l'ois par nu)is. Leur seule société était le pasteur et le
lânsman de Muonioniska, car les l'ernuers n'ont }ias assez d'éducation
pour pouvoir vivifier leur solitude; pour toute récréation, ils n'ont
qu'eux-mêmes et les journaux.
La ferme était fort bonne et les (|iunze vaches laitières ijue j'y ai vues
sont, sans contredit, les plus belles (\n nord de la Scandinavie; la
laiterie méritait d'être visitée et un grand troupeau de rennes paissait
sur les montagnes. Les jeunes filles, très liabiles dans l'ait dn tissage,
confectionnaient les vêtements de la famille, llerr F... avait en pins
un magasin, en tout semblalile à ceux des petits pays dans lesquels
les gens du peuple trouvent les choses dont ils ont besoin; il était
largement achalandé pend.iiil riiiver parles L;qi(ins, ipie, cependant,
on ne voit pas sur les roules dur.inl l'été.
La maison pourvoyait aux besoins des voyageurs, el, en considérant
la distance que les articles avaient à parcourir pour y arriver, les prix
étaient fort modiques. L'ecclésiasti(pie fui invité à venir partager notre
bonne chère, et je m'amusai beaucou|> à voir l'Iiole el le bon pasteur
fumer d'énormes iiijies. toni en sirotani leui's grogs. En cet endroit
éloigné de la mer, à plusieurs milles du 68" N., tonI (ihjel de luxe doit
être transporté en hiver depuis le golfe de Bothnie.
La Muonio,à partir de Muoniovaara, vers le nord, [irend une direction
plus occidentale; la population devient plus rare; on parcourt de vastes
espaces sans voir une maison. L'ascension de la rivière est laborieuse,
car le couiant n'est sonvent (|n'nne succession de rapides, (hml le plus
formidable est le Kelokortje, sur le(piel il fini tirer le lialean. Lue rnde
besogne de quatorze heures nous amena au Palojoki (yo/v, en finnois,
rivière); les bateliers étaient épuisés; nous avions franchi vingt rapides
et la chaleur avait été excessive, le mercure s'étant élevé de 77° à 82°, et
à six heures dn soii' il manpiail encore 70° an soleil, à sept heures, 68,
et à neuf lienics Irenle minutes Gi°. Le li,iini';iii de Palojoensa, ou
LA PALOJOKl 83
P.'ildjoki, composé do huit ou dix fermes espacées, esl silné à l'embou-
cliiire de la rivière; les habilaiils semblent provenir d'un croisement de
Finnois et de Lapons. L'herbe qu'ils peuvent récoller est à peine suffi-
sanle pour leiu's bestiaux, qu'il l'aul nourrir avec du lichen et du foin;
l'orge et les pommes de ferre croissent encoit", quoi(pi(' la lalitiide soit
au-dessus du 68° nord; mais leur récolte est incertaine à cause des
gelées qui arrivent souvent on août. Les habitants possèdent des trou-
peaux de rennes, pâturant eu ce moment sur les montagnes. Une cliam-
lire, dans une des fermes, servait d'école; un instituteur vient prendre
ici sa résidence pendant la durée de son service. La station se trouvait
dan.s une des meilleures fermes.
De Palojoensa on peut prendre deux voies pour aller au nord; l'une,
en continuant la montée de la Muonio, célèbre par la beauté de sa
[lartie supérieure jusqu'au lac Kilpisjârvi; l'autre, en s'arrètant à
Karesuando, à cpiatre milles suédois plus haut, et de là en suivant la voie
de terre jusipi'au village la|ion deKautokeino. Je me serais décidé pour
celle-ci comme étant la i)his dii'octe si je n'avais appi'is par des villa-
.geois, qui avaient été pêcher dans les lacs de l'intérieur, qu'il yen avait
une bien meilleure, presque entièrement par eau, et remontant la Palo-
joki. Tous furent d'avis que je devais prèféroi' cette dernière.
La Palojoki, l'un des aftluents de la Muonio, est une petite rivière
qui coule au nord, et a dans son cours un grand nondire de ivqiides.
Les bateaux dont on se sert [)our sa navigation sont plus petits que ceux
de la Muonio, mais construits d'après le même principe, avec quatre
planches solidement jointes et une lourde quille pour résister aux
coups qu'ils reçoivent. On a besoin de deux bateliers, et l'on ne peut
prendre que doux passagers. Cette route avait pour moi un grand
avantage, celui de n'avoir jamais été fréquentée par aucun Suédois
ou Norvégien, ainsi que je l'appris de Herr F... lors de mon retour
à Muoniovaara l'hiver suivant , 1872-1873. Mes bateliers étaient
favorisés des noms de Jean-MaUiias Bass et de Eric-Gustave Laïgula,
ou quelque cbose d'approchant.
La rivière était basse par suite d'une longue sécheresse. Lorsque
j'arrivai sur ses rives et que je vis les blocs dans le courant et le peu de
profondeur de l'eau, je m'imaginai que nous ne pourrions jamais la
remonter, malgré la grande habileté des bateliers de la Muonio. Notre
86 LE PAYS DU SOLEIL DE MIM IT
bateau, cependant, lui à la hauteur de l'occasion; il bondissait do roc en
roc comme un bouchon de liège ou une balle de caoutchouc; nous réus-
sîmes à franchir le premier rapide, et, pcndanl un certain temps, nous
voguâmes en eau profonde. Nous avions gravi une courte distance quand
nous entendîmes une clochette résonner dans le bois, et au bout d'un
instant apparurent douze rennes courant vers la rivière et qui s'arrêtèrent
pour nous regarder. Ils avaient reconiui la voix do leur maître et sem-
blaieid heureux de le voir: quelques-uns entrèi-ent dans l'eau pour le
joindre. Ce furent les premiers rennes que je rencontrai. Leur proprié-
taire m'apprit qu'ils valaient vingt-sept kronors chacun.
Le rivage était bordé de forêts de sapins et de bouleaux. Le bruit de
l'eau bondissant sur les rapides me ravissait. Quoique si loin au nord, on
entendait le coucou ; des bandes de canards s'envolaient à notre approche,
et quelquefois une oie sauvage s'enfuyait et quittait ses petits. De temps
en temps nous passions devant des nids bizarres, construits sur des
arbres, variant de dix-huit à vingt-quatre pouces de longueur, sur huit à
douze de diamètre, les uns creusés dans les arbres, avec le faite et le fond
couverts d'écorce, elles autres entièrement en écorcc. Ces nids devaieid
servir à attirer de certaines espèces d'oiseaux aipiatiques qui déposaient
leurs œufs dans le creux des arbres; au centre, on avait percé un trou
assez large pour qu'un homme pût y fourrer la main et en retirer les
œufs. Quelques-uns de ces oiseaux déposaient une vingtaine d'œufs et
plus, dont s'emparait le i)ropriètaire de ces nids. Ces sortes de maisons
d'oiseaux étaient le seul signe de voisinage humain que nous aperçûmes.
Un peu plus loin, la rivière s'élargit et est bordée de jirairies (pii four-
nissent beaucoup de foiu. Les forêts étaient lapissces de mousse de
renne, d'un blanc verdàlre, la plus belle (pie j'aie vue dans mes voyages
en Scandinavie.
Le o juillet fut la journée la plus chaude que j'eusse en«)re passée
ici; la température, à sept heures du matin, marquait 67° à l'ombre et
109° au soleil: à neuf heures du malin, 72° à l'ondire; entre midi el une
heure, 82° et 1 18° au soleil. Une pluie d'orage ipii suivit ne rafraichil p;is
l'atmosphère : à trois heures trente miiades, nous avions 82° : à (|iiahe
heures trente minutes, 70°, cà six heures, 78° h l'ondire et 98° au S(jleil.
A l'un des rapides, où les hommes durent hisser le bateau avec une
corde, je gravis le bord sableux et abrupt d'environ ipiaire-vingts à cent
FEMMES SOLITAIRES 87
pieds de haut, afin d'observer lepays. C'était une région immense, légère-
ment ondulée, entièrement couverte de lichens, qui auraient pu four-
nir de la provende à des troupeaux de rennes ; de petits bouleaux noueux
se montraient de distance en distance, ainsi que des sapins soli-
taires. On apercevait des plaques de neige, et la contrée offrait un aspect
aride et désolé; elle avait évidemment été sous l'eau autrefois. Je fus
assailli par des myriades de moustiques; d'où venaient-ils? je ne
saurais le dire, car on ne connaît point de marécages dans les environs.
Parvenus un peu plus loin, les hommes retirèrent leurs perches et
s'arrêtèrent sur la rive gauche du courant, au pied d'un sentier. « Nous
allons passer la nuit dans une ferme non loin d'ici, dit Mathias, car nous
sommes brisés de fatigue. » Je ne m'en étonnai point ; nous avions re-
monté plus de quarante rapides, ramé pendant environ quatre milles et
demi et durant quatorze heures. Ils tirèrent le bateau sur le bord, et lais-
sèrent tout mon bagage dedans. Je fus quelque peu inquiet pour la sa-
coche qui contenait mon argent; mais, apparemment, mes bateliers ne
craignaient par les voleurs. Après une marche de vingt minutes à travers
un bois de bouleaux et de grandes pièces de lichen, nous atteignîmes
un bel endroit, sorte d'oasis dans ce désert, sur deux [petits lacs,
appelés Leppâjârvi et Sarjârvi.
Les maisons, en bûches de sapin, étaient basses, avec des toits
couverts de terre, sur laquelle poussait l'herbe; elles ne brillaient pas
par la propreté, et les vêtements des habitants reluisaient de crasse ; deux
ou trois habitations ayant de petites fenêtres affichaient i)lus de préten-
tions. Quelques filets de pêche séchaient et les hommes s'occupaient de
les raccommoder. Les bâtiments étaient considérablement séparés :
bonne précaution contre le feu.
Tout était de la sorte la plus primitive : assiettes, plats et cuillers
en bois; seaux et écopes servant de vases à boire; les fourchettes étaient
inconnues, ou, s'il y en avait, on ne s'en servait pas. Les tasses à
café constituaient les seuls objets en faïence que je vis. Je préférai un
banc au lit (pie l'on m'olïril; quant à mon guide et à mes bateliers, ils
prirent possession du plancher malpropre.
La saison était en retard à cause de la sécheresse persistante, et je
me demandais comment la moisson pouvait être mûre vers la fin d'août,
mois après lequel on est sûr de voir apparaître la gelée. Ce fut la dernière
88 LE PAYS DU SOLEIL DE MINUIT
orge qui frappa mes yeux, car nous étions alors à plus de 08° 3o' N.,
et ce grain ne mîiril pas plus au nord. Les bouleaux sont nombrenx et
les habitants ont du bois en abondance pour chaufïer leurs demeures.
Le docteur le plus rapproché d'ici est à deux cents milles en arrière ;
l'église se trouve à Palojoeusa, mais ces gens ont toujours chez eux des
livres religieux, ou la Bible, ou un volume de psaumes et d'iiymnes, ou
([ii% postilla (collection de sermons). L'argent est très rare, el dans les
saisons où la lècolie ne réussit |ias, les habitants manquent de nourri-
ture; ils raclent l'écorce du bouleau qu'ils pétrissent avec de la farine,
ou bien ils cuisent de la mousse de renne avec du lait, et, en y ajoutant
de la farine, ils en font un plat supportable.
Cet établissement possédait vingt-deux vaches. L'une des vacheries
était basse, longue, étroite, le toit couvert de plus d'un pied dr terre
sur laquelle l'herbe (qu'ils récoltent) était ah irs verte. Des cloisons en
planches séparaient les étables, et, derrière, ou avait disposé un chenal
pour recevoir les déjections des bêtes, car l'engrais ici est aussi précieux
que l'or, la terre étant pauvre. Le sol était planchéié ; à une extrémité se
tnmvait l'épaisse structure en pierres habituelle, siqiportant un énui'uu^
pot de fer servant à cuire l'herbe ou le lichen poui' le bétail.
Les gens paraissaient sains et forts; je vis plusieurs vieillards dont
l'un venait d'atteindre quatre-vingt-dix ans. Hommes, femmes et jeunes
tilles fumaient; cette habitude règne aussi dans bien des parties de la
Suède et de la Norvège.
Après avoir passé plusieurs rapides et ramé deux heures depuis Lep-
pâjârvi, nous entrâmes dans le lac Palojârvi, d'où sort la rivière Palojaki ;
nous avions remonté le courant k une distance de cinq milles et demi. Palo-
jârvi est un des lacs sur la pente du plateau, formant le déversoir méri-
dional des eaux, à onze cents pieds, je crois, au-dessus du niveau de la
mer; une chaîne de collines sablonneuses, couvertes d'arbrisseaux, flan-
.que les bords occidentaux; en regardant vers l'est et le nord-est, je pus
voir une haute colline, appelée Isticconâra, encore blanche de taches de
neige. Il y a quelque chose d'impressionnant dans la solitude et le silence
do ce pays septentrional, dans ces lacs silencieux et solitaires, dans le
murmure des rivières serpentant au milieu des rochers qui obstruent
leur course, dans l'atmosphère étonnamment claire, dans le ciel d'un
bleu pâle et dans l'air fortifiant. Souvent] j'étais saisi d'un indescriptible
PKCHEUHS FINLANDAIS 91
sentiment d'isolement, ot. en même temps, du ilrsir de pousser pins
loin.
En traversant le lac, je ne pus voir tpi'iine ferme où séchaient des
fdets en grand nombre. Les demenres solitaires dans le nord lointain
sont généralement situées près des lacs, foisonnant de poisson,
qui, avec le lait aigre, forme la principale nourriture des habitants
pendant les mois d'été. On sale et on sèche des quantités de poisson
pour l'hiver.
Un elïort d'une demi-heure nous coiiduisil à une rivière èlroile et
tortueuse, — la Rastajoki; nous la remontâmes i)endant un mille dans
la direction du nord, et nous prîmes terre.
Après deux heures de marche à travers une contrée stérile, parfois
marécageuse, couverte en grande partie de mousse de renne et de
])Ouleaux nains, nous arrivâmes sur les bords d'un petit lac, appelé
Givijârvi, à environ cin(j milles de Palojarvi, formant la limite entre la
Finlande russe et la Norvège. Dans le trajet, j'avais vu, au pied d'une
colline rocheuse, un grand nombre de pierres rondes de deux fois la taille
d'une orange â trois fois celle d'une tète d'homme; elles semblaient
avoir été mises là par des mains humaines, il y a bien longtemps.
Depuis que nous avions quitté Lep});'lj;u'vi, je n'avais aperçu qu'un arbre
conifère; nous venions d'atteindre la région où ceux-ci ne croissent
plus, mais les bouleaux étaient abondants, quoique petits.
Sur une ile, un grand amas de neige, que la chaleur du soleil d'été
ne parvenait pas à fondre, atteignait le bord de l'eau. Des spires de
fumée ondoyant au-dessus de deux huttes pointues et conlipies nous
apprirent cpie l'Ile était habitée. Nous trouvâmes un vieux bateau en
mauvais état, avec lequel nous devions atteindre l'autre bord; il était
aussi sec ipi'un morceau de liège et tout disloqué; heureusement, un
seau en bois était auprès de là, et il nous servit pour le réparer. Nous
fîmes une voile avec des branches feuillues de bouleau et ce fut tout;
j'essayai de gouverner avec un bâton et les hommes pagayèrent avec
des morceaux de bois; il nous fallut une heure pour franchir une dis-
tance d'environ trois milles anglais. Quand nous abordâmes, deux
hommes, qui surveillaient notre approche, vinrent nous invitera entrer
dans les huttes que nous avions vues depuis l'autre côté. D'environ
douze pieds de haut surhuil ou dix de diamètre, elles étaient construites
92
LI-: PAYS DL' SOLEIL DL MINUIT
l'ii iiKillcs (le g.-izoïi, Sdiilciiucs (Ml ilt'iliiis })ar un châssis forriK'' de lirnii-
l'Iics (l'iii'lin's. L'iiil(''rii'iir cl les ;ib(ir(ls chiiciil rc])(tiiss;iiils ilr s;ilcli'';
(les ciilr;iilles cl dos tèlcs de ii(iiss(3iis gisniciil de hiiis C(il(''s cl deux
hai'ils reni]dis de pdissdii s;d('' ié|iaii(laiciil une ddeiu' de pduni i|ui
donnait des naus(''cs. Les lilels, (|ue les Injuinies i"ac(Mimni()(laicnl. Iiai-
naient sur la lerre et devaient ('tre tondus le soir mémo.
Au centre de la hulte l)ridail un fou dont la fumée s'ocliaitiiail par
l'i'clicurs du lac Givijarvi.
l'ouvcrlure d'en haut; les lits se composaient iriicrbo et de boue, et les
couvertures en peaux do mouton avaient depuis longtemps perdu leur
blancheur première poiu- devenir noires et malpropres. Je n'osais pas
entrer. Un chaudron de calé suspendu au-dessus du feu et une vieille
lasse constituaioiil les seuls ustensiles du ménage; le poisson formait
la nourriture nniipie.
Ces doux occupants de l'Ile étaient couverts décrasse; leurs che-
veux emmêlés, (pii tond)aionl sur leurs épaules, les protégeaient contre
les mousli(|nos , mais, selon toute apparence, ils contenaient bien dos
choses encore pires. Leur laille ne dépassait pas la moyenne; hMiis
liomuielles saillanles et le type de leur face révélaieiil un mélange du
sang linnois avec le sang lapon; ils jiorlaient des pantalons, des che-
mises de laine et des bottes, mais ils paraissaient bons et insisléronl
pour (pie je prisse une tasse de café.
Do Ciivijarvi, la roule de terre ipii se dirige au nord jiasse par une
contrée lugubre et conduit à Aitij/irvi. Parfois la marche devenait fali-
LA MAISON DE REFUGE 93
gante et ne s'animait que par instants ; on voyait de petits lacs ou étangs
dans toutes les directions.
Les moustiques faisaient de nouveau des leurs et, quoiiiu'uiie boiuie
brise soufflât, leurs essaims nous suivaient et nous einiuyaient terrible-
ment. Le plateMU seniltle être la ligne de division i)Our le tléverscnicnt
des eaux des lacs vers le sud et le nord ; les bouleaux étaient devenus
nains et la courbure de leurs branches démontrait la force et la direc-
tion des vents hivernaux.
La station de refuge à Ailijârvi nous [)arul très solitaire lorsque
nous jetâmes un coup d'œil sur les bâtiments, depuis le haut de la
colline; en un peu moins d'une heure et demie, ;i partir du l.ic, nous
atteignîmes cet endroit.
La ferme était destinée à servir de lieu de refuge. Dans ce district,
l'un des plus stériles et des plus froids de l'Europe septentrionale, où
le thermomètre descend jusqu'à 4.5° au-dessous de zéro, son abri
doit être le bienvenu pendant l'hiver, lorsque les tempêtes menacent le
voyageur fatigué. La maison était confortable et pnqire: il y avait deux
chambres — une pour la famille, et l'autre pdur les voyageurs; on ne
s'attache pas au luxe des lits mollets et du beau linge dans celte partie
du monde. Deux vaches et quelques moutons étaient tout le bétail de ces
lieux, les rennes se trouvant alors au pâturage.
La station est située au bord du petit lac d'Aitijârvi et sur la rive de
la rivière Sitc;ijoki, tout pi'és du point où leurs eaux se mêlent; avant de
tombenhiiis le l.ic le courant forme un petit rapide sous lequel se trouve
un îlot couvert d'herbe, le sol ayant été bien pourvu d'engrais. Le labou-
reur et sa femme, les seuls êtres à la maison, nous accueillireid cordia-
lement. Adam Triumf était un beau vieillard de taille moyeime, avec de
longs cheveux noirs mélangés de lils d'ai'gent tombanl sur ses épaules.
Sa feninie Kristina lui ressenibl.iil , nialgr('' son Imnni't uni et bien
ajusté; ses cheveux noirs, longs et luisants tombaient sur ses épaules,
et quoi([ue les rides qui sillonnaient son visage prouvassent qu'elle était
avancée en âge, à peine lui voyait-on un cheveu gris; [lour compléter le
portrait, elle avait aux pieds une paire de bottes de son mari, et Ions
deux pori.iienl des vêlements tissés chez eux. De[)uis vingt-six ans ils
vivaient ensemble et avaient eu dmize enf.inis; l'un des lils demein'e
avec eux, mais il était absent pour le moment.
94 LE PAYS DU SOLEIL DE MINUIT
Le gouveriiemenl iiuivégieii subventionne ces vieilles gens d'inie
somme annuelle délerniinée pour garder la place; en hiver, ils sont
moins seuls, car leurs enfants les visilciil el les Lapons vont et viennent.
Adam Triumf el Kristina onl lieanconp à l'aire pendaid la courte saison
d'été; toutes leurs journées sont occu|)ées dans les iièclieries. Ils salent
de fortes riuantités de poisson pour l'hiver; mais, outre la iiêche, il leur
faut encore faucher et empiler le foin, se procurer du bois, rentrer des
approvisionnements de mousse de renne que l'on dispose en énormes
tas; on les enlève l'hivei' sur des traîneaux, afin de subvenir à l'alimen-
tation du bétail. La récolte de la mousse est une chose fort importante
el (jui doit être faite pendant que la terre est libre de neige. La laiterie
demande aussi des soins, car le beurre et le fromage tiennent une
grande place dans l'alimentation. Peu après notre arrivée la femme
nous apporta une grande jatte en bois pleine d'un lait délicieux, du
beurre, du fromage, du pain noir sortant du four, et nous dit avec
bonté : « Vous devez avoir faim? »
Je demandai un bateau ; mais Adam me répondit qu'il devait d'abord
aller visiter ses fdets et prendre le poisson, ce qui fut aussitôt fait que
dit. Ces deux bonnes gens nous laissèrent l'entière possession de la
maison, oili rien n'était sous clef; ils ne craignaient pas (pie nous vou-
lussions nous emparer du café ou du sucre, ou des provisions ajjporlées
du bord de la mer. Au bout de deux heures ils revinrent, rapportant de
belles truites — dont les unes avaient de vingt à vingt-(|ualre poiu'es
de longueur el qui auraient réjoui le cœur d'un pécheur à la ligne.
Kristina en lit cuire immédiatement quelques-unes; puis, les met-
tant sur un plat de bois, elle me dit: « Mangez, étranger; mangez
autant que vous pourrez, car vous avez une longue roule devanl vous. »
Puis elle remplit de lai! le bol en bois el lit du café; (piand je pi'is
congé d'elle, je lui glissai deux kronois dans la main.
Le temps devenait {dus chaud tous les jours; à neuf heures, le ther-
hiomètre marquait au soleil 100°; la température de l'eau indi(piail GO",
ce (pii prouvait que la neige avait fondu. A onze liemvs. (|iiand nous
nous arrêtâmes pour nous reposer, elle élait, à l'ombre, de 72°, au soleil':
de 105°; celle de l'eau de G2°. A une heure nous finies halle de nou-
veau, car les hommes étaient presijue éimisés; bien que nous fussions à
une latitude de 07° 30', le lhermonu''lre marquait 7i° à l'ondjre et 109°
KAUTOKEINO 95
au soleil à midi. C'était la seconde journée la plus chaude (juc j'eusse
expérimentée.
Le 5 juillet, à une heure du matin, je (|uitl;ii Ailijârvi. Adam Triumf
assista à notre départ et nous souhaita un heureux voyage; il me donna
une poignée de main et me dit avec cordialité : « Revenez bientôt! »
Givijârvi et Aitijârvi sont situés sur la partie méridionale de la
rampe que nous avions gravie après avoir quitté Palojarvi, et maintenant
l'écoulement des eaux se faisait au nord vers la mer Arctique; nous
descendîmes le courant, en glissant sur de dangereux rapides, jusqu'à
Kautokeino, à quatre milles norvégiens.
En regardant vers le sud, la lune était visible très loin; le soleil se
montrait dans la direction opposée; l'une pâle et sans lumière, l'autre
brillant de tout son éclat. Le temps était superbe et le ciel sans nuages;
le thermomètre marquait 57° et la rosée couvrait abondamment le sol.
Au départ, la rivière nous parut étroite, pas très profonde, la largeur
moyenne n'excédant pas cinquante pieds; des bouleaux bordaient les
deux rives. Depuis mon départ de Stockholm je n'avais pas encore entendu
tant d'oiseaux chanter après niiiiuiL et jouir du printemps. Je ne pus que
m'étonner du peu de sommeil dont ils profitaient pendant un jour si
continuel; à certaines époques ils ne reposaient que d'une heure à deux
et, d'autres fois, ils semblaient toujours en mouvement; les hirondelles
qui avaient atteint cette latitude extrême au nord ne restaient qu'une
couple d'heures dans leurs nids. Les arbres étaient courts en proportion
de leur grosseur; les feuilles venaient de s'ouvrir et les troncs blancs
avec leurs branches languissantes contrastaient avec la frondaison d'un
vert clair. La végétation était plus en retard que celle de la rampe méri-
dionale et l'on voyait (juehiues plaques de neige. La rivière olïrait la lim-
pidité du cristal, et là où l'eau était tranquille notre bateau semblait
glisser sur un miruir verdâtre. En nous i)orlant au nord nous passâmes
rapides après rapides; le bateau frémissait lors(iu'il coupait les Ilots.
Les bateliers connaissaient chaque courbure de la rivière, chaque récif
dangereux, chacjue rocher caché sur lesquels l'eau bondissait; l'écume
de l'onde leur indiquait par où ils pouvaient sûrement passer. Souven
nous défilions à un pouce ou deux d'un bloc qui menaçait de nous mettre
en pièces mais par une manœuvre adroite de leurs perches mes
hommes lui échappaient et se laissaient flotter jus(|u'à l'approèhe
9G LE PAYS DU SULEIL DE MINUIT
criiii autre rapide. Un faux mouvenieiil ou .une erreur île jugemeiil nous
aurait élé fatal. La dextérilé de mes bateliers était extraordinaire.
L'émotion causée par la descente fut liieii autrenienl grande que
pendaiil la nioidée de la Muoiuo.
Après une navigation de ciiKi heures nous arrivâmes à une ferme,
la première sur notre route; l'habitation était très sale, bien que le fer-
mier fût dans une bonne jiosition, puis(|u'il possédait douze vaches el
deux cents rennes; il avait plusieurs enfants et la famille portait le cachet
d'une exiracliou laponne. Sur une table j'aperçus leNouveauTestament.
Autour de la maison on avait disposé des meules de lni]i de dix à douze
j)ieds, protégées contre la neige par de longues perches ^ yeux l'édiicalion, les bonnes manières, et j'entendais
parler trois langues étrangères.
Mon luMe était membre du Storthing (le Congrès norvégien) pour
Vestfinnmarkcn; sa famille el lui me tirent l'accueil le itius cordial et
DKS(:ENTE VKHS la M1:M AltCTIOlE 103
me soulinitr'cent la bienvenue. Ils insisléicut tellemeiil pour m'avdii'
à dîner que je ne pus refuser.
Bosîkop se compose de l'ennes espacées, avec inic ('lilisc , une
l'CDle. quelques magasins, el une auiierge confoilalile, tenue par une
veuve el sa fdle; c'est le siège d'une IViire, et, en hiver, les Lapons s'y
donnent souvent rendez-vous; il s'y trouvait aussi une cour de justice.
Il y a une petite société de gens bien élevés, comprenant les familles
dnjnge, du Slortliingsmaud, du pasteur et d'autres. J'étais arrivé un
dimanche après midi, et le dimanche est considéré parles norvégiens
comme un jour de récréation el de repos. Après le dîner, deux dames
m'invitèrent à me joindre à une réunion de jeunes gens. Nous partîmes
tous ensemble pour l'auberge où se trouvait mon bagage. — Lorsque
je descendis l'escaliei', vêtu de mon mieux (ce qui n'est pas beaucoup
dire), je trouvai dans le parloir une douzaine de charmantes demoiselles,
quelques gentlemen qui m'attendaient ; je leur fus présenté. Mes guides,
désirant retourner chez eux, me demandèrent de les payer; un nuage
passa sur mon front el je dus expliquer ([ue j'étais obligé de les faire
attendre. Un de ces messieurs offrit île m'avancer la somme nécessaire.
J'acceptai; mais à peine avais-je soldé mes hommes, que la boiuie femme
du fermier se présenta. Elle avait fait toute la route à pied i)our me
rapporter ma sacoche, ne voulant la confier à personne, croyant qu'elle
contenait nue forte somme. Elle refusa la rémunération (pie je lui offris,
en disant qu'elle n'avait pas besoin d'être payée pour demeurer honnête;
mais je finis par l'emporter et elle accepta mon présent.
Toute la compagnie parlait anglais ; quelques-uns môme s'expri-
maient en français et en allemand. En peu de temps leurs manières
amicales me firent oublier que j'étais étranger.
Le lendemain, plusieurs dames vinrent me voir et m'invitèrent cour-
toisement à me rendre chez elles, en disant qu'elles désiraient me faire
passer un moment agréalde, afin de conserver un bon souvenir de ma
visite à Bosîkop.
Je fus assez heureux pour rencontrer ici le [tnilesseur Théodore
Kjèrulf, de Christiania, l'un des st/ra/its les plus distingués de la Scan
dinavie; ses ouvrages sur la géologie de la Norvège lui assurent une
renommée durable. Il s'occupait alors d'éludier la formation du pays.
Il s'étonna du peu de bagage que j'avais emporté avec moi. lequel con-
lOi LE PAYS DU SOLini. DE MINUIT
sistait, disait-il, i)riiici[jaiemenl en j)apier à écrire et eu cartes. Mes
souliers aussi attirèrent son attention, à cause du peu d'épaisseur de leurs
semelles; je les préfère ainsi lorsque j'ai à faire de longues marches,
ou quand le terrain n'est pas trop pierreux ni humide.
Après une amicale conversation nous allâmes dans un petit jardin
dont le pavillon était orné de branches de bouleau et qui contenait une
table couverte de rafraîchissements. On fit i)asser à la ronde de la linio-
nade, des gâteaux, elles jeunes gens se mirent à jouer au /w/ pendani
que les personnes âgées les regardaient. A onze heures du soir, sous les
rayons brillants du soleil, la société me reconduisit en me souhaitant une
bonne nuit et tous rentrèrent chez eux, me laissant enchanté de leur
simplicité, de leur innocence et de leurs manières aimables.
Toutes les familles que je visitai m'avaient accueilli à cœur ouvert,
aussi voulus-je doinier, dans h; parloir démon hôtel, une petite fêle
aux personnes qui m'avaient invité chez elles. A un moment donné je vis
mes convives se regarder et chuchoter entre eux; ils avaient évidemment
tramé un complot, car quelques dames, conduites par le professeur
Kjeruif, me demandèrent, au nom de la société, d'être assez bon pour
leur dire quelque chose sur mes voyages en Afrique et sur les gorilles.
Je n'avais pas soufflé mot de mes explorations et je fus presque peiné
d'avoir été reconnu : c'est là le désavantage de porter un nom peu com-
mun. Impossible de refuser; et ce fut ainsi qu'au 70° de latitude nord,
dans le parloir tranquille de l'hôtel de Bosikop, je tins une conférence
sur les régions équatoriales de l'Afrique et sur le gorille devant une
assemblée de personnes aussi aimables que l'on pouvait le désirer.
Non loin de Bosikop, sur le fiord Kaa , il y a une mine de cuivre , la plus
septentrionale qui ait jamais pu être exploitée avec succès ; elle produit
un minerai de la meilleure qualité et donne de l'ouvrage à environ cin(|
cents travailleurs. Dans les cinq dernières années bien des mineurs ont
émigré en Amérique pour chercher fortune au nouveau monde sous la
conduite de deux de leurs compagnons de travail qui étaient revenus au
pays et avaient fait des récits enthousiastes sur les bons salaires que
l'on reçoit en Amérique. La mine appartenait à une compagnie an-
glaise, et le directeur, un Anglais, l'administrait depuis quarante-trois
ans, ce qui parle éloquemment en faveur du climat. Les mineurs, tous
Finlandais, recevaient en moyenne 40 à 50 cents (environ 2 fr. 50)
LE PIORD ALTEN lOo
par jour; beaucoup étaient mariés et avaient des familles nombreuses.
Le directeur me dit qu'il avait promis d'être parrain du vingtième enfant
d'une femme de Pajala; mais elle s'arrêta au dix-neuvième et mourut
k soixante-dix ans.
Les Anglais viennent pécher jus(iu'ici. Leduc de Roxburgli, (pii
loue la rivière d'Alten, (piille tous les ans ses domaines pour jouir du
plaisir de dormir dans une hutte en bois, de prendre du saumon, et
d'être dévoré par les mousiiques. Le peuple [)aile de lui avec respect et
amour, et loue son bon cœur ainsi que ses manières bienveillantes; on
dit que jamais le pauvre n'est renvoyé de chez lui les mains vides, et
bien des familles nécessiteuses peuvent témoigner de sa bonté. .le ne con-
nais point d'autre Anglais plus estimé en Norvège. Depuis plus de vingl
ans il vient pécher ici et il est connu dans tous les coins du pays. Dans
une heure malheureuse le bon duc a été volé parle fils de son intendant,
au grand chagrin de tous les gens de cette région, qui, paraît-il, sont
absolument exempts du vice de vol. Je crois que le montant dérobé
s'élevait à 20,000 dollais, dont presque tout a été recouvré. Le voleur, qui
n'avait encore jamais vu tant d'argent, ne sut qu'en faire : la vue des
billets de banque l'avait fasciné et séduit.
Nulle part sur notre globe, à une si Juiute lutitiide^ la végétation
n'est aussi développée qu'au fiord Altea. Aufiord Kaa, l'un des bras de
l'Alten, auprès de Bosîko|), la rhubarbe, l'orge, l'avoine, le seigle, le
navet et la pomme de terre poussent parfaitement ; les carottes attei-
gnent une longueur de cinq à sept pouces; les fraises de jardin mûris-
sent à la fin de juillet ou au commencement d'août, si la saison est
chaude; les groseilles prospèrent et les framboises arrivent à maturité
au moins une année sur trois; les pois produisent tous les ans; je les
trouvai avancés de dix à quinze pouces le 10 juillet et près de fleurir,
quoique plantés seulement depuis quatre semaines. L'herbe est riche,
et, en moyenne, quatre gallons' de lait donnent une livre de beurre;
l'avoine et l'orge sont récoltés neuf ou dix semaines après les semailles.
La saison la plus chaude dure depuis le commencement de juillet
jusqu'à la mi-aoùt; le thermomètre monte quelquefois à 85°. Le temps
s'était rafraîchi à Bosîkop, la température la plus élevée pendant mon
séjour ayant été de 63° à l'ombre, et la plus froide de o5°.
1. Le gallon équivaut à 4 litres 54. 34b mill.
106 LK PAYS Dl" SUI.EIL DE MINLIT
Le mode liabiluel pour aller plus au nord est de prendre le steamer
hebdomadaire de Bosîkop à Hanimerfest. Le lialeau touche à un grand
noml)re d'endroils; a|)rès avoir (piillé le liord, nous passâmes entre les
îles, el une course de Ireize heures nous eoiiduisil à Hammerfest, à
l'extrémité nord-ouest de Kvalù, ile très rajjprochée de la terre ferme,
à une latitude de 70° 40'; on dit que eelte ville est la plus septentrio-
nale qu'il y ait au monde.
Ces ports de mer norvégiens sont cachés par de hautes montagnes
et généralement ils frappent soudainement les yeux. Je fus surpris de
voir à une si haute latitude une ville aussi commerçante; plus de cin-
quante navires, principalement des schooners, étaient à l'ancre. Les
pavillons anglais, russe, norvégien, suédois et allemand s'y trouvaient
représerdés; deux steamers se préparaient à partir; ici un navire anglais
déchargeait du charbon, là un russe, d'Archangel, s'allégeait de sacs de
farine; d'autres prenaient des cargaisons de morue séchée ou salée,
d'huile de l'oie de morue, etc.
On voyait des bateaux, des allèges et des barques de pèche amar-
rés au quai en bois, auprès ducpiel on a construit des magasins: le port
est abrité el les navires y sont en sûrelé; la ville a une population d'en-
viron di'ux mille cinq cents habitants. En parcourant les rues et le
long (les (piais on aperçoit des capitaines russes avec leur longue
barbe, des pêcheurs et des matelots, des Finlandaises et des Norvé-
giennes mises à la deriuère mode, car la crinoline, le chignon et le
chapeau « tuyau de poêle » ont réussi à s'iidroduire même ici.
Il y a peu de villes au monde — s'il y en a toutefois — bâties sur
un lieu plus stérile ou entouré (riiii jiaysage aussi triste, aussi désolé;
l>as un arbre, rien que des lochers luis et sombres. Aucune route ne
conduit hors de la ville, car il n'existe point de fermes plus loin, et la
contrée environnante ne fournit i)as de bois; les rues sont étroites. Tar-
ière principale suit le bord de la baie; ipielques habitations soni
grandes et commodes, el l'on est frappé du nombre considérable de
magasins de tout genre.
Le sens olfactif de l'élranger est désagréablemeid affecté par
l'odeur du poisson (|ui prédomine par toute la ville, car les habilants
fabri(}uenl l'huile de foie de morue, particulièrement de la sorte brune,
dont la senteur et la fumée n'ont rien de réjouissant; mais, ainsi que
LE FIORD ALTEN 107
me le fit ohsoiver un des marchands les plus importants, la fumée qui
produit de l'argent n'est jamais désagréable. On entretient ici un
nombre considérable de vaches, que l'on nourrit do poisson, de mousse
de renne et de foin.
Le port n'est jamais fermé par les glaces; car le Gulf-Slream lèche
la côte slérih' et désolée, qui, à certaines saisons de l'année, four-
mille de poisson; : sans la pêche il n'y aurait point de Hammerfest. Sa
position géographique est excellente; elle communique directement
par télégraphe avec Christiania, et ainsi avec le reste du monde.
Elle a trois journaux et un petit hôtel qui fournit des chambres com-
modes et une excellente table. Les écoles sont bonnes et fréquentées
par tous les enfants, l'instruction étant obligatoire.
Un vice-consul américain réside dans le port. Dès que je lui eus fait
ma visite, le pavillon aux bandes étoilées fut hissé sur sa résidence, et
j'appris, à mon grand étonnement, que mon nom était coniui dans cette
partie extrême du monde; en elfet, mon Afruftc équatoriale avait été
traduite en norvégien. On me montra cette traduction ainsi que l'ori-
ginal en anglais. J'avais été pourvu de lettres de recommandation pour
l'un des plus grands négociants de Hammerfest, Herr F..., qui me pré-
senta à ses amis, et je fus admirablement accueilli dans plusieurs mai-
sons, notamment chez le vice-consul américain.
La vie est très confortable à Hammerfest. Le poisson, l'un des prin-
cipaux articles d'alimentation, abonde; le bœuf et le mouton viennent
du fiord Tromsôel de la province méridionale la plusvoisine; en hiver,
le gibier et la chair de renne foisonnent. On trouve ici du café, du thé,
des épices et autres ol)jets de luxe ; on y donne des dîners qui ne seraient
pas indignes de villes moins éloignées des centres de civilisation.
Le bois est cher parce qu'il faut l'apporter des fiords environnants;
le peuple brûle du charbon qui vient d'Angleterre. Cette année il ne
coûtait que cinq dollars la tonne, bon marché qui m'étoniia.
Toute cette partie septentrionale de la côte de Norvège est acces-
sible en été et en hiver. Les steamers viennent à Hammerfest de diffé-
rentes villes de la cote et de Christiania; le voyage exige quinze jours
de navigation, parce que les bateaux s'arrêtent dans bien des endroits
et la distance dépasse deux mille milles. Il y a aussi une ligne semi-
mensuelle de steamers norvégiens depuis Hambourg. Ces bateaux sont
108 LE PAYS DU SOLEIL DE MINUIT
les plus grands et les plus conforUibles; aussi les touristes qui veulent
voir les scènes de la côte ou le soleil de minuit les prennent-ils de pré-
férence. Cette ligne apporte des marchandises de toute sorte, et
ramène en retour les produits norvégiens.
Des coteaux sourcilleux, doiil h' plus haut s'élève à mille trois cent
trente cinq pieds au-dessus du niveau de la mer, forment l'arriére-plan
et laissent à peine delà place à la ville pour s'agrandir; leurs crêtes
semblent étonnamment aiguës et quol(|ues-uns des blocs qui reposent
sur elles ont l'air de vaciller au iioint de faire croire qu'une légère
poussée les précipiterait le long des rampes.
En regardant du côté de la terre, je pus distinguer de petits lacs
disséminés sur le désert aride ; au loin sont les îles stériles de Sorô et
de Seland, cette dernière s'élevant de trois mille quatre cent huit pieds
au-dessus du niveau de la mer, et portant le glacier le plus septen-
trional de la Norvège. Du sommet des collines on peut voir le soleil
de minuit dans la même saison qu'au cap Nord, mais la scène produit
une liirii moindre impression.
'i;i:'^';'iiîi:j|);l''ii.
'%m
'n|,*|
'"" Il ' l' 11"
CHAPITRE VIll
L lie lie Mageri'l. — Gjaesver. — Saleté des maisons de ijèclieiirs. — Charmant foyer septen-
trional. — Bétail Carnivore. — Temps pluvieux et changeant. — Fiord verdoyant. — Ascension
du cap Nord. — Paysage désolé. — Un oiseau errant. — Le soleil de minuit.
L'île de Magen") esl. In plus sepleiilrionale de l'Europe; elle est
séparée de la terre ferme par un canal j)ri)l'oiid — Magerôsound —
large de plus d'un mille. C'est un plateau élevé, ayant des rampes très
abruptes et dentelé de baies bien abritées et de fiords. Son alti-
tude est de mille sept cents pieds au-dessus de la mer; le cap Nord con-
stitue son extrémité septentrionale. Si l'on veut voir le soleil de
minuit de son sommet, il faut prendre terre soit à la station de pèche
de Kjelvik, ou, ce qui est meilleur et plus aisé, à Gjaesver [f/jaes:, en
norvégien, oie), (|ui appartient à un groupe de petites îles rappro-
chées, sur le côté occidental de Magerô, et aborder prés du cap, quand
lo temps lepermet.
Le 21 juillet, un jieu après minuit, par une pluie battante, accom-
pagné du consul américain, du receveur du port, et de Herr F , je
m'embarquai dans un petit bateau pour me rendre au steamer. Ces mes^
sieurs voulaient me recommander spécialement au capitaine et lui faire
des observations en ma faveur. Le passage devait être peu récréatif par
ce temps brumeux el pluvieux, avec le thermomètre à V6°,
Ii2 Li: PAYS DU SOLEIL BK MLMIT
Quatre vaisseaux russes, d'Archangel, à l'ancre devant Gjaesver,
.'illf'iiil.iiciil leurs cargaisons de poisson; noire steamer fut obligé de
jeter l'ancre à cause de la violence du courant. Passagers, malles et
marchandises furent jetés pêle-nièle dans un Itatelet, et la population
entière, accourue sur le rivage, et comptant environ vingt personnes,
attendait notre débarquement, avide d'apprentire des nouvelles. Cet
établissement consistait en i)uei(|ues maisons de pèclieurs. Les environs
n'étaient rien moins qu'attrayants : des entrailles de poissons, des barils
de foies de morue, du sang et de la saleté, c'est là tout ce qu'on voyait,
et l'odeur infecte qui s'y ajoutait inspirait le dégoût. A l'intérieur 'des
huttes régnait une malpropreté (|ne je n'avais pas encore vue ; des poêles
remplaçaient les cheminées, car il fallait être économe dans l'emploi
du chauiïage. Un seul ap|)arfenient serv;iil de clLunlire à coucher à toute
la famille; les lits et les couvertures se composaient de duvet d'eider;
quant aux draps, c'étaient probablement des articles inconnus. L'ile
avait un marchand dont la maison faisait un contraste agréable avec les
autres; partout la propreté, le confort el le goût; un piano se prélas-
sait même dans un des parloirs, et les tables étaient couvertes de jour-
naux et de livres. L'hôtesse, dmil le niai'i. pdur le(|ui'l j avais une lettre
d'introduction, était à Hammerfest, me reçut avec grande bonté.
Charmante demeure, en vérité, telle (]n'nn étranger ne pourrait
jamais rêver d'en rencontrer une semblable en cet endroit, et i)0urtant
on en trouve beaucoup sur cette cote, la plus stérile de la vieille et glo-
rieuse Norvège. Autour de la maison ou avail élevé des communs pour
l'emmagasinage du bois, du poisson, el des piovisions. Il y avail riii(|
petites vaches, mesurant seulement trois pieds deux pouces à trois {lieds
quatre pouces en hauteur; quelipies moulons et beaucoup de chèvres,
ces dernières friandes de l'herbe ipii croît eidre les rochers; mais
comme la pâture ne suftisait pas, on les nourrissait deux fois par jour
de... poisso/i! .le lus ébahi lors(|ne, ponr la première fois, je vis des
vaches, des chèvres et des moulons aulour d'une cuve remplie de mor-
ceaux de poisson en i)artie cuits et souvent crus, les dévorant avec
voracité. Il serait intéressant, au point de vue darwinien, de constater
si, en nourrissant des créatures herbivores avec des substances ani-
males, d'année en année, pendant un temps considérable, on arriverait
à modilier leur appareil digestif; si l'on rendiail les molaires ]ilus
HABITATIONS DKS PECHEURS 113
étroites et plus traiicliaiiles, et si les canines et les incisives supé-
rieures apparaîtraient; si les trois premiers eslomacs de l'animal rumi-
nanl seraient moins développés et si le ipialriéme deviendrail pareil à
l'estomac digestif de la créalure Carnivore ou omnivore; et si le long
canal intestinal appartenant au ruminant se rapprocherait de l'inteslin
court du Carnivore à la digestion prompte. Pendant la saison de la pèche
on fait sécher en grand nombre des têtes de poissons que l'on garde
pour doimer l'hiver au bétail et que l'on fait cuire avant de les lui servir.
Même ici, des pies, apparemment appiivoisées, volaient de place en
place, mais on ne voyait |iiiiiil d'hirondelles ; les canai'ds et les
goélands étaient innombrables.
Le beau temps (pii m'avait suivi jusipi'au fiord Alten venait de finir.
Les chances du touriste qui pousse jusipi'à une aussi haute latitude
pour voir le soleil de minuit ne sont pas souvent grandes : des mers
atlrenses, des tempêtes de neige, des pluies et des brouillards arrivent
en hiver, tandis (pi'cn été ce sont des allcmatives de chaud soleil, de
pluie, d(^ brunie, de vents froids et de brouillards ; régulièrement
le climat d'été est incertain, car les veids du nonl l't du nord-est
amènent du brouillard et un temps humide. Celle année, dn il au
23 juillet, on n'a eu que deux jours secs, deux avec du soleil et
de la pluie ; le reste a été ou orageux, ou brumeux, et souv.ent avec
une mer difticile.
La température la i)lus chaude s'est produite à Hammerfest, où le
mercure s'est élevé à 59°, mais seulement un jour ; la moyenne dei>uis
lors avait été de 44° à 43°, et à Gjaesver ou l'avait vue plusieurs fois
descendre à 41° et 40°, la variation n'étaid |ias |ilus de o° ]ien(iant
le jcuir. ,Ie connnençai à craindre dt; ne pas revoir le soleil de minuit
du haut du cap Nord, car le temps était nuageux et menaçant.
Le 20 juillet, le bateau futprêt. La matinée était charmante et même
ce lugubre paysage semblait sourire aux rayons du soleil, ipii s'était tenu
caché pendant plusieurs jours ; la mer, d'un vert foncé, pas très salée,
était si claire, (pie l'on pouvait en voir le foml de sabir à une grande
profondeur; les falaises qui, à distance, olfraiiiit ini air abrupt,
semblaient maintenant descendre vers la mer par un angle de 30° à 40°.
Des goélands en nombre immense volaient au-dessus de nos tètes,
nous prenant pour des jiècheurs ; les canards aussi étaient nombreux.
8
s
lli LE PAYS DU SOLEIL DE MINUIT
Quelf|iios-uiis se montraient défianls, mais on aurait dit (|ue les
eiilers savaient i|ue personne ne les molesterait, et qu'il est défendu
de les tuer.
L'île de Fruliolmeu, à 71° 3' N., planait au-dessus de l'eau lorsque
nous entrâmes dans un petit liord à Fonesl de Ma<îer("», laissant au nord
une autre île qui faisait l'ace à l'enlrée. Quand nous atteignîmes la
pointe t\u liord, un changement remarquable s'était produit dans
l'entier aspect de la nature. En prenant terre je vis une herbe verte,
])oiiilillée de boutons d'or, de dents de lion, de violettes et de myosotis
dont les tiges avaient pins d'un [lied de long ; le bouleau nain et le saule
abondaient, de même ipic Ir pLmlaiu {plantarjo ntajor). Parlunl, dans
mes voyages en Scandinavie, j'avais vu cette derniéi'e plante, mais je
lus surpris de la houvcr si loin au nord ; je ne crois pas (|u'il en existe
une autre qui vive dans une latilinle aussi étendue ; elle csl commune
sous l'équateur en Afri(pie et elle |)rospère an 71° nord.
Des sources et des ruisseaux semblaient jaillir de leiie, cl les rayons
du soleil versaient des torrents de lumière et de chaleur dans l'étroit
vallon, qui est le coin \i\ plus vert ipi'il suit possible de trouver
à l'extrême nord ; (piehpies petits oiseaux s'y étaient même
acclimatés.
La nnjnlée devenait par moments si raide (pie je fus obligé d
m'arrêter plusieurs fois pour respirer avant d'alleindre le sonunet ; le
thermomètre indi(juait 48° et l'ascension me donniut chaud. De la cime
je pus apercevoir notre |)e(il balcui, (pii à cette^ distance ne paraissait
pas plus gros (ju'un poinl ; deux hommes étaient restés à bord, et les
trois autres m'accompagnaient. Il n'y avait point de sentier, mais la
marche était généralement boime, le sol étant dur et pierreux ; nous
traversâmes de petits cours d'eau, d'épaisses phupies de neige, et
beaucoup dt> |)elits élaiigs encore couverts de glace flottante.
Après avoir marché plusieurs milles, je m'arrêtai sur le poinl
extrême du cap Nord, à une lalilude de 71° KJ', à \\m[ cent (pialre-
vingls iiieds au-dessus du niveau de la mer. Gel audacieux promontoire
est luie énorme masse de micaschiste, sortant majestueuse et sombre
de la mer.
Devant moi, aussi loin ipie r(eil |)onv;nt alleindre, se développait le
bleu foncé de la nier Arcliqiie. disparaissant à l'horizon septentrional ;
ASCENSION DU CAP N(tlîD 113
(.'Ue éti'iil aussi calme que le vent qui l'el'tleui'ail à [)eirie, comme s'il
craignait de réveiller sa fureur, et de troubler un de ces jours rares,
limpides et délicieux du nord i^lacial. (|ui jouissait aidrefois d'un climat
aussi tempéré que celui de rAnglelerre aujourd'hui. Je ne [louvais voir
le soleil, car à ce moment du jour il coidinuait sa course derrière moi,
c'est-à-dire autour du [loinl où je me tenais.
Au loin par delà, c'était celte région inconnue, gardée par un mur
de glace cpii en interdit rap[)roclie et déjoue les elîorts de tous ceux qui
essayent d'en [lercer le mystère et d'atteindre le pôle nord ; derrière
moi. c'était l'Europe avec ses climats ensoleillés et l'Afrique aux déserts
hrùlauls et aux marécages malsains; à ma droite, l'Asie; à ma gauche,
l'Amérique, improprement nommée le nouveau monde.
Partout où je regardais, je voyais une nature nue, lugubre, désolée";
grandiose certainement, mais triste. Le sol était couvert de fragments
qui avaient été détachés des couches rocheuses par l'action de la gelée
et du temps ; pas une habitation humaine, pas un arljre en vue ; tout
autour de moi d'immenses falaises qui m'étourdissaient. Sur le côté
occidental du cap, quatre larges fissures déchiraient les nuu's de rochers ;
au delà, la terre formait une anse dont le côté opposé était compa-
rativement bas et arrondi, descendant doucement à la mer. Il y avait
un ilôt rocheux, sur lequel se brisait le ressac, et sur ses bords gisaient
les troncs échoués de deux grands arbres que les vagues cherchaient
à reprendre ; peut-être avaient-ils poussé dans le nouveau monde et
avaient-ils été entraînés ici par le Gulf-Stream ! Un peu plus loin et
faisant sallie vers le nord, c'est Kuivskjœlodden ; mais cet îlot n'a pas la
grandeur du cap Nord. La vue s'arrêtait aussi sur une ligne de côtes
élevées, dentelées et déchiquetées de })récipices, paraissant surlir
brusquement de la mer ; tandis que plus loin encore — et sans doute la
dernière terre visible — se montrait le cap Nordkyn, le point le plus
septentrional sur la terre ferme d'Europe. Tout 1(> long du rivage les
vagues battaient sans cesse contre les rochers (pu les arrêtaient, et se
brisaient en une continuelle frange blanche sur la base des falaises.
Ce n'est (|u'à distance ipie le cap. comme la côte, semble vertical ;
([uand on longe les bords en bateau, l'apparence du promontoire change
beaucoup. Ainsi que le montre la gravure, la pointe tomlie dans la mer
en pente douce.
IIG
LE PAYS DU SOLEIL DE MINUIT
Une ;iliii()s|ih(''i't' de liisli'ssc llollt' sur ce paysaL;!' (l(''Si)|r,(|iii a laissé
dans mon souvenir une inipivssidn indéléliile; je voulaisie quitter alors,
car l'oppression m'avait saisi, et j'essayai eu vain de la chasser; mais
j'avais fait un long voyage expressément pour voii' une dernière fois le
soleil de niinnil du sommet de ce roc élevé, barrière de l'Europe sep-
tentrionale et je n'avais plus ipie dix lieures à attendre.
Prenant nnin marteau de niinéi-aldgisle, j'allai au point extrême du
cap (pii lomhe à pic dans la mer. Je me couchai à jilat ventre pour
regarder par-dessus le bord de la falaise, et pendant (pi'un de mes guides
me tenait solidement je jjarvins à détacher un morceau du rochei' en
micaschiste, atin de le conserver comme souvenir de mon voyage'.
Je jiensai alors à la saison d'Iiivei' et combien doi\i'nt èti'e lerrilianles
les tempêtes qui balayent les falaises; avec quelle fureur les venis doi-
vent hurler, combien la neige tondie éjiaisse, et avec quelle rage l'océan
vient battre les murs gigantesques (pii lui font obsta(de, précipitant ses
vagues en masses immenses d'écume !
Même pendant ce beau jour d'été le tenqts était froid, bien que le
soleil fût éclalanl ; le Ihi'iiuométre, à deux heures trente minutes après
midi, denieuiait à 4(i". Malgré sa force, le soleil était si pâle qu'il
paraissait presque blanc, et le ciel, d'une teinte bleuâtre et brumeuse,
se nuançait de blanc vers l'horizon.
Derrière le point extrènu' du capNord et descendant doucement jus-
(pi'à lui, il y a un tertre un peu plus élevé; puis une dépression
traverse toute la largeur du promontoire de l'est à l'ouest et se relie avec
les deux anses de cha(|ue côté. La seconde cliaine de collines est pins
l)ierreuse que la première avec ses marécages, son cours d'eau et son
étang; ici, l'herbe étant protégée contre le froid et le vent, était verte,
et des lleurs sauvages y poussaient; la troisième chaîne est encore plus
rocailleuse (|ue la seconde et demeurait couverte de plaques de neige.
A la pointe extrême du cap avaient germé (piehpies brins d'herbe.
Un peu plus loin siu' la terre ferme apparaissait le bouleau nain, plus
grand lors(ju'ii était abrité, mais si petit d'abord (pi'on le voyaità peine:
il n'atteint (|u'une hauteur d'un pied avec un diamètre d'un ipiari à uli
1. A iiiiiii irhiiir à (.liiisliiiiliii, iiiiiii ,iiiii 11" iinil'i'ssrHr KjciuU' me di'iiuuiiia iiii iiior-
ceaii ilii iiiilicr, |ioiir Ir ilr|iiisi'r :ui iiiusruiii de l'I'iiiveisité.
LE SOLEIL DE MINI IT d17
tiers (le |ioiic(', ci nir'iiif il lui faut une géïK'ration ou deux [Kiiir niTivci-
à ces dimensions; il ne iimlc pas siin sommet vers le soleil: il se lapil
sur la terre, et s'y cramponne comme ime |)lante rampante, alin île n'èlie
pas mis en pièces par la force des vents. Bien des fois depuis lors, en
traversant des chaînes de montagnes, j'ai oliservé le même phénomène.
En marchant, pour tuer le temps, au sud du cap, j'aperçus une arai-
gnée, un bourdon et un petit oiseau; j'avais épaulé mon fusil pour le
tirer et le conserver comme un souvenir du cap Nord ; mais, en voyant
la petite bestiole voltiger effarouchée, je n'eus pas le courage de lui
prendre la vie. Elle sautait de place en place, ses cris aigus prouvaient
son anxiété; évidemment cet oiselet n'était pas chez lui. .le me dis
alors : « Je ne le tuerai pas ! car, comme moi, c'est un vagabond dans
ces climats de l'extième Nord. » A |)eine cette pensée m'était-elle
venue qu'il prit son essor et s'envola vers le sud.
Je commençai à devenir inquiet car, depuis une heure, des nuages
s'étaient amoncelés de l'est au sud, s'èlevant lentement, mais de plus
en plus. A onze heures, une grande portion du ciel était couverte, mais
vers le nord il restait clair; si la masse noire n'avançait pas vivement
dans cette direction, je pouvais cncdie voir le soleil.
L'astre [s'enfonça de plus en [)lus lentement, et, quand approcha
l'heure de minuit, il sembla pendant un certain temps suivre la ligne
de l'horizon; à cette heure il brillait magniliipiement sur la mer soli-
taire et sur le pays lugubre. Lors(|u'il dis|)arnt derrière les nuages, je
m'écriai au liord du précipice : « Adieu, soleil de minuit! »
Je l'avais vu depuis le sommet des montagnes, éclairant un pays
stérile, désolé et couvert de neiges; je l'avais contemplé montant et
descendant au-dessus de pittoresques rivières, ou traversant des lacs
solitaires; j'avais vu maints paysages, des champs fertiles, des prairies
verdoyantes, de grandes et vieilles forets, teints de sa lumière assou-
pie; je l'avais suivi du golfe de Bothnie à la mer Polaire, et je ne
pouvais aller |)lus loin.
Je retournai donc jusqu'à l'endroit où j'avais laissé notre petit
bateau. Les hommes nous attendaient; la pluie commençait à tomber,
et lorsque nous atteignîmes (Ijaesver j'étais miuiillé et transi, avec les
pieds glacés. Je me sentais épuisé, car j'avais passé vingt-deux heures
sans dormir; mais j'avais vu ces falaises sombres et câpres, ce paysage
118
LE PAYS ni" SOLEIL DE MINLIT
Irislf cl silencieux, celle iium' .\ivlii|iic srins repos, ol ce beau soleil de
iiiiiiiiil liiillaiit sur le loul. A celle lieiue. j'entends encore le murmure
des vagues liatlant le solitaire cap Nord'.
.Te reviendrai en hiver dans ces régions sepleulriunales, pour errer
avec les Lapons et leurs reiuies sur les montagnes neigeuses, et le long
des vallées et des rivières glacées, afin ^de voir les côtes Inuellées
par les mers tempétueuses et enveloppées des lempêles de neige
aveuglante.
L Los tiilili'aux siiivanls dimiiciil les dalos ilc ra]i]}arilion et ili' la ilispaiilinii ilii
pnli'ij lie iiiiiniil en il^dans du cercle Aiitiiiue.
NUIT CO.NTINUELLE
Oii l'on voit le soleil en rli'i'iiier.
Rodo (li'-ccuihro ITi
Karasjok nuvembre 20
Trùinso — 25
V.irdo. : — 22
Ilaiilinorftst — 21
Cap Nunl — 18
Où l'on voit le soleil en premier.
iiiidu di-i'cinlji-o «S
Karasjok janviiT 16
Ti'omsi
Vardu
Hammorfcst .
Cap Nord . . .
17
20
21
24
JOUn CONTINCEL
Ou l'on vfiit
fn prcniior Ii^
rioli'il (li> IllilUlit
liuilo
Karasjok .. .
TroiiiS'j
Vardo
Hauitnorf. s!
Cap Nord . .
Ri-Ijord
supériour
Jii;[l
mai
juin
mai
On l'un voit
en ilrrnîer lo
soh'il Uf minuit
lio.l.
Karasjok..
Tromso , . .
Vardo
HaniuK'rfi?
Cap Nord.
juillet 8
— 21
— 22
— 26
— 27
— 30
juillet 10
— 22
— 24
— 27
— 28
— 31
Rebord
supérienr
jnillellS
— 23
— 25
— 28
— 29
août 1
CHAPITRE IX
Fiisiuii (iii levfr et du rouclier du suleil. — Bodô. — A travers hi piMiinsulc scandhiave. - Vensct.
— Vallée Saltdaleii. — Roguaii. — Mes voyages ai'rieains en Xorvè!,'e. — Gens simples et con-
tents. — Race ]irimitive. — Haniean abandonné. — Hospitalité. — Filles du village d'Almin-
dingen. — Diner de famille. — Storjord. — Légendes de la cote. — Le précipice Kvaen et
la baie de rilonime mort. — Orage arclii|ne. — Lang-Vang. — Pnces Scandinaves. —
Skjônstuen. — Fagerli. — Ferme de Larsen. — Camli. billnn et baisers. — Moulins à blé. —
Préparatifs pour traverser le pays. — Mon bagage et njes provisions.
Dans les iltTiiitTS joins de juillet je naviguai le long de la sanvage
et superbe côte méridionale de TronisA. A onze heures la couleur des
nuages se changea en une teinte dorée (ini nous ]irévenail (jiie l'heure
de minuit approchait et que le soleil allait se lever; hieiitôl les nuages
devinrent d'un rouge intense, tandis que le soleil demeurait caché;
puis ils changèrent de nouveau, leur couleur devenant graduellement
plus éclatante, comme si une nouvelle vie leur était infusée. Lorsqu'ils
furent teintés des nuances du soleil levant, l'éclat du coucher se mêla à
celui du lever; le crépuscide du malin el ceini du soir se loiidiri'iii riiii
dans l'autre. Les montagnes et les collines à l'est prirent une teinte
rosée qui contrastait singulièrement avec leur base plus sombre ; la mer
bleue et calme reflétait les images de la terre et du ciel, et, à mesure
que le jour avançait, les nuages se changèrent en une blancheur flocon-
neuse.
120 LE PAYS DU SOLEIL DE MIM IT
Le lenfleinniii. j'nlioi'dni dons la ville de Bnrlo — G7° 20' lai. —
petit port sur la côle iiorvéii;ieniie du Nonlland. Celte place a un aspect
incomplet el doil son importance à ses pêcheries; c'est une slation
régulière où viennenl fairi' du idiarhon les steamers pour Hammerfest.
L'église, très ancienne, est consiruile en pierres et l'on a conservé
l'autel catlioli(|ue; on y voit quelques tableaux bizarres et des armoiries
du peu|)le danois, maintenant oubliées; sur le mur extérieur il y a une
dalle (pii porle la date de loOO-lOUG. Bien que la ville ne renferme
(|ue (pielipies centaines d'habitants, elle a ses journaux et sert de rési-
dence à V(n/i//t/a/i/l {'J!,on\i'\MPnv de la pi'ovince).
Mon but, en venant en cet endroit, élail de traverser encore une fois,
avant ([ue l'été fut j)assé, la péninsule Scandinave et d'atteindre la ville
de Lulea — Go° 40' N. — en Suède, sur le golfe de Bothide, traversant
ainsi un des disiricts les plus sauvages et les moins habités de la
Suède et de la Norvège, en longeant le gi'and glacier de Sulitelma.
J'avais une lettre de recommandation poin' l'ini des principaux mar-
chands, l'inlVirmant de mes plans et le priant de faire tout son possible
|)our m'aider, et, en eftet, il me fut très utile. Il ne me fallut pas
longtenqjs jiour acipièrir des amis parmi ces gens aimables et hospi-
taliers, qui me reçurent comme un des leurs.
A l'exception d'une commission d'officiers suédois et norvégiens,
désignée il y a (pirli|iics années poni' établir la tVoiitiéi'c cnti'c les deux
pays, j'étais le premier (pii eût tenté ce voyage. Pour la j)lus grande
partie du trajet il n'y avait |)oiiit de routes ni même de sentiers ; le pays
était très sauvage el, pendant de grandes distances, comiilètement inha-
bité; il était nécessaire de trouver à la pointe des fiords, quehpies-uns
des Lapons (|iii, en été, traversent les chaînes de montagnes de la
Suéde avec leurs troupeaux et descendent vers la côte en visitant les
fermiers sur leur chemin. Herr K... décida que je prendrais cette
route et que je m'arrêterais à un endroit nommé Venset, où demeurait
un de ses cousins, avec lequel je conférerais sur la meilleure manière
d'exécuter mon voyage.
Nul ne doit entreprendre la lâche de franchir les montagnes dp
Qvickjock à moins d'éli-e robuste et habitué aux longues marches et
aux privations, car, en cas de mauvais temps, le péril est grand.
A l'entrée du fiord intérieur de Salten, appelé le Skjaerstad, ce
A TiîAVEHS LA PKN INSC LE SnANDINAVE 121
ilcriiier l'uriut' un iiuiiiciisc h;issiii ;ill('iii;ilivi'iii('iil vidé et rempli par
les marées; IVau se précipite dcliois ou dedans ]tar le canal, avec
une iorce si lerrilile (pi'un iialean secail infailliblement englouti jtav
les vagues. An retour de la marée, le passage est sûr.
Ouand nous atteignîmes Venset, le capitaine me montra le gentle-
man pour lequel j'avais une lettre d'introduction. Il en prit lecture et,
en me doiuiant la cordiale poignée de main cariictéristique des Norvé-
giens, il me souhaita la bienvenue en disaid (pie je ferais mieux de
laisser partir le steamer , car il désirait causer avec moi et réfléchir au
meilleur plan pour me procurer des guides. Nous nous rendîmes à sa
grande et commode habitation, en passant par des champs d'orge, de
seigle et de jjommes de terre, et par des prairies, car il était non seule-
ment marchand, mais encore propriétaire d'une vaste ferme. Auprès de
la maison il y avait un jai'diii potager oi'i ahiindaient les fraises et les
groseilles; j'y constatai de beaux navets, des pois, des carottes et
d'autres légumes. Herr K... s'excusa de ne pouvoir me recevoir conve-
nablement, à cause de l'absence de sa femme ; mais le dîner fut pré-
])aré, la bière et le vin servis, et, en buvant le café, nous discutâmes sur
mon voyage.
— .le suis venu, lui dis-je, |ioui- ex|ilorer la partie la plus sauvage
de la Scandinavie; je suis accoutumé aux privations, et, quant à la nour-
riture, je puis manger de tout. Ma santé est excellente et j'endure
la marciie pendant plusieurs jours consécutifs.
— .levons enverrai à Fagerli avec deux fidèles bateliers qui vous
mettront dans les mains d'un excellent l'eruuer et lui diront de vous
garder jusqu'à ce qu'il ait trouvé des Lapons ([ui vous feront traverser
les lUDUtagnes de la Suéde par le chemin de Sulitelma; vous verrez
des gens sim|»les, honnêtes et bons, ipii vous mèneront d'abord à
Saltdal et attendront votre retour. Vous dormirez cette nuit chez moi
et demain vous partirez par bateau, .h' vais envoyer chercher mes
hommes ; en attendant, nous fennis un tdur de promenade.
La vue est belle à Venset, mais je ne |)us voir le pic de Sulitelma,
parce qu'il était couvert de nuages.
La vallée de Saltdal. une des plus fertiles de la côte norvégienne
du Nordland, est étroite, llanquèe de chaque côté par des montagnes
couvertes de pins et de bouleaux jusqu'à leur sommet ; en quelques
122 J.E PAYS ni" SOLEIL DE AtlXllT
piidroils. récoulenicnt des eaux nvail mis le roc à nii. iinnivanl ainsi
qu'il n'était cniiverl que d'iine mince couche de terre, sur Inquelle les
arbres avaient poussé.
L'avoine, le seitile, l'orge et les raves poussaient avec exubérance.
Les fermes sont situées sur les belles terrasses de l'ancien niveau des
eaux, s'élevant en amphithéâtre à la base des montagnes. La plus haute
des terrasses avait envh'oii soixante-dix pieds au-dessus du lit actuel de
rivière; la à un certain eiidroil, une masse énorme de rocher s'était
écroulée quelques jours plus lot, en suivant directement son chemin
le long de la colline, brisant les arbres dans sa course , laissant
derrière elle un sillon profond ; elle s'était arrêtée auprès du sentier.
L'église n'est ])as loin de la mer; c'est la seule dans la vallée.
Quel([ues hangars à bateaux, avec des fdels sécliant alentour, et des
habitations clairsemées, fornient le hameau isolé de Rognan.
Peu après mon arrivée je me régalai d'un bon repas au }tresbytère,
où je fus bien accueilli par le pasteur et sa femme, (pu parlaient tons
deux un peu anglais; ils me moidrérenl quelques traductions de mes
récits de voyages en Afrique, ipi'ils venaient de lire dans le Shilliurj
Magazine; ils avaient a))|iris par les journaux de Christiania ipie j'allais
voyager dans leur pays. La fenune surtout paraissait prendre grand intérêt
aux travaux des missionnaires, et avant son mariage elle avait rêvé
d'aller dans le .sud de l'Afrique travailler au salut des Zoulous. Le
pasteur me pressa d'accepter sa propre carriole et son cheval; mais je
refusai son otïre amicale, ayant déjà retenu des moyens de locomotion.
Les habitants de la Saltdal comptent parmi les plus primitifs en
Norvège. Ils sont séparés du leste du monde, avec lequel ils necommu-
ni(iuent que par le cours d'eau qui se rend à la mer. L'agriculture est
leur principale occupation; beaucoup d'entre eux n'ont jamais été plus
loin que l'église de Rognan, et la jduparl n'ont pas vu de ville plus
grande (jue Bodô. Quoique virtuellement séjiarés de leurs semblables,
ils paraissent contents; ils n'ambitionnent pas la richesse, car ils ne
savent pas ce que c'est; la somme de leurs désirs terrestres est d'ajou-
ter une pièce de tei're à leur ferme, ce qui est fort difficile ; d'avoir
un plus grand nombre de tètes de bétail, un joli cheval, ou une voi-
ture pour aller à l'église; de bâtir une maison neuve et d'économiser
un |)eM d'argent poiu' la tVimillc. l'élever leurs enfants dans la crainte du
A TRAVERS [.A PENINSULE SCANDINAVE 123
Soignour osl un des soins itrinripaiix des paroiils ; l;i jeunesse est
iiisfniite religieusement, cl dii npprenil à lire aux enfants avant même
qu'ils aillent à l'école. Leurs [)laisirs soni en pelit nombre et simples:
une danse de temps à autre le {limauche 'soir, des visiles de socirté,
un moment de gaieté à l'occasion d'un mariage, des solennités à la
Noël et autres fêtes, voilà rpiel est à peu près le catalogue de leurs
amusements.
En été, les hommes Iravaillenl aux champs, [tèchenl, construisent des
maisons, elc; leurs femmes et leurs filles suivent le bétail, moutons et
chèvres dans les montagnes, font du fromage et du beurre, et viennent
en aide aux hommes pendant la moisson. En hiver, elles fdent et tissent
du chanvre et de la laine, se vêlissant ainsi elles-mêmes des produits de
leurs champs et de leurs troupeaux, pendant que les hommes vont dans
la forêt couper du bois.
Quoique les habitants soient uniforménieul pauvres, qu'ils ne tiennent
point de comptes de ban(pi(', ipi'ils n'aieni pas d'argent placé, pas un
d'eux ne paraît émncié par la faim ou grelottant de froid; si elle est
grossièi'e, leur nourriture est saine, et leur aspect prouve qu'ils sont en
bonne saidé. Il y a une prison, mais il se passe souvent des années sans
que personne delà population fermière y soit enfermé; le peu d'offenses
(pi'ils commettent sont liabilufllcmenl d'iuie naliu'e insignifiante.
Il existe une route carrossable pour une distance d'environ vingt
milles et un senlier pralrcable à cheval, conduisant à quebpies milles
plus loin jusqu'aux dernières fermes. Les' principaux hameaux sur cette
route sont Niestby, Medby, Sandby, Braende, Drageide et Qvale.
En Norvège, les s/,i/f/.ss/,a^'er (hommes des stations) qui sont fer-
miers sont obligés, par une convention avec le gouvernement, d'avoir
dans leurs écuries un nombre slipulè de chevaux, selon les voyages ou
le trafic sur les grandes voies où ils demeurent; ils reçoivent en retour
une certaine somme annuelle. Les lois et règlements sont à peu près les
mêmes que ceux de la Suède.
. A cause de l'élendue de la nature montagneuse de la contrée et de
la population plus clairsemée, il n'y a }»as aulanl de grands chemins
que dans ce dernier pays, mais quehpies-uns de ces chemins sont sim-
plemenl superbes, et l'on voyage pendant desceidaines et des centaines
de milles sni des roules (pie l'on peut comparer à, celles des plus beaux
\-2i
LE l'AYS DU SOI.KII, DE MINTIT
|i;ircs dans It's villes. Lé véliiciilo en iisni^e est la caniiile à deux roues,
avec un siège pour uni^ seule personne, (|ui pose ses jambes en dehors,
et un coflVeà l'arriére pour le bairagedu ronducleur; ee bagage doit être
de peu d'importance ou bien il faut ])rendre un second véliicule. Dans
certains districts les l'einiiers se servent aussi du « karre », comme en
Suède.
Le voyage me paint agréable, car il n'y avait point de moustiques;
La (■arriolc.
les gens jue regardaieid passer devant chez eux et se deinaiiilaieiit ce
que pouvait èlre cet étranger. Cela m'amusait beaucoup, car dès ipie ji'
m arrêtais les tilles coin'aienl aussitôt nieltre leurs bas et leurs souliers.
L,i plupart étaient occupées à la récolte du hiin ; les homnu^s fauchaient,
les femmes elles enfants, tète el pieds nus, retournaient le foin et le
mettaient en meules; d'autres élaienl sur la rivière, où elles inspectaient
leurs filets pourvoir s'ils avaient pris ini saumon, tandis (|iie, çà el là,
un hiinnue cunslnnsail un bateau, soit poin- lui, soit ]iour vendre.
Le soir, le bétail, les moutons et les chèvres redescendent des mon-
tagnes el sont panpiès dans les champs fauchés. e| les tilles traieid les
J
HOSPITALITE NORVÉGIENNE lia
vaches; les eiifaiils joiieiil el tous paraissent liciirciix. Tout poile uu
aspect piiinilil': les cliaiTues, les faux ei autres iiisliiinients aratoires
que j'ai vus étaient de la même mode (pie ceux usités il y a un siècle;
les ritues des voitures sont d'un bois solide. Il me semblait avoir été
rejeté dans le passé.
Nous fîmes halte au hameau de Nedre Almindingen (Nedre, signifie
z; Ijonne nuit, dormez bienl <> Puis ils me laissèrent
en possession des lieux.
Une grande horloge à l'ancienne mode faisait son incessant tic-
tac dans un coin; des assiettes et autres objets de faïence étaient
[•osés sur (les planches, et des estampes communes (irnaiciit les murs;
quehpies chaises de bois, une table et une couchette, tons deux en
bois (le pin, formaient tout l'ameublement; une échelle communiquait
avec l'étage supérieur.
Je me couchai entre les peaux, laissant la i)orte ouverte au large et
ne tardai pas à tomber dans un profond sommeil, dont je fus réveillé le
matin de bonne heure par un bruit de voix venant du dehors. On
m'apportait un bassin rempli d'eau pour mes ablutions malinales, et
126 LE PAYS Dl" S(tlJ:iL DE M IN LIT
un déjeuner composé de café, de pain , de beurre, de lait et de
fromage.
Le hameau senddail être le rendez-vous de toutes les filles des
fermes du voisinage ; (luelipies-unes étaient fort jolies avec leurs che-
veux blonds, leurs yeux bleus et lenis joues rosées, images de santé, de
gaieté et de bonheur. A ciu(| heures, elles commencèrent à se ras-
sembler; elles venaient d'un petit village situé de l'autre coté de la
rivière appelé Ovre Almindingen ( nvrc signifiant » supérieur »), et se
rendaient aux montagnes. Chacune d'elles avait une boite en bois, à
peu près de la forme d'un grand livre, contenant leur nourriture pour
la journée, c'est-à-dire f|uel((ues crêpes beurrées et la galette ordinaire;
la jikipart portaient aussi un petit seau de lait d'une main et, de l'autre,
une paire de soidiers; tontes avaient la tète et les pieds nus et leurs
cheveux tombaient en tresses par derrière; elles ne mettaient leurs
souliers (|ue quand le terrain était raboteux; car, dans ces^ districts
ruraux, l'argent est gagné diiicnn'nl et les souliers sont précieux.
Les tilles, bavardant joyeusemeni, disparureid bieiilùl dans leur
marche vers les montagnes, où elles allaient garder le bétail ou couper
le foin. Celles qui ne portaient point de seau de lait, tricotaient des
bas en marchant, car les femmes travaillent toujours, excepté le
dimanche. Je pus entendre leurs éclats de rire et la musi(|ue de leurs
chansons pendant (in'ellfs gravisssaient la colline. La pauvre vachère
qui se loue à bas prix et la tille du riche fermier marchaient côte
à côte comme deux sœurs, car dans ce pays [irinnlif règne une paii'aile
égalité sociale.
Je passai la rivière à gué jns(in'au liamean d'Ovre Almindingen, ipii
consistait en (|ueh|ues maisons de fermes avec des communs. J(^ fus
surpris de trouver chez h's liabilanis de cette localité un type ressendtlaid
ipiehine |ieu à celui des Lapons; tous étaient aciivemeid occupés à
faucher le foin.
La route passait mainlenanl siu' la rive droite du cours d'eau, et
devenait plus pauvre, quoique encore assez bonne. Un ])eu plus loin,
presque toutes les fermes étaient sans habitants; mais à la fin j'anivai à
une maison où je Innivai la laniille assise à table, et dinanl ; Ir père paila-
geail un grand puissmi ciii. salé, (pie Ions mangeaient comme une l'rian-
disi' : je Icurdeniauilai poin'qiioi Ir pois.son n'élail pas cnil : ils nn' i'(''pi»ii-
HOSPITALITE NORVÉCIENNE 1^7
dirent que, s'il l'él.iit, ils en mangeraient trop. Je fiisinvilé à [jarliigiT le
repas, qui iïit suivi d'une amicale causerie et de i|ncstions sansnomlire.Le
fermier était l)eaucoup plus vieux que sa femme, (lui avait de jolis traits et
une belle figure, de beaux clieveux et des yeux gris; mais un teint de
tristesse assombrissait son visage el elle paraissait fatiguée et usée. Elle
nourrissait un enfant dont la mère était morte trois mois pins lut : acte de
pure bonté, car elle avail nourri son propre enfant pendant treize mois.
Storjord, situé à l'extrémité de la partie habitée delà vallée, est au
milieu d'une scène sauvage et entouré par une forêt. La ferme se
trouve sur le bord de la rivière Jiinkersdal, (jni prend son nom de la
vallée qu'elle arrose et se jette, non loin de là, dans la rivière Lôniselv;
les cours d'eau ainsi ivunis coulent par la S;dtdal jiis{pi'à la mer; on
voit dans l'éloignement les monts de Vestfjeld, couverts de neige, et pas
très loin une magnifique cascade tombant d'une hauteur île sept à huit
cents pieds, et à gauche la haute montagne de Kimaanasen.
Une nuit dans celte solitaire mais hospitalière maison fut tout ce(iuc
je pus me ménager ; ma chambre était un modèle de propreté, cependant
le murmure des rivières m'empêcha de dormir. Le lendemain, a|)rès un
déjeuner copieux de café et de lait, on apporta du vin, on en remplit des
petits verres, et tous ensemble me souhaitèrent un heureux voyage vers
la Suède. A neuf heures et demie du malin le thermomètre manpiait
G8° à l'ombre et 118° au soleil ; à midi, 12.^° au soleil et 7i° à l'ombre.
A mon retour, je trouvai le propriétaire de Storjord. ipii, ayant eu
vent de ma visite, s'était empressé de revenir chez lui; il parut désap-
pointé de mon départ. J'aimai son aspect franc, ouvert, et je regrettai
de ne l'avoir paa vu à mon premier passage. Après une bomie ciuserie
nous nous séparâmes, et je rei)ris ma route. Au presbytère, le digue
pasieur el sa femme m'accueillirent de nouveau et je dus passer la nuit
chez eux. Le matin, avant de déjeuner, nous eûmes une adoration fami-
liale, i»eiidant liHinelle la femme du i»asteur accompagna les liymines
sur un mélodéon; pendant la prière, tous se tinrent debout, la tête cour-
bée et les mains jointes. Un bon nombre de jeunes filles, proprement
vêtues, étaient venues i)asser un examen devant le pasteur, comme
préparation pour la cérémonie de la confirmation.
Lesoleil de minuit ne brillait jihis. et à celte heure il faisait pres-
(jUe sombre; nous étions au !5 aual el, plus hjiii an sud, les jours dimi-
1^8 LK PAYS DU SULEIL DE MINUIT
luiaient rapiilemeiil; il ôlait duiic grand lomps iiour moi ti'ciitii'piciidi'e
mon voyage à travers la péninsnle.
Mes bateliers étant itrèts, nous hissâmes la voile et partîmes. Je vis
])ii'nl(M (pie mes amis les marins connaissaieiil loiites les légendes de
cette cùte sauvage. « Voyez-vous ceci? me dit l'un deux en désignanl
\m ])réripice du (lord à noire droite. 11 y a longtemps, bien longtemps,
lors(pie la Norvège était sous la domination des Danois, un fermier, cpii
demeurait dans une ferme nommée Leifsets, donna un jour une giande
fête pour le uiariage de sa tille. Des Finlandais suédois (Krae/i), qui
avaient eidendu ]iarlei' de relie (été, Irancbirenl les montagnes flans
rinteiilion de piller le fermier et ses hôtes; mais ils ne connaissaient
pas le chemin et arrivèrent chez un des tenanciers du fermier de Leifsets,
qu'ils forcèrent, en le menaçant de mort, de les mettre dans le bon
chemin. Une neige épaisse couvrait les montagnes et les nuits étaient
obscures; le tenancier piil une lorclie, mit ses palins, et dit aux voleurs
de le suivre. Connaissant parfaitement le pays, il s'élail mis en léte (pi'ils
n'arriveraient pas à Leifsets. Pendant le trajet, il a|)procha du bord d'un
précipice; se plaçant de façon (pie la clarté de la lorche les empêchât
de le voir, il la jeta dans le précipice, et les bandits, suivant la lumière,
y tombèrent et se l)risèrent en bas. Le tenancier se hâta de courii- à la
ferme. Il tii';i un coup de fusil piès de la fenèlre alin d avei'lir les con-
. vives de son arrivée et leur ap|irenilii' (prils venaieni d'échapper à une
bande de i)illards armés. Le lendemain, ou clieiclia à l'endroit où la
torche avait été jetée, et, tout en bas, dans la neige, on découvrit les
voleurs, d<)nt les cadavres étaient gelés. » Puis, levant le doigt, lebat(dier
ajouta : u Voici la place oii les brigands lïu'ent lues, et on a nommé cet
endroit le précipice des Kvarii. »
Un jien plus loin, me montrani luie baie, il dit : « Nous autres
pêcheurs, nous appelons ceci la « baie de l'Homme mort », k cause
des rafales subites (|ui viennent des montagnes et souvent fout chavirer
les bateaux et noient les bateliers, o
Le lenqis devint 1res chaud ; le mercure se lenail au soleil à dix
heures, à 118% et â l'onduv à G8°. A onze heines le ciel s'assombrit,
d'épais nuages se formèrent el le vent s'éleva; les pêcheurs se hâtaient
d'aborder à terre, et, sur la rive, les gens emmenaient leur foin sur leurs
chariots aussi vite ()u"ils le pouvaient, ou le niellaient eu meules.
ORAGE AliCTKJUE l~2'.)
L'orage éclata sur nous; h' vciil soul'llait avec fuice et le tonnerre rou-
lait furieu ement, pendant i[ue des éclairs éblouissants se succédaient
sans relâche. Heureusement, nous tournâmes la terre à temps, nous
prîmes deux ris dans la voile, et, courant devant le vent, nous pas-
sâmes rapidement sur les vagues, la mer nous fouettant de côlé et nous
mouillant de liant en bas. L'orage dura une lieure; c'était le troisième
que j'avais vu en dedans du cercle Arcti(iue et ce dut être le dernier
de cette année.
Avec un bon vent, nous arrivâmes à l'embouchure d'une rivière qui
était le déversoir du Lange-Vand (cand, en norvégien, signifie « lac »);
l'eau s'élançait avec une grande force, car c'était l'heure du reflux, et
nous dûmes tirer le bateau le long du bord par le petit canal d'écoule-
ment. Le lac a environ un mille de largeur, sur trois ou quatre [milles
de longueur; les bords en terrasse étaient parsemés de fermes et flanqués
à quehjue [distance en arrière de hautes montagnes, sur lesquelles on
pouvait voir les sentiers suivis par le bétail lurs(|u'il se rend dans ses
pâturages pendant l'été.
Après avoir remonté une petite rivière , nous arrivâmes dans ini
second lac i>lus étroit et itlus long que le premier, avec des bords som-
bres et âpres. A la pointe est situé le hameau de Skjônstuen, complète-
ment entouré de montagnes, la basse terre ayant l'apparence du fond
d'un chaudron. Je passai la nuit dans un lit fait avec du foin frais, mais
je ne [uis dormir. Ce mystère me fut dévoilé lorsque j'eus découvert
que j'étais dévoré parim nombre prodigieux de [luces; quant au remède,
je n'en trouvai pas d'autre que de me jeter sur une talili' (|ui nie servit
découche. C'était la première fois que je faisais leur connaissance en
Scandinavie. Les peaux de mouton, à moins qu'on ne les sorte nouvel-
lement du grenier, sont des nids pour ces pestes, durant l'été, et, comme
règle, dans les régions très primitives, il faut s'en méfier.
De Skjunstuen, le chemin est très raboteux et quelquefois il ne
semblait pas possible d'aller plus loin, le sentier finissant en apparence
au pied d'un récif à pic, ipii paraissait devoir nous barrer le passage;
en nous servant de chaque pierre, nous pûmes continuer lentement
notre route. Lorsqu'il y a un mort ici, on descend le cercueil jusqu'au
bas de la falaise avec des cordes.
A douze milles anglais de Skjunstuen, nous arrivâmes a une ferme
9
130 LE PAYS Dl' SOLEIL DE MINI IT
sur les bords de la rivière du Lang-Vand; c'était uue maison faite eu
rondins de Imis et deux autres bâtiments ayant la l'orme de pains de
sucre, constrnits en gazon. Nous ne trouvâmes rien à manger ni à boire
excepté du lait aigre.
On ri'|ireiid la navigation à ccl cndroil, bien i|n"il l'aille allendre un
tcmiis considérable avani de se i)rocnrer un baleau. Après ipR'hjnes
coups de rames on atteint leLang-Vand supérieur. Nous limes une voile
avec des branches de bouleau, nous la lixàmes sui' la proue de notre
bateau plat, et, comme nous avions un vent Irais, nous avancions leste-
ment. Le lac se trouve entre deux hautes montagnes; la vue est superbe
el la cluile d'une cascade, tombani des hauteurs âpres et boisées, ajon-
lailà la beauté. Trois rivières — rYkii'u, la Lommi etl'Erva — â l'écume
blanche, se jettent dans ce lac qui fourmille de truites splendides. Deux
heures de navigation à la voile et à la rame nous tirent ai'rivcr â P'agerli,
à l'exlrémilè supérieure du lac. Trois ou (piatn; fermes disséminées sur
le bordconstiluenl le hameau de Fagerli. Mes tidèlesi)èclienrs m'avaient
amené là nni'nie où leni' avail dil de me conduire le marchand de Veu-
set. Larsen nous recul aniicalemenl et les écoula alli'iilivemenl pendant
qu'ils lui remettaieid leur message; entre lemps, sa femme nous pré-
parait à manger.
L"hnmi)le ferme élail située au pii'd des collines, près du lac ; loul
â côté passait la rivière Ykien, sur les liords de la((uelle étaient échoués
de nombreux baliveaux de jtins el de sapins ([ue Larsen avail cou[)és
pendant l'hiver, en haul de la montagne, et (|u'il avait tlollés jusqu'en
bas lors de la fonte des neiges. Oueli|ues-uns avaient de vingl-trois â
vingt-cinq pieds de long, et de douze â seize ponces de diamètre;
d'autres, d'environ treize pieds de long, mesuraient vingt-huit pouces à
une extrémité et vingt-six à l'aulre. La petite ferme avail deux maisons,
dans l'une desiiuelles la chambre des élrangers me fut assignée. Dans
l'attente des Lapons que l'on avait envoyé chercher, j'allai (piel(|uefois
pêcher dans le lac, el, en moins d'une demi-heure, je revenais* avec
ipialre ou cinq truites de dix-huit â vingt-deux pouces de longueur,
prises avec des vers à riiami'çon. Du lait, do la crème, du beurre, du
fromage, de la galelle et des fraises sauvages, (pie les enl'aiils allaient
cneillii' pour moi, telle élait la carie de chaipu' jour.
Kn me rendant à uni' lérme voisine, de l'antre coté de rVkien, j'en-
LA FERME DE LARSEN 131
tendis, avant d'ontrer dans la maison, nne jeune mère qui chantait des
psaumes auprès du liciccau de son pdupon. Liirs(|ut' j'culivii elle me
dit : « C'est mon premier-né; j'ai voulu que, depuis sa naissance, il
m'entendit chanter les louanges de Dieu; je tiens à ce qu'il craigne et
aime le Seigneur quand il sera grand, car Dieu est bon poumons tous. »
Quand j'allais visiter les fermes, je reni|dissais mes poches de candi
acheté à Bod("), pour le distriliuer aux enl'anls qui s'aliroupaienl autour
de moi; je leur donnai aussi de la nioiniaie de liillon (pii semblait leur
plaire, car ils crièrent : Pent/or! (monnaie) et s'empressèrent d'exhiber
leurs trésors. Alors je leur demandai de me dornier un baiser, ce qu'ils
lireiU ; là-dessus, les fenmies mariées insistèrent pour que les deux
grandes sœurs les imitassent. La rougeur montait aux joues des jeunes
filles, cpii refusèrent ; mais les matrones étant revenues à la charge, elles
obéirent pour avoir la paix et me donnèrent un lion baiser d'où suivit
une gaieté générale, .l'avoue qiw je fus parfaitement consentant.
Sur les bords de la Lonmii il y a deux moulins à blé; on en voit
par toute la Norvège, et, dans bien des districts, cha(pie ferme en pos-
sède un; (jnehinefois aussi des fermiers se réunissent pour en établir en
commun. Ils sont près des torrenis, el loiq'ours situés d'une façon pit-
toresque. Lorsque la liémieaèté remplie de grain, le fermier s'en va
et ne revient que (piand il croit le moment venu d'en remettre; ou, si le
moulin est éloigné de la ferme, l'une de ses filles on l'une de ses ser-
vantes y denu'ure pour le surveiller, et [tasse le temps à coudre ou à
tricoter, en chantant et pensant (pielquefois à son amoureux et à ses
noces qui s'approchent. La journée finie, elle retourne à la maison |iour
traire les vaches ou préparer le icpas du soii' pour la famille, ipii est
allée travailler dans les chanqis.
Le 9 août arrivèrent deux La|tons el une femme laponne; c'étaient
de vieux amis de Larsen et ils allaient être mes guides. Le lendemain, on
fit les apprêts de mon départ. Moins on emporte de choses pour un
semblalde voyage, mieux cela vaut. Mon bagage ne consistait (|u'en
une chemise de flanelle en plus, un pantalon, des soulieis et un léger
surtout; quant à mes provision, elles consistaient en galette, beurre
el fromage, une fiole d'eau-de-vie (pour servir en cas de besoin), une
solide cafetière, une livre de café grillé et nKndu et du thé. Quaml
le temps est humide et froid, ou (piand je suis l'aligné, j(^ trouve ipie
13^
LE PAYS DU SOLKIL DE MINUIT
le thé et le café sont des In'eiivasîes très rafraîchissants. C'est une
grave erreur de croire (|ue l'alcool rafraîchit le système lorsqu'on est
accaijlé de fatigue; l'etïet immédiat est stimulant, niais une demi-heure
après on se sent plus harassé (|u'a\ant. J'avais pour arme un fusil et des
munitions pour tirer le giliier, plus deux revolvers; j'aurais voulu me
débarrasser de ces derniers, car ils étaient lourds, et, en outre, je me
sentais honteux de les avoir avec moi; aussi les tins-je hors de vue. Je
les avais pris pour me protéger! Pour plus de sûreté, j'avais laissé à
Londres certains ohjets de valeur, y compris une chaîne de montre en
or; mais — et je puis le dire sans crainte de contradiction — je voya-
geais dans la contrée la plus sûre du nidiide.
Nous étions prêts à partir, (M mon liagage était déjà sur nos épaules,
lorsque la femme de Larsen s'écria : « Prenez plus de pain! » Et à
peine ces mots étaient-ils prononcés qu'elle mil dans une petite caisse
d'écorce de bouleau un sup|)lément de pain et de beurre, et ajouta du
fromage dans mon sac : la bonne femme oubliait que nous devions por-
ter nos provisions sur le dos. Après tout, elle avait raison, car même
avec ce surcroît de vivres je me trouvai (juchpiefois à court de nourri-
ture. J'ai une telle aversion pour le bagage que souvent j'ai souiïert de
la faim; mais, heureusement, je puis aller sans manger plus longtemps
que personne. En partant, je donnai un peu d'argent à chaiiue enfant et
je mis plusieurs dollars dans la main de la bonne ménagère, qui fondit
en larmes, m'embrassa de tout son cœur, pendant que son mari, me
serrant la main, me dit : « Merci d'être venu chez nous; i> et nous nous
écriâmes : Farccll Ac/Jo! Ole, leur jeune fds, vint avec moi jusqu'au
haut de la montagne, portant mon fusil; et les derniers mots que j'en-
tendis furent des recommandations à mes guides lapons « d'avoir
bien soin de Paul ! »
Snlildiiia et le lac.
CHAPITRE X
Tenue d'été laponiie. — Scène aride et désolée. — Sulilelma et son ?ranil glaoier. -^ Campe-
ment lapon. — Inléricnr désagréable. — iMalpropreté et vermine. — Bon trailemenl. —
Dure existence. — Le lac Pjeskajaur. — Passage à gné de la rivière. — Tente laponne.
— Aspect des femmes et des hommes. — Vases et cnillers, nonvellc manière de les lavei'. —
Arrivée d'nn tronpcan de rennes. — Le lait et la façon de le traire. — Fromage de renne.
— Voyage difficile. — N'jnngis. - Qvickjock. — .Xiavi. — Jockmock. — Le baron de
Iiûlien. — Feux dévastateurs. — Vuollcrim. — Superbes [cliules. — Luiea. — Prison. —
Ivrognerie. — Réception par le gouverneur.
Le costiinio tVi'M' des Lnpons esl liien nd.ipté nii'climnl des mon-
lagiips. Mes deux liommes pnrtnieiit une Idnuse giisc en étoiïe de laine
lirute, appelée vadmal, descendant au-dessous du genou, ouverte à la
gorge, laissant voir une chemise de même étoiïe; des guêtres ajustées
en cuir de renne, serrées aux clievilles par des lanières de drap; des
souliers de même matière plus épaisse, et poinliis: un Iioniicl de laine
brute; une gibecière en cuir sur le dos pour transporter les aliments,
et une ceinture, à laquelle pend un couteau. Le cnslume des femmes
est le même que celui des bomnies. excepté que la iilouse est plus
longue et fermée au col.
Quehpie part qu'aille le Lapon en élr, il jirend avec lui un solide
liàton de bouleau d'environ sept pieds de long, dont il se sert pour
gravir les montagnes ou traverser les cours d'eau.
Après une montée modérée, nous vîmes Lang-Vand au-tiessoiis de
136 LE PAYS DU SOLEIL DE MINUIT
iiuiis, (les collines couvertes de neige, l'écumante Ykieii, la Lommi et
l'Erva.
En pi'u d'heures nous fûmes au milieu d'une scène très sauvage. Les
collines nues et rondes oiïraient le tablerai de la désolation; le sol él;iit
jonche de pierres de formes et de tailles diverses, enlevées des rochers
par des milliers d'années de gelée. Les amas de neige devenaient plus
nondireux et formaienl parfois des arceaux sur les courants ; un brouillard
couvrait les crêtes des montagnes, et le pic de Sulitelma, haut de six
niilio trois cent vingl-six pieds, était caché par une masse de nuages
noirs. Nous vîmes le glacier, cpii offrait un superbe aspect; la glace était
Teille Ijponnc.
bleue, caries pluies avaient fondu la neige sur une grande partie de sa
surface; au loin, ses crevasses et ses sinuosités présentaient un étrange
spectacle. Au milieu de cette masse énorme de glace, deux monta-
gnes sombres et nues levaienl leurs têtes pelées, et pendant plusieurs
milles an delà le glacier courail du iiDnl-ouesl au sud-est. A sa base, un
lac, ampiel un sentier à peine perceptible conduisait, et sur les bords
solitaires duquel croissaient le saule, le bouleau nain et le genévrier,
l'ar une pluie d'orage, on peut suivre les bords du lac sans voir Suli-
telma. Notre route longeait l'eau, le centre du glacier portant au nord.
Parliiiil iiii voyail des ruisseaux el des cascades formées par la neige
LE r.LA(MH:i{ DE SCEITELMA i;î7
fondiie et les pluies coiiliiuielles des deniiers jours; des amas de neige
comblaient tous les creux, et de larges taches neigeuses descendaient
jusque sur les bords. Le brouillard avait disparu et nous pûmes voir
les hautes montagnes dans la direction du sud. N^ous atteignîmes Fexu-
toire d'un autre lac, séparé du premier par une chaîne de basses col-
lines renfermant de bons pâturages. Nous nous reposcàmes quelque
temps et allumâmes du feu pour faire du café, avec les petits bouleaux
que l'on trouve dans ces hautes régions; sans eux les Lapons ne pour-
raient errer sur ces tristes montagnes. Notre feu nous parut d'autant
meilleur que le mercure était â 34° 1/2; malgré cela, nous étions en
transpiration à la suite de nos efforts pour gravir les collines et nous
sentions vivement l'âpreté du vent, lorsipic nous nous arrêtions pour
prendre du repos.
Du sommet d'une haute colline nous eûmes une des vues les plus
lugubres qu'il soit possible d'imaginer: des montagnes couvertes de
blocs granitiques de toute taille perçaient dans l'éloignement, s'éten-
dant au sud et au sud-est, pendant ipTaux autres points de l'horizon
nous ne pouvions rien voir à cause du liroiiillai-d. Jamais nous ne per-
dîmes la vue des contours bleus de Sulilelma, mais le pic resta caché
à nos yeux. Par moments, la marche devenait extrêmement pénible par
l'cU'et de la neige molle dans laquelle nous enfoncions jusqu'aux ge-
noux, du sol humide et sablonneux, des rocs brisés et des poudingues.
Quand nous fûmes à l'est de Sulitelnia , je pus voir, avec ma lunette,
un ]iri)l'(iiid ravin sur lequel était suspemlu un glacier avec d'immenses
glaçons cramponnés à ses côtés; le mercure était descendu à 38°,
quoique le vent soufflât de l'ouest. Nous suivîmes le talus d'une longue
colline, et lorsque le ravin s'élargit, un torrent, pareil â une rivière qui
serait venue de l'une des grandes branches du glacier, traçait son che-
min vers un lac appelé Pjeskajaur (/>////■, en lapon signilîant «lac »). Pen-
dant que je m'étais arrêté pour premlre le relèvement des montagnes
et du glacier, la femme, qui était aussi virile que pas un de nous, avait
pris l'avance; soudain j'entendis le mot Samé (Laitons), et je vis au loin
un campement de Lapons et les spirales de fumée s'élevant de leur
kata (tente). Peu après, nous arrivions à l'endroit qu'ils occupaient et,
en entrant dans leur tente, je reconnus notre compagne de voyage; les
hôtes étaient ses parents et elle connaissait le canton oi'i ils faisaient
138 LE PAYS Dr SOLEIL DE MINLIT
paître leurs troiipeniix. En rof;,ir(lniil rmtrnir i]e m(M,je me sentis saisi
d'un sentiment de détidùl. La lente, à sa liase, ne semblait pas avoir
plus de liiiil [lieds de diamètre; au cenlre, un l'en, alimenté par des
branches de genévrier, brûlait clair : on l'avait allumé pour nous, car
les Lapons sont obligés de ménager le conibuslible. Dans un petit
espace, d'un côté de la lente — l'autre côté, à gauclie de la porte, ayant
été nettoyé poiu' nous — élaienl sénés pêle-mêle, sur des peaux de
renne mouillées par la pluie, trois femmes, quatre enfants, deux
hommes et quatre chiens. Les chiens grognèrent en me voyant; mais
un coup de poing vigoureusement api)liqué à celui qui tentait le plus
rageusement de troubler la paix leur imposa silence. Les vêtements
des honunes, dos femmes et des enfants étaient en peau de renne, le
poil tourné en dedans; on eût dit que les figures des enfaids n'avaient
jamais été lavées, et l'eau pouvait bien n'avoir pas touché depuis
quinze jours celles des plus grands. Sans cesse ils portaient les mains
dans les ouvertures de leurs vêtements, prés du col. ei ces mouve-
ments me suggéraient des idées peu réjouissantes; une grande quantité
de chair de reiuie, et autres sortes de nourriture, gisait sur les peaux
où ces gens dormaient.
Telle est la peinture de la première lenle laponne ipie je vis, mais
je dois ajouter que c'élail une des plus mauvaises.
Ces Lapons faisaient preuve d'un excellent naturel, et la fenune qui
avait voyagé avec nous se multipliait pour soigner notre bien-être. Dés
notre arrivée, elle mit le chaudron sur le feu et prépara du café, pendant
que le chef de la famille découpait delà viande d(> renne, (pi'il jeta ensuite
dans un pol de cuivre suspendu par une cliaine au-dessus du l'eu. Le café
fut bientôt prêt, et la femme nie dit en m'en |irésenlaid une tasse :
« Sur la route, vous avez été bon pour moi; vous m'avez donné de voti'e
café et de vos provisions, bien que vous ne me connaissiez pas : je vous
remercie. Maintenaid laissez-moi prendre soin devons. Buvez ceci, et loni
à l'heure vous aurez (le la viamlede reiini' à manger laid ipie vous voudrez.»
Lorsqu'elle fut cnile, le père de famille en donna une porlion à chacun,
mais les morceaux de choix furent réseivés |)onrmoi et mes deux guides.
Nous n'avions ni l'oundieltes ni pain. On jeta les os aux (diiens (pu
guettaient tous nos mouvements avec d(>s yeux allâmes. Quand l'iKMU'e
du coucher fui venue el (pie le l'en enl été èteini, j'étais mouillé et transi.
CAMPEMKNT DE LAPONS 139
ne sachant quo fairo, rar jo ne tenais pas à (lempiirer dans la lentp : j'en
redoutais les conséquences. Cependant je m'attendais] à un rude labeur
pour le lendemain, et, en réalité, le lendemain était déjà venu, puisque
le ciel marquait deux heures du matin. Ne voulant pas froisser l'amour-
propre de ces braves gens, je me décidai à courir tous les risques; je
m'étendis sur les peaux et j'essayai de dormir. Au bout d'un instant je
crus sentir des corpuscules ramper sur moi ; mais je m'efïorçai de croire
que c'était un pur effet de mon imagination; enfin, la fatigue fut plus
forte que ma volonté, et je dormis pendant une heure.
Vers quatre heures je me réveillai en entendant entrer un Lapon qui,
pendant la nuit, avait été faire paître un troupeau de deux cent cinquante
rennes, à un endroit on le lichen était abondant, et qui revenait pour
se reposer; le camarade ota ses guêtres mouillées, mit des souliers secs
et s'endormit aussitôt, sans môme prendre uin' tasse de café, préparée
pour lui.
La vie de ces Lapons est très dure pendant l'été : il faut (ju'ils suivent
les rennes jour et nuit dans la crainte qu'ils ne s'égarent; aussi,
quand ils reviennent dans leurs tentes, sont-ils harassés et prêts à
tomber dans un profond sommeil. Un étranger qui arrive à un « kata » ,
ou campement, peut facilement s'imaginer que les Lapons sont pares-
seux; c'est pourtant loin d'être vrai.
J'aperçus un troupeau de rennes qui traversait de l'autre côté de la
rivière; ces animaux nagent très bien, et quelquefois ils doivent aller à
de longues distances à travers les fiords. On prétend qu'ils peuvent faire
six milles à la nage en trois ou quatre heures.
Le lac Pjeskajaur a environ quinze milles en longueur, et de deux
à cinq en largeur; il est prés du 67° latitude. La rivière qui s'y rend était
profonde; la fonte des neiges et du glacier avait rendu l'eau si bour-
beuse que nous ne pûmes en voir le fond et que nous ne savions où
traverser. Les Lapons essayèrent de passer à gué, mais ils durent s'y
prendre à deux fois; enfin, nous trouvâmes un endroit; cependant ce fut
avec grande difficulti'" ipie nous pûmes tenir tète au courant fort rapide
et marcher sur des cailloux ronds et du sable mouvant qui s'enfonçait
sous nos pieds. L'eau était si froide — 37° — que, quand elle atteignit
mon cou, je crus que j'allais perdre la respiration. Parvenu de l'autre
c(Mé, je m'aperçus que nous avions encore à franchir deux cours d'eau;
140 LE PAYS DU SOLEIL DE MINUIT
lieureusemonl ils n'étaient pas aussi profonds (|ue l'autiT. Le froid avait
tellement engourdi mes jambes que je pouvais à peine mettre un pied
devant l'autre. Alarmé de ces symptômes, j'eus recours à ma fiole,
et j'avalai une lionne gorgée d'eau-de-vie; j'en donnai aussi à mes
Lapons, (pii en parurent reconnaissants.
Notre cliemin passait par un marais (pii rendait la marclie ennuyeuse
et difficile, mais ce rude e.\ercice était précisément ce dont j'avais
besoin; mes membres ne tardèrent pas à perdre leur rigidité, et une
bonne chaleur de la peau me convainquit que de nouveau j'étais tout à
fail bien. Le centre du glacier semblait mainlenanl être au nord-ouest; il
apparaissait sous la forme d'un arc, courant du nord-nord-ouest au nord.
Nous passâmes une autre rivière dont l'eau était beaucoup moins froide,
parce qu'elle ne descendait pas des glaciers, et nous arrivâmes auprès
de quelques bouleaux d'assez bonne taille (betula glutinosa), restes
d'une ancienne fnrèl. .("ai toujours regrellé (l('|uiis de n'en avoir pas
coupé un, pour compter les anneaux et m'assurer de leur âge, car ils
ont poussé à la plus haute élévation (pie j'aie vue en dedans du cercle
Arctique.
En alleignani la crête d'un iielit coteau, nous a])i'rçrimi's dans le loin-
lain un aulre « kala » ; c'étaient des Lajioiis de Lule,Lappniark, dont les
pâturages s'étendaient jiis(|u'âSulitelma; dès qu'ils nous virent ils sorti-
rent aussitôt. Lorsque j'arrivai à leur campement j'y trouvai trois jeunes
femmes et un homme; les premières venaient justement de donner la
dernière touche â leur toilette : l'une se ceignait d'une belle ceiidui'e
d'argent, l'autre arrangeait sou vêtement, et la troisième nouait ses
souliers. Leurs rolies, d'un drap épais, en laine bleue, ap|ielée ciml/io,
élaicnt bordées de rubans rouges el jaunes ri laissaient voir un vêlement
de dessous en laine, celui de dessus atteignait la cheville ; leurs chemises
étaient délicatement brodées aux ouvertures. Ces femmes paraissaient
assez jolies, la couleur des robes conlraslant bien avec celle de leur
peau. Elles portaient aussi des ceintures, qui sont considérées comme
l'un des prinri[iaux orneinenis; il en est même de dispendieuses. Une
seule avait une ceinture agrémentée d'argent , les autres relaient de
cuivre; ces ornements, larges d'environ un pouce, sont attachés sur le
drap si près l'un de l'autre cpie c'est à jieine si on peut en voir la
matière; une jolie agrafe fermait la ceinture, à hupndle pendaient un petit
COSTUMES LOCAUX 1-43
couteau el uno pniro de ciseaux. Des guêtres eu laine de couleur bleue,
serrées à lajauibe, coiiiplélaieut le costume. L'une d'elles portait des
souliers neufs, l'ails de peau de reiuie préparée, mais sans talons; les
deux autres n'avaii'iil |Miiiit de smdiers, et je remarquai la petitesse de
leurs pieds, très bien formés et très propres. Les blouses (kapte) des
honmies étaient plus cnurtes; comme celles de mes guides, elles tom-
baient un peu au-dessous du genou el étaient bordées au bas d'un ruban
de couleur voyante, contrastant avec le bleu ; les cols de leurs chemises
étaient brodés avec du fil d'une couleur éclatante. Les ceintures que por-
tent les hommes oui , (pichpiefois, deux ou trois pouces de largeur; onles
fabrique en cuir, avec des dents d'ours, pourmonlreripie celui (jui la porte
a tué sa proie; ils portent aussi une sorte de gilet, richement agrémenté
d'ornements en argent, ([ue l'on a|)erçoit par l'ouverture de leur « kapte».
Les fennnes avaient lavé leur ligure, jjeigné leurs cheveux et cou-
vert leur tète de bonnets réellement gracieux. Je fus surpris de la
hoinie mine de deux d'entre elles : yeux bleus, mains fi'és petites et
beaux cheveux, un peu roux; elles avaient le teint rosé el la peau
remarquablement blanche aux places protégées contre le vent. La peau
des hommes était ronge et tannée par l'action de l'air.
Pas la plus petite apjjarence de sauvagerie chez eux, nous fûmes
bien accueillis tout de suite : on mit la bouilloire sur le feu. Quant au
café, déjà grillé, on le moulut, on le lit bouillir, on le clarifia dans une
peau de poisson sèche, et on me le servit dans une petite tasse d'argent
de forme bizarre, que j'admirai beaucoup: c'était un héritage de famille
que l'on disait avoir plus de cent ans. La cuiller, fort gracieuse, était
également une relique de famille et beaucoup plus ancienne que la tasse.
La propreté faisait défaut, car le lait de renne avait séché dessus et je
m'amusai fort de la manière doni une des tilles la nettoya. N'ayant point
d'eau sous la main, elle passa [dusieurs fois sa pelile langue dessus
jus(iu'à ce qu'elle fût i)ropre et lisse; alors, comme si c'était une chose
toute naturelle, elle s'en servit pour remuer le café et me lendit la lasse.
Je n'admire pas précisément Cette manière de nettoyer les cuillers;
heureusement, elle avail les dents excessivement blanches et les lèvres
aussi rouges qu'une cerise. J'ai vu, depuis, bien des Laponnes et je
crois que c'est la plus jolie ijue j'aie jamais rencontrée.
Le calé élail exrellenl. A peine avais-je lini d'en prendre une si^conde
lU I.K PAYS UU SULEIL DK MINUIT
tasse, qu'un L,'i|i(in eiilra, suivi de jilusicurs cliicns: ilnrrivail avec deux
cent soixante-treize rennes qui se tenaient autour (le la lenle; leurapimi-
clie avait été si calme, que je ne les avais pas enlendus. Quelifues ani-
maux broutaient de la mousse qu'ils détachaient avec leurs pieds de
devant, |iendant que d'autres se couchaient; les mâles étaient de çjrande
tailh", avec les curnes larges cl di'vcloppées; les feniidles élaiciil iicau-
cdup jilus petites. Pas un ne manifestait l'intention de se sauver, tiuit le
troupeau demeurait aussi Iramiuille (pie les vaches tpii viennent dans
la cour d'une ferme pour se faire traire; les mâles jiaraissaienl calmes,
Lien que quelques-uns se cognassent de la tète, .l'apitris (pie leurs
cornes sont quehpiefois tellement enchevêtrées que l'on ne peut les
dégager et qu'il iaiil les liier.
J'étudiai avec iidéi'èl la n)ani(''re de li"iire les nMuies. Les fenunes
connaissent chaque animal, et si l'un manipiait elles seraient capables
de le désigner sur-le-champ. Elles s'avançaient avec précaution, jetaient
doucement sur les cornes de la femelle à traire un lasso qu'elles lui
nouaient sur le museau pour l'empêcher de se sauver; mais ces bonnes
bêles ne faisaient aiicini efl'oil ikiui' s'écha|iper. Qiiel((iief(tis une femme
tenail la renne pendant (|n'niie autre la Irayail; cepeinlanl ces pr(''cau-
tions sont inutiles, car ces animaux sont si doux qu'ils n'exigent aucune
coercition. Le procédé est tout particulier : la femme tient d'une main
une sébile de bois et de l'autre presse fréi[uemmenl et fortement le
pis, car le fluide épais ne vient ([u'avec difficulté; on le porte de la sé-
bile dans un vase en forme de baril, fermé par un couvercle à coulisses
et disposé de fa(;(in à pdiivdir èlre placé siu' le dos d'un animal. On en
remplit aussi des outres en peau j)our l'usage des Lapons qui doivent
rester un jour entier avec les troupeaux. Je fus surpris du peu de lait
fourni par les femelles; qnehpies-unes n'en donnaient même pas la
valeur d'une lasse de café , mais ce lait est tellenieni épais et riche qu'il
faut ajouter de l'eau avant de le iMure. Il est extrêmement nourrissant,
d'une saveur forte, assez sendilable à celle du lait de chèvre. Le lait de
renne constitue un article très im|)ortant de la nourriture des Lapons et
possède di^s (|ualilés nutritives plus grandes que celles du lait de vache
ou d'ànesse. Chose étrange, le beurre fait avec ce lait est tellement mau-
vais ((u'on le prendrait pour du suif; c'est pourijuoi les Lapons font
très peu de beurre, mais du fromage en grande (juantité.
TYI'KS DK LAPONS l-io
vase en bois récume qui moule à la surface; on en verse ensuite la plus
grande jiarlic dans une outre vide fjue l'on suspend à une peirhe; celle
écume séciiée, (jue l'on nomme kappa (ci'éme) est considérée comme
une friandise, et on la sert toujours aux liôtes distingués. On ajoute
ensuite île la présure au lait. Le fromage est pressé à la main et emp.i-
queté dans des boîtes rondes en liois, ou mis dans des formes faites de
racines de .sapin tressées; quand il est sec, on le suspend à la fumée
dans la <( kata »; il est blanc à l'intérieur et a le goût du lait; on en
fait d'immenses provisions pour l'hiver. Les Lapons sont très friands
de lait épaissi ; mais, à cause du climat, il faut (pi'ils en hâtent lacoagu-
lati(in en y ajoutant de la grassette fraîche (p'mgukularuhjarh).
J'avais toujours cru que les Lapons ont les yeux noirs et les cheveux
foncés; mais ceux-ci avaient la peau blanche, les cheveux blonds, les
yeux bleus, les pommettes saillantes — , ce qui ne déplaisait pas chez
deux des femmes, — et le nez particulièrement lapon et retroussé. Les
trois femmes mesuraient en hauteur (piaire pieds et un (piart, quatre
pieds trois quarts, et quatre pieds six pouces; les liommes, de quatre
pieds cinq pouces à cin(| jjieds un quart. La mesure faciale des fem-
mes, du sommet du nez à la pointe du menton, est de trois à quatre
pouces, et celle des hommes de quatre pouces et demi à quatre pouces
trois quarts.
Pendant (pie les homnu's fumaient leur pipe, les femmes s'occu-
p.iienl (11' la cuisine. Elles lirenl un potage avec du lait écrémé, l'agitè-
rent dans l'eau avec une cuiller de bois, et nous servirent un plat assez
agréable et très nourrissant; chaque personne avait un petit sac d'où
elle tirait une cuiller pour s'en servir à table; la langue lit l'office d'eau
et de serviette, et l'on passa les doigts autour du plat jusqu'à ce que le
dernier vestige du potage eût (lis|»;iru. Les Lapons ne se servent pas de
fourchettes, mais certains de leurs articles en argent sont très vieux et
leurs cuillers ont la même forme que celles des paysans de la Suéde et
de la Norvège.
Les chiens affamés qui s'étaient faufilés dans la tente nous regar-
daient avec des yeux ètincelanis; qu.ind nous eûmes fini, on ajouta un
peu d'eau à ce qui rcsiail de piilagc, (in le U'ur donna et ils se jetèrent
dessus avec voracité. Puis l'homme (pii était entré repartit avec les
rennes pour se rendre dans une pnrlie des montagnes où il savait trouver
146 LE PAYS DU SOLEIL DE MINUIT
de la mousse en abondance; il devait rester avec le troupeau jusqu'au
soir et être relevé de sa tâche; l'autre s'étendit sur une peau de renne
et fut bientôt endormi; nous fîmes tous de même, en nous serrant du
mieux que nous pûmes dans cet espace si limité.
La tente dont se servent les Lapons est très purlalive; le renne la
transjjorte de place en place. La carcasse se compose de perches qui
s'adaptent aisément les unes aux autres; elles sont si fortes et si bien
jointes, qu'elles peuvent résister à la plus violente tempête; une traverse
posée en haut soutient une chaîne de fer ayant à son extrémité un cro-
chet pourles chaudrons. Sur la carcasse, on étend un drap en laine brute,
appelé vudimil, tissé par eux; on ne se sert pas de jieaux pour cet objet;
ce drap est composé de deux parties, réunies par des cordons et des
épingles; la qualité poreuse du drap permet une circulation partielle
de l'air. Les lentes sont fréquemment raccommodées, car une cou-
verture neuve coûte de trente à quarante dollars. En été, les Lapons
campent souvent prés d'une source ou d'un cours d'eau, où le bouleau
nain et le genévrier fournissent du combustible, et non loin d'un bon
pâturage.
On était sur le point de transporter le campement ailleurs, et on avait
amené des animaux dressés à porter le bagage. 11 est beaucoup plus
difficile au Lapon de se mettre en mouvement l'été que l'hiver ; car alors,
au lieu de tirer les fardeaux, les rennes les portent sur le dos et la charge
est d'autant plus petite ; les animaux employés comme bêtes de somme
sont généralement châtrés, grands et forts.
La tente avait été défaite, le drap roulé et les supports divisés en
plusieurs paquets; on avait emballé le dra[) et les autres articles dans
des caisses en bois d'environ dix-huit pouces de long sur vingt de large
et six de profondeur, liées par des cordes et arrangées de façon qu'une
caisse pût être placée de chaque côté de la selle; il y avait aussi des
sacs dont quehjues-uns ressemblaient à de forts tilets. Le si'itha, ou bât
est mii" curiosité: il consiste en deux morceaux de bois, arrondis de
façon à s'ajuster sur le corps, avec des pièces de cuir à l'extrémité; on
le met sur le dos du renne exactement comme quand on selle un cheval,
mais plus en avant; en dessous on étend une couverture en laine brute
ou un morceau de peau de renne^ afin de proléger le dos de l'animal;
on dispose les fardeaux de chaque côté, de manière qu'ils soient en
MOYEN D'AVOIR LES l'IEDS CHAL'US li7
é(iuilibre, et on les assujellit avec soin ; la moyenne du poids que porte
l'animal paraît être île 80 à 100 livres. Quel([aes perches avaient été
liées ensemble, et on les traînait ainsi snr le terrain.
Sept rennes furent attachés par de solides courroies en cuir, nouées
à la base des cornes, et l'un des guides prit la tète de la coloinie;
quelques animaux non chargés suivirent en ari'ière \umr prendre la place
de ceux qui seraient fatigués; ils furent un peu Iracassiers au conuueu-
cement et le Lapon qui était en avant dut les attacher et les tirer.
Nous nous séparâmes de ces excellentes gens et nous continuâmes
notre route dans une direction est-sud-est, rencontrant çà et là des
terrasses le long de la rivière, indications d'anciens soulèvements du
pays. Auprès des étangs croissait le fameux shoe-rjruss des Lapons,
dont il y a deux variétés : le carex ampellacea et le carex vesicar/a.
Pendant l'été, les Lapons récoltent cette herbe eu grande quantité, la
sèchent et la conservent soigneusement, car elle leur est indispensable
en hiver. Ils la mettent dans li'iu's souliers, [larce qu'elle possède la
faculté de retenir la chaleur et maintient les i)ieds tellement chauds,
qu'ils défient le froid le plus vif; on s'en sert aussi pendant l'été pour
protéger les souliers quand on marche sur un terrain rocailleux.
Le grand glacier était toujours en vue, mais la partie supérieure de
Sulitelma continuait à demeurer cachée ; comme les nuages se mouvaient
rapidement, j'espérais que le sommet se laisserait voir et je m'arrêtai
pour le regarder; soudain, le pic devint visible pendant environ
quinze minutes, portant iirécisémentau nord-ouest d'après la boussole.
Quand le soleil bi'illait sur la glace, sim rellet était simplement mer-
veilleux ; en maintes places, le glacier semblait être une masse énorme
de scintillantes topazes; son étendue me parut immense et des plaques
de neige éraaillaient sa surface. Je n'aperçus que deux points d'un roc
sombre dans la masse congelée, et, dominant le lout, Sulitelma,
obscur et menaçant, regardant au-dessous de lui la mer de glace.
Plus loin, nous atteignîmes le sommet d'une autre chaîne de col-
lines, d'où je vis un petit glacier i)ortant nord-nord-esl, par le nord.
Notre route traversait alors une région très montueuse et désolée,
au milieu de laijuelle se faisaient voir de nombreux petits lacs.
Nous reriColltrâlnes plusieurs Lapons conduisant des troupeaux de
rennes ; chaque propriétaire reconnaît ceux (pii lui appartieinienl au
l',8 LE l'AYS DL SULEII. UK .MIXLIT
moyen (l'une ni.ii(|ui' siiéciiilc sur les (nvilles. Les moustiques, (|ui
m'avaient laissé Iranquille penilant près de deux jours, revinrent de
nouveau en foule, et, quoique le lliernidmètre variai de 44° à 45°, ils
mordaient avec malignité.
Par moments, pendant le jnur, nous arrivions à la ligne des neiges.
A mesure que nous montions, les places nues devenaient moins nom-
breuses et la ligne n'était brisée (pie par des pointes de rochers.
Cependant, au milieu de ce terrain stérile où la température moyenne
de l'année touclie presque au puint de glace, maintes fleurs se
montraient : la raniincuhis jùvalis i}[ (/Uicialis (bouton d'oi'), le rinnex
di(/yniis (la patience) , le juncus curcatus (le jonc") , le silcnc acaiilix
(la siléné), et le saxifraya stellaris, riviilarh et oppufiitifuHa (saxi-
frage). Bien des fois je suis resté en admiration devant celte dernière
fleur exquise, qui semble un lapis velouté de mousse pourpre, et qui
croit en })laques sur des rochers souvent entourés par la neige. La
première fois que je la vis, ce fut sur le sommet des hautes collines
derrière Hammerfest : elle était alors en pleine floraison. Ces plantes
poussent ici, à un peu plus de 4, COU jjieds au-dessus du niveau
de la mer, et sur la ligne des neiges, l'ins haut, leur nombre diminue
graduellement, jusqu'à ce qu'il ne icsle plus que le ranunculKS gla-
ciulis; enfin, les lichens disparaissent à environ 2,000 pieds au-
dessus de la ligne neigeuse.
La marche était pénible ; il fallait franchir colline après colline, par
des chemins à pic, sur des pieri'es brisées (pii, parfois, étaient entassées
les unes sur les auti'es en masses épaisses, de toutes tailles et de toutes
formes : partout des blocs erratiques épars et encombrant les déclivités
des collines. Je ne sais lequel est le pire : marcher à travers des marais
noirs, humides, mous, où l'on enfonce jusqu'aux genoux dans la boue,
ou enjamber d'un bloc à l'autre, et sur des pierres détachées, au risque
d'une chute (pu peut vous casseï' un bras ou une jambe; mes Lapons
môme souffraient des pieds.
Tout paraissait nu et luguhre ; le lichen était court et poussait sur le
roc; l'herbe, dans le fond delà vallée, paraissait à peine verte, quoique
nous fussions à la mi-août, et l'on n'apercevait que peu de Heurs. En
me désignant une série de lacs, mes Lapons me dirent qu'ils formaient
les eaux de la rivière Pite.
HALTE DANS LES GLACES 131
Nous étions harassés de ce dur voyage et nous brûlions d'arriver à
un « kata » ; les rochers immenses apparaissaient au loin comme des
maisons à notre imagination surexcitée et souvent nous les prenions
pour des tentes de Lapons ; mais toujours nous étions déçus en
approchant. De chaque coteau, nous avions cherché en vain un de leurs
campements, car le temps était pluvieux et froid ; parfois nous nous
réfugiions sous une grande pieriT afin de nous mettre à i'ahri pendant
les averses.
Un soir, ayant trouvé un immense bloc granititiue superposé sur
un autre, de telle sorte que nous pouvions nous abriter sous lui, nous
résolùmesd'y passer la nuit, d'autant plus volontiers que des genévriers
et des bouleaux nains poussaient tout prés de là. Le thermomètre se
tenait à 44° ; nous rassemblâmes plus d'un cent de petits bouleaux
pour, à cette altitude extrême, nous préserver de la gelée et des
moustiques, et sécher nos habits. Nous essayâmes d'abord d'un
côté, mais la jduie fouettait contre nous; un autre ne fut pas plus
favorable ; de quelque côté que nous nous tournions, la pluie et un vent
glacial chassaient sur nous, et nous avions encore le désagrément de la
fumée et de la flamme.
Assis contre le roc, j'essayai de dormir; mais il pleuvait si fort, que
je ne pus y rester; à trois heures le temps devint si froid, et nous étions
tellement mouillés, qu'aucun de nous ne put y tenir plus longtemps et
nous pensâmes qu'il valait mieux marcher. Nous nous levâmes donc, les
membres raidis, mais espérant qu'ils deviendraient plus flexibles en
avançant; alors, après avoir pris chacun une tasse de café brûlant, nous
partîmes à quatre heures un quart par une pluie battante : nous étions si
épuisés, que, quand nous nous arrêtions pour quel(|ues minutes, nous
nous endormions aussitôt.
Notre route continuait au sud-est par l'est sur un sol affreux. Il
nous fallait passer par de grands marécages, traverser un terrain pier-
reux qui fuyait sous nos pieds, gravir des blocs erratiques, em])ilés les
uns sur les autres, franchir des rivières, des ruisseaux et des plaques
de neige molle, jusqu'à ce qu'enfin nous atteignîmes le plus haut point
auquel nous fussions parvenus depuis notre départ de Fagerli, — plus
de 4,000 pieds au-dessus de la mer.
De tous les paysages glacés que j'avais vus dans ce voyage, celui-ci
\:r2
1,1-: l'AYs nr soleu. uk .miniit
nie |i;iiul Ir pins lugubre ; il élail alisohiment grand dans sa désolation.
Je Irouv.ii néanmoins une soile de cliaime dans la soliliide el le silence
absiiki; des montagnes de granit el de gneiss fonnaieiil le fond du
tableau, el, loul aleiilour. des pierres de tonte taille et de toute forme
étaient empiiées eu moneeanx. Nous eûmes à chercher notre chemin par-
dessus ces pierres pendant des heures entières, sautant presque con-
tinuellement de l'une à Fautrc jusqu'à ce que nos chevilles devinssent
douloureuses. Tous les exercices |»édestres les plus pénibles (pie j'eusse
jamais faits n'étaienl lieu auprès de celui-ci; j'avais vu des teirains
pierreux plus mauvais, des eolliiies plus abruptes, el des passages plus
NjlUl'MS.
difliciles, mais je n'ai jamais passé par une conlrée aussi désespérante
pendant de si longues heures. Mes guides ne s'étaient-ils pas Irompés
de roule?
A midi, le temps s'étant éclairci, nous nous reposâmes dans un en-
droit abrité, et sur des rochers couverts d'un court lichen, bien protégés
contre le veut, nous nous étendîmes de tout notre long, car nous avions
lui ])ies.sant besoin de dormir. La température s'était élevée, le mercure
marquait oi° à l'ombre et 9b° au soleil; nolie couche de lichen
était douce et chaude; jamais lit ne me sembla si bon. Bientôt je m'en-
dormis, mais je fus réveillé au bout d'une heure par un vent glacial, et
je vis que le soleil s'était couvert de nouveau. Je réveillai mes Lapous
el nous reprimes notre voyage.
MAiiciiK F(Ht(:i:i': 133
Nuiis avions allciiil une région snlial|(ino , caractérisée par la
hetiila (ilbri, \3\'\r[é f//itfi/iosa (bouleau), donl la liniile supérieure était
à, environ 2,(J00 pieds au-dessous de la ligne des neiges; on voyait
de la végétation du côté des collines, où les rayons du soleil étaient
encore puissants, et l'on pouvait y trouver le lonc////s a/pin//s (char-
lion du pourceau), le strut/dopterix, Yacniiitmii h/mctniiiim, et le
ttnsilatjo frifjida (lussillage pas d'Ane).
En longeant le côté d'une colline, je vis à distance le lac Saggat,
sui- les bords (bnpiel est situé Qvickjok. De l'autie côlé de la vallée se
trouvait Njungis, petite ferme sur les bords de la Tarrejoki. Mes guides
me proposèrent de passer la rivière et d'y dormir; je refusai follement,
contrairement à ma coutume de toujours obéir à leurs suggestions. Il y
a des jours, dans ces montagnes, où ce qui est éloigné semble rapproché
et l'étranger doit prendre garde d'être victime de la déception; j'étais
dans un de ces jours-là. Nous arrivâmes enlin au fond de la vallée et
nous nous trouvâmes dans une forêt de pins, croissant;! quelques milles
an sud du 07°. De leurs branches descendait une longue mousse foncée ;
elle f(jrmait sous les arbres un épais tapis, qui laissait suinter une grande
(|uaiitité d'eau, surtout après une averse. Latige est composée de petites
cellules qui relieniicnt le liquide, et la masse est si compacle, ipie l'éva-
poralion se l'ail très lenlemenl et (pie celle mousse ne devient jamais
sèche. Au milieu de ce lapis velouté avaient poussé de nombreuses
baies; nous en mangeâmes pendant une heure; car, depuis le matin,
nous n'avions rien pris (jue du café.
Nous passâmes à gué un cours d'eau d'environ (jualre [ùeds de pro-
fondeur, et nous atteignîmes une sorte de caverne formée par des blocs
erratiques, où les Lapons auraient désiré dormir; mais j'insistai pour
continuer notre route; car il était supposable que bien des personnes
déjà y avaient dormi, et j'étais elïrayé d(> cet endroit, qui me paraissait
très sale. Un peu i)lus loin, nous campâmes pour la nuit sous de grands
pins, non loin de Tarrejoki. Nous étions moulus, car nous marchions
depuis tiente-si\ heures.
Nous fîmes du feu que nous couvrîmes de mousse afin de produire
une épaisse fumée (jui chasserait les moustiques; la mousse formait une
couche assez molle, mais je ne pus dormir. A onze heures, regar-
dant à travers les branches au-dessus de ma tête, je fus heureux de voir
loi LE PAYS DU SOLEIL DR MINUIT
une étoile, la première (jue j'eusse apereue depuis Iroismois; c'était
Yega — une ancienne amie, qui m'avait souvent aidé à tiouver mon che-
min dans les jungles de l'Afrique. Plus tard, je fus réveillé par une sen-
sation brûlante : la mousse avait pris feu, et, comme de l'amadou,
brûlé lentement jusqu'à ce qu'elle m'eût atteint. Je compris alors com-
ment les forêts ont pu être mises en flammes par des gens qui n'avaient
pas éteint leurs feux en (piitlanl leurs campements.
Le lendemain, de bonne heure, nous reprîmes notre voyage, et, nous
tenant sur le bord de la ïarrejoki, nous nous trouvâmes au milieu de
champs couverts d'herbe, et de bosquets de bouleaux, d'aunes, et de
saules qui avaient poussé sur les bords de la rivière. Quel contraste avec
le jour précédent! Mes Lapons grimpèrent sur un grand bouleau et
poussèrent des cris, pour (pie les habitants du voisinage vinssent avec
un bateau; mais ils crièrent en vain, car le vent était contraire, et on ne
pouvait les entendre. Je lirai alors plusieurs coups de fusil et nous
attendîmes. Bientôt un bruit de voix et de rames frappa nos oreilles; un
lialcau contenant deux honunes venait vers nous, et, peu après, nous
abordions «àQvickjok, que l'on dil être à environ 60 milles de Sulitelma.
Le hameau est près du 66° 55 , N. à l'entrée du lac Saggatjaur, (pu
forme le premier grand réservoir d'une série de lacs dans le thalweg
de la rivière Lilla-Lule {iilhi, petite). Le Kamajoki, cours d'eau monta-
gneux sortant d'un petit lac, frappe constamnient l'air du nuuinure de
ses vagues lorsqu'elles se brisent contre les rochers.
L'humble église en bois, construite en 1671, semble pouvoir conte-
nir 150 personnes; mais on m'a dil ipi'à l'occasion des festivals religieux,
250 fidèles y assistent souvent. Sur l'autel est suspendu un portrait du
Sauveur, représenté en petit enfant; plus loin, on voyait le jiorirail du
l'oi Charles, et sur les murs quehpies tableaux grossiers d'un caractère
religieux. Un petit cimetière était adjacent à l'église; sur certaines
lombes se trouvaient des cadres protégés par une glace, dans les(piels
on pouvait lire les noms du défunt, écrits sur du j)apier.
Il y avait une maison d'école où les enfants des Lapons nomades et
stationnaires recevaient l'instruction. Les gens de cet endroit possé-
daient 35 vaches, 12 chevaux et de 8U0 à 1 ,000 rennes.
Les deux habitations les jjIus marquantes étaient celles du pasteur
(mais il éliiit absent), et celle du hlockarcn (sacristain). La dernière
LE LAC DE KAMAJOKI lôo
forme avait deux maisons, duiil une réservée aux voyageurs, car la
station de bateau était à sa charge. Ici, les moustiques redevenaient un
vrai Iléau.
On me montra un livre dans lequel les voyageurs inscrivent leurs
noms, et, jiarmi les signatures, je vis celles du roi Charles XV, qui visita
cet endroit le 10 août 1858. et du prince Oscar, maintenant roi, des 28
et 29 juillet 1870.
Le lac, dans lequel abonde le poisson, est à 937 pieds au-dessus du
niveau de la mer. Au delà des limites du sa[iiii cl du pin. on ne trouve
pas de perche ni de brochet dans les lacs ; mais l'ombre et la truite se
rencontrent jusqu'à la limite supérieure de la région du bouleau, après
la(|ue!le tout poisson disparaît. L'extrémité sui)érieure du lac présen-
tait une richesse de végétation i)lus réjouissante encore pour l'œil après
la traversée de montagnes arides.
Voici les Heurs (pie l'on cultivait au prieuré : calendula (chrysan-
thème), resef/« (mignonnette), iber'is ( ), k/pf/sia (faux indigo),
sfelluria (morgeline), tua/va (mauve), tarjctes (pâquerette), aquUeçpa
(colombine), campamdd (campanule), d'innthm (œillet) , convolcii-
his (liseron) ; en outre, des carottes, navels, radis, persil, épinards,
laitues, échalotes et rhubarbe.
Le temps était charmant, et, le 13aoùl, à onze heures trente mi-
luilcs du matin, le mercure se tenait à o9° à l'ombre, et à 119° et demi
au soleil. La plus haute température (|ue j'aie trouvée ici à l'omlire
est de 0(i° et demi, et la plus basse, de 49°.
Mes deux guides avaient tenu la promesse faite à Larsen deFagerli,
et désiraieiil lelnurner dans leurs montagnes ; je les payai et nous nous
séparâmes lions amis.
De Qvickjok jusqu'aux rivages du golfe de Bothnie, la distance est
de 19 milles et demi suédois. Le voyage est facile et se fait en grande
partie par eau, à travers une série de lacs communiquant l'un avec
l'autre par de courtes rivières; mais ces dernières, en raison de leurs
rapides, ne sont pas navigables. Des njutes servent de communication
entre les lacs, et l'du trouve des stations de bateaux régulières. Cette
chaîne de lacs, descendant graduellement de l'un à l'autre, ressemble
à une suite de bassins et constitue un des traits frappants du paysage. Le
Saggntjaur a environ 21 nulles de long, à 957 pieds au-dessus du niveau
156 I>K PAY;^ DL' SOLEIL DE MINFIT
tle la mer, avec un rapide à rexlrémili'' la plus basse; le Tjaniaiisjaiir cl
le Skalkajaur sonl rrlit's sans rapides; ils ont 30 milles de lonj^ el s'élè-
vent de 935 pieds au-dessus de la mer; le Parkijaur a 5 milles de loni,'
et 929 pieds au-dessus île la mer; le Rrikdijaur, 894 pieds; le Piuki-
jaur. 89 i- pieds; le Vajkijaur, 808 pieds.
Le 14 août, je dis adieu i\ Ovi( kjuk. A rexlrémité la plus liasse du
lac. une Ile el une masse de rocheis et de blocs erratiques inlercepleni
la navigation, et la rapidité du courant nous avertit (pie nous étions prés
des rapides : mais, [)ar un mouvement adroit, le bateau vira et nous abor-
dâmes sur la rive ij;auclie de la rivière. Une marche de vingt minutes
nous conduisit à la poinlc du Tjamalisjaur. et à Niavi, située près du
liord, non loin ilu jioini (n'i le turbulent déversoir du lac Saggatjaur se
jette dans le Tjamalisjaur.
IS'iavi était une ferme très confortable et la maison d'Iiabilaiion
contenait plusieurs grandes chambres. La salle à manger pouvait pas-
ser pour un modèle de propreté ; les murs étaient tapissés de pajder;
le plancher en bois de pin n'aui'.'iil pu èlre |ilus lilanc, et les aliments
lurent bien cuits el bien seivis. Dix vaches, quatre chevaux, el environ
200 rennes composaieni le bèl;iil ; les vaches et les chevaux pàliuaieid
dans les bois. Le foin était vert, les pommes de terre poussaient supé-
rieurement, l'orge avait une teinte jaune et allait être récoltée.
Mes nouveaux bateliers étaient deux solides gars de la ferme; leurs
longs cheveux droits, londiani plus bas cpie le col, les prolégeaienl
contre les moustiques. Bien tpi'ils eussent rmlement travaillé loule la
journée dans les chamjis, ils ramèrent vigoureusement. Quand l'air
devinl piipiant, l'un d'eux insista pourqne je prisse sa cote, sur laipielle
londiaient ses cheveux. Il n'y eut pas moyen de faire autrement; je no
pouvais refuser, quoiipie je susse parfaitement à quoi je m'exposais.
Les bords du lac Tjamalisjaur n'ollVaienl rien d'intéressant; les |ilus
hautes collines soid éloignées de l'eau el le [lays devenait de moins en
moins pittoresque à mesure (pie nous allions vers l'est.
.\ une distance d'à peu piés douze milles de Niavi, nous arrivâmes
à Tjaniatis, (pii est un composé de |tlusieurs fermes, prés de la' voie
d'écoulement d'une rivière foriuée par (pielques lacs qui fournissent
considérablement d'eau. Le lac Tjamalisjaur .se rétrécit et devieni un
canal peiidani ceiil yards iSO nièlicsi; plus bas sont des Ilots el l'enlrèe
UNE FERME NON MODELK 137
du 1,'ic Skalkajaiir. A rexlrémilé iiilV'riciiio, prés de son déversoir, se
tniiive nie de Bjorkiiolm, avec une station de bateaux. Tout le monde
était parti, mais les portes n'avaient pas été fermées et nous entrâmes
dans l'une des maisons de ferme, sans frapper. Le mari n'était pas à la
maison; sa femme se leva, me servit un souper de poisson froid, de
pain, de beurre, de fromage et de lait, et me prépara un lit.
Après un repos d'iuii' heure, mes bateliers retournèrent àNiavi, non
sans nous avoir serré les mains, selon la coutume. Ces hommes avaient
travaillé toute la journée lorsque j'arrivai à Niavi, et pourtant ils n'hé-
sitèrent pas à ramer pendant 30 milles. Ils ne se reposèrent qu'une
heure et partirent, car ils étaient nécessaires à la maison. Ils auraient été
honteux de se prévaloir de ce surcroit de travail comme d'excuse pour
la paresse.
Un court trajet pai' un étioit sentier me conduisit à la jiointe du lac
Parkijaur, et une heure de voile à son extrémité inférieure, où il n'y a
qu'une ferme. Après une autre courte marche, j'arrivai au lac Randi-
jaur, et à une ferme, la seule habitation que je pus voir sur ses bords.
L'unique chambre offrait une telle image de malpropreté, qu'elle me
repoussa; je jetai un regard sur les deux lits, et je frémis ;i la pensée
de la vermine qui devait grouiller dans ces sales peaux de mouton; je
remerciai ma bonne étoile de n'avoir pas à y dormir. Le mobilier con-
sistait en outils de charpentier, un pot à café, quelques bols et plats de
bois, deux ou trois lasses à café avec leurs soucoupes, une poêle à frire,
un chaudron, des bancs de bois, une table également en bois, et uu
certain nombre de vieux livres religieux en mauvais état. La famille com-
portait huit enfants dont quelques-uns de mariés; mais le vieillard et sa
femme, ainsi qu'une Laponne, étaient les seuls occupants de la maison.
Quand je fus prêt à partir, la vieille femme se lava la figure et les
mains, peigna ses cheveux, mit un vêtement propre sur celui qui était
sale, pendant que le vieux revêtait ses habits du dimanche pour me
conduire à la station la plus proche, car les bateliers se mettent toujours
en toilette de fête pour de telles occasions. Après avoir ramé deux
heures, le couple se sentit fatigué.
A l'extrémité inférieure du lac se trouvait une autre station. Ici, les
habits des hommes, et les jaquettes des femmes étaient en peau dont
on avait enlevé le poil; tous étaient également sales. A diner, ils n'eu-
158 LE PAYS D(J SOLKIL UE MINIIT
rciil ni pain, ni bi'iiri'c, ni fi-dniagc ; ils ne niangèienl iiLie du poisson
bouilli, mais en énorme (|uanlité. Ilsi)uivnl du lail aigre hors d'un seau,
et insistèrent [)oui' que je prisse une lasse de calé, (ju'ijs liront exprés
pour moi.
Après avoir ramé dix minutes et en avoir marché (|uaianle sur une
bonne route à Iravers une forél, nous arrivâmes à la pitinledu lac Vajki-
jaur, où se reposaient un grand nombre de rennes (jue l'un avait laissés
là i)our brouter le lichen. On me donna de nouveaux baleliers, deux
garçons et leur père, qui ramèrent aussi énergi(|nemenl (pi'ils le purent;
puis, laissant le bateau, nous fîmes à pied un Irajet d'une heure qui
nous conduisit au hameau lapon de Jockmock. PendanI celle marche,
je fus pris d'un accès de laim-valle. Eu arrivani à la slalidu, je demandai
aussitôt de (juoi manger; mallieureusement, la maîtresse du logis était
absente et les mimiles (ju'il me fallut attendre me parurent aussi longues
que des heures.
Le village était complètemeni dései'l, el, comme je ne pus obtenir de
nourriture, je tâchai de faire diversion â ma faim en le paicouranl. Pen-
dant que je rôdais, m'amusant à regarder les maisons eu rondins avec
leurs toits couverts de terre oii l'herbe i)0ussait, et cherchant une figure
humaine, je vis venir à moi un gentleman, et je me souvins (pie j'avais
du célèbre explorateur arctique, le professeur Xordenskiold, qui me
l'avait donnée à Stockholm, une lettre de recommandation pour le pro-
fesseur baron de Diiben, que l'on m'avail dil que je pourrais renconirer
en Laponie où il faisait des éludes sur le peuple de celte contrée, .le
sentis instinctivement que le nouveau venu élail le baron. Nous lujus
saluâmes, nous nous dévisageâmes l'un l'aulre, et je lui demandai :
« Ne seriez-vous pas le professeur bar(jn de Diiben? — Je le suis en
effet, répondit-il. — J'ai une lettre d'introduclion ])Our vous. Je viens
de traverser la Norvège. — Je suis heureux de l'apprendre, reprit le
professeur en excellent anglais. — J'ai tellement faim, (pie je ne sais
(|ue faire de moi, lui dis-je. J'en suis tout étourdi; la domesli(pie delà
station ne paraît pas se presser, jiarce que sa maîtresse n'est pas à la mai-
son.— Venez avec moi, » repartit le baron. — Et il m'emmena au pres-
bytère, dont il élail I'IkMc. Il me présenta à l'hôtesse, puis à la baronne.
La femme du pasleur sortit (juand elle eut appris que j'étais affamé, et
revint bienlôl m'inviler à prendre une collation.
LE GRAND CHEMIN DE LA FAMINE 139
Le baron el son éiiouse avaient passé l'élé en Laponie. Nous réso-
lûmes de voyager ensemble jusqu'à la mer. Je leur suis redevable de
beaucoup de bontés, non seulement pendant notre voyage, mais encore
à Stockholm, et de lettres de recommandation, sans compter plusieurs
illustrations delaLaponie qui accompagnent ce récit. Les photographies
originales en ont été prises par la baronne elle-même.
Le village lapon de Jockmock a une école et un pasteur résident. Son
église bizarre, avec son clocher à part, a été construite en 1753, et une
plus ancienne date de 1607. Il est situé sur une colline, à la base de
laquelle coule la rivière Lilla-Lule, déversoir du lac. Dans le puits du
presbytère, la glace et la neige paraissaient avoir deux pieds d'épaisseur.
Il y a seulement trois mois que la neige a disparu du sol, que la gelée
pénètre à une profondeur de six pieds.
L'une des occupations des naturels est la pêche aux moules, dans la
rivière. Certaines coquilles contiennent des perles d'une valeur consi-
dérable.
Une grande étendue de pays, connue sous le nom de LuIeaLappmark,
a une surface de 327 mille carrés suédois, et se compose de deux
soknar ^ ou paroisses. La paroisse de Jockmock, selon le dernier
recensement, contient 648 Lapons. Elle est divisée en quatre byar, ou
districts. Jockmock, Tuorpenjaur, Sirkasiuokt, et Sjokksjokk; chacun
d'eux a son propre territoire de pâture dans les montagnes. Fort peu de
ces Lapons vont jusqu'à la côte norvégienne.
De Jockmock. jusqu'à Storbacken, distant de quatre milles suéduis,
la Lule n'est pas navigable à cause de ses rapides troj) rapprochés l'un
de l'autre. Ici commence un grand chemin, qui n'est fini que depuis peu
d'années, et qui a été construit pendant la grande famine de 1867, an-
née mémorable dans les annales de l'Europe septentrionale, en raison
d'une gelée hâtive qui détruisit les récoltes et répandit la désolation et
la mort dans de vastes districts. Le lichen et l'écorce de bouleau, mé-
langés avec un peu de farine, devinrent la nourriture du peuple, après
que l'on eut mangé le bétail et qu'il ne resta rien autre. L'année suivante
vit une forte émigration en Amérique.
La route passe par une contrée monotone, par des marais, à travers
des districts jonchés de blocs erratiques. A l'époque démon voyage, les
forêts brûlées présentaient, en bien des endroits, l'image d'une désolation
160 LE PAYS Dl SOLEIL DL Ml MIT
lutale. Ces foiitlngrations arrivent généralement par l'indifférence des
Lapons, ou des Iniclierons qui négligent d'éteindre les feux de leurs cam-
pements. La perte est cruelle, car, dansées régions, les arbres croissent
très lentement, cl il leur faut an moins 150 ans pour atteindre un pied
de diamètre; on en trouve qui n'ont même pas un dcnii-pied de dia-
mètre et qui comptent plus de deux cents ans. 11 y a des milliers de
grands sapins qui gisent sur le sol, noircis et calcinés, ou qui sont res-
tés debout comme de noirs pilastres, avec leurs branches et leurs cimes
brûlées, pendant que des monceaux de cendres et de charbon ap[)arais-
sent de toutes parts. Pas un brin d'herbe ni de mousse sur le leriain
desséché et terrifié; çà et là, un arbre ou un groupe d'arbres a échappé
à la fureur du feu; on se demande commeni cela à pu se faire, cai' cha-
que chose alentour a été anéantie par les flammes.
Les fermes me parurent très en progrés. Dans quelques maisons, les
chambres étaient tendues de j)apier; des poêles en porcelaine les or-
naient; une napi)e en beau linge blanc s'étalait sur la table de la salle à
manger préparée pour l'étranger. Quehiuel'ois ou avait Iracé un petit
jardin où iioussaienl des radis, des oignons, des laitues et des pois
verts.
VuoUerim est admirablemeni silué auprès d'une cliiile d'eau, en
forme de ter à cheval, et entouré de cbam|is d'orge, d'avoiii(>, de pommes
de lerre el de prairies verdoyantes. Les ioiis des maisons élaienl cou-
verts d'écorce de bouleau sur laquelle on avait posé des perches très
rapprochées l'une de l'autre, comme proleclion contre le veut; an sonr-
met de quehpies maisons était construite une i)late-forme pour sécher
de la chair de renne et de mouton. (pu3 l'on tue en novembre.
Non loin (hi hameau, la riviéi'c Lilla-Lnie nui! ses l'anx à celles de
la Slora-Lule (.s7w« signifie grande), (pii s'élance à liavers un grand ra-
pide, el forme ensuite la chute du Porsi, d'environ six pieds de hauteur.
Sous la chute, le lil, d'un sable sec, jirouvait (pie l'eau se calmaiL
La Slora-Lule est l'exutoire d'une série de lacs, ciunme ceux ipii
forment la Lilla-Lule. La Virijaur sort près de la base du giand glacier
de Sulitelma, à 1,948 pieds au-dessus du niveau de la mer. Kn remon-
tant la rivière, le voyageur aperçoit la chnie di' Niommelsaska, (|ui est
formée par la Slora-Lule. On dit qu'elle est très belle en juillel, paice-
que c'est l'époque où l'eau arrive en plus grande quantité. Une partie
SINGULIERES VARIATIONS DE TEMPÉRATURE 161
du courant esl unimpélueux rapide avec une chute totale de 231 pieds
suédois; à un certain endroit, elle franchit une dislance de 102 pieds.
Plus grande encore est la chute d'Adnanuioïki-Kortje, formée par l'exu-
toire du lac Gjerlejaur, au point où les eaux descendent dans le lac
Pajiplolilujaur, d'une hautem' de 134 pieds. A (pielques milles au-des-
sous de VudUerim, la grand' ruule liint à Storbacken , la liviére étant
tombée de OoO pieds depuis Jockmock. Ici, les changements marqués
entre la nuit et le jour sont démontrés par les notes thermométri((nes
suivantes pour le 18 août : à huit heures du matin, '61° et demi; à neuf
lieures, au soleil , 94° ; à midi, à l'ombre, 60° ; à deux heures a[)rès midi,
à l'ondire, 00°; à trois heures trente minutes, sur l'eau, et au soleil,
106°. 11 n'y eut pas un souflle de vent pendant loule la soirée, et je
remarquai que ces grands changements arrivent graduellement avec
une atmosphère parfaitement calme.
Le 19, à six heures du soir, le thermomètre se tenait à o4°; mais l'air
devint piquant et froid à mesure ([ue le soir a}iprochait. Le ciel était
toiil à fait clair, et, à onze heures, la température tombait à 42°, et on
craignit la gelée. A minuit, le mercure marquait 38°. Le temps devint
encore plus froid pendant la nuit, et, (juand je sortis à quatre heures du
matin, le 20 août, l'herbe était couverte d'une gelée blanche et le ther-
momètre se tenait à 32°, quoiipie le soleil brillât. Heureusement le
grain ne fut pas maltraité.
11 parait que, du 20 au 24 août, dans certaines années, une forte
gelée se jiroduit en cette région, et imil aux récoltes ou les détruit:
mais, si la gelée ]ie vient pas, elles sont généralement sûres.
Les framboises sauvages avaient mûri, les moineaux étaient nom-
breux auprès des fermes, et les hirondelles i)as encore |)arlies pour le
sud.
Un des faits (|ui m'ont paiticulièrement frappé en dedans du cercle
Arctique, c'est la grande différence de temi)érature au soleil et àl'ombre.
•J'ai noté dans le cours de ce récit l'éteiulue de ces variations, et, comme
moi, le lecteur a sans doute été étoimé d'apprendre combien les rayons
du soleil étaient puissants. En sortant de la chaleur pour passer à l'om-
bre, on sent (pie l'atmosphère est rafraîchie et souvent elle donne le
frisson, tant le changement est grand. La chaleur la jilus forte du soleil
se produisait cpiand il brillait entre les loiu'ds nuages couleur (lf|iloml>.
11
IG^ LE PAYS DU SULEIL DE MlNllT
Je faisais iiu's (ibscrvalions avec plusieurs thermomètres simultaMémeiit.
Au soleil, je ne me servais que île lulies eu verre à la bulle iioireie. (|ue
je posais sur umn chapeau de l'eulre, Sdigueusement gardés contre le
veut; ear la moindre brise sur le verre aurail produit aussitôt une varia-
lion de ]iliisieurs degrés.
De Slorbaeken, la rivière Lule, dans son cours vers la mer, forme
deux réservoirs ou lacs, entre lesijuels, prés d'Edefers, — à une distance
de viiigl-six milles environ, — il y a un beau rapide; le deuxième lac est
à 7() pieds au-dessus du niveau de la nier. Six milles plus loin, la
navigation reprend jusqu'à Hedenfors, avec une autre chute, sous
laipielle, à Ralu'ick, un steamer vous porte à la ville de Lulea.
Sur les deux derniers lacs, les fermes et les hameaux sont plus
noudneux et [ilus gi'ands; le paysage est diversifié par les forêts et les
chamiis.
Ici, le seigle rend souveul énormément el est très bon , bien des liges
élaienl hautes de six à sept pieds et j'en vis même de plus hautes. Le
bluklhit (bluelj, la ccntuurvii ri/aiiiis (la centaurée i, el les i»avols
abondaient, et leurs belles couleurs réjouissaient les yeux; à deux ou
trois pieds sous cette luxurianle végétation, le lenain était gelé.
A Rabâck, nous li-ouvàmes le steamer Vicllh-dra , qui allendail, et
peu après notre arrivée nous descendions la rivière à loule vaiieur. Le
gouverneur île la province était à bord el je lui fus présenté. A mesure
que nous avancions, le cours d'eau devenait de |)lus en [ilus large: nous
nousarrèl;\mes à plusieurs points; nous passâmes devant l'école d'agri-
culture, et, le 20 août au soir, nous arrivions à Lulea.
Le voyage de Ovickjok ;i la mer ilmuie une assez jusie idée
du thalweg d'à |)eu jnès toutes les rivières de la Suède.
Lulea, 05° 41 , lalilude, la ville la |)lus seplenirioliale après Hapa-
randa,est située à l'embouchure de la rivière d'où dérive son nom; elle
est aussi la résidence du IdiKhliôfduu/ ou gouveiaieur de la L<(ii ((ii'o-
Vince) de Norrbotlen, doni la juridiction s'étend à toute la partie la plus
septentrionale de la contrée. La ville consiste en maisons de bois, el en
plusieurs magasins; car c'esl un centre de commerce, comme loules les
villes suédoises hàlies aux embouchures des rivières, et aussi une sorte
A' entrepôt pour les marchandises. On y fait un grand commerce de bois
de consirucliou el bien des vaisseaux viennent en charger tous les ans,
l'.\E Puis ON KT L'X CABAHET IHI]
Pi'iidaiil les mois d'i'lé, luul arrive par sleaiiier ; car, l'hiver, les
iiiarfliaiidises ne iieuveiil être transportées jiar la voie de terre, k moins
de payer un prix exorbitant. Les maisons snnl irrandes et peintes les
unes en blanc, les autres en routée.
La petite ville possède une église en |)ierre, élevée au milieu d'un
S(|nare. L'intérieur en est 1res sim[)le. Aucune peinture n'orne les nun's
liLincliisà la chaux; mais, sur l'autel, il y a une grande croix en bois
doié, avec une couronne au sommet; à sa base, un cœur et une ancre,
et, de plus, une image ([ue je suppose devoir reiirésenter des feuilles
de laurier. La chaire eslfastueusemenl dorée.
La prison, bâtiment octogone en pierres, existe depuis assez long-
temps, et est entourée d'une liarriére en [ilanches, peinte en rouge. Les
cellules sont au n(ind)re de di\-se|>t. de diverses tailles et formes.
A l'étage supérieur sont les quartiers des prisomiiers condamnés à
la réclusion. La dimension moyemie des cellules est d'environ dix
])ieds en longueur sur sept en largeur. On se sert de hamacs au lien de
lils. Chaque cellule a une petite fenêtre fortement grillée de barreaux
de fer et chaque porte a un verre épais, ou œil-de-bœnf, par le(juel
le surveillant iwut voir dans l'intérieur. Je fus surpris de n'y trouver
que six condanuiés, et l'on me dit (|ue le plus grand nombre jamais
connu se produisit à l'épocjne de la famine, où il y en eut jusqu'à vingt.
Les lois sont strictement exécutées; une conduite désordonnée, du
bruit dans les rues et les Irouldes de nuit, les batailles, les mutilations
d'arbres, la violation des lois sur la chasse, la désobéissance à bord
des navires, le manque de respect envers la police, etbeaucoup d'autres
offenses, sont promiitement punies, et, par-dessus tout, le vol d'un objet,
(lueliiue petit qu'il soit, ex[)ose le coupable à une pénalité sévère. En
été, quand les ports sont ouverts, et (jue les étrangers arrivent pour
chercher de l'ouvi'age, le nombre des iirisonniers est le plus grand.
La vente des siiiritueux est permise, et je suis peiné de le diie,
l'auberge était bruyante et m'olfrit des scènes d'ivrognerie (jui me
lirent une mauvaise impression. C'est naturellement pire en été, car
alors les marins, les rôdeurs et les portefaix i)assent la majeure partie
de leur temps dans la ville, et la prison [est souvent occupée par des
hommes simplement coupables de conduite désordonnée ou d'ivrognerie.
L'ordre est maintenu dans les rues |iar trois ou (piaire policemeri, ou
164 LE PAYS DU SOLEIL DE MINUIT
veilloiii's, (loiil on enk'iid les vuix la nuit'el qui uni ponr devoir de
donner l'alarme en cas d'incendie.
Je fus invilé à une réception chez le gouverneur, ipii était veuf; sa
fille, jeune dame de vingt printemps, était une charmante hôtesse.
Presque toutes les dames présentes parlaient anglais ou une autre
langue étrangère. La musique et le chant formèrent les principales
distractions de la soirée, où chacun sembla s'ellorcer, el cela sans
aireclation, de faire en sorte que l'étranger se crût chez lui. — « Il faut
que vous alliez voir la vieille Lulea, » dirent qnehiues-unes de ces
dames. — « Ne voulez-vous pas venir avec moi ? » demandai-je.
J'invitai deux demoiselles et une dame mariée pour être leur chaperon;
elles acceptèrent, tout en faisant remanpier que c'était un peu en dehors
des habitudes : << Mais, ajoutèrent-elles, nous savons qu'en Amèri(iue
les gentlemen invitent les jeunes dames à se jjromener avec eux. »
Le gouverneur me montra son jardin, dont il semblait iier ; les
framboises venaient de nn'n'ir; les fraises de jardin èlaient avancées;
les groseilles à grappes rougissaient ; celles à maquereau el les mûres
étaient encore vertes ; les betteraves, navets et carottes se trouvaient en
boiuies conditions; les choux et choux-lleurs allaient pommer; les
épinards cl les radis étaient abondants ; les pois avaient lleuri el
poussaient déjà des cosses. Je remaniuai l'absence de pommiers el de
cerisiers, (jui ne croissent pas sous celte latitude en Suède ; mais les
dahlias, asters, jjetunias, dicentras, (Iclph'iminn (pieds d'alouette),
zinnias, lidlos (pâquerettes), ili(jitalis ^digitale), hcspcrh (julienne),
cuit'irrhiiuini (nudlierj, les lupins, violettes, oeillets doubles, lulii)es,
pivoines, anémones, lys el lilas élaieiil cultivés.
(Ju(»i(|ue nous ni' fussions (|u'au 24 août, les jours diminuaient sen-
siblement ; à dix heiu'es trente minutes, les ombres du soir étaient sur
iKHis et les étoiles scintillaient sur nos tètes. On avait du plaisir à voir
la lune après un intervalh; de trois mois. Gluuiue nuitavail été nuageuse
depuis que j'avais (]uitté la Norvège, et, vers onze heures, la première
aurore boréale de l'aiilomne se moiilra dans les cieux. Quand elle
apparaît dans celle lalitude avant miiuiit, c'est regardé comme un signe
de vents du nonl el de l'est; el, si elle apparaît ,iprès, comme un signe
de venis du siid-esl.
CHAPITRE XI
Climat d'iHé en ileilans du cercle Arcti(|iie. — Végétation.
Aucun pays, depuis le cercle Arctique vers le nord, ne possède
un climat aussi doux et une végétation aussi luxuriante que la Norvège
et la Suède. Les contrées situées sous les mêmes latitudes en Asie ou
en Amérique, offrent un aspect stérile et froid comparé avec la partie
du monde que nous venons de visiter. Ce climat est dû à plusieurs
causes : le Gulf-Stream, la Baltique et le golfe de Bothnie; la position
des montagnes qui abritent les vallées; la prédominance des vents du
sud et du sud-ouest qui soufflent presque toute l'année, spécialement
en Norvège; les longues heures de soleil et la puissance solaire. Du
côté norvégien, le long de la côte et des fiords, grâce à l'influence du
Gulf-Stream, le printemps commence de meilleure heure, et l'été est
plus long qu'en Suède ; mais les jours de soleil le sont moins et le
climat est plus humide; consèquemment, la végétation ne croît pas si
vite. L'été succède à l'hiver plus rapidement sur le golfe de Bothnie,
et la végétation augmente presque visiblement, surtout lorsque la rosée
est épaisse. Grâce à un hiver moins rigoureux sur la côte norvégienne,
et à une période plus longue de temps moyen ou plus doux, bien des
arbres fleurissent et prospèrent à une plus haute latitude qu'en Suéde.
|0(i LK l'AYS Dr SOL Kl L DE MINUIT
Le spijile, que l'on sème dans le cerele Aicliijue au commencement ou
au milieu île juin, alleini une hauteur do sept à huit pieds au commen-
cement d'août; il monte donc de (pialre-vingl-seize pouces en neuf
semaines, et. si on le sème en premier, il pousse quelquefois de trois
|)0uces par jour. A Niavi, l'orge (Mail prrlr à être moissonnée au milieu
d'août, six ou sept .semaines après avoir été semée.
Le mélèze [lari-r et/ro/hva) s'étend en Suède un peu au-dessus du
cercle Arctique; mais, en Norvège, il va plus loin. Le cerisier {priinitfi
'li(i(h(i<\ croît en Sin''ile en dedans du cercle arctiiiue; en Norvège, il
s'avanci' jiisiiii'à 70° 20'. el. sur les liords de la rivière Taiia, il atteint
une liaulenr de dix à douze pieds el poi'le di's IVinls. Le sorbier (surhiifi
(iiiriijHirid) fructifie en Norvège au liord Allen, 70°; le tnrlius Iii/-
hrida pousse en buisson en Norvège jnsipi'à Tromso, 09°. Le lilas
{si/rinr/a viih/avis) existe à Lofoden aussi liant que 08° 30'. L'érable
[acer plahmdirJcs)^ — le maionnier (.tuciiIus lùjipocastanKm) el le
nerprun (liumiiius l'rdiH/iihi) ponsseid jiisi|n'au cercle Arctiipie; l'orme
lui mus iiKiiiliiiKi) croit au 07°; le ri/f/s//s t//pl/H/s à 08° iiO". et le
neiselier frw'////Aw//Y'/A///^/), à Stegen. 07° oG'. mais il ne poi1e point
de finils.
La région des sapins (l'ei/io si//rf/f/ct/) s'étend depuis la côte à
environ 3,200 pieds au-dessous de la ligne des neiges; mais, vers les
hautes latilndes, lesarlires grossissent très lenlement; ils soni rabougris
et se tioiivcnl dans les marais. Quand le saiiin dis|iarail, on cesse de
remanjuer les plantes suivantes : msi/ ri/aun/ioi/i/'//, rt/rcr (jlnbuln-
rh, (jal'ium horedlc, l//shii(iclii(( ll/i/rsi/lnra, /ilird(/mites coiuiint-
iiix, smiluviini bifolid.
Dans la deuxième région [rrijid siihsijifdlicd], les arbres conliniieid
à croître à uni' baulcnr de 200 pieds au-dessous de la ligne des neiges.
Des liii'èls de sapins écossais el aiih'es i/>i////.s si/lrcstris el d/iics)
s'étendent en Suède aussi haut que 08° 30', et à 700 ou 800 pieds an
dessus du niveau de la mei'. Plus le pays s'élève, plus ils sont rabou-
gris, et ils disp;ii"iissenl dans Irs Irn-cs pins au nord. En Norvège, on
les rencontre mémi' ;i l;i h.iiilriii- du 70° N.
La troisième région, |ilns caractéristique [n'i/io siilxiljiiiid) ^ est
celle du boul(>au; ces arbres croisseiil à iinr |iliis li.inli' élévation i[ne
tous antres. Le hrli/ld dllxi rrrnirosd pousse à mir bailleur de 2,000
FLORE NOHVKCIENNK IfiT
pieds dans la partie méridionale, mais on ne le viùl pas en Norvège
au-dessus du 04°. Le hotiila alba fjl lit i noua, ou bouleau du pays
haut, se rencontre à la partie septentrionale presque extrême, et pousse
dans quehpies districts du sud jusipi'à 3.oOO pieds au-dessus du
niveau de la mer. Le honleau atteint souvent une liautenr de quatre-
vingts pieds, prend un développement à ]ii'u prés pareil, ef atteint
quinze à dix-huit pieds de circonférence dans le sud.
Dans la quatrième région {rprjio nljiiita). le houleau a disparu, ef le
saule nain {sali.r (jlatica), le houleau nain ihrtifla nana), et le ^^w-
W'm'ijiin'iperus cominiinis) croissent à environ 1,400 pieds au-dessous
de la ligne neigeuse. On trduvc dans la cinquième région Xarbiiatiis
alpina, le triciitalis etn'ojii'n, la rrronicn ulpiiia, X iiiidruinoda ccfu-
lo'd, le ptcrh crispa, et YdrrlKiiu/i'licd. Plus liant, le saule et le liou-
leau nain perdent même leur forme de huisson ; le hotuJa nana rampe
sur le sol. Sur les côtés chauds des collines, on voit le lijchnh (sayina?)
apotala, Vop/u\i/s (orr/iis?) alpiiid, Xer'ujovon luiifloniin, Xaftlra-
l/iilus li'diitiitns ; et, dans les marécages, Xaira (ilpinn, le cnrcx ustu-
liitii. If riicciiiiniii uH(juiosinii , même à (S(l(> pieds de la ligne des
neiges.
Dans la sixième région, les montagnes ne dégèlent pas. Quand le sol
est délivré des neiges, très peu de plantes croissent : Xcmpetrinn
nigrum (sans baie.s) , Xandroiiirdn tctragona et lii/pnoidcx , la dia-
pensif/ hipaiiicd ; sur les iléclivilés pins vertes, Xà f/riitiann tondla et
n'iralh, la rdiiipariulfi mi'ijhird, la drahn 'dp'uin ; dans les endroits
plus froids, le pedicidaris Jùrsutu et f'kninncii, la di/nis octopetal».
La région s'étend à 200 pieds au-dessous de la ligne des neiges. Encore
plus haut, comme nous l'avons vn, la végétation se montre en peu de
fleurs exquises, et la mousse de icinie [eladonid range ferina], qui
croit presque à la ligm: neigeuse, est abondante an S|»itzberg, 80° N.
On eu fait de l'alcool, car elle possède un peu de matières farinacées.
La mousse d'Islande (cctraria ishindica) abonde aussi et contient
quatre-vingt pour cent de substance digestive; on s'en sert souvent
(mélangée avec de la farine) pour remplacer le |iain dans les mauvaises
années.
Quant aux céréales, nous voyons (jue le blé ne prospère pas en
dedans du cercle Arc!i((ne en Suéde, (pioiipi'il réussisse en Norvège.
108 LE PAYS DIT SOLEIL DR MINUIT
Le blé commun pI nutros espèces croissent jusqu'à Skil)itllen, GO^^S',
et même très rapidement; dans le sud, depuis les semailles jusqu'à la
moisson, il exige de MO à 120 jours. Les variétés d'été et d'hiver
du seigle prospèrent aussi haut que le fiord Alten. On voit aussi
l'orge à Alten; si elle est semée dans les derniers jours de mai, elle
fleurit à la mi-juillet, et on la récolte à la fin d'août et au commencement
de septembre; elle rapporte au décuple. L'avoine croît jusqu'au GO °N.,
et à Alten jusqu'au 70° ; le pois de champ pousse à Bodô, G7° 20'. Les
pommes de terre rendent bien sur la côte de Norvège, à Alten, et, dans
les étés chauds, même jus(pi'à Skarsvag, à environ 7r4',et même à
Vadsô. Le climat est plus froid sur le coté est du cap Nord. A Vardô,
70°40'N, on ne peut commencer à jardiner ou à planter avant le milieu
de juin, et quelquefois pas avant la Saint-Jean ; les brouillards prédo-
minent depuis juin jusqu'à la fin de juillet; août et septembre sont
généralement clairs.
Les betteraves poussent aussi haut que Vardô; h' ch.invri' el le lin.
bien qu'assez médiocres, atteignent dans la région la plus septen-
trionale,au 70°N.,une hauteur de deux à trois pieds. Le vulpin, lafolle
avoine et le trèfle rouge croissent jusqu'au 69° dans le Finnmark occi-
dental; le trèfle blanc au 70°; on voit des navets ou raves à Vardô ; les
carottes poussent jusqu'au fiord Varanger, et, à Alten, (dles atteignent
un poids d'une livi'e el demie; les panais n'arrivent pas à |iliis d'un
pouce et demi en grosseur. Le houblon croit jus([u'à Lofoden.
La contrée est surtout riche en baies. La fraise sauvage (//w/w/r/
vesca) est très parfumée, très douce, el nuuil au delà du70°N., el dans
la partie méridionale de la Scandinavie, jusqu'à 3,000 pieds. Le fram-
boisier sauvage inihiix iiLnis] prospère au 70° N., et, au sud, à une hau-
lenr de 3,000 pieds; la framboise arctique (r///i//s nrcficux) est déli-
cieuse, elle a le goût de l'ananas. On trouve aussi la canneberge {racci-
iiium o.ri/coccus) et la cnmmnQ[empetritm nujvinn]. Bien des variétés
de brimbelles et de myrtilles {vacrinium) poussent partout au 71°, et.
plus au sud, à une haulriu' de 3 à 4,000 pieds. On voit le groseillcr
[ribes) aussi haiil tpie le 70° au Finnmark occiil('iit;il, et ilnns Syd-Va-,
ranger, à la rivière Jacobs; dans les montagnes, il va jusqu'aux limites
du sapin et du bouleau. Les groseilles noires et rouges sont sauvages
sur les montagnes; de même la groseille alpine {nbes alpinum) [et la
FLORE NOHVEGIENNE 169
cornouille suédoise [cornus surcira). La baie la plus estimée est le
ruhus rhamœmorus ( ). qui pnusse partout aussi loin que le
71° N., et que l'on trouve au sud jusqu'à 3,000 pieds au-dessus du
niveau de la mer ; avant de mûrir, elle est rouge, et, quand elle pousse en
buisson épais, elle forme un très beau parterre rouge. La cerise [pru-
nus ariuin et cerasus), mûrit jiarfois en Norvège, au 66° N.
CHAPITRE XII
Les siiisoiis près du cercle Arctique. — Maisons île ferme. — Chambre de réception et cuisine. —
Ndiirriture haiiituelle. — Holmsund. — La maison D.. et C''". — Sa prévoyance et sa pliilan-
tropliie. — L'mea. — Réception jiar le gouverneur. — Écoles d'agriculture. - Vn accueil
cordial. — Un charmant jardin. — l'ials natil's. - Scène religieuse. — Jolis noms de femmes,
— Banques. — Un cas de lièvre typlinide.
Du cercle Arcliiiiie eu se iliri^'eaiit vers le sud, la végtMalion aug-
mente rapidement. Une grande partie de la province de Westerbotteu
est couverte de forêts de sapins et de pins, oîi prédominent les premiers ;
ils commencent sur les déclivités des montagnes à une hauteur de mille
à treize cents pieds, et s'élendeul jus(|u";i la mer, à une distance de
cent cinquante milles. Peu à jmmi la contrée devient plus peuplée; de
nombreuses scieries convertissent en |)lanclies les immenses troues
d'arbres (pie l'on a flottés sur les lacs elles rivières; — l'agricullun'
est développée de la plus intelligente manière; les bâtiments des
fermes sont grands et bien construits et les maisons d'iiabilation
spacieuses.
J'ai vu ici, à la fin (i'a\ril. d'aveuglantes tempêtes de neige, elj'ai
trouvé les ])etits lacs, jji'ès de la mer, tels (pie celui de Stôcksjû, pré.-^
Umea, gelés jusipi'au l.'i mai; iiéanninius, les hommes étaient à la
cliarrue.
ixterip:lh dk fhkmh iii
Du 20 au 24 mai, h's formici-s Sdiil occiiprs à somor leur grain;
liomnies et femmes sonl aux chauiii-^. Li's las de fumier de l'aunép, qui
ont rlr soigneusement consoi'vés, sdiiI r(''|tandus sur le Icrraiii. Lr
28, les premières liirondi'ilt's lircnl li'ur apparition, el, deux jours
après, le chant du coucou aiUKinca rapproche de l'été. Dans l'inlé-
rieur, la saison èlail moins avancée; d;ins l;i vallée de Urne, au com-
mencement de juin, il y avait lieaucnup de glace sur le Tafvelsjôn, et
des plaques de neige ç;i el l;i, au picil des collin(>s; plus loin, la végé-
lalion était encore plus en relard; m;iis. en élé, el même au nord, j'ai vu
(le superbes champs de seigle.
Les hâliments d'une ferme se composent de corps détachés, entou-
rant une sorle de cour; tous sont peints en rouge, quand le maître est
riche; mais la maison d'habitation l'est toujours; on peut dire que les
jardins d'agrément sont inconnus chez les fermiers.
Dans la chambre de récei)lion. trnne avec une propreté scrupuleuse,
le parquet est plus ou moins couvert de tapis faits ;i la maison, et un
poêle en porcelaine, rond ou carré, généralement blanc, atteint le pla-
fond à une hauteur d'environ dix pieds. Les chambres à coucher ont
des lits confortables dont les malclas el les oreillers sont invariablement
renijilis de plumes.
La grande chambre est la cuisine, avec sa cheminée largement
ouverte, ijui donne de la lumière le soir, et réjouit autant qu'elle ré-
cliaulfe la famille. Ici, cela va de soi, ont lieu la cuisson et la préparation
des mets; le mobilier est simple et utile. Le long des murs, on a installé
des lits à coulisses en planchi^s unies, servaid de sièges pendant le
jour, et que l'on remplit de foin ou de |);iilli' pour la nuit; ces lits
[)euvent recevoir deux ou trois dormeurs. Toute la famille couche dans
la même chambre, frères et sœurs, domestiijues mâles et femelles; les
femmes toujours en chemise, et les hommes vêtus en partie.
Dans cette pièce commune, des perches sont disposées près du pla-
fond el de la cheminée; chaque soir, on y suspend les vêtements et les
bas pour les faire sécher. La cave est sous cette chambre; on y descend
par une trappe dans le plancher; c'est là que se gardent les pommes de
terre, le beurre, le fromage et divers autres articles. La compagnie est
reçue fous les jours dans cette pièce; les hommes fument et crachent
sur le plancher qui est lavé tous les samedis. (pi;iiiil a lieu le nettoyage
^n hK PAY^^ DL' SOLEIL DE MINUIT
général. On ne se sert pas de nappes, mais la table est toujours tenue
très jiropre ; les fourchettes sont inconnues et on mange rarement sur
(les assiettes; le pain en lient lieu. Une grande écuelle de pommes de
terre est posée an centre de la table et chacun va y puiser; on par-
tage généralement le beurre au préalable, et souvent aussi In viande
iiu le poisson; pour boire, chacun se sert également lui-même en bu-
vant à un grand bol en bois contenant du lait aigre, que l'on agite
d'abord.
Excepté dans les occasions extraordinaires, on ne change de linge
ou de vêtements de dessous qu'une fois par semaine, le samedi soir
quand le travail est fini. La plupart du temps, la lessive de la famille n'a
lieu qu'une fois tous les trois mois, et son montant est alors énorme.
Un jour d'août, je débarquai à Holmsund, à l'embouchure de la ri-
vière d'Umea. — un de ces nombreux hameaux dont les embarcadères
sont encombrés de millions de |iièces de bois prêtes à êtreembanpiées.
La meilleure idée que l'on puisse donner de l'extension de ce commerce
ici, c'est de dire que la maison D... et G'% de Gôteborg, em])loyait à
cette époque de trois à cinq mille personnes dans les scieries, ou à
tirer, flotter et embarquer le bois; la maison eut la sagacité de prévoir
l'inévitable hausse des prix, et, en conséquence, il y a bien des années,
acheta aux fermiers de vastes étendues de forêts qui ne valaient encore
que peu. Le jirincipnl associé, herr D..., a fait bàlir une église et une
maison d'école pour les ouvriers; il se charge des traitements de recclé-
siastique et de l'instituteur, et, en réalité, il a créé un village; son
monde semble très soigné, et, par leur bonne tenue, tous font honneur
à sa philanthropie. Un membre de celte maison de commerce, ins-
piré par un louable sentiment d'es[nil public, a supporté seul le poids
principal de l'expédition de Nordenskiûld , (pii a exigé de li'ês gros
déboursés.
A quelques milles i)lus haut est la ville d Umea (lat. 63° 49, N.),
inaccessible aux grands navires; c'est une belle petite ville avec une
population d'environ 2,500 âmes. Je fus frappé de son extrême propreté,
comme, du reste, dans la généralité des villages suédois; ses rues sont
un peu étroites et pavées dt> cailloux; toutes les maisons sont en bois,
très longues et bien peinles; la plupart ont un étage. Un très beau pont
de bois, construit sur des piles de granit, traverse la rivière Umea. au-
ECOLES SUEDOISES D'AGRICULTIKE 173
près de laquelle j'ai compté plus de dix mille liariis de goiidioii atten-
dant leur embarquement. Il y a beaucoup de boutiques; car ces petites
villes sont des centres de commerce pour le pays environnaid. Les habi-
tants avaient tous un air de confort et de prospérité; ils étaient vêtus
comme des citadins, et l'on voyait clairement que le plus humble
même avait reçu de l'éducation. Les liiîures heureuses des nombreux
enl'aals sortant de l'école démontraient que leur tâche ne leur avait
pas semblé fastidieuse; le grec, le latin, l'allemand, le français, l'an-
glais, le dessin, la musique, l'astronomie, les mathématiques, etc., sont
compris dans le cours des études de l'école supérieure.
On voyait ici des exenqiles de l'amour qu'ont les Suédois pour la
musique et le chant, même aussi loin vers le nord. En passant dans
les rues, j'entendais le son d'un piano presque dans chaque maison;
les enfants s'y exercent pendant ijue leurs aînés jouent. On comptait au
moins cent pianos dans la ville, soit un par vingt-cinq habitants, à peu
près; certes, beaucou[) n'étaient pas dans le meilleur état ni de pre-
mière qualité, mais le cas est le même dans tous les petits endroits.
Ma réception par le gouverneur de la province fut aussi cordiale que
peu prétentieusi', (juoiipriMKloiiicsIiqin't'ii livrerait dû m'aiinoncer. Des
portraits du roi et des deux autres membres de la famille royale ornaient
les murs; l'ameublement était simple; point de tapis sur les planchers,
mais tout scru|)nlensement propre. Le gouverneur m'invita à dîner le
même soir avec une société choisie de gentlemen. Sur la table, décorée
avec goût, se prélassait un melon ipi'un steamer avait apporté du sud ;
grand luxe, si loin au nord I Le menu se composait d'un magnifique
sau ;mon servi entier, de délicieux hii'iif, poulets, capercailzie [gxsxià
coq de bruyère noir], pommes de terre, pois et haricots verts, salade,
pudding, dessert et vins variés.
Le gouverneur pro|)osa deux toasts, doiil un p(jin moi, amiuelje
répondis de nntn mieux. Après le dîner, nous descendîmes à une sorte
de piazza, protégée par des vitres, où l'on servit des cigares et du piuich ;
une agréable conversation termina la journée; à sept heures, nous nous
dîmes adieu, et mon hôte me sup[)lia de, taire une seconde visite à
Umea.
Les éc(des d'agriculture comptent parmi les institutions les plus
utiles de la Suéde. Vingt-sept île ces htiidllinihs shfih)r sont dis-
1-i IJ-: PAYS Dl" SULKIL DK MlXllT
Irilniées (l;iii;> lo pays, fl, t'ii outre, deux collèges agricoles. Ces écoles
ont graiulemenl contribué au développement et au perfectionnement de
l'agriculture, et le i)euple les regarde avec une laveur toute particulière,
popularité (pi'elles méritent ajuste titre. Le but de ces institutions est
d'élever le niveau de l'agriculture et d'enseigner aux fils des lerniiers
les moyens d'aniéliorer leurs terres. Les étudiants sont tenus de
donner deux ans à leni' insli'uclion : les cours conipreinient les
principes de l'agriculture et de l'horticulture, le soin des animaux
domestiipu's, le perfectioiuiement des élèves, le dessin, l'arpentage,
le drainage, les métiers de charpentier, de serrurier, de carrossier, de
forestier, les matliéniati(|ues, la chimie agricole, la météorologie,
l'ai'l du \élérinaire, la iiolani(|ue, un i>('ii de zoologie et de géologie, la
l'abricalion du beurre et du fromage, la construction des barrières et
lies nuu's. On a joint à (juelipu's-nnes des principales écoles des
classes de laiterie pour lesfennnes; (dies y passent un an à faire du
beurre et du fromage. Après avoir terminé leurs examens, les étudiants
peuvent, s'ds le veuleid, passer encore deux autres années dans un
collège agricole; ceitendani la plupart rctournenl chez leurs parents
avec la coiuiaissance prati(|ue du fermage.
L'instruction est gratuite, m;us les étudiants donneni leurs travaux
à l'école; la dépense est supportée en partie par la jirovince et en
partie par l'État. Le coût du collège, y c(un])ris la nourriture et
le logement, est d'environ 600 kronors jtar an. Il y a aussi un institut
forestier, avec six ècoh'S moindres, pour l'éducalicui de forestiers
pratiques. L'école d'agricuilure la jibis sei)lenlrionaIe est établie sur
les rives de la rivière Lule; chaipu' li'in en a généralement nue, et, dans
le sud, où la iiopulation est plus dense, (piehpiefois deux.
Cette année, le i)rix d'une vache, dans cette partie du pays, était de
80 kronors; (juand le foin est rare, le prix di'scend jusqu'à oO kronors.
Un beau chevul de l'iMiiie vaLiil de 200 à 2oO kroimrS, et un mouton de
7 à 10 kronors; on payait vingt livi'es de mouton i kronors; dans la
saison, on a vingt livres de saumon pour o kronors, et autant de bceuf de
première (pialité pour la même somme ; le beurre coûtait oO ore la livre.
Une corde de bois, de huit pieds de long, sur six de liant et trois de large,
valail de i ;i fi kronois, et |iour ."iO ore on avait vingt livres de foin. La
paye d'un journalier variail de 1/2 à 1 kronoi's par jour, les charpentiers
L'N ACCUEIL CUUDIAL l7o
et les nuirons leceviiicnl tic 2 à 2 ki'onors ut demi; mais les prix du
travail ont presiiue doublé depuis.
J'étais venu à Uniea avec lierr Dauntell, (pii taisait une tournée
d'inspection des écoles d'agriculture du nord. Ce savant était un
lettré en anglais, et parlait en outre parfaitement le français et
l'allemand; je lui fus redevable de bien des actes d'obligeance pendant
nnju séjour dans son pays. Son gouvernement l'a envoyé, en (|ualilé de
commissaire royal pour la Suéde, ;i l'Exposition de Pliiladelpliie, où
l'on a eu occasion d'apprécier ses manières courtoises. En sa compagnie,
celle (lu gouverneur de la lân, et d'auhvs fonclioniiaires, nous nous
rendîmes en voiture à l'écule d'agriculture de Innertalle, à (juehjues
nulles de la ville. Bien ipie ce fut le matin, tons élaient en tenue de
soirée et portaient leurs décorations.
Le directeur de l'école, berr D' U..., avail reçu son grade de
docteur en philosophie à l'université d'U[)sal. Cette institution, dont
la renommée s'étend au loin, ne confère de grade (|ue (|uand le pré-
tendant ;'i cet honneur a donné des preuves de capacité, en passant un
examen rigoureux; on ne fait aucune exceiitiondans la stricte exécution
de ce sage règlemeid.
L'école d'Irmertafle, (pii ne date (pie de [teu d'années, avait en
culture un peu plus de cent acres de terrain ', mais 800 autres acres
de terre inculte et de forêts devaient êln^ amendés par le labourage, et
la nature rocheuse et marécageuse du sol offrait aux étudiants d'excel-
lentes occasions pour apprendre l'art du drainage. Des ateliers de
forgeron et de charpentier étaient] en pleines ojiérations; la grange et
tous les bâtiments extérieurs me parurent très beaux. Le troupeau de la
ferme consistait en (rente tètes de liét;iil, outre les chevaux, moutons
et porcs de différentes espèces. On observait avec grand soin les produits
des croisements. On faisait aussi des exjjériences avec le blé, (jui ne
parait pas prospérer en ce district : en Norvège, ainsi que cela a été
établi précédemment, il pousse plus au nord ({n'en Suède.
Nous fûmes chaudement accueillis, .l'étais frap[)é de l'aspect Con-
fortable de la maison, et l'on voyait du premier coup d'œil que la main
d'une femme y présidait. Les sofas et chaises du parloir élaient cou-^
: L'acre vaut 40 ace; 4671''.
176 LK PAYS DU SOLEIL DE MINUIT
verts de housses en toile blanche ; des pots de fleurs ornaient les fenêtres ;
si propre était le par(|iiet, (jiroa irnignait de marcher dessus; il y avait
un piano avec une pile de musique à côté; près de la fenêtre, une
machine à coudre américaine; des liravures pendaient aux murs: des
Jigurines en porcelaine étaient dispersées çà et là; sur la table, des
journaux illustrés et des livres; dans un casier, des ouvrages français,
allemands, grecs et latins; et parmi les livres pratiques en anglais,
des essais sur » l'art de dompter les chevaux ' » et « comment on
administre une ferme-' ».
Des fenêtres de derrière, la vue donnait sur un jardin rempli de fleurs,
fraises, frambroises, groseilles, pois, carottes et pommes de terre, et
plus loin, une étendue de champs verdoyants. La végétation me parut
beaucoup plus avancée ici (pràLulea, (iuoi(jue la distance ne soit que
de 70 milles envirun. Les fraises, très grosses, allaient mûrir, ainsi que
les groseilles; les chuux, choux-fleurs et lailuesavaient pommé ; les pois
portaient abondamment et des melons poussaient sous cloches.
Lorsque l'examen de l'école fut terminé, on nous invita à prendre
part ;i un succulent repas, dont la maîtresse de la maison fit les honneurs
avec une grâce si charmante, que l'on se serait cru chez soi ; le reste de la
journée se passade la façon la plus agréable. Entre autres plats, on nous
en servit un(jui est particulier à la Scandinavie : un pudding de poisson;
en Suède, on emploie comnuuiément le brochet; en Norvège, la morue.
Le poisson est découpé en petits morceaux après ([ue l'on en a retiré
les arêtes, puis haché très fin avec du beurre; après (pioi, on le mêle à
des œufs, du lait, de la farine, assaisonnés de [loivre et de sel; un fait
bouillir le tout dans un moule pendant deux heures, puis on le mange
avec du beurre et de la sauce d'écrevisses ou de homard. Ce |)lat est
vraiment délicieux et très léger. Il y en a un autre, ajjpelê kôttbullar,
très populaire, fait du meilleuili(euf, mêlé de graisse et haché fin; on y
ajoute des œufs, du lait, desê|)ices, puis on lemidc en boulettes, et on
le frit dans le brinre. L'n aulri' plat, dénommé kôldolmar, se prépare
de la même manière, mais on le roule dans des feuilles de chou bouil-
lies, i)uis on le met dans un pot avec du beurre et on le fait cuire ;i petit
1 . T/ir ail uf TutniiKj llorses.
2. lIuK tu Farm.
MACHINES A SÉCHER LE CRAIN 177
feu, jusqu'à ce que le chou soit devenu tout à l'ait brun. On aime aussi
beaucoup le saumon froid, fortement épicé, avec la gelée.
Le temps ci Westerbotten et dans quelques-unes des provinces adja-
centes est souvent pluvieux en aulomne, et dans les saisons humides
il es! diflicile (le sécher le grain sans qu'il soil moisi. En passant par
les fermes, le voyageur remarque une construction très étrange, appelée
h(h.ya, qui est en usage dans les provinces d'Angermaniand et de .lemt-
land. La h;ïssja est par elle-même une curiosité, peu usitée dans les
autres parties de la Scandinavie et inconnue en tout autre pays.
Les fermiers s'en servent pour le séchage du grain avant la rentrée
définitive de la récolle ei souvent on lui donne une grande taille. Elle
est construite en troncs d'arbres placés vei'ticalement dans la terre,
séparés à des distances de dix à (piinze pieds et percés de trous par
lesquels passent des traverses à des intervalles d'environ deux pieds.
La hauteur varie de vingt à trente pieds et quelquefois plus ; la longueur
est proportionnée à l'importance de la moisson. Quand la récolte est
réunie, les gerbes sont placées dans la luissja, où on les laisse sécher.
On les empile en rangées se recouvrant l'une l'autre, et, en cas de pluie,
elles ne deviennent pas humides, l'air circulant constamment dans la
masse entière. Chaque poteau vertical est soutenu par des armatures
formées d'arbres de plus petite laiHe, de sorte que toute la structure est
affermie et solide. Quand elle est vide, debout tians le paysage comme
un squelette, son apparence singulière excite l'étonnement de l'étranger.
On se sert aussi de luïs.sja doubles, construites avec deux rangées de
rayons, couvertes d'un toit et renforcées par des traverses. A l'extrémité
on édifie une maison dans laquelle le blé est emmagasiné; elles ont de
soixante à cent vingt pieds de long. A côté, ou au bout de cette structure,
on place souvent la grange où l'on conserve aussi le grain. La manière
la plus connue de battre le seigle ou l'orge consiste à les réjtandre sur
l'aire planchéiée de la hiissja, où l'on fait passer, tiré par un cheval, un
rouleau en bois très lourd qui écrase les tiges. Dans les petites fermes
ou bat le blé à l'ancienne mode, c'est-à-dire au fléau.
Ce n'est ([ue rarement et seulement dans les districts peu peuplés,
où la bonne terre est rare, que l'on voit une ferme solitaire en Scandi-
navie. Le peui)le vit, pour la plupart, dans des hameaux sans rues, mais
composés d'un bon nombre de fermes un peu distancées l'une de l'autre ;
li
178 LE PAYS DU SUl.KlL DK MINLIT
les fciinioi's soiil à nir-iiic d'avoir do frn|iieiils rapporls, de si' ivuiiir
])oiir d iiiiiocenles récivalions, ét ni la bière ni le café ne manquaient,
peu à |>eu les feianiers devenaient plus aiiinn''S et plus sociables, et tous
étaient jiiyeux et contents.
Le samedi après midi beaucoup de fermiers s'habillent de leur mieux
et se rendent à la vill(> pour acheter des [irovisions; ils n'omettent pas
d'y ajouter une bouteille de branvin pour traiter leursamis et eux-mêmes
pendant la semaine.
Dans un hameau où je m'arrêtai, arriva un Colporteur avec son cha-
riot de marchandises; il devait y rester trois ou quatre jours. Il prit ses
quartiers dans une des fermes, étala ses articles dans une des chambres
et se tint prêt pour les affaires. C'était, en outre, un piétiste,ou prêcheur
sentimental, qui partout où il allait tenait des meetings, exhortait le
monde et priait. J'allai l'entendre et je trouvai parmi ses auditeurs des
JUMS NOMS DE FEMMES 179
fViiimcs en livs iir.iiiilo siiroxcilation, L'iiiic iTrlIrs (''l.iil cii biillo à un
vidli'iil ;icfès ifliyslrrip, iili'iiriinl c\ ciiiiil qiio ses |)éclu''s ne lui seraient
p;is panlDUiiés cl qu'elle ii'.iil en curer! Deux ou Iniis di^ ses compagnes,
plus calmes, essayaient de l'apaiser eu lui disaul (|ue Dieu pardonnait à
tous les péclieurs qui croyaient en lui. En même temps le prêcheur
hypocrite lisait à hautcvoix des versets de la Bible, qu'il savait toujours
approprier à l'occasion par mie inlerprélaiion forcée, afin d'etTraycr ses
anditeiu's, et de tenqis eu lenips insérail dans son discours l'espérance
du [lanlou pour le pécheur nqieulaiil. La pauvre créature demeura pen-
daid plus de deux heures dans un dau.nerenx élat d'agitation; enfin,
l'épuisement lareudil plus calme el elle i)arlil, accompagnée de (juelques
amies, satisfaite enfin de ce que ses péchés lui seraient pardonnes.
Toutes les femmes de l'endroit semblaient atil'olées de ce prédicateur;
mais les hommes le goùlaieni peu. Des scènes de ce genre, m'a-t-on dit
arrivent souvent dans ces hameaux, suiloul eu liivtM'. quand les gens n'ont
rien à faire. De tels prêcheurs font beaucoup de mal et jamais de bien.
Les femmes portent de jolis noms, et louj(nn's par deux, — comme
Maria, Olivia, Sara, Clara, Joséphina, Ghristina, Carolina, Augusta,
Lovisa, fiustafva, Engla, Calhrina, Anna, Carin, Erika, Mathilda, Mar-
garela, Alberlina, Eugénia, Brila, Evelina, Eva, Magdalena, Ulrika,
Kajsa,Sophia, Nina. Les hommes eu ont nniins ; les [ilus communs sont
Gustaf, Olof, Anders, CatI, .lolian, Erik, Nils, Elias, Pehr, Zachris,
Thomas, .Jouas, Erans.
A mou retour à Umea, je m'aperçus que ma bourse était (date,
découverle (pn lui loin de m'être agréable, attendu que je n'avais pohit
de leltre de ciédil sur la bampie de ce! eiidroil et Stockholm se Irou-
VaitàoOO milles de là. Par bonheur, la ville possède une slaliou iélé-
grapliique el j'envoyai à mes banquiers ù Stockholm tm message les
[iriant de télégraphier à une personne d'ici de me remeltre de l'argent.
La réponse arriva bientôt, me favorisant d'un crédit illimité.
La banque était lui simple bâtiment en bois, sans volets aux fenêtres,
quoiqu'elle eut quelquefois en caisse de fortes sommes; évidemment
les voleurs avec eflVacliou n'avaient rien à faire en ce pays. Le direcleur
et les employés de l'institution me reçurent avec la considération qui
s'attache aux personnes en proportion du montant dont elles sont cré-
ditées, de même que dans les autres pays. Or, j'avais un ci'édit illimité;
180
LE PAYS DU SOLEIL DE MINUIT
lecteur, jugez de ma réception! Je ne suis de quelle l'açitn la iii)\ivelle se
répandit dans Umea que j'avais acliclé d'immenses étendues de forêts,
et mon étonnement fut grand lorsipie le direcleur de la banque me
demanda si j'avais besoin de 30, ou iO,UOO dollars. Quand il m'eut
appris poui'quoi il supiiosait que je lui demanderais autant d'argent, je
ne pus ipie rire aux éclats d'un commérage aussi ridicule. Quelques
centaines de dullars furent tout ce que j'exigeai.
Mon voyage dans la vailér d'Umea avait été le sujet d'une foule de
llassja simple.
commentaires. A celte épo([ue, la Scandinavie était parcourue dans
toutes les directions par des spéculateurs, riches et pauvres, venus des
villes, avides d'acheter des forêts et même des bouquets d'arbres.
C'était une vraie manie, une rage; si seulement ils pouvaient acheter
les arbres sans le sol, leur foilnui'. pensaient-ils, étal! faite; lieunnix si
les fermiers consentaient à leur vendre leurs bois. Au début, beaucoup
les cédèrent à bon marché ; mais avec le temps la valeur augmenta et
les plus malins, qui n'avaient [las vendu, demeurèrent les maîtres de la
situation et ublinrenl des prix énormes, qui allèrent augmentant tous
les jours. ImiMii le hallnn creva; la Scaiidiiinvio passa d(> mauvais mo-
i
UN CAS DR FIKVRE TYPHOÏDE 181
niêiits, el les spéculateurs vireni liicii que la hausse ue pouvait pas tou-
jours durer.
Un jour que j'entrai dans une maison où régnait la fièvre typhoïde,
un triste spectacle frappa mes yeux. Une petite fille d'environ dix ans
expirait dans les bras de sa mère (pii la caressait. Le col de l'enfant,
non encore raidi par la iu(»rt, |>erniellail à la lête de se balancer en tous
sens (piand la mère passait la inain dans ses cheveux; mais les mouve-
ments cessèrent graduellement et alors elle fut convaincue que la pelile
avait cessé do vivre. Qiioiiprelle ne versât pas une larme, elle ne pouvait
cacher les angoisses de sa douleur. Pour ([ue la désolation de ce foyer
fût plus complète, siu' un lil voisin était couchée une autre fille atteinte
de la même maladie, e( si [làlc, (pi'elle semblait prêle à rejoindre sa
sœur. J'en avais le cœur serré.
— Avez-vous vu le médecin? dis-je à la mère.
— Oui; il m'a donné une ordonnance, mais elle n'a pas fait de bien.
— A-t-ilvu l'autre enfant?
— Non.
— Pourquoi ne l'avez-vous pas fait appeler?
— Je suis trop pauvre, répondit-elle.
Je me souvins que j'avais dans mon bagage un médicament que feu
mon excellent ami, le D' F.-L. Harris, m'avait donné lorsqu'il me serra
la main à bord du steamer qui m'emportait loin de l'Amérique, en me
disant : «Ayez bien soin de vous, mon garçon! »
— Je vais revenir, dis-je, et je vous apjjorlerai un remède poiu'
votre enfant, qui sera, je l'espère, la consolation de votre vieillesse.
Le médicament fit très bon elTet, et, avant que je quittasse la pro-
vince, la fillette était guérie.
CHAPITRE XIII
Provinces iiiéridionalos do Wfslerboltpii. — Angerinanlaiiil. — rne belle livièrc. — Oriisknl
«Isvik.— lue fôle |iitloresi|iie. — Ilerii'isaiirl. — .le iiiiilte llernôsaml.— Une roule cliarnianle. -
Seène rurale.— Ecole d'agricullure à N'ordvik. — lieaux liiliments. — Quartiers des iHudianls. —
H('i;ienienl#. — Accueil liospilalier. — Va diiier. — l.'holesse. ^ llonntteté du peuple. —
Amélioration dans la végétation. — l'oniniiei-s. — I-e liameau de Nora. — Cliansïemenls de
lenipirature. — Inc réunion. — La rivière Angermann. — Lue belle ferme. — (jrande
hâssja. — Fabrication du beurre. — llarmanger. — L"église paroissiale. — Kpitapbes
rlans le cimetière. — Cummeut on a siiin du pauvre. — Funérailles à Njnlanser.
Au siiil lie \V('.l une liellc piovincc, cl lieaiicnu|i de ses vallées
stiul liés prodnclivcs. l.'Aii^ennanelIven. (|iii aiiose lunl smi leni-
toii'c, esl la plus prormide rivière du N^rdlaiid cl de lu Siicdi': les
UNE COTE PITTORESQUE I8.i
sleamboals la remontent jusqu'à Myland, distant d'à peu près soixante
milles, les petites embarcations poussenl JMsi|ii';i Holm, à Ireiilc milles
plus juin.
La localité la plus se[)lenlrionale sur la côte est le village d'Ornskolds-
vik, en laliludc 03" l.'J', an milieu de collines à rexirémité d'ini liurd,
avec une pupulalioii de 000 âmes. Elle est composée d'une grande
rue bordée de maisons giandes et commodes, doni deux ou trois ont
environ l.'K) pieds de long sur 4U à io |)ieds de large; presque joutes
reposent siu' i\r<- l'ond.ilions en granit et sont peintes en bl.iiie on eu
jaune cliiii'. Il y ;i plusieurs magasins, inie sl.itioii léléyi-.iphiipie, un
hôtel et im petit jardin piddic.
Siu' la côte méridionale d'OrnskôldsN ik, la scène augmente de beau lé,
et. jusipi'à Suudsv;dl. I;i rôh' l;i plus èlevi'c de l;i Suéde, de nombreuses
îles émaillent la merle long du bord; les principales sont rilô-nord et
Ulfo-sud, habitées par (pndipies ciuitiiines de pèriiein-s.
La ville la |)lus importante et en même temps le port de la province
est Heniôsand sur l'île dllernô, en latitude Oi° 'MV, avec nue po]»nla-
tion de 4,700 âmes. Elle est admirabItMueul située sur la déelivilé
d'une colline et ollre à la \ue de belles résidences; c'est le siège li'nn
gouverneur, d'ini évèipie. d'inie cour ili' justice, et sa position près
l'entrée de la |-i\iéi'i' Aiigernian lui donni' nue assez grande importance
cminnerciale.
\oii loin de la ville se lrou\e l'école d'agi'icultnre de .\ordvik, (pie
j'allai visiter le 28 août en prenant passage à bord d'un petit steamer,
La matinée était superbe et l'eau sans une lide; l'air avait la séche-
resse particulière, la pidpriéié rafraîchissante (pii donne la force à
l'homme l'aligné et lend la sauté au malade ; il fallait se nnniir d'im
pardessus, car sur le pont le mercure était à ."j:!". Après avoir vogué im
l)eu pins d'une heure, je débarcpiai et trouvai le directeur de l'école (jui
nous attendait; nous passâmes en voiture par un cliaihianl pays, sur
une roule excellente ipii côtoyait le liord. L'iie brise légère et fraîche,
chargée des émanations des plus et des llenrs sauvages, souftlail sur
nous; des oiseaux et des papillons voltigeaient partout, et des ruisselels
d'eau claire bondissaient en bonillonnani dans leur course vers la mer;
la roule était bordée de cha(|ue côté d'une herbe courte parsemée de
nndhers en pleine lloraison. Pendant (^ue nous montions et descendions
18i LK PAYS DU SOLEU. DE MINUIT
les collines, des lionls, des iles, des navires, des bois, des fermes, des
prairies et des cliamps cultivés venaient successivement frapper nos
yeux.
L'école de ^'ordvik est nue iiistihilidii plus ancienue (jue crile
d"Inner(afle; elle est aussi dans un district l)eaucoup |)liis leitile et plus
pen[tlé: c'est pounpuii l'agriculluie a plus tressor, el les expériences
sur différentes espèces de grains peuvent être poursuivies avec de
meilleurs résultats par suite de sa situation plus méridionale.
Les bâtiments de la ferme sont commodes; on y a joint une im-
mense grange d'environ 200 i)ieds de long et large en proportion.
Au rez-de-chaussée se Irouveiil les écuries jiour le bétail], avec un
chenal par leipiel les déjeclions des animaux se rendent dans une hutte
adjacente, où l'engrais est préservé de tout contact avec la pluie; en
outre, un grand espace pour remiser les voitures, chars, charrues
et autres ustensiles aratoires; de l'autre coté, on enunagasine le
grain.
De mémequ'à Inncrlalle, les jeunes gens qui recevaient riiisiriiclion
étaient au nombre do douze; leur cpiartier renfermait une cuisine, une
salle à manger, une salle d'étude, et des chambres à coucher, le tout
remanjuablement propre. A midi, ils vinrent diner; c'étaient des gars
solides et bien portants, aux visages hàlés par le grand air. Les étu-
diants d'ici me parurent plus avancés en écriture que ceux des pre-
mières écoles (pie j'avais vues, et pourvus d'une meilleure éducation
préliminaire; je remarquai un iierfectionnement progressif sous ce raj)-
port à mesure (lue j'avançai vers le sud, dans des districts plus riches.
Ces jeunes gens, par l'étude, le travail, et l'économie, se pré{)araient
pour la carrière agricole, cette noble profession qui doit être le but
incessant de leurs efforts; ils désiraient en porter haut le drapeau
cl se tenir au niveau de la marche du progrés.
L'école n'avait que seize vaches, mais les produits s'amélioraient
raiiidement en apparence aussi bien (pi'en valeur. Une des vaches avait
donné dans une année 300 gallons de lait', deux gallons un quart
rendent, en moyenne, une livre de beurre ; on tient un compte exact dé
la (piantité de lait donnée par chaque vache, surtout (piand les élèves
1. I.i' yalldii \:iiil i lilri's, :)434o.
UN REPAS Sl'KDOIS 183
sont croisés, afin de constater le degré do perfectionnement dans la
quantité et la qualité du lait et du beurre.
Notre hôte nous invila à partager ce qu'il appelait un diner de
campagne, un peu dilïërent de ceux que j'avais vus précédemment. Un
gros bouquet ornait le centre de la table et on avait garni le beurre de
fleurs charmantes; cà l'une des extrémités était placé un bol en argent
contenant du sucre en poudre; de l'autre côté, un pied en argent sou-
tenait un plat de cristal rempli de framboises fi'aîchement cueillies dans
le jardin, et une cruche de porcelaine contenant de la crème exquise.
Ce repas était une combinaison de smôrgasbnrd cl do dîner. Après
avoir fait disparaître les plats composant le smôrgasbord, on servit une
délicieuse soupe aux légumes, mêlée avec du lait; après quoi, je pris,
ainsi que je le vis faire par le reste de la société, des framboises et de
la crème, pensant que le dîner était fini et que nous en étions au
dessort ; à mon grand élonnement, un autre service apparut, consistant
en plusieurs coqs de bruyères et un pudding. On buvait du lait et de la
bière.
L'hôtesse, d'assez grande taille, avec des cheveux blonds, de doux
yeux bleus et un joli teint, portait une robe claire montant jusqu'au col;
pour seuls ornements, elle avait une collerette brodée et un ruban de
velours noir retenu jjor une petite broche cw or; un filet de soie noire,
au travers duquel ses cheveux paraissaient encore plus blonds, com-
plétait sa toilette. Deux servantes l'assistaient, mais elle réservait son
attention personnelle à ses convives, qu'elle pressait d'accepter les
plats les plus friands d'une voix suave et avec une charmante simplicité
de manières.
Le voyageur voit partout des preuves de rhonnèleté de ce peuple.
Quoique la maison donne sur la grande route, je n'avais vu personne
en y entrant; tous étaient à l'ouvrage dans les champs; on avait laissé
les portes ouvertes, et, dans les chambres à coucher, les montres
pendaient aux murs; auprès de leurs lits, les étudiants avaient accroché
les portraits de leurs pères, mères, sœurs, bien-aimées et amis.
Je constatai une amélioration marquée dans la végétation; bien qu'à
seulement 80 milles au sud d'Umea, le jardin expérimental contenait
plusieurs pommiers, qui poussent ici au nord le plus lointain de la
Suède, soit k environ 62° 40', de latitude. Les fruits étaient petits, mais
186 LE PAYS DU SOLEIL DE MINUIT
certains arbres, encore jeunes, en paraissaient surchargés. Celle
roliusie esjjèce de pomme vicnl de Russie et s'acclimate bien dans
cette itarlie de la Suède; elle réussirait probablement aussi dans la
section se|)lentrionale desÉlals-Unis. Il yavailencore plusieurs cerisiers
dont les fruits mûrissaient, des groseilles, des fraises, des légumes
beaucoup |jIus avancés (pie ceux (pie j'avais vus jusque-là; on cultivait
le hié ri le lin (pie l'un cxporlc. Dans ce district, un élève iiiic race de
grands cl forts clievaiix [loiir les brasseurs.
Dans l'après-midi, nous allâmes faire un tour au hameau de Nora,
à trois milles environ de Nordvik. Quitlaiit la grande route, nous passa
mes par une vallée parsemée de nombreuses fermes; une petite rivière
ajoutait au charme du paysage. Nous vîmes de superbes champs d'orge
el de lin ; on cidlivi' ènoriuémeiil le lin, ipie les fermières tissent [tour
l'usage domestiijiie ; les moissoiiiieiirs élaienl occupés à coiiju'r l'orge,
liendant cpie les gairons el les lilles la liaieiil eu javelles. Les grandes
charrues à iii'ige, le liing de l;i loiili', nous ra|)pelaient ([ue ce riant
tableau allait bienlol dispaiailre el {|ue l'hiver donnerail un autre
aspect au paysage; en elfel, si grand lui li' changement, (pie, plus lard,
je ne reconnus pas l'end roi I, lors(pie, dans ma roule vers l'extrême nord,
je passai devant la Landllnnks-Skola sans m'y arrêter pour remercier
ceux (pii avaient été si bons pour moi.
Xoire excursion finit au petit lac Nora, près duipiid soid bâtis !'('■-
glise et le presbytère; l'inslituleur demeure un peu })lus loin. La maison
d'école peinte en rouge est sur la roule: on a élevé trente ou ipianmte
huttes en troncs d'arbres, à (■(■)lé les unes des autres, pour abriter lestdie-
vaiix contre les venis de l'hiver et les lein|ié|es de neige, pendant ipie
leurs maîtres sont à l'église.
.le fus surpris des changements subits de la température; ipielipie-
l'ois nous voyagions par une atmosphère chaude, suivie instantanément
d'un coup d'air glacial, ampud succédait aussitiM nu autre plus chaud.
Le lenijis se refroidit. A sept heures du soir, le mercine se tenait kliO",
pour descendre à huit heures à iO", à dix heures, à 44°, bien ipie dans
ra|iiés-midi, la lempèralnreait été de o!)";'! l'ombre et de \ 14° au s(deil i.
Dans la soirée, le pasteur de Nora vint nous rejoindre, el fut le
1. .NiiiH i;i|i|ii'I(iiis i)ii'il s';ii;il Imijdius ilii llicniKinH'Irc l'iiliicnlicil.
UNE FERME DE L'AiNCIE liMA.NLAM) 187
hienvenii pniir Inus. Vn Ir.iil qui caraclériso lo clorg('' suédois, c'est
qu'il se mùlo aux plaisirs du peuple au milieu duijuel le sort l'a placé,
qu'il assiste à ses danses et à SCS réunions publiques. On voit souveni
I'ecclésiasti(jue smu'ire à ses panjissicns ([ui s'amuscnl, liciireiix de
leurs plaisirs et presque toujours on le regarde comme faisan! parlic
de la famille. De telles scènes me ravissaient ; car il est évident
qu'une iniluence morale salutaire s'exerce à la fois sur l'ecclésiastique
et le peuple, en inspirant au dernier un excellent sentiment de retenue,
et en donnant au premier une perception du cœur qu'aucun liomme ne
peu! avoir s'il ne se mêle à l'humanité.
Une course de trois (piarls d'iieure nous conduisit de Nordvik à
Hornôn, où, sur un bac, nous traversâmes la rivière pour prendre passage
sur le steamer qui remonte l'Angermanelf. La contrée devenait de plus
en plus pittoresque à mesure que nous remontions la rivière, sur les
terrasses et le sol alluvial de laquelle se montraient de nombreuses
fermes. Dans l'aprés-niidi nous alleignîmes lioini, h' ]ioinl li' jilus
élevé de la navigalion à vapeur, où ikjus apprîmes ipTune gelée blanche
s'était fait sentir pendant trois nuits consécutives.
Non loin du déliarcadére, sur la rive gauche, se trouve une des plus
grandes fermes d'Angermanland, où, avec une parfaite i)olitesse, sou
propriétaire nous attendait pour nous recevoir. Il m'invita à demeurer
chez lui laiil (pie je le voudrais. Celte ferme a en cullure plus de
700 acres de terre, dont l'oi-geesl la principale réculle.
Sur une petite île voisine, contenant environ loO acres de terre de
pâture et de bois, du bétail appartenant à l'Étal avait été laissé en liberté
pendant l'été; ces animaux parureni joyeux de nous voir, ils accoururent;
les chèvres et les moutons se mirent de la partie, et nous les caressâmes
ton! à notre aise. Les bestiaux d'une ferme Scandinave soiM toujours
ap|irivoisés pai'ce (pi'on les traite avec bonlé.
11 y avait dix-huit giands communs, séparés l'un de l'autre par pré-
caution contre le feu; en Amérique, cesbàlimenls coûteraient beaucoup
d'argent. L'une des hassja était la plus grande ipie j'eusse jamais vue;
elle avait 180 jiieds de long et une hauteur iiroportiunnèe; n(»ii loin
d'elle s'en dressait une autre d"en\ir(in 1 10 pieds de long, 40 de large
et .30 de haut, avec onze traverses soutenues par vingl snpporls placés
vi'rlicaleiui'ul. cl un gi'and esiiace dans le milieu piiur servir d'aire à
188 LE PAYS DU SOLEIL DE MINLIT
hatiro le gnin. C'élnit l.i première ferme avec une i;lacière que je voyais
dans le nord ; on n'ulilisait pas la glace exclusivement comme luxe,
on l'employail aussi pour la conservation du laitage que l'uii Irnoil, en
l'entourant d'eau, à une température uniforme de 42°. On considère ce
procédé comme meilleur que celui qui consiste à tenir le lait dans une
eau courante ou dans une chambre froide ; la crème ne s'aigrit jamais et
le beurre est infiniment meilleur.
Après une tournée dans Angermanland et Medeipad, j'entrai dans
Helsingland, naviguant le long de ses côtes, marchant sur ses bords,
et passant quelque temps dans des fermes confortables. Ses deux villes
principales sont Hudiksval, port de mer, en lat. 61° 30', avec une [)opula-
t ion de 3 , 700 âmes, à l'extrémité d'un fiord : et Sôderhanm , en la 1 . 0 T 2o' .
avec une population de 6,200 âmes, non loin du déversoir de la rivière
Ljusne qui sort des montagnes d'Herjeadal et traverse toule la région.
Celle i)rovince abonde en grandes forêts et en marécages. Dans l'inté-
rieur, un certain nombre d'habitants descendent de Finlandais. Une
grande route, passant par le district de Herjeadal, conduit à Roraas, en
Norvège.
Pendant ipie je voyageais dans cette partie du pays, je m'arrêtai
une après-midi à Harmanger, jirès de la mer, devant une ferme dont les
bâtiments formaient un carré, et j'entrai par un porche. A ma demande
d'y demeurer quelques jours, on répondit que j'étais le bienvenu, et
une servante me conduisit à l'une des chambres d'amis, à l'étage supé-
rieur. Après avoir pris un repas frugal j'allai au presbytère, où je fus
amicalement reçu par le pasteur, (jui, à ce moment, préparait la jeu-
nesse de la paroisse pour la confirmation ; cet excellent homme insista
vivement pour que je m'installasse chez lui. Quand nous allâmes visiter
l'église, il en prit la clef. Ici, les clefs sont toujours très grandes, sur-
tout celles des églises, dont les serrures sont souvent fort anciennes.
Celle-ci avait au moins un pied de long et un tel calibre, qu'en
perçant un trou dans le tube, elle aurait l'ail un 1res bon pistolet
d'arçon.
La vieille église d'Harmanger, construite en pierres brutes de dilTé-
rentes tailles, était, comme d'habitude, au centre du cimetière. A
côté s'élevait une tour d'environ vingt i)ieds carres, dont les murs très
épais étaient lisses à l'extérieur, mais rudes et non terminés à l'inlé-
L'EGLISE D'HARMANGER. 189
rit'iir; jiersoiiiie ne s;iv;iit quand ni par qui celle Idin- avait élcbàlie;
le |»asteur me dit qu'elle datait de l'époque païenne et que l'on s'en
servait probablement pour les sacrifices. On y entrait par un porche
d'une forme bizarre.
L'autel est ancien, en bois peint et doré, portant l'image d'un ange
aux mains jointes et aux cheveux d'or, entouré de nuages sur lesquels
repose un agneau tenant une croix dans ses pattes; la partie inférieure
de l'ange est cachée par des rayons. A gauche, on a représenté le Christ
de grandeur naturelle, avec d'affreuses blessures au côté et tenant en
main une balance dont un des plateaux porte un cœur saignant, et
l'autre une épée. A droite, on voit une femme tenant une croix d'une
main et de l'autre la Bible; une ancre est au bas de la croix; à ses
pieds se tient un enfant et une jarre renversée, qui laisse échapper des
pièces d'or. Sur les fenêtres, on a peint deux chérubins, l'un avec une
trompette etune couronne, l'autre avecune branche depalmieretunetrom-
pette. Il y a aussi une grande croix sur laquelle est horriblement repré-
senté le Christ crucifié et couvert de sang. Ces peintures datent d'avant
la Réformation, mais la chaire est moderne. En face de l'autel, on dé-
couvre de vieilles dalles; sur l'une on lit la date MDC : XXIl, et sur
une autre 1G69 — 1691, avec des inscri])lions latines.
Ici, j'ai rencontré d'anciens noms Scandinaves : Erik, Carin, Brita,
Olof, Lars, Ingre (Inger), Ingrid, qui sont très rares plus loin au
nord.
On prend soin d'une façon très particulière des pauvres de cette
paroisse. Pendant que je causais dans une maison, entra un vieillard
habillé de neuf et portant un chapeau de soie de forme haute; on le
pria de s'asseoir. Lorsqu'on m'eut dit à l'oreille que c'était un pauvre,
je pus à peine le croire. Celui qui a besoin d'être secouru doit prou-
ver devant le Hâradsting qu'il est trop vieux et trop infirme pour pou-
voir travailler; il est alors autorisé à demeurer six jours dans chacune
des fermes de la paroisse. Je fus surpris de voir avec quelle bonté on
les traitait, — en bien des cas comme des visiteurs, — recevant les
meilleurs aliments du jour et un bon lit. Ils vont ainsi d'une ferme à
l'autre. On a bien soin d'eux, car ce serait une honte pour un fermier
si le bruit courait qu'il est dur |)our les malheureux. Il arrive quelque-
fois (ju'un homme n'es! pas absolument incapable de pourvoir à ses
190 LE PAYS DU SOLEIL DE MIXI IT
besoins; ilans ce cas. les autorités de la paroisse prennent des arranije-
ments avec des fermiers rpii doivent payer annuellement une somme
déterminée, en sli|Mil;iiil ipielle sorle de travail un lionune peut enliv-
prendre; c'est géiiér.drmeiit de ,u;ii'diM' les mouluns ou les vaclu'S. de
fendre du bois, de lirei' de Tean. en un mol de se rendre utile ;inl;iul
que possible. Ils pensent que ce système est moins démoralisateur ([ue
celui des dé[)ôts de mendicité; cependant, il y a parfois de grands
inconvéïdeuts: ainsi j'ai vu un homme tellement vieux et imbécile, (pi'il
n'élnit pas loin de l;i brute par sa malpropreté, et causait beaucoup
d'ennui aux familles ipii, à tour de r(Me. devaient [irendr(^ soin de
lui. •
Un peu plus loin au nord, on ai-rive dans la pilloresipie vallée de
Jâltendal.
Un dimanche malin, comme j'iMilrais dans l'éi^iise de Njulanger, je
vis près de la pdrie. et louchant au cimelière, m\ cercueil contenant un
enfanl luorl; on navail pas encore mis le cduvi'rcle, de sorle que les
voisins el les amis pouvaient jeter uu regard sur le dél'ind ; le corps élail
littéralement entouré de fleurs. Dans un groupe rapproché se tenaient
plusieurs filles et femnu's velues de noir, avec i\i'<. laldiers, des coiffes
et des cols Itlancs; c'étaient les parents les plus i)roches, et leur li)ilel|(>
élail lui signe de grand deuil. Qiiehpies jeunes gens (pii devaieni leiiir
Un cdin du puèle porlaieni un brassai'd de mousseline blanche; deux
hommes avaient uu pelil liouquel de Heurs à leur boiilonniére. Le curé
arriva bientôt et l'oflice des morts commença ; les hommes debout d'un
côté et les femmes de l'autre. A la fin de la cèrénuinie, le curé jeta trois
pelletées de lerre sur le cercueil et entra dans l'église pour célébrer le
service ordinaire.
Eu Helsingland.Cdmnie dans d'anlres provinces ilii nord, la cullure
du lin est commune e| les l'enimes sonl habiles à fabriipier la toile. Ici,
bon nombre de maisons de paysans olfreni l'image d'une aisance ipii
réjouit les yeux de l'étranger.
En entrant dans une maison je vis deux niéliers à lisser, selon
l'anciemie méthode, la même qui a servi pendanl des générations ; à l'un
de ces métiers, une des filles lissait de la loije; auprès d'elle, sur une
chaise, un gros rouleau de beau drap de colon qui avait été fabriijué
par une autre sœur allait être employé jiour faire des vêlements à la
TISSAGE Dr LIN 191
famille. C'(''l,iil une habile ouvrière qui pouvait fabriquer douze alnar
(24 pieds) par jour. A l'autre métier, la mère tissait une étoffe en laine
brute pour confectionner des liabits d'hiver à soi\ mari et à ses garçons
qui devaient être habillés de neufpour Noël. Deux des plus jeunes sœurs
étaient occupées à fder, pendant que la servante cardait de la laine.
Nous allons maintenant ([uitter Helsingland, faire route vers le
Jemlland, et de là passer en Norvège.
CHAPITRE XIV
D'Oslersund en Norvèse. — liaisons de fermiers en Jemtland. — Paysage sur la roule. — Un
tronpeau de bétail. - La ville d'Oslersund. — Une confiante hôtesse. — Trôs'i. — Fossoyeurs.
— Départ d'Ostersund. — Forets immenses. — Gibier. — Une pittoresque contrée. — Un
clieval intelligent. — .\reskutan. — La frontière norvégienne. — Descente vers la mer. —
Scène superbe. — Une ancienne ferme. — Levanger. — Un district fertile. — Trondlijem. —
Il y a plusieurs grandes routes depuis la cùte ouest de la Baltique
qui convergent vers la ville d'Ostersund, en Jemtland, et, de là, vers les
villes norvégiennes de Levanger et de Trondlijem, sur la mer du Nord,
en traversant ainsi la péninsule d'une mer à l'autre. De Hudiksvall, la
route passe dans toute la longueur de la province d'IIelsingland, de
Sundsvall, [lar celle de Medelpad et d'Hernôsand, en suivant TAnger-
manelf et en franchissant l'Indalself à Ostersund.
La route la plus directe passe par Sundsvall, dont la dislance jus-
qu'à Trondlijem comiiorle 500 milles; mais elle est l'aligiinle et ])oii-
dreuse; la plus pittoresque est celle qui part d'Hernnsand le long de
la rivière Angerman. Bienl(M une communication directe par chemin
de fer reliera les deux villes.
Le 29 août, en quittant Holm et en passant par un beau pays, j'arri-
vai au hameau de Solleftea, où deu.\ fois l'an se tient une foire; je logeai
pour la nuit dans une ferme très bien tenue. Tout le lont; de la route
MAISONS D'ETE ET .MAISONS D'HIVER
193
depuis 1.1 int'i-, j'ai remaniiic que le seigle d'hiver poussail |»lus aboa-
daniineiil (|ue l'orge; cependant, les deux recolles paraissent mûrir
à la même époque; les avoines étaient en relaid : elles exigeaient
eiR'ore dix jours de plus, car Tété avait été froid; les groseilles étaient
bonnes à cueillir, cl les carottes, navets, panais el [luis semblaient en
bon étal.
Le lendemain matin, j'atteignis le hameau de Foros, sur les rives de
rindalself, par une belle route depuis l'Angermanelf. Je ne vis |)oint de
« lu'issja » , car, dans ce district, on sèche et on bot le grain en plein air.
Le seigle d'hiver était coupé, l'orge allait tomber sous les faucilles des
moissonneurs, les avoines jaunissaient; siu' la côte, ou apercevait des
champs de chanvre (|ue l'on file pour en faire des lilels de pêche et des
'fïf'f' ^'
Jeunes lillcs du Jciullaïul.
cordes. Les pommes de terre abondaient et chaque ferme avalises jilan-
tations de houblon, car les fermiers brassent eux-mêmes leur bière.
D'immenses blocs errati(pies étaient dispersés sur la surfari' du pays.
Les hameaux sont éparpillés partout (Ri le sol est fertile, et les
champs et les prairies semblent plus gais, lorsqu'ils sont séparés par
des étendues de pays rocailleux ou des forêts. Les maisons des fermiers
aisés de rAngernianland méridional el du Jemlland, S(int excessivement
propres. Beaucoup de fermes ont deux maisons d'habilation, dont l'une
n'est pas occn|iêe par la famille, mais toujours tenue l'ii ordre parfait;
une des maisons sert pour l'élé el l'antre pour hiver, « afin de d(»nner à
l'une le temps de se reposer», comme le remanine le [leuple en riant.
la
194 LH PAYS Di; SOLEIL DE MlXLlT
Ll' [laysage cliaiigeail c'iiiitiiiiH'llt'iiiciil (l'aspccl; cï'laieiil dt'salter-
nations de belles terres cultivées, de sulitudes forestières, de rivages sou-
riants, de lai'S, lie siiiulires marais: de leni|is à aiiliv, l'indice d'un ('(tiii's
d'eau à la iilanclie écume, se ln'isanl (■(inhc les rdcliers et les blocs gra-
nitiques qui ciintrariaient sa course.
Lesnnils froides — leniercnrese tenait à M" — pronvaienlque l'été
liiiissail, bien (|ue, pendant le j(inr, le soleil fût très cliaud et que le mer-
cure atteignit souvent 68° à l'ondire à une lieure trente minutes après
midi; les hirondcllrs se rénnissaicnl pour concerter leur migration
vers le sud, el le bélail revenait de la Norvège.
Nous rencontràuu's un troupeau de deux cents vaches ipii suivaient
une iille dont les cris aigus les faisaient avancer: à une courte distance
en arrière, venaient douze chevaux coiuluits par nn Inuume dont la pro-
fession était évidemment celle de conducteur de bestiaux. Un des che-
vaux se délourna et nous suivit, eu dépil de nos elforis ponr l'en em|ié-
clier; il fallut nous arrêter et le coidier à un honuue (pii passail dans
la direction op|iosée. Vint ensuite un troupeau de moutons; dès qu'ils
eurent aperçu notre cheval, ils relournèrent sur leurs pas el se mirent , el le cimetière enloure l'édifice.
Comme on était au samedi, les fiunbes avaieni élé décorées de lleurs
par les parenis et les amis, si'lnn la bi'lli' coiilnme sni''doise el nor-
végiemie. Sur les tondies des panvn's, les survivants avaient déposé
des guirlandes et des bouipiels di' llems sauvages, n'en ayant j)as d'au-
tres à doimer. On avait passé des heures entières à les cueillir dans
les bois et les prairies, ce matin et la soirée précédente, et la partie
lin cimetière à côlé de la i-oule ressemblait à ini jiarlerre fleuri. En
errant de lonibe en londie, lisanl les èpilaphes, mon allenlion s'arrêta
sm- nue inscri|ilion indiqnanl que Irois si/s/,onrn (frères el sœurs)
étaient enterrés là. Les nuits inscrils snr un pairhemin, au sommet
de la tombe, étaient les suivrnt> :
l'J8 LE PAYS DU SOLEIL DE MIM IT
SYSKONNEN
Arvid Erlam) Beum
Fiïilil (li'u IT'''^' inaj, 18;i:i; (Ind ilcu l»"" jaii. I8;i8.
^.^6 le n mai ISjj; iiiori lo l" janvier IS.'JS.)
AiiviD Emmanuel
Fi'liM iliMi 20'!'^ IVLir. 1861; ili'lil ileii l«><- juin 1865-.
(Xé le 2(1 fi'vriLT 18G1 ; mort le i'''- juin 1864.)
Emilia Virgina Maria Guhistixa.
rôdd don 24'i' fobr. 1803; morle le r.i mai 1804.
(Née le 24 février ISu.'i; morle le 2;i :'Mi 1864.)
L('|ii'lit Aiviil Eiiiiiil ('iail iiiori le jdiir iiiriuc lu'i l'aiiiirc unissail ; il
n'avail |ias li'dis ans. Eiiiiiiaiiiicl riail drcnlr le iiiviiiicr jniii' di' juin,
(|iiaii(l le soleil (■oiiimeiicc à élic cliaml, (|iiaii(l les Heurs s'ouvrent el
(|ue les oiseaux aiment el chaiilenl. Emilia seiidorniit sur le sein de sa
mère, sans din"' eomldeii elleavail soulïerl.Mais ees pelits êtres n'avaient
pas élé oubli(''s, comme le |iroii\aienl Iniis i;i'aiids li:iui|uels posés sur
l'endroil où ils reposeiil. Ia'S oiseaux clianlaienl , li's alieilles el les
papillons volliueaienl de place en place s\n' les londies el lonh' la naliire
souriait. Une liculille brise, venani du lac, appoi-|ail les parl'nius des
fleurs sauvat;es et des pins, sui' celle deiniére demeure de riiomme.
Eulendanl des voix el nii son élrani^v, j'allai de l'aulre cdié de
l'église, où ji' vis im conirasie :'i la scéni' doni je venais dèlre le lémoiu.
Les llem's élaicnl plus l'ares, les uionlicides siu' les lombes a\aii'nl ('dé
négliiiés ou lombaienl en ruines, el, plus loin, on n"aperce\;iil plus de
llenrs. U'élail le lieu du repos de ceux(p[i élaicnl moris depuis lonL;lem|>s,
el on les a\ail oidili(''s. Un C("il('' du cimeliére formai! la parodie de
I aulre. .i'enlendis de nouveau un son (l('\((ix(d un briiil de licidics ;
j'aperçus deux l'ossoyeiu's. La lonibe (pi ils ci'ensaienl élaii longue ,
laruc el profonde, car ils fiis licnl i]r la place poiu' |il(isi('iirs nioiis,
le cimeliére élan! plein.
En Suéde el en .Norvège, les oimetières sont des terrains consacrés et
ou ne les agiandil pas. On enterre géiiéralemenl ensemble les gens de
la même famille, el il doil y ;ivoir six pieds de lerre au-dessus de la
londie, avec un luonlicide indi(pianl la place. Oiiand le cimeliéi'c eS'
plein, on ouvre les anciennes lombes, el l'on (('nnil les ossemenis, (pie
I ou place dans im lien S|iécial, — bâtimenl consirinl pour cel (dijel , (pie
j ai (|nid(|n(d'ois \u rempli de ces restes i\r rimmanih'.
SPI.ENDIDE PANOHAMA 100
La beauté du coup d'œil atteint son point culminant près de l'église
et de la maison d'école, d'où l'on peut voir douze églises. Je demeurai
longtemps immobile auprès du vieil édilice, car la splendeur naturelle
des environs ne ressend)lait pas à celle des autres paysages suédois
(|ue j'avais vus. An loin, vers l'^uesl, les contours des montagnes nei-
geuses paraissaient adiincisetllocouneux; le lac semontrail an bas, avec
ses eaux limpides semées de charmants îlots couverts de pins et de
.sapins, avec ses bords dentelés de petites baies pareilles à des llords péné-
trant dans l'intérieur; les collines et les arbres se miraient dans l'ean, et,
j)lusloin, s'estompaient de sombres l'oréts; les rives descendiiicnl en iiciilc
douce et des maisons de fermes peintes en rouge élaienl disséminées
partout au milieu des cli.imps couverts d'épis dorés cl de belles prairies.
Le Jemtland est une des i)lus grandes provinces de l'intérieur de la
Suède, et s'étend vers l'ouest jusqu'à la frontière de la Norvège. Dans
quebpies parties, il s'élève de 000 à 2,000 pieds au-dessus du niveau de
la mer. Souvent, et aussi loin que peut atteindre la vue, on ne voit dans
toutes les directions ipi'nne masse d'arlires sombres et superbes, des
C(dlines et des montagnes couvertes jusqu'à leurs cimes de pins et de
sapins. 11 y avait qutd(]ue chose d'imposant dans celle immense étendue
de pays, où le ciel bleu et les blancs nuages neigeux formaient un
contraste étrange avec ces millions d'arbres.
Beaucoup de vallées sont 1res ferliles el bien cnilivées; luais dans
les hautes régions, ce ne sont que vasiiludes de terrain stériles. Diius
les replis de ces forêts, on trouve \'éhn [alces iiuildiis], un peu pins pe-
tit et avec des cornes plus étroites (jue l'élan d' Amériipie [alces (imcricK-
fit/s). Le renne sauvage [ra/if/i/'er tarandus) erre aussi dans cette fi'oide
région montagneuse. Le glouton {fjido liiscus), le renard, le loup, dans
quebpu's districts, sont inc(mimodes pour les lrou|teaux. L'ours iiirs/fs
arctos) fré(|uente les forêts, el détruit annnellemenl un nond)re consi-
dérable de bétail el de moulons, ipichpiefois même des cliev;inx. Ces
ours alteignenl leur plus lorle taille el se montrent en i)lus grand
nombre dans le Jemlland, le Wermland, le Dalarne el dans la Norvège
centrale ; ils égalent presipie l'ours gris (î/r-s/w IiornbUh) des monta-
gnes Rocheuses.
Le gibier est très abondant en bien des parties de la province. Le
cop de bi'Mvêr(\ on lélnis des bois ^ Iji'lder » (Ictnio iinxjdlhix], se
200 LK l'AYS Dr S(llJ:iL DIO MIM IT
Vdil nirmi' pivs (les riiiitcs. cl iiiilrc |irrsoiicr', pris plus ipic ccllo dr ikis
clicvriiix, ne sciiililail l'clïiviyer. Ces oise;in\ (nil Irs plus gr.'inilcs ;iiles
(II' liiiil le i^iliiri' ;i iiliiini's ilrs I'iutIs do l;i Sc.iiiiliii.ivic, cl, qiiaiiil ils
sont cuits cl prcpaics à point, ils cimslilncnt nn manger dclicicux. Us
pèsent de 10 à lolivi'cs cliacun, et iiième davantage; on en prend de
grandes qnantitcs dans des pièges en hiver dans le Ni)n'laiiil, cl on les
envoie dans les villes. Le tétras noir, « orre » (tctnto tetri.r), le tétras
noisiile « lijer[»e » (hinid bnnnxht), le plaimigan " dalripa » iJn-
l/njiiis fiiihdip'niiis], cl le [ilarniigan de montagne (Imjopiis alpinus),
aliiindenl aussi et l'on en trouve dans beaucoup de provinces. La perdrix
{('<■ tuyaux. Un des
bâtiments avait des étables jiour plus de oO vaidn's. el une écurie pour
Oclicvaux; au-dessus de la vaclierie se ti-ouvail lui grenier où l'on
pouvait emmagasiner plus de cent tonnes di' foin.
Le monde était occupé à la réecdte; les fenunes liaient les gerliesel
senddaient sonlfrir di' la chaleur ilu soleil; lieain-ou|i ne portaient
ipinne longue chemise en toile avec i\t'^ m;inclies, et un inouidioir uoiié
comme ceinture autour de la lailli'; dans lein' innocence, elles ne
paraissaient nullement alai'mées, lorsipie, en se liaissanl. elles faisaient
voir leur poitrine.
Je ne m'étonnai |ilus di- re\ci'llence i\f<. rouli'S de la \or\ége
(piand Ji' vis la manière ihinl on les a conslrintes. On a l'ail d'abord inie
fondation de gi'os blocs l'onds, sui' lesipiels on a placé i\cs niorceanx de
granit ou de gneiss ;i une profondeur de \'6 ;'i ly |(ouces; puis li' loul a
été recouNcrt d'nne épaisse couche de gravier; je compris alors pour-
quoi la pluie ni la neige ne les ;dfeclaieid. P.ir moments, la roule était
très accidentée, ce ipn rendait les monli''i's et les descentes escarpées;
;i la station, les pone\s étaieid en meilleure ciindilion (pie sur lieau-
cou|) di' routes; cela tenait à ce ipi'il y avait peu de voyageuis. Dans
celte région, aussitôt ijue commence l.i descente, (in h'iclie les rênes
aux chevaux, qui, immédiatement, dégringolent les collines à triple
galop. Leur allure est effrayante, mais ils ont le pied si sûr, (pi'il n'y a
point de danger.
Les fermes varient beaucdup selon les distiàcls. Depuis Forliord,
la vallée élail bien peuplée, mais les b'rmes petites. La plupart des
demeures des pauvres gens n'avaieid (pie des toits couverts d'herbe,
tandis (pie d'autres l'étaient avec des barde;iux; un ('('ilé de la maison
1; GiUiid, !/iint, IVniic. Uôiclr, ^iiig. Ut/;(ilait avec rage dans lui
torlneux canal, entre des murs de idcliers séparés l'ini de l'autre de
moins de 15 pieds. A la station de Drivsinen, à enviidii 2,200 pieds
au-dessus de la mer, la vue est énuiuvante.
Un peu plus loin, la montagneuse et solitaire slalion de Kungsvold
est niellée dans une gorge du Drivsdal, aune hauteur de 3,0(33 pieds
au-dessus de la mer. Le vent sonlïlail l'nrieusemeiit, mais ma compagne
y paraissait indifférente, anxieuse ([u'elle élail d'arriver cliez elle. Le
cheval que l'on m'avait donné à la station semhlait avoir deviné que je
n'avais point de fouet, et tous mes efforts pour lui faire jirendre une
allure plus accélérée demeurèrent infructueux jusqu'à ce qui' j'eusse
ordonné à mon postillon de coupei' une haguette de saule dont la vue
])roduisil sui' l'animal un elfel magiipie. Quand nous alleignimes le plus
liant point de la rouli\ 4,594 pieds au-dessus du niveau île la mer, le
thermomètre marquait 22°. Nous descendîmes alors vers un groupe de
sombres maisons à Hjerdkin, la slafion montagneuse la plus élevée sur
le Dovre lield, fondée dans la premiéie moitié du xf siècle et nommée
Fieldstiien. Les indigènes ont conservé leur hoimételé malgré les fen-
lalions qu'olïre une des slaliuns les plus fi'éqnenlées entre Trondjliem
et Chrisliania. Les voyageurs s'a ri'è lent iri en élé el en hiver, el duraul les
mois d'élé, l'endroit est toujours plein d'élrangers, surloul d'An-
glais. Celle localité el .ses environs exeiceni une sorle de fascinalion.
Le touriste peut parcourir le plaleau du Dovre field, rafraîchi (lar des
brises forlilianles; le botaniste y trouvera en aljiiiidance d'ex(|uises
fleurs n.iliirelles. Les courses sur les collines, avec de geulils pimeys
norvégiens au pied si sûr, sont exlrènu'inenl agréables; le piélnu qui
aime à gravir les al[)es peut faire l'ascension du Snehaelten, la plus
haute moniagne de la chaîne ipii s'élève à 7,714 pieds, et ex[)lorer ses
glaciers; et, quoique le renne soit rare aujourd'hui, l'ieil exercé du chas-
seur p.nvieiidia encore à en démnvrir de |ieliles Inuqtes. Lanmirrilnre est
bonne; la crème, le lai! el le beiu're sont paifails. Les piix se tii-'inienl
un peu jdus cher que dans beaucoup d'autres places; mais la distance
de |;i nier est grande. En Norvège, on ne considère pas le voyageur
I.c Muiai-'luss iliiiis la liouisiUili'ii.
UNE MAUVAISE HECOLTE 215
comme une poule hoime à plumer, et on n'exige pas de lui des prix
exorbitants.
La neige, (jui él.iii épaisse par terre, àHjerdkin, avait graduellement
dis[iaru avant (pie nous atteignissions Fokstuen, à 3,1 50 pieds au-dessus
du niveau de la mer.
A Dombaas, où il y a une station télégraphique, la scène avait
entièrement changé, et des champs d'orge ondulant sous la brise char-
maient les yeux. On voyait disséminées çà et là, par groupes, de petites
fermes; mais le disirici esl pauvre, elles fdles en général sont contentes
lorsque leurs voisins plus riches les engagent moyennant quatre ou
cinq dollars par an, y compris riiabillemenl.
Ici, à 2,000 pieds au-dessus du niveau de la mer, les récoltes
n'étaient pas parfaitement mûres, la saison ayant été tardive. L'orge
aurait eu besoin de quelques jours de soleil de plus, et les pommes de
terre étaient encore en tleurs. Li's soirées devenaient froides et les
visages des fermiers laissaient deviner Icui' iuipiiéluih'. Le vent soufflait
duN.N.O. et [tendant deux nuils consécutives une dure gelée s'était
fait sentir. Les pommes de terre devinrent noires et la récolte du grain
fut sérieusement compnmiise. Après la première gelée, chacun se mit à
l'œuvre dans les champs; hommes et femmes coupèrent l'orge et toutes
les mains capables piochèrent lespommesde Icrre. La ilnulcurétreigaail
le cœur des fermiers; car c'était une grande allliclion [Miur eux, et, pen-
dant ces quehptcs jours, des larmes coulèrent sur bien des joues mater-
nelles. Après ce moment de froid subit, le lenips devint orageux, une
violente tempête éclata, quoi(pie l'on ne fût qu'au 20 septembre. Ceci
me força d'abandoimer la carriole.
Le touriste, dans son trajet de Troudhjem à Christiania, perd une
quantité de vues superbes en ne suivanl pas la Romsdal jusqu'à la mer,
la route principale s'embranchant à Dombaas. La course d'ici au fiord
Molde, à une distance tle 70 milles, offre un des tableaux les plus gran-
dioses de la Norvège, et un panorama de scènes admirables qui se
succèdent rapidement.
Les vallées de Gutbrandsdal et du Romsdal sont séparées par le
lac Lesje, long d'environ siqil milles, el à 2,0.i0 pieds au-dessus du
niveau de la mer. C'est un des peu nombreux lacs qui ont deux déver-
soirs, une rivière s'écoulant de chaque côté dans des directions oppo-
216 LE PAYS DU SOLEIL DE MINUIT
sées. La Logcii couit vers le sud, pnrla Guthrandsdalen, et finil dans le
lac Mji"isen, tandis que la Rauma coule an nord par la Romsdalen.
Entre Stueflaaten et Horgheim on voit le plus beau et le plus grand
spectacle de la roule. C'est le point culminant de tout le voyage. La
gorge ou vallée est d'une grandeur ipie l'on n'oublie pas aisément; les
immenses murs perpendiculaires, les montagnes nues et âpres, avec de
sombres et profondes crevasses, et les rampes noires et abruptes des
collines et des rochers de gneiss, donnrnl un aspect partirnlièrenient
sombre au tableau. A Ormein, prés de la station postale, la Rauma
reçoit les eaux d'un courant formant une magnifique cascade, la Ver-
medalsfossen, qui se partage en trois branches, dont chacune dégrin-
gole les pentes des collines en ondes écumantes. Où la vallée était
plate, les prairies encore vertes contrastaient avec les murs sombres
et jierpendiculaires de chaque colé, pendani que les cimes des monta-
gnes se cachaient sous la neige.
Les nuits étaient froides; le malin, le thermomètre ne se tenait qu'à
peu de degrés au-dessus du point de gelée, et on voyait la glace sur les
côtés des ruisseaux. Pendant le jour, le mercure à l'ombre montait rare-
nii'iil au-di'ssus de iO", mais il atteignait 8.'? au soleil (pii riind;iil rapi-
(leiueiil la neige. Depuis la lempèle, le ciel avait été sans nuages, l'air
délicieux et fortifiant.
Dans une partie de la vallée, entre Stueflaaten et Fladmark, on jouis-
sait d'une vue réellement sublime; d'innombrables cluites d'eau, prove-
nant de la fonte des neiges supérieures, tombaient le long des falaises
abruptes, el produisaient une scène étonnante. Beaucoup se Jeliienl de
hauteurs tellement consiilér.ibli's, (pir Wm perdait la vue des sommeis;
dans l'éloignemenl, elles faisaient rell'ei tle petits rubans d'argeni i|ni
disparaissaient pour reparaître plus bas, pendant que l'œil s'elforçail
en vain de les suivre ; d'autres semblaient se fondre en un nuage tl'écume
avant d'atteindre le fond. Cette scène de cascades défie toute descrip^
tion. Dans une étendue de mijins d'un mille anglais, avaiil d'aileiinlre
Fladmark, je comptai, des deux côlés de la vallée 73 chutes d'eau dont
aucune n'avait moins de 1 .000 pieds de haut; il en est qui se |iréci-
pilaient de 2,000 pieds. Tout le long des déclivités de la numlagne,
on voyait distinctement les manjues des glaciers qui ont creusé,
poli, et déchiré les rochers. Les terrasses aussi se montraient jus-
UNE TEMPETE DE NEIGE 219
qu'à une liauleur de oOO pieds , i)i'ouvanl ainsi l'ancien niveau de
la mer.
A quelques milles avant d'aileindre le l'iord Mulde, on arrive à une
charmante auberge appelée Aak , oîi je m'arrêtai quelques jours.
C'était une petite maison, blanche, bien peinte, et un endroit agréable
et confortable, encombré de touristes pendant l'été, mais désert main-
tenant, car la saison des voyages et de la récolte était passée. On
voyait un peu de légumes dans le jardin potager où abondaient les
framboisiers, les groseillers et les fraisiers. Les pommiers et pruniers
étaient chargés do fruits; mais la température avait été généralement
froide et les pommes n'alleignaient pas encore à la maturité. Nous étions
entre les Gr et 63°.
Combien me parut somptueux le menu de cette petite auberge après
mes explorations estivales dans les montagnes ! La cuisine était excel-
lente; j'eus truis repas par jour; la carte comprenait: soupe, poisson
exquis, mouton, volaille, pois verts et autres légumes du jardin, et
plats confectionnés; on me donna toute la crème, le lait et le beurre
que je désirais; le café était parfait et le linge de table très blanc. Les
chambres sont petites ; mais telle est la réputation de cet endroit, qu'en
été il est encombré et que les voyageurs logent dans différentes fermes.
Certaines personnes passent des semaines à Aak, rien que pour jouir
de la belle vue. C'est une des meilleures auberges de la Norvège et
les prix sont très modérés. J'espère que les bonnes gens auxquelles elle
appartient, et qui la tiennent si bien, conserveront leurs honnêtes procé-
dés norvégiens.
Quoique tout fût en repos dans la vallée, un ouragan se déchaînait
sur les sommets des montagnes où des nuages de neige volaient dans
toutes les directions et ta de grandes hauteurs sous forme de colonnes
en spirales. De temps en temps le calme était troublé par un bruit
retentissant dont les échos se répercutaient de montagne en montagne;
ce bruit venait d'avalanches de neige entraînant dans les crevasses du
dessous des rochers et des blocs erratiques, pendant (pie l'immense
Troldtinden et le Romdalshorn dominent le paysage de la vallée. En
face de Aak on voyait une de ces vallées étroites et courbes qui finis-
sent brusquement dans une gorge, avec deux ou trois «saeters ».
Un agréable trajet d'envirt)n trois milles conduit de Aak à Veblun
22n LE l'AYS 1)1" SdLIJir. DK MINIIT
gnaes, à la pointe du fiord, où un pi'iit steamer prend les passagers
pour Midde. Après avoir navigué (picl(|ues heures sur le fiord, on y
aperçoit la pelile ville serrée au picil des collines par la nier. Ses mai-
sons peintes en jaune cl un hlanc, aux toits couveris dr hiili's muges
ou foncées, on! un iisprcl 1res |iillnres(|ue vues di' la, mer; li's l'ucs
|irn|irt's cl faiipaiTucc liii'u rangée des liabilalions l'dul un cITcl Irés
agréable (|uand on a déh.inpié.
Je ne connais ]ioint i\t' ville en Norvège qui présente un panorama
pins vaste et plus beau de liords et de montagnes. L'église est le prin-
ci|)al édifice; le cimetière qui l'entoure était embaumé du parfum des
llcin-s d'antomnc. Marroiuuers, chênes, frênes, peupliers cl boiileanx
ombrageaient les tombes; plusieurs ne portaient point de nom, mais
chacun connaissait la jdace où reposaient ses morts. Dans la ville, il y
a une fort belle avenue de bouleaux dont quelques-uns ont ciiu] [lii'ds
de diamètre. Le dimanche, l'église regorgeait de monde. AvanI de
mouler en chaire, rccclésiasticpie enleva son surplis blanc cl a|i|»;irul
dans sa soutane noire, avec un ridial au col. Il fut très élo(pienl cl l;i
congi'égalioii obsi'i'va ini [U'olond silence, interrompu seulemenl p.n' les
dames. Le sermon dura une heure vingt, et, à la fin, le prédicateur [)ariit
fatigué. Comme cela est usu(d dans toutes les assemblées, quebpu's-
nns donnirciii ; mais, dans mon banc, un dormeur combattit le sommeil
pai' inic |iris(> de tabac (pii produisit rclfcl désiré; il éternua et deuu'ura
éveillé pcndaiil loule la dui'ée du service. Après le sermon vini h'
baptême de deux enfuils; l'ollicianl ré|i;indil [lar trois fois de l'ciu
sur la tèledc chaque nouveau-né, i)our représenter la Trinilé, ci les pa-
rents, ainsi (pu" le parrain et la marraine, passèrent derrière l'anlcl pour
remettre leur oiïrande.
Dans nne ville de Norvège c(^ n'csl pas dans la résidence de
r.inilmanil (gonvernein'l on de loul aulre éni|doyé du gouvernement
ipie rèlianger devra chercher la plus belle demeure; c'est lui Irail
car.iclèristique en ce pays, qu'un bâtiment modeste est régulièrement
alfeclé à la résidence du premier personnage officiel. Cependant, en
Suède, la demeure du gouverneur d'une province est toujours belle cl
même imposante, comparée à la plupart des autres maisons di' la villi\
L'amtniand m'invila obligeamment à passer la soirée chez lui, oi'i
il avail engagé une société choisie de gentlemen, parmi lesquels devaieni
DINER CHEZ LE GOUVERNEUR 223
se trouver plusieurs l'oncliuiniaires de la ville. Tous les convives s"exi)ri-
mèrent en anglais, à l'exception des plus vieux qui parlèrent français.
Maintenant l'anglais et l'allemand soûl généralement employés, résul-
tat de l'accroissement du commerce avec ces deux pays. Le joli par-
loir dans leijuel je fus reçu était un modèle de proiirclé, et les fleurs
dont on l'avait orné réjouissaient les yeux.
Dés que je fus arrivé, on servit le thé; après quoi, les convives se
versèrent eux-mêmes un verre de toddy, c'est-à-dii'e un grog. Puis
vint le souper. L'iiùle pril uioii luas et me conduisit dans la salle à
manger, où présidait son excellente femme. Le gouverneur, tenant un
verre de vin, observa la coutume qui veut que Ton incline la tète pen-
dant que l'on prononce une bénédiction silencieuse et que l'on souhaite
(( la bienvenue à table » ; ensuite il proposa un toast en mon honneur,
disant que tous étaient heureux de ma visite en Norvège et à Molde ;
qu'ils espéraient (pie je verrais le pays à l'oiid, que j'y demeurerais
longtemi)S, afin de pouvoir travailler au bien de l'humanité et dans
l'intérêt de la science. Quand ce petit discours flatteur eut été terminé,
chaque convive me salua, et, lorsque je vis le souper tii'cr à sa fin, je
proi)Osai, selon Ihabitude, c'est l'agréable devoir tl'un invité, la
santé de la femme du gouverneur; après quoi, tous inclinèrent silen-
cieusement la tête en signe de remerciement au Tout-Puissant; i>uis ils
se levèrent, fra|)pèrent des mains, se saluèrent l'éciproquement, et
rendirent grâce à l'hôte et à l'hôtesse.
Dans un coin du parloir s'étalait une collection d'immenses pipes
d'écume. On apporta du tabac, et tous, excepté moi, se mirent à fumer;
ils parurent étonnés quand je leur dis que je ne fumais pas. Plusieurs
carafes de vin et d'eau-de-vie et une bouillotte d'eau chaude étaient sur
la table; ciiacuu se fit un grog, et notre amicale causerie dura jusqu'à
minuit.
Le lendemain, le gouverneur visita les écoles avec moi et me dit :
« Quoique notre pays soit pauvre, nous aimons à dépenser de l'argent
pour l'éducation! » 11 prit plaisir à me fure expli(inei' tout par le princi-
pal et les pnifes^enrs. .l'étais heureux de voir le sentiment viril qu'il dé-
ployait. 11 ne venait pas avec cette démarche hautaine et dédaigneuse si
souvent adoptée par les fonctionnaires sur le continent; on le reçut avec
politesse, mais non obsé(jnieusement.
224 LE PAYS DU SOLEIL DE MIXIIT
Dans celle niddosle ville, on enseignait riiébreu, lojjivc, le lalin, li-
français, l'allemand ol Taiiglais. Plusieurs élèves Uuenl ilevaiil nini de
l'anglais, qu'ils traduisireni ensuite en français. Les garçuns el les filles
reçoivent l'inslruclion en commun dans la même salle.
.l'étais arrivé à Molde avec queltiues dollars seulement, et nalurelle-
meni, je dus penser à me procurer des fonds. Conimenl faire? Le seul
moyen élail de lélégraphierà Christiania; mais je n'avais pas encore vi-
site cette ville, je ne connaissais aucun des banipiiers el je ne savais
comment établir mon identité; j'envoyai donc un télégramme ainsi ré-
digé à mess. Heflye : « Je suis sans argent, mais j'ai une lettre de cré-
dit sur vous. Pouvez-vous télégraphier ici à quehpi'un de m'en remettre?»
.le fus rassuré lorsque je reçus presque aussitôt de cette maison ces quel-
ques mots: «M'..., gentleman à Molde, vous versera le mou la ni dont vous
avez besoin. » Peu après l'arrivée de ce message, le gentleman en (piestion
vint me voir et me dit qu'il avait reçu un télégramme de mess. Heflye,
mais qu'il lui fallait un jour ou deux pour réunir l'argent dont j'avais be-
soin; puis il s'informa poliment de la somme que je désirais. Il avait
reçu ordre de me donner tout ce que je lui demanderais: ne sachant pas
quelle somme je voudrais loucher, il iu'ex|ili(pia ipu' Molde étant nue pe-
tite place, n'avait point de liampie.ct (|ue,par conséquent, il serait obligé
d'aller chez plusieurs personnes pour réunir le montant s'il était fort.
« Je n'ai besoin que d'une petite somme, lui dis-je, pour me rendre à
Christiania. — En ce cas, reprit-il, grandement soulagé, je puis vous re-
mettre (piehjues centaines île dollars tout de suite! » Celui-là seul (pii
s'est trouvé dans la même position (pie moi peul apprécier avec (pielle
satisfaclion j'encaissai cet arifent.
De Molde, le touriste ou le piéton (|ui aime la nature verra s'ouvrir
devant lui un champ d'exploration si vaste et si beau, qu'il saura à peine
par où commencer ses pérégrinations.
Vers le nord, c'est une côte sauvage avec des coidours rnapniliipics,
où le soleil de minuit est visilile, cl on la navigation, [laiini des niilliers
d'îles, oflVe un panorama ipii clianLic conslanimenl. Il \ a aussi la grande
roule pour liergeu, i)assant à travers un i)aysage grandiose, (pii rivalise à
divers égards avec celui de laUonisdalen. Sur celle roule, il faut traver-
ser des fiords, et les vues alternantes de la mer et des montagnes sont
saisissantes. On jieul choisir encore une grande roule parla Rumsdalen,
DE MOLDE A BEHGEN 227
que j'ai tlrjà décrite, conduisant soil à Clu'istiania, Troudlijem ou
Rôraas, et, de là, en Suède. Un autre chemin, qui, après avoir quitté
Molde, suit le bord du fiord Fanne, traverse deux branches du fiord
Christiansund. On rencontre, de plus, de nombreux sentiers où l'on peut
aller à cheval ou à pied, divergeant des grands chemins ou îles fiords,
et suivant les sinuosités des montagnes vers les glaciers, offrant au bota-
niste,au chasseur, au pécheur et à l'admirateur des scènes les plus sau-
vages, une suite de vues toujours nouvelles.
CHAPITRE XVI
BERGEN
Le port de Gergen. — Fondation de la ville. — Un endroit pluvieux. — Le marcIié au poisson.
Une vision de licauté féminine. — Une inléressanlc école industrielle. — La cathédrale.
Confirmation. — Jours de changement des servantes. — Asjiect animé du Stiandgaden.
Hospitalité de Bergen.
Par une holle lualiiire de la lin de so|)temlifc', j'appnirliai de la
vieille ciié de Beriieu. C'étail un iiiagiiilii|iie jiuir (raiiloinne; pas la
moindre brise n'agitai! l'air, mais nue alinosphère épaisse el l'uinense
planail sur les rives. En passant devant la jetée et son phare aux cou-
leurs voyantes, le port ressemblait à un grand canal encombré de
navires. Nous avançâmes lentement au milieu des embarcations et d'une
foret de mâts : On voyait confusément au loin les magasins aux formes
bizarres, avec leurs toits pointus garnis de tuiles rouges, paraissant plus
fantastiques encore à travers l'atmosphère brumeuse. Après avoir lou-
voyé dans un labyrinthe de petiles barques chargées de bois de cliaiif-
fage, (le troncs d'arbres, de poisson, de foin, etc., et au milieu du
i)roiiliaha d'un port affairé, nous jetâmes l'ancre, et bientôt nous fûmes
enluurès de batelets dont les occupants se dispnlaieni à i|ni transporte-
rait les passagers à terre pour quelques shillings.
Vue de la mer, Bergen est très pittoresquement située. A gauche,
BERGEN : SON POUT ET SES PÉCHEURS
22"J
une liante cliaine de collines nues et grises, sur les déclivités desquelles
est construite en anipliilliéàtre une partie de la ville; le port est étroit;
.il forme une sorte de canal ayant des magasins de chaque côté, dont
ceux de gauche ont été construits par j;i ligne hanséatique et sont des
types frappants de l'architecture de cette période. Un récif de haute
taille, couronné par le château de Bergenhus, sépare une partie de la
ville par une autre baie étroite. Au printemps, le port a beaucoup d'ani-
mation, lorsque des centaines de petites embarcations reviennent de la
pèche. On exporte tous les ans d'immenses quantités de morue sèche,
Vente du iwisson.
d'huile de foie de morue, et des centaines de mille de barils de harengs
marines. La ville semble être nichée dans un creux. Un petit lac, à
quelques centaines de pieds au-dessus du niveau de la mer et à quel-
ques milles de distance, fournit l'eau ])olable à la ville.
Bergen, 60° 24', latitude, est, en importance, la seconde ville de la
Norvège — Christiania est la première — et a une population d'à peu
prés 38,000 habitants. Elle fut fondée eu 10G9 ou 1070, par le roi
Olaf-Kyrre.
On dit que la ville, avec ses envii-ons, est l'endroit le plus pluvieux
de la cote norvégienne; c'est beaucoup dire, mais elle le mérite bien.
La somme de pluie qui tombe est grande : la moyenne des jours phi-
vieux dans une année est de 134, des jours neigeux de 26, et le total de
230 LE PAYS DU SOLEIL DE MINUIT
la pluie et de la neige foniliic monle annuellement à environ 72 pouces.
Le climat est très doux; la température moyenne pendant le mois de
janvier reste un peu au-dessus du point de glace; en février, une frac-
tion de degré au-dessous; en mars, elle monte de 34° au-dessus; en
avril, 4o°; en mai, 48°; en juin, 55°; en juillet, 58°; en août, 57° et
demi; en septembre, 53°; en octobre, 45°; en novembre, 37° et demi;
en décembre, 36°. En juillet, le mercure s'élève jusqu'à 85°. Le nombre
des jours brumeux est d'environ 40. La température moyenne de l'année
est de 43°, l'une des plus élevées de la péninsule Scandinave.
La ville est très animée et prospère, et, bien cpie presque toutes ses
rues soient étroites cl encombrées, elle est pleine d'intérêt pour le
visiteur.
Le jour du marché au poisson est une curiosité à laquelle il ne faut
pas manquer d'assister. Dés le matin, jikis de cent cinquante bateaux
])èclicurs viennent s'amarrer le long du quai. Beaucoup vendent leurs
chargements i)ar bateaux, d'autres conservent le poisson vivant, soit
dans des réservoirs soit dans des seaux. Certains bateaux étaient remplis
d'éperlans, que l'on nomme ici brhUni/; mais le plus grand commerce
est celui des morues; il y en a qui pèsent cent cinquante livres et sou-
vent davantage ; on les découpe en morceaux pour la vente. Les carrelets
et aiglefins abondent et se vendent à très bon compte; les pauvres gens
vivent surtout de poisson.
Les pêcheurs, assis dans leurs bateaux avec leurs femmes et leurs
enfants, offrent leur poisson à la vente et regardent avec des yeux avides
les consommateurs qui viennent acheter au meilleur marché possible,
])articulièrement quand le poisson est abondant. Une chose des plus
amusantes, c'est de voir les femmes se pencher sur la balustrade pour
mieux regarder le jjoisson dans les bateaux; la plupart ont des robes
courtes et font voir leurs jambes de manière à enchanter l'amateur de
mollets fins et bien faits. Servantes et paysans se bousculent sans con-
sidération. Beaucoup de consommateurs s'en retournent chargés d'une
morue; la mère et le fils en portent une énorme ù eux deux, ou bien
un homme solide ploie sous la cliarge d'un jioisson plus grand (pie lui.
La foule est amusante; les paysans et les i)aysannes en costumes bario-
lés se promènent gaiement dans les rues de Bergen.
L'une des choses (]ui frappent le plus agréablement l'étranger en
BERGEN: SON ECOLE INDUSTRIELLE 23l
Scaiulinavie, c'est le noml)ro d'eufaiils qui vont à l'école et Bergen n'y
fait pas exception. Toute la jeune population s'y rend chaque matin;
les jours de pluie les filles portent un manteau imperméable ; les éco-
liers ont sur l'épaule une petite gibecière contenant leurs livres, et mar-
chent droit, la poiti'ine en dehors. La idus ancienne maison d'école,
fondée en 1738, est en pierres. L'instruction s'y donne gratuitement,
et les garçons, même ceux de la classe la plus pauvre, sont propres et
bien tenus. Dans une autre partie de la ville, se trouve une école plus
grande et plus moderne pour l'instruction gratuite des garçons; elle a
un gymnase où ils se livrent aux exercices athlétiques et militaires. L'é-
tage supérieur est destiné aux classes de garçons et de filles. Les heures
d'école sont de neuf heures à midi, et de trois à cinq. Dans quelques
classes, les élèves des deux sexes apprennent ensemble, et chaque éco-
lier a un pupitre séparé. Je remarquai avec plaisir [)lusieurs institutrices.
Dans l'une des salles oii il n'y a que des garçons, l'un deux, possédant
une belle voix, fut invité par le surintendant à diriger le chant. Ils en-
tonnèrent pendant prés de vingt minutes des ballades norvégiennes,
suédoises et danoises.
L'école industrielle libre, où l'on enseigne à des filles pauvres les
arts de l'industrie féminine, est une des institutions les plus recomman-
dables. C'est un établissement dont Bergen peut être fière et que chaque
ville devrait posséder. J'entrai dans une vaste chambre où la principale,
dame âgée à l'aspect bienveillant, me reçut très poliment. Sur une
grande table, des bouquets de ileurs donnaient une ap[)arence de gaieté
à la salle, et devaient inspirer aux élèves le goût du beau. Disséminés
parmi les fleurs, on apercevait quelques jolis ouvrages confectionnés
par les jeunes filles pour des personnes qui devaient les leur payer.
L'âge des élèves s'échelonnait de sept à seize ans. Toutes travaillaient par
groupes ou classes, selon leurs progrès, faisant des robes et des che-
mises, ourlant, cousant, tricotant, raccommodant et reprisant, sous la
surveillance de maîtresses conq)étentes et attentives. C'était un spectacle
fort intéressant, car ces pauvres filles apprennent ainsi à se rendre uti-
les. Elles faisaieni preuve d'une adresse éloiuianlc dans le raccommo-
dage de nappes, où Ton pouvait à peine distinguer la place qui avait été
réparée. Les enfants plus jeunes étaient occupées à un travail plus sim-
ple dans une clinnibre à eux consacrée, oi'i elles apprenaient la coulure.
232
LE PAYS DU SOLEIL DE MINUIT
Celle école renfermait, lors de ma visite, plus de 500 élèves qui siiiviiieul
les classes de neuf heures à midi, cl de ileux à cinq. Onconsacrnil trois
heures h rétude, et trois heures aux travaux d'aiguille, etc. Les filles
reçoivent ici une honne éducation rndimentaire, et, en même temps, elles
appieimenl à prendre soin d'elles-mêmes el de leurs familles. Les bon-
nes gens de Bergen honorent grandement, cl avec raison, la surinlen-
dante, ainsi que les maîtresses de celte école pratique si bien administrée.
Avant que je quittasse rinstiluliini, la principale m'offrit, comme
souvenir, deux paires de bons bas de laini' tricotés par les élèves. Je
RpgarUaiit le poisson.
voulus les payer, mais elle refusa et je ne pus lui faire accepter que mes
remerciements. Peut-être la bonne dame apprendra-t-elle avec plaisir
si elle l'apprend — que, l'année suivante, ces bas m'ont aidé à tenir mes
pieds chauds dans mes souliers lapons, pendant qu'au cœur de l'hiver,
je traversais le pays sur les régions montagneuses entre le golfe de
Bothnie el le cap Nord.
Dans réc(de de la cathédrale, où l'on prépaie les garçons pour
l'université de Christiania, l'inslitution est parliellement sous la sur-
veillance du recteur, qui, à celte époque, était meml)re du Slorlhiiig.
L'école a une bibliotlièque contenant des livres précieux.
La Domkirke (calliédrale) est un ancien édifice de forme bizarre,
BERGEN : LA VILLE ET LES HABITANTS 233
dont les arrangements intérieurs ne ressemlilent à ceux d'aucune
des églises que j'avais vues jusque-là. A droite, et regardant l'autel,
elle est divisée en loges, contenant des sièges qui rappellent un peu le
tliéàlro. Après le service, l'aile principale se remplit de garçons et de
filles qui devaient subir un examen pour être admis à la confirmation.
La cérémonie commença par une allocution du pasteur, puis, en présence
des parents, il fit poser question sur queslioii par le domprovst (le doyen)
à chaque enfant, sur la Bible et le calhécliisme. Plusieurs heures se
passèrent de cette manière, aussi les enfants devinrent-ils fatigués et
inattentifs. Cette longue cérémonie, si peu nécessaire, étant terminée,
le doyen prononça une bénédiction sur chacun d'eux séparément, en
disant : « Que le Seigneur te bénisse et te conserve ! Que le Seigneur
tourne sa face vers toi et te soit favorable ! Que le Seigneurie protège et
te donne la paix! » Le dimanche suivant, après la confirmation, les
enfants devaient communier.
Le dimanche après midi, aussitôt après le service, la bande mili-
taire joue sur la place pendant une demi-heure, et alors V élite de Ber-
gen se promène et écoute les morceaux de musique. La foule se com-
pose de dames mises à la dernière mode de Paris, de pêcheurs dans
leurs costumes du dimanche, et de bôndcr de la province de Bergen
dans leurs atours rustiques. On remarque quehiuefois, dans la multi-
tude, des personnes aux cheveux noirs dont l'aspect contraste du tout
au tout avec celui de la majorité du peuple.
L'une des coutumes du pays consiste à engager les servantes pour
six mois, et à renouveler leurs engagements si les deux parties sont
d'accord. Ceci a lieu les 14 avril et 14 octobre. On appelle ces deux
jours Fhjttcdafjer f jours de changement). Je fus surpris de voir une
telle animation en ville. Le soir, le Strandgaden offrait un spectacle
extrêmement gai ; car la coutume veut que, lors du Flyltedag, toutes
les filles engagées pour un service domestique quittent leurs anciennes
places à deux heures de l'après-midi et entrent dans leurs nouvelles
maisons à neuf ou dix heures du soir. Elles mettent alors leurs meilleurs
vêtements et vont se promener dans le Strangaden, où leurs futurs et
leurs amies viennent les trouver. Le Strangaden correspond à Broadway,
aux Boulevards, ou à Régent street; une foule épaisse le parcourt de
sept à onze heures du soir, puis il redevient désert. En Suède, les dates
236
LE PAYS DU SOLEIL DE MINLIT
du rcnouvollemciit snni les 24 avi'il el 2\- orlolire; mais les scrvaulrs y
ont pour elles trois jnurs dont elles i)euvent disposer à leur gré, ce qui
cause souveiil bien de l'emliarras aux dantes, lesquelles smil (diligées de
faire de leur mieux pour se servir.
La position géograpliirpie de Bergen, enlre le Sogne, le Hardaiigi'r,
d'autres fiords el des districts pêcheurs, lui donne une grande impor-
Pèclionr poilaiit un jjoisson.
lance commerciale. De celle ville, deux fdis par semaine, des steamers
cliaufl'ent pour les parties les plus idoignées de ces grands bras de
mer.
La ville est bien pourvue d'iiislilulions de charilé cl de bienfai-
sance, dhopiiaux, et d "un asile pmir les gens âgés et infirmes. Les
habitants sont sociables, bons el hospitaliers. J'ai conservé un fort
agréable souvenir de mes visites répétées en cette ville. Ses savants
onl toujours été disposés à me donner tous les renseignements que je
])(iuvais désirer. Le musée m'a fait un cadeau (pii m'est très précieux:
BERGEN : LA VILLE ET LES HABITANTS 237
une corne à boire très ancienne. Une visite à celle inslitiilion ne peut
manquer d'éveiller rintérêl. Des anti(iuilés trouvées dans les tumuii,
de vieilles armes, des monnaies, des cornes à boire, des objets sculp-
tés, etc., etc., méritent d'être vus.
Il n'est pas de ville en Norvège où les touristes puissent mieux
qu'à Bergen passer une couple de jours ; les promenades en voiture et
à pied sont magnifiques; la nouveauté de la scène, les divers costumes
des paysans, le [lays environnant, tout contribue à faire passer le temps
agréablement; mais Christiania est préférable si l'on veut y séjourner
plus longtemps.
CHAPITRE XVII
LES FIORDS
Kiords de Scanilinavie. — Leurs imiis et vallées teiniiuales. — Action des glaciers. — Ter-
rasses on brèches de mer. — l'hénoDicnes et causes. — Lignes de cotes et marques de la
mer. — Élévation et abaissement du pays dans les temps modernes. — Ne peut être utilise
comme mesure de temps. — Vues du professeur Kjerulf sur ce sujet. — Théories de l'ice-
berg et du glacier. — Mouvements inégaux et intermittents, et longues périodes de repos. —
Changements dans le climat et dans la distribution de la vie des plantes et des animaux.
Lorsqu'on vogue le long de la péninsule Scandinave, et spéciale-
ment sur la cùle de la Norvège, on voit partout d'élroils et profonds
bras de mer s'introduisant souvent à cent milles parmi des masses de
roches appartenant aux i)lus anciennes formations; ces bras de mer
porlciil le nom de fiorch. Ceux de la Norvège sont bien plus grands
et plus majestueux que ceux de la Suède et coniribueiit à la grandeur
de l'aspect caractéristique du pays. Quand on regarde avec admiration,
presque avec terreur, leurs murs qui s'élèvent à des milliers de pieds
au-dessus de la mer, on se pose naturellement cette question: «Quelles
sont les causes qui ont formé ces étonnants canaux?» La mer n'ayant
point de couiaiil apte à les produire, la seconde jH'Usée doi[ èlre nalii-
rellemenl aussi, ipie leur formation est due à quebjue grande convul-
sion de la nature; mais ni la mer ni les calaslrophes géologiques n'ont
été des agents actifs en ce cas^
LES FIORDS ET LES GLACIERS 239
A rextrômité d'un fiord il y a invariablement une vallée avec un
cours d'eau qui recueille les eaux venant des montagnes; à tous
égards, ces vallées sont la continuation du fiord; seulement l'un est de
terre, l'autre est d'eau, et tous deux sont découpés dans le roc; la
même chose est vraie dos branches , fiords transversaux, et des
vallées.
Partout vous voyez les silbjns, les stries et le poli dus à l'action
de la glace; partout vous voyez de nombreuses moraines, si immenses
qu'elles sont souvent couvertes de fermes, de champs et de hameaux;
tout prouve que les fiords, comme les vallées, ont été creusés dans le
roc solide par l'action des glaciers. En considérant l'effrayante hau-
teur de ces murs et y ajoutant l'énorme profondeur, (pii est souvent
égale à la hauteur des montagnes, nous ne pouvons comprendre les
incalculables périodes de temps qu'il a fallu à ces glaciers pour faire
leur œuvre dans leur marche lente mais irrésistible vers la mer; nous
obtenons ainsi une idée, que rien autre ne peut nous donner, de la
terrifiante puissance de l'eau, sous forme de glace, pour modifier le
caractère de la surface du globe.
Il y a aujourd'hui en Norvège des glaciers à l'extrémité supérieure
des fiords descendant vers la mer, témoins silencieux mais irrécusables
de l'œuvre qu'ils ont accomplie et qu'ils continuent encore; en se
retirant, de mois en mois, ils laissent sur les rochers précisément les
mêmes marques laissées par eux depuis des siècles. Le temps, la
gelée, des influences atmosphériques ont, en beaucoup de i)laces, obli-
téré ces marques faites par les glaces, et souvent la boue et les débris
des siècles les cachent à l'œil du vulgaire, mais elles ont été préservées
pour le géologue.
En navigant le long des fiords, des ouvertures de vallées, ou des
baies abritées de la côte norvégienne, l'attention du voyageur ne peut
manquer d'être attirée par les terrasses ou plages, s'élevant l'une
au-dessus de l'autre en amphithéâtre, et apparaissant comme de gigan-
tesques escaliers. Elles suggèrent à la fois l'idée de successifs soulève-
ments du sol et de différents niveaux de la mer, plus ou moins perma-
nents, dans lesquels les rivières et cours d'eau ont charrié des pierres,
du sable, de l'argile, qu'ils ont répandus au-dessous de la surface.
Dans beaucoup de fiords se voient de courtes vallées rapides, dont
240
LE PAYS DU SOLEIL DL MINUIT
l'entire osl barrée ]inr une terrasse ou deux , surmontées par des IjIoos,
des pierres et du sable d'une moraine laissée par la })récédente période
glacière; bien des lacs ont été produits ainsi, suivant le cours de la
vallée. La terrasse la [ilus élevée, que l'uiipeul distinguer tie la UKiraiue
par sa stratificaliim, niarqne le plus ancien niveau de la mer. Leur hau-
teur dépend de la largeur de la vallée, de la iiuantité de matière
déposée, et de la durée du tassement; la plus ancienne atteint une
.Marques de la mer jues de Troiidjliem.
liauieiu' de 600 à G20 pieds, et contierd des lossiles marins arctiques.
On trouve aussi dans l'argile des coquillages marins et des bancs de
coquilles de deux faunes distinctes. Dans les marnes d'argile dure, on a
découvert des S(iueletles de plioipies et de poissons, et de larges lits de
tourbes se présentent dans les plaines. Les terrasses plus basses et plus
fécentes, de .oO à loO pieds de ii.iul, coiilienneui des fossiles apparte-
nant à la fanni' acluelle de régions m-dessous du cercle polaire sur la
cote, de Norvège. D'immenses bancs de coquillages courent paral-
lèlement à la côte, et sur eux s'est déposé un terreau foncé, comme
Iri liorcl ncavcgion.
16
LES MAItnL'ES UE MER 2«
a Bodu. D'autres lits de tourbe se font vnir aussi sous ces dernières
terrasses.
Des ligues de bord coaiposées de ciilloux se rencoutrent daus
différentes parties du pays; j'eu ai vu sur les ])ords septentrionaux de
la Baltique, au milieu de forèls conil'ères, ;iu nombre de trois superpo-
sées; de même sur la côte de Finniarken, deniére Vadsô.
On voit des marques de mer sur divers points de la côte de Norvège.
J'en ai remarqué particulièrement près de la ville de Trondhjem, où on
les découvre à une hauteur de 402 à 510 pieds; près de Stensu, sur le
fiord Stavanger; dans le fiord Osier, à 138 pieds au-dessus de la mer;
et aussi dans le fiord Allen. Ces marques ne correspondent pas exacte-
ment avec la hauteur des terrasses enviriuinnntes, et doivent avoir été
produites par l'action des vagues; elles seraient beaucoup plus com-
munes si le temps et la gelée ne les avaient oblitérées en bien des
endroits. Les terrasses, les lignes de bords et les marques de la mer
désignent le grand soulèvement du sol pendant l'époque appelée
« terrassi(iue », et les longues périodes de repos. Mais, si les faits
susmentionnés indiquent le soulèvement du sol précisément avant l'ère
actuelle, on a aussi la preuve que dans certains districts il y a eu un
enfoncement local subséquent. Plusieurs plages distinctes et abruptes
sont submergées dans l'ile de Gotland, à une certaine distance des
falaises actuelles, que, grâce à la limpidité de l'eau, on peut voir dis-
tinctement du rivage.
Pendant des années on a fait des observations en Suède, dans la
Baltique, en creusant des mar(iues dans les rochers, qui démontrent que,
dans la partie septentrionale, le sol s'élève d'à peu près deux pieds et
demi par siècle, pendant qu'il s'enfonce au sud. Il y a une brèche
remarquable le long de cette mer d'Ystad ùTrelleborgetFalsterbo, pro-
duite sans doute par le soulèvement sul)it du sol au nord, et de l'enfon-
cement au sud, accompagnés d'un inunense mouvement de l'Océan;
celte brèche aurait amené une vaste mer entre la Scandinavie méridio-
nale et l'Allemagne septentrionale. Antérieurement à cela, ces deux por-
tions de pays étaient jointes par un continent, à travers lequel émigrérent
des plantes, des animaux et des hommes; la partie du sud étant la plus
basse, celle du nord, encore couverte par la glace, aurait été la première
occupée par l'homme, probablement par une race de chasseurs.
2ii LE l'AYS DU SULEIL DE M IN LIT
Quant à ce qui concerne la date, toutes les tentatives faites pour
approcher du nombre d'années re(iuises pour produire ces résultats
ont été vaines, attendu que les mouvemenls ascensionnels et déclinants
ont été trouvés inégaux et que d'iinlélerniinalilcs périodes de re[ios
presque paiTail ou de souiévenient très lent sont intervenues. Des
évaluations basées sur l'observation moderne prouvent seulement
([u'une période de teni])s indéfuiie doit s'être écoulée, mais ne nous
donnent point d'information positive.
La théorie du mouvement ininterrompu du sol, et [inr conséquent
Terrasses prouvant rancicii niveau ilc la mer.
les calculs basés pai' des géologues sur les soulèvements comme une
mesure de tem|is, ont été niés par l'éminent Théodore Kjerulf, pro-
fesseur de géologie ;i Christiania, et auteur de la meilleure carte géo-
logique de la Norvège. 11 a fait connaître sa théorie dans un discours
sur le « soulèvement de la Scandinavie considéré comme mesure de
temps )i, prononcé dans la réunion (h.'s iialuralistes Scandinaves à Copen-
hague, en juillet llS7;i, résumé ainsi qu'il suit: «Une chose hors
de discussion, c'est (|ue la péninsule Scandinave, en tout cas la
DES. SOULEVEMENTS TERRASSIQUES 2'to
Tiii'ïlialti'il vu (le loin.
Tunnel de Torghaltcn.
246 LK PAYS DU SOLEIL DE MINUIT
Suèile, s'élève irrégulièrement, mais avec une extrême lenteur. Qu'un
seniMable soulèvemenl ait eu iii'u aux époques géologiques, cela est
clairement démontré par les co(|uillagt's marins, les argiles, sables,
s(]n('lettes de baleines, terrasses et lignes de bord que l'on voit main-
tenant à (les hauteurs considérables au-dessus du niveau actuel de la
mer, et à une grande dislanci' dans riulérienr. » — Et ])lus loin : « Les
mu ques les plus hantes sur li's montagnes ou dans les vallées sont les
lignes de division sur le cadran du temps, dénotant le commencement
de nouveaux mouvements; l'aiguille est le changement actuel de niveau
mutuel entre la terre et la mer. » Selon la théorie de l'iceberg de
réjioque glacière, — qui, bien (pie très peu satisfaisante, peut être
invoquée pour expli(juer, additionnellement à la théorie glacière, quel-
ques-uns des phénomènes sur les confins des continents, et notamment
en Scandinavie, — cette péninsule s'est enfoncée lentement sous la
glace arctique, les surfaces du dessous entaillées et déchirées parles
bcv(js submergés et écrasés, puis le sol s'éleva lentement de nouveau à
son niveau actuel. Consé(juemment, la mesure du présent soulèvement
est d'une moyenne de 2 pieds et demi en nn siècle, ou de 600 pieds
en 24,000 années; les déchirements se découvrant à une hauteur de
6,000 pieds, le temps voulu serait de 240,000 années; et, comme la
théorie demande nn double mouvement, — nn d'enfoncement et un
de soulèvement, de 6,000 pieds chacun, — nous arrivons à 480,000
années exigées, et ceci, dans la supposition que le mouvement a été
égal sans interruption. Mais W\ n'a pas élé le cas; des preuves innom-
lirables existent en Norvège (|u'il y a eu des mouvements relativement
]irompts, alternant avec des repos relativement longs ; en d'autres
termes, des mouvements inégaux et inlermittents. Le fait que l'amas ne
contient point de fossiles marins, la direction uniforme des entailles et
leur nombre immense ; le fait encore (pi'une dépression aurait amené
un climat plus chaud et non plus froid, tout est en faveur d'une théorie
glacière et contre la théorie de l'iceberg. Les plus anciens bancs de
co(iuillages contenant des fossiles d'un caractère plus arctique qu'au-
jourd'hui, sont tous élevés, environ 500 pieds au-dessus de la mer;
il en est de jibis récents avec des fossiles comme ceux vivant actuel-
lement, entre 100 et loO pieds au-dessus de la mer; on ne les
trouve pas à tous les niveaux, mais seulement à de certains. En réalité,
DES SOULEVEMENTS TEIÎRASSIQUES 247
nous voyons « traces do mouvements et temps île repos relatif, pendant
lesquels ces puissantes masses de coquilles ont été entassées sur la
côle à un niveau déterminé, et un tressaillement de mouvement peut
avoir suivi. »
Quant aux terrasses dans les vallées, on n'en voit point ouvertement
à plus de 600 pieds au-dessus du niveau de la mer, avec des matières
charriées par les rivières. Si le mouvement avait été constamment égal,
il se serait formé une surface continuellement déclinante au lieu de
terrasses; ces dernières « sont des témoins d'un degré, ou d'un élan
dans le mouvement; après quoi suit le repos relatif. » — Elles ne s'é-
tendent qu'à une linuleur de 600 pieds, au-dessus desipiels les en-
tailles sont faites par les glaciers et non })as les icebergs, en sorte qu'il
n'est pas besoin de double mouvement ni de période de 480,000 ans,
mais seulement de 24,000 années, correspondant à un soulèvement de
600 pieds. « Si nous soustrayons, dit le savant professeur, la hauteur des
degrés mêmes, qui exprime le changement i)roportionnellement rapide
du niveau, et si nous retenons seulement les surfaces lentement décli-
nantes, et en apparence presque lioiizonlalesipii manpicnt les époques
intermittentes d'élévation graduelle probable, il ne reste qu'une
fraction, une très petite fraction de ce temps. » Les lignes de plages,
les signes creusés sur les côtés des montagnes, ne déi)endent que de
la surface stationnaire de la mer, de la somme de matières transportées
par les eaux dans leur course; (piant à des cliangenieiits plus rapides,
ils sont distincts l'un de l'autre. M. Kjéruif pense que la durée géologi-
que de la période glacière ne peut avoir été de plus de 24,000 années,
puisque le niveau le plus élevé appartient à la mer Arctique. » Ce mou-
vement s'est fait par degrés jusqu'à l'époque actuelle, peut-être par
tressaillements de plus en plus faibles. »
Dans l'île de Torgô s'élève le fameux Torghatten à une hauteur de
760 pieds, avec un tunnel naturel de 3oO à 400 pieds au-dessus du
niveau de la mer; sa hauteur varie de 64 à 299 pieds et sa largeur de
36 à 88 pieds. La mer seule a eu la puissance de remuer une telle
masse de pierres. On voit de semblables tunnels sur le Moskenaeso,
le Grytô et le Senjen.
Les changements de climat sont pas moins étonnants. Tout en haut
de la Scandinavie, — même dans la partie au delà du cercle Arctique
:2i8 LE PAYS DU SOLEIL DE MIMMT
et du cap Non! — les fossiles prouvent incoiiteslablemeiU (pi'à la fin de
la }iériode lertiairo, les régions polaires jouissaient d'un climat tempéré,
aussi chaud ipie celui de l'Angleterre et ace d'environ soixante deux milles carrés.
Entre les fiords Lyngen et Sallen, le jong de la côte, apparaissent
de nombreux suefonnor, entre 07° — 70° latitude qui ne sont pas dé-
nommés dans les livres ni sur les cartes.
Au sud du cercle Airlii|iie sont :
Oxlinder, juste au-dessous du cercle Arctique, au sud du fiord
Ranen.
Les snel'onuer Bôrge, 05° latitude à peu prés, couvrent un espace
de vingt mille anglais carrés.
Sibmek, au sud des Bôrgefields.
Sur le groupe des montagnes de Dovre, s'élève le Snehaetlen,
7,400 pieds de haut; un peu au sud du précédent, Skredshô ,
7,300 jtieds. Au nord-est de ceux-ci, on voit les Nunsfields, Stens-
kolla et Skrinilvolla, s'élévant à une hauteur de 0,000 pieds, et tous
couverts de vastes champs de neige.
La chaîne de Surendals, à l'est de Christiansund, et au nord de
Dovre, a de grands sncfoinier.
De même la chaîne de Sundal, à l'est du fiord de même nom.
Les Komsdalsfields, dont la plus haute montagne est Storhogda,
6,500 pieds, possèdent des snel'onuer en grand nombre.
Les Horningfields ont de vastes snelbnner qui s'étendent jusqu'à
Slryn.
Le Justedalsbraeen ', le plus grand de tous les snefonner de la Scandi-
navie, est situé entre le fiord nortl et le grand fiord Sogne, et couvre
un espace de quatre-vingt deux milles anglais carrés.
La chaîne de Lom, à l'est de Justedal, a plusieurs snefonner.
Les Langfields renferment des cliaines de montagnes avec des sne-
fonner.
Sur le .lotun, le groupe le i)lus sauvage et le plus élevé des monts
Scandinaves, ou trouve en grand nombre de vastes champs de neiges
perpétuelles.
1. L'Islaiidi'a, sur soa côté sml-esl, un irlaciiT oiicorc pluj grand, le VcUnajûkul, qui
rouvre un espace il'enviruu di'u\ ceut quarante milles carrés.
NEIGES PERPETUELLES 231
La chaîne Hardaiigcr a une rangée de grands snefonner.
Les groupes Rûldal et Hallingdal onl plusieurs snefonner.
Le Folgefunn, siu' le Sorfiord, branche de l'Hardanger, est le sne-
fonn le jdus méridional, et couvre (juinze milles carrés anglais.
On trouve les glaciers aussi loin au sud (pie le 01° 20' de latitude.
La configuration du pays et le climat de la Norvège sont particulière-
ment propres à la formation de chamiis de neiges et de glaciers. Presque
tous, sinon tous ces derniers, sont en dedans de la chaîne occidentale
de la péninsule, pas au delà de l'inlluence de la mer. Les montagnes
sont les grands condensateurs de l'humidité apportée par les vents de
l'Océan sous forme de pluie et de neige, selon leur hauteur et la saison
de l'année. Les vastes champs de neiges perpétnelles en Norvège for-
ment d'immenses plateau.x, dans lestinels un pic ou une crête se mon-
trent parfois.
L'étude de la naissance et de la croissance d'un glacier impressionne
quand on pense à l'énorme quantité de temps qu'il a fallu pour son
origine et ses progrès. Après une certaine hauteur, sur quehpies mon-
tagnes, la neige qui tombe dnrant l'aimée ne fond jamais entièrement ; la
somme restante, à laquelle de nouvelles couches s'ajoutent d'année en
année, forme dans le cours du temps une accumulation d'une profondeur
immense ; c'est la source du glacier. Si le temps était toujours froid et
la neige toujours friable, la formation d'un glacier serait impossible, car
la chute de la neige, avec le temps, atteindrait une hauteur fabuleuse.
Régulièrement, les grandes chutes de neige arrivent par une tempéra-
ture un peu au-dessus du point de gelée. La chaleur est indispensable
pour la formation d'un glacier.
Ces champs de neige de la Scandinavie, pendant les mois d'été, sont
sous l'influence d'un soleil puissant et jjresque continuel, en raison de
ce qu'ils sont si loin au nord; à cette époque, le dégel de la glace et de
la neige est très grand. Au printemps et au commencement de l'au-
tomne, d'immenses déserts sont produits parles pluies; l'eau provenant
de la fonte des neiges filtre à travers les c(juches, et, en se congelant,
cimente les particules; par la pression, les couches inférieures sont
converties en glace solide. Si le désert de glace qui fond cha{pie année
excède le remplissage annuel par la neige, le glacier doit naturelle-
ment devenir plus petit et se retirera au lieu d'avancer ; si la fonte pro-
252 LE PAYS DU SOLEIL DE MINUIT
duit un désert moins grand que le remplacement, le glacier avancera.
Aujourd'hui, on trouve en Norvège des glaciers qui s'avancent et
d'autres qui se retirent, tandis que, depuis un grand nombre d'années,
ceux de la Suisse se retirent. En Scandinavie, les glaciers sont plus
nombreux et plus grands au sud du cercle Artique.
CHAPITRE XIX
LE FIOKD DU SOGNE
Le Sogne. — Entrée du fioiJ. -- Prufondeur du ilord. — Les branches lalérales et leur pro-
fondeiir. -- Bûnder il bord des steamers. — Passagers de troisième classe. — Vallée des
llords. — Le liord Fjaerland. — Glaciers. — Je quitte le Fjaerland. — Le liord .^ogndal. —
La vallée Sogiidal. - Vue superbe du liord. — Un beau cùue. — Le fiuni Lyster.
De tous les fiords de la Norvège, aucun ne peut rivaliser en di-
mensions, en grandeur, en liardis contours, en j)aysage sombre et fatal,
avec le magnifique Sogne. Pris nu touriste ne mamiuerail de naviguer
sur ses eaux. Son entrée, qui est formée à l'ouest par les îles Sulen et
autres, et à l'est |)ar la lerre ferme, est à environ 61°, et son cours prin-
cipal se dirige à l'intérieur |iresi|ue direclenient à l'est. La profuiideur
de la mer est remarquable. Au sud de Yttre-Sulen, elle a environ
600 pieds de profondeur; plus loin dans l'inlérieur, entre Big-Store
Milieu et Stesvundsû, l,o84 pieds; un peu plus haut, elle diminue à
1,200 et 900 pieds, et immédiatement au sud de l'église de Bo, elle
atteint l'énorme profondeur de 3,980 pieds; au imrd de l'église d'Ariie-
fiord, 3,222 pieds; à l'entrée de l'Aurlaiid, 3,7GG i)ieds, et juste au sud
de Kaupanger, 2,904 pieds. Les branches du tiord sont beaucoup plus
étroites, mais la profondeur de leurs eaux est également très grande.
La Sogndal, à son entrée qui est étroite, est profonde de 132 pieds;
iS*
I.K l'A\S III Sdl.KII, l»i; MIMIT
in;iis, ;'miii rlicMiMi , clic csl lie I , I !l 'i |M('iIs, cl , |ii(''s di' si m cvliriiiilc, ilc
2 Kl I lied s. \ sdii ciilri'c, l:i I.NSIcr ;i 2, 1 7(1 pieds i le |uiiluiidi'iir; ;i mi
cliciiiiii, I , I 7(i pieds ; \cis Sdii evIii'iMilé, 27(> pieds. M.iis, d;iiis 1' A.ii(l;d
el 1,1 l.aeiil.d, ipii Idniieiil j'evlirnulé siipérietii'e du Sdj^iie, l;i iiier;i,
d;ins le preniiei', HK» |iieds, el diiiis le di'iiiiei', 7SU pieds. I,;i l.-ii'^eiir
lii(i\euiie du Sdi'iie \,ine de (|ii;ilre ;'i deux nulles, el s.i loiiuiieili' eu
ligne dni'cle esl ;'i plus de Ifois dejJii's de l(in;.'ihiile, un inie disl.ince
d'iMiNn'on (pi.ilre \inyl (pi.ilic iiniles, .'ivec ses didiuns.
IMlisieni's iii.iiulies l.iler.des s'elendeni .ni nniil el an sud, uiilre des
li.'iies el Ars anses pnildiides. Sur le Imrd sepleiiliidii.d, un rencdiilie
le V.ideiin el le l''iaei'laiids, ce deriner ,i\,nil ipi.ildiv.e nulles de ioii^;
le Sdynd.d di\ milles, el le l,\sler \in^l (pi.ilre milles. Sur le liord iiii'-
ndidiial sdiil le ItreMve, 1' \in(' el I \ni l.iiid ; ('e deinier ;i sei/,e milli's de
Idiit;, a\ec sa hiMiiclie, le \ai'r("i, (pu a envirun si\ nulles. Nulle des-
(-l'ipliiin ni' peiil ilumier an leclenr nue nli'e siilislaisaiile de l.i ma<^iiiii-
renci' de la sci'ne iprulTreiil ces élnnls lidnls laléraiix dn Sdjjne.
i'.ir un liean jum ilii ciimmencemenl de jnillel, je me li'iiiiN.iis puni'
l.i secumle luis dans la cli.iniianle \dle de Iterijen, .illend.uil le sif
Ile! ilii sle.uiier ipii ile\,ul me lianspuiler .in Sui^ne, iiiun luil l'Ianl de
m'anèler en clieniin à ipielipie puinl cunven.ihie el de me iliii;;i'r de
l;i vers le lien un m. i laiiLiisie me Cdiidiiiiail. l.e \u\a;.^e. puiir aller de
Mergeii an liurd el en reNcnir. demande ipi.ilre juiirs, el les steamers
parleiil deii\ Idis par sem.iiiK', l.a lunle ne l.ird.i p.is à se lassemliler, el
des li.ileanv idiargès de niunde ipiillèreni le i'i\ai;e l'nn après r.iiilre.
.\près la cdiiriisidii ipii lèune lialnlnellemenl >nr un sie.imer à snii dé-
p.'ii'l, iimir ilémarràmes.
Mil ipiillinl iter^eii, le li.ileaii à v.ipeiir purle vers le iidiil peiidani
envudii sdivaiile nulles, ;iii indien d'une scène s.invani'. I..i prune ilii
iia\ii(> èl.iil eiiCdinlui'e de pass.i^ers, l.i pliiparl l'eiiiuers el pèclieiirs
reluniiianl clie/. eii\ avec di's cullVes. des p.iniers el i\v<. m.innes, Les
femmes el les enl'.inls siirlunl el.iienl y.iis, cir lie.iiicunp a\aieiil èlè à
ller^;eii puiir l.i première l'dis. el re\en.uenl encli.inlès île l.i ville, ipii
liMir avail paru si i;i'amle. Jamais encore ils n'avaienl mi de si he.inv
ln;it!asiiis el tani de jolis olijels; aussi avaiiMil ils .ichelè un i;ranil
umiiiire trarlicies,
lue chose ipTim /lom/rr ne l'i>ra jamais, ipielipie riclie ipnl puisse
LK FKHll) l)(i S()(iNI<; 2(V)
cire, c'est de iimnln! un Itillrl ilc iirrmirrc fhissc; |i(iiir lui l'.iiijcnl
dépensé de celle manière est, enliéreuieiit (;;is|>illé, cl il le refjrelter.iit
cl le iiieiirer.'iil bien longlemps; noii iiii'il sdil ;iv;ire, loin de h'i; ni;iis il
préfère dépenser son ,'M'j;cnl nmlic nnc \\\\v\w icciii', |i;ir exein|)le,
Ir.'iiler ses .'irnis pend;inl la Iravcrsrr. Il n'a pas la moindre inclinalion à
se rnèler fivec les j^ens de la ville, dont Iteanconp, ici comnie aillniis,
regardent de haut ces cidlivatciirs du s(d, se nio(|ni'nl ilr Inns haliits el,
de leurs manières, el refusent de se joindre à v\\\, nirnir sur le iionl,
dans la crainif (|im' leur silnalion dans la socièlr n'en puisse èhe dinii-
nilée. I)e |iIm>, >i lui friniier élail ilisjiosé à |ireiiilii' un hillel de |)re-
mièri! classe, il s(! };arderail de le faire, dans la crainle d'èlrtï tourné
en ridicule par ses amis, (pii penseraient ipi'il veut se donner de ^'rands
airs et (pi'il tient à paraître un /irrrr f^'entleman). l'ar 1(^ heau temps, la
troisième classe ou |r |junl soul assez hons pour lui et sa lamille; en
cas de tem[)ète ou de froid, il pousse un soupir ipiainj il est forcé de
prendre la seconde cahine où il trouve un alui conforlaMe, mais |Hiinl
d'amenhlement; car il n'y a ipie des hancs et des laides en liois nu,
et c'est sur ces tables, sur ces bancs et sur le plancher (pi'il re|)ose du
mieux qu'il peut. Mais la majorité reste éveillée toule la miil. La seconde
cabine est liabiluellement rem[)lie de fumée de tabac, à travers hupielle
on distingue une foule joyeuse; avec celle ipii est sur le poid, elle a
ccrlainemenl le meilleur temps à bord ; ilsrienlet[daisanb'nl, jouent aux
cartes, mangent et semblent tenus de se donner du plaisir avant de ren-
trer à la ferme et de re|)rendre les durs travaux, lieaucoup retournent
chez eux heureux de leurs ventes onde leurs achats. La (piestion invaria-
ble en Xonège, c'est: « Combien cela coùle-t-il? » car le peu[»le tient
à savoir le prix de charpie chose.
J'ai toujours eu grand plaisir k me mêler k ces hondpr, k bord des
steamers, el à jeter un cou|t d'reil sur leur caractère, à faire ce (pi'ils
faisaient, à. être comme l'im d'eux; j'ai ainsi passé bien des heures
agréables cl je me suis fait des amis.
La roule (pii mène au fiord du Sogne passe au milieu de lanl d'iles,
que l'on croît voguer sur une rivière; la scène parfois est extrêmement
belle, La plus grande partie du pays est inbabiléf^; de temps en temps,
la mer paraît si corn|ilélement fermée par la terre, (pie l'on sup|»ose le
voyage fini; mais soudain une ouverture se présente, et on aperçoit au
236 LE PAYS DU SOLEIL DE MINLIT
loin une vaste étendue cfeau ; le canal est quelquefois si étroit et si
tortueux, que le navire touche presque les rocliers des deux bords.
Rarement les steamers abordent à un quai; ils stoppent simple-
ment. Un grand bateau part du rivage et apporte de la cargaison ou en
prend. Une quantité de petites embarcations arrivent avec des passagers
et emmènent ceux (jui vont à terre; souvent a lieu une indescriptible
confusion; les bateaux cahotent les uns contre les autres; les gens se
disputent et crient; marchandises, chevaux, moulons, passagers vont
et viennent, et, en même temps, on transporte les caisses par l'étroit
passage. Ici, des individus sautent de bateau en bateau jusqu'il ce qu'ils
soient arrivés à celui qu'il leur faut; un homme retourne en hâte au
steamer pour chercher quelque chose qu'il a oublié; une femme appelle
son mari, qui est encore sur le pont, dans la crainte qu'on le laisse
en arriére. Un autre aileiut le navire dans nue traiispiraliou effrayante,
provoquée par l'appréhension qu'il a de manquer le vapeur; dans son
ahurissement, il vient rouler dans le giron d'une femme qui, au lieu
de se fâcher, rit de tout son cœur. Des hommes en bateau crient en vain
au caiiitaiue d'arrêter. Ce que j'admirais surtout, c'était l'urbanité de
tons les officiers. Dans le tumulte, quelque ennui qu'on leur fasse
éprouver, pas un mot inconvenant ne sort de leur bouche et ne blesse
l'oreille.
A six heures de Bergen à peu prés, on atteint l'entrée du Sogne, qui
a six ou sept milles de large. En côtoyant le bord méridional, on passe
devant une masse énorme de rochers. Le Sognefest (château du Sogne)
est très harili dans ses contours, et semble former deux c(j|és d'un
carré. La scène qui se déploie devant le voyageur est superbe: c'est un
panorama toujours changeant dans ses tableaux de montagnes couvertes
de neige; au nord, les glaciers de Justedal, dominant les montagnes de
l'est, et, au sud, les champs de neige de Fresvik. La végétation augmente
à mesure que l'on pénétre d ns l'iulérienr; les bases des montagnes et
des collines soûl couvertes de bois. Sur le côté septentrional il y a un
tiord étroit sur les bords duqui'l, ot à son extrémité supérieure, sp
trouve le hameau de Vadeim avec ses maisons peintes en blanc et deux
ou trois fermes. Le steamer s'arrête ici à un quai pour débarquer les
passagers et s'alléger de sa cargaison. En cet endroit, une grande route
conduit vers le nord au tiord de Forde et au Julster-Vand.
LA VALLKE DE LA SOONDAL 237
Les vallées aui»rès des liords soril souveiil liés fertiles et bien cul-
tivées, contrastant singulièrement avec les montagnes stériles qui les
entourent. Depuis la mer, elles semblent lonner un bassin ovale avec un
ravin à l'extrémité; les versants des montagnes descendent doucement
vers ce bassin, creusé évidemment par l'action de la glace et de l'eau.
Quelquefois deux ravins entrent dans la vallée comme deux branches
rayonnantes. A la base des montagnes, les terrasses s'élèvent l'une sur
l'autre au nombie de trois ou (piatre.
A environ soixante milles de son entrée, le Sogne semble fiiiii' tout
à coup à la base des hautes montagnes; il tourne brusquement an nord
et dépasse l'île de Kvamsn; à ([uelques milles plus loin, le fiord prin-
cipal court encore une fois à l'est, tandis qu'au nord apparaît l'entrée
du Fiaerland, la |)remière grande branche du Sogne.
Le steamer stoppe au chaimanl hameau de Balliolmen, en face
duquel est situé Vangsnaes, lieu de la scène de la « saga » de Frithiof.
Sombre est le Fiaerland avec ses montagnes, ses glaciers et son aspect
sauvage. Des cours d'eau, alimentés [lar la neige et la glace fondues,
descendent de chaque versant. Sur les montagnes dominantes sont les
Langedals et les glaciers Biôrne. s'élevant à 4, .500 et 4,780 pieds au-
dessus de la mer. Un peu phis au nord, siu' le côté occidental, sont les
fjords Sraere et Vetle, entre des montagnes, dont la plus haute, l'Oat-
neskri, atteint jusqu'ti 5,000 pieds. Au bout du hord Vetle, se trouve
une route de quelques milles, conduisant au grand banc de glace de
Justedalfonn. Si Ton navigue plus loin dans l'inlérieur, des montagnes
encore plus hautes se mirent des deux côtés du fiord, la Melsnipa,
5,620 pieds, et les glaciers Gnnvonis et Stendals, 5,200 pieds. L'eau
est d'un vert opaipie tout particulier, (pi'elle doit à l'elïet des nombreux
cours d'eau produits par les glaces. Trois vallées divergent des terres
basses au bout de ce fiord; les deux plus intéressantes sont la Suiihelle
et la Boyum. La première est un long et étroit ravin, enfermé entre des
montagnes rugueuses; son glacier, à environ quatre milles de la mer,
est alimenté parles éboulemenls d'un autre glacier avec lequel il n'a
point de communication directe, les masses de glace tombant d'une
hauteur de 2 à 3,000 pieds. La Boyum est à l'ouest de laSuphelle. Les
montagnes sont escarpées; elles portent des bouleaux à une grande
élévation surmontée par le glacier.
17
:2o8 LE PAYS DU SOLKIL DE .MINUIT
En 1868. un grand numbie cravalanches roulèrenl sur dilTérentes
parties du pays et ocoasionnèreni drs morts dMiommes et des deslruc-
lii)ns de itropriélrs. Sin- le Fiaerland, du côté uccidental, il en descen-
dit une de telle taille, (ju'elle fomi'a un pont sur le fiord qui, à ret en-
droit, est large de o,00U pieds et que l'on put le traverser à sec. Si la
chose ne m'avait été affirmée par plusieurs personnes dignes de foi, je
ne l'aurais pas crue, tant ce fait parait incroyable.
En quittant le Fiaerland et eu icuioiilanl de ikhivimu le li(U'd Sogue,
la scène devient plus gaie; les bois, les champs et les prairies, les ha-
meaux et les fermes deviennent plus nombreux : à la base des montagnes,
les collines les plus basses sont couronnées tle bois. Ici se voit le
hameau de Fejos, pondant (|ue le champ de glace Fresvik, haul de
.3,000 pietls, domine le t(uit. Le Kaiiger, le plus grand assemblage
de fermes t|ue j'aie vu sur le fionl, se trouve sur le bord septentrional,
])res((ueen face. Deux courants du Grindsdal et de l'Henjumdal, — deux
vallées séparées de (pielques milles — formés par le glacier Gunvord,
5,000 pieds au-dessus de la mer, se jettent ici dans le fiord, et four-
nissent de la force motrice à de nombreux moulins à blé.
A quelipies milles plus haut, sur le bord scplcntrional, le fiord
Sogndal apparaît, avec son aspeci lalal. ses régions fertiles et ses val-
lées transversales, sur lesquelles sont disséminées des fermes. Ici aussi,
la mer est décolorée par les cours d'eau venant des glaciers. Dans les
montagnes, on trouve de nombreux sactcrs. Le village de Sogndal pos-
sède beaucoup de maisons, bâties tout [irés l'inie de l'autre, et le steamer
stoppe à un (piai. La pupulaliou se compose d'environ cinq ceuls âmes.
Le district est célèbie par ses vergers de pommiers et aussi par son
(ja)ninel(Kst (vieux fromage), qui, lorsipi'il est assez vieux, est le plus
fort des fromages connus. Quand on y est accoutumé, c'est un excellent
apéritif.
Depuis la Sogndal, l'aspect du Sogne est superbe. Sur le bord sep-
tentrional surgit Storehog, 3,830 pieds; en face Blejen, S, 400 pieds; le
fier dpasse entre eux, avec deux milles de largeur et 2,900 pieds de pro-
fondeur. La plupart des montagnes s'élevant du fiord sont déchirées;
en divers endroits, on aperçoit, à une grande hauteur, des bouleaux, des
sapins, des pins; l'œil rencontie aussi une ferme solitaire et un moulin
à blé. A quinze milles au-dessus du fiord Sogndal, sur le bord septen^
LA BAIE DK KAUPANliEM 23!)
Irional, se trouvent les petits luiiiieaux (rAiiible .suitérieiir et iiiféiieiir, et
l'église de Kaupanger. Ils sont situés sur les bords d'une jolie baie, de
forme ovale. Les collines les jilus basses descendent doucement vers la
mer et sont garnies de bois jusqu'à leurs sommets, et çà et là des bosquets
d'aunes, da tilleuls, de bouleaux et d'antres arbres. Deux beaux cours
d'eau tombent dans la mer, et, sur leurs rives, on a établi de petits mou-
lins à blé. Des prairies, des champs jaunissants et des plants de pommes
de terre, sont épars autour des fermes. Par un clair soleil, l'endroit est
d'une exquise beauté. Que de lieux pilloresques on trouve sur ces fiords !
ils frappent les regards au nmment où l'on s'y attend le moins. Un peu
plus loin, en entrant dans le fiord Lyster, on aperçoit un immense et
magnifique panorama de montagnes et d'eau. La neige et les glaciers
appellent les regards vers les hautes régions, pendant qu'une ferme, un
hameau ou une église, i)rouvenl que des hommes vivent près de la mer,
au milieu de cette grande et stupéfianle nalure.
A (luelques dix ou douze milles dans l'intérieur, sur un promontoire
du bord oriental, est située Urnaes, d'où une vue admirable du fiord se
présente d'elle-même, avec sa chaîne de collines et d'éperons descen-
dant vers la mer. Sur le bord occidental, en face d'Urnaes, estSolvorn,
pittoresquement placée dans le creux des montagnes.
CHAPITRE XX
LES SNEBRAEER JUSTEDAL
Les glaciers JustedaL — Vastes champs de neige. — La vallée et l'église de Justedal. — Le
glacier Nygaard. — Faaberg. — Maisons de ferme malpropres. — Peu engageant. — Draps
de lit. — Un saeler. — Aspect du glacier Lodal. — Une superbe caverne de glace. — Marche
du glacier. — Un glacier, rivière de glace. — Mouvement d'un glacier. — Moraines. — Le
glacier Slegeholt.
Ce champ de neige, le plus considérable de la Scandinavie, couvre
un espace continu de plus de 82 milles carrés (anglais), et sa profon-
deur, en bien des endroits, atteint i ,000 pieds. Il comprend la surface
bornée au nord par le fiord Nord, au sud par le Sogne, à Test par la
vallée de Justedal, et à l'ouest par le fiord Sônd. Sa partie inférieure est
entièrement bordée par des glaciers qui s'écoulent dans toutes les
directions. Dans le fiord Fiaerland, les glaciers sont à trois milles dans
l'intérieur des terres; l'extrémité du Boyum est d'environ 400 pieds,
et celle du Suphelle de 160 pieds au-dessus du niveau de la mer.
L'épine dorsale, ou crête rocheuse de cette masse de neige, a une hauteur
moyenne de o. 000 pieds : le point le plus élevé se trouve entre Stryn et
la vallée de .IiLstedal (le pic Lodalskaupos), et atteint une hauteur de
6.410 pieds dans la partie orientale, et de 6,110 dans la partie méri-
dionale.
LE GLACIER BERSET
261
La vallée de Justedal, laquelle tire son nom du grand glacier qui
surmonte ses montagnes, est à la pointe du fiord Gaupne sur la Lyster,
A son entrée, est placé le hameau de Rôneid, avec une auberge confor-
table, où l'on peut se procurer des chevaux. Une route étroite, bonne à
parcourir à cheval et passable pour une carriole, conduit à la fin de la
vallée distante de 6 ou 7 milles; à 14 milles environ de Rôneid, se
dresse l'église paroissiale de la vallée, entourée d'un mur en pierres
brutes, et l'humble cimetière, où l'on ne voit (pic (pirlipics croix de bois.
Le pri'sbytéiv adjacent a un pelil jardin cl de petites [)iéces d'orge et
Le gladui' Xjgaard, ou lierset, vu du pont.
de pommes de terre; on peut dire que c'est le seul endroit propre et
convenable dans tout le voisinage.
A quelques milles plus loin, on arrive au glacier Berset, le premier
de la vallée, et auprès duquel est situé le pauvre hameau de Nygaard.
De la caverne bleu foncé à la base du glacier, un courant boueux
s'élance avec une force extrême dans la vallée, et tout à côté du bord
glacé, se trouve une ligne parallèle de blocs erratiques, de pierres et de
sable, laissée derrière elle par la masse en se retirant. Au delà, se
262 LF: pays Dr SOI-EIF. DK MlNl'IT
montrent quelques autres crêtes transversales, formées par des dépôts
similaires, prouvant que le glacier ircule. Deux nu trois petits courants
ont creusé des canaux dans les glaces, et ICau découle le long des
versants.
Après une course à cheval de 28 milles, j'arrivai à Faaberg, le der-
nier hameau de la vallée, (|ui contient plusieurs fermes bien approvi-
sionnées, et esl enlmué par des champs vei-doyants et des (irairies. Les
collines sont garnies de bouleaux jiis(prà une hauteui' considérable,
tandis que la partie supérieure du ]ila[eau est couronnée de neige et
frangée de glace. Le bien-être n'y était pas grand; les maisons se dis-
tinguaient par leur malpropreté, et la nourriture aurait paru déplorable
à ceux qui n'y sont pas accoutumés. Par exemple, les puces foisonnaient,
de même que dans la plupart des districts de la Norvège; mais, ici, ce
fut comme un véritable fléau. La plus grande partie des femmes étaient
au z ])as de venir à Krokengaard, à
votre retour! » Ceci fat dit avec cet accent norvégien particulier et
cette douce voix qui rendaient leur anglais fort agréable à entendre.
Lorsque nous approchâmes du rivage, le bi'uit de nos rames attira
l'attention des gens qui travaillaient dans les champs. Nous prîmes terre
et nous entrâmes dans un large sentier qui nous mena, à travers des
champs et des prairies, â un mur en pierres bas, entourant un jardin.
J'ouvris la porte et je me trouvai dans un verger de pommiers et de
cerisiers chargés de fruits magnifiques; il y avait aussi des prunes et
des groseilles. Les allées étaient bordées d'arbustes en pleine Heur,
et fourmillaient d'oiseaux attirés par les fruits.
Quand j'eus frappé à la porte d'une blanche ferme à la mode an-
cienne, une jeune dame se présenta; je lui demandai si le capitaine
Gerhard Mûnthe était chez lui. Elle m'introduisit dans une chambre où
un beau vieillard, un gentleman aux cheveux blancs, était occupé à lire;
dès qu'il me vit, il vint à ma rencontre et m'accueillit avec cette cour-
toisie norvégienne qui vous met tout de suite à l'aise; sa jeune femme,
avec un sourire agréable, me reçut aussi très cordialement. De la
bibliothèque, on me conduisit dans le parloir, où des dames, tenant en
main des ouvrages à l'aiguille, causaient entre elles. Je fus présenté à
deux filles d'un premier mariage, jolies jeunes dames; et je reconnus
parmi les autres mes deux compagnes de voyage, qui, ainsi que je pus
m'en apercevoir [)ar la chaude réception que l'on me faisait, avaient parlé
de ma venue ; à leurs aimables sourires, je constatai qu'elles ne m'avaient
pas oublié. Après une présentation générale, on offrit du vin et des
gâteaux et le vénérable capitaine dit en me regardant : « Soyez le
bienvenu à Krokengaard! » puis nous nous saluâmes. Il y avait quelque
chose de si bon, de si franc, et de si aimable dans les manières de cha-
268 LE PAYS DU SOLEIL DE MINUIT
cun, que le sentiment de gêne que l'on ressent d'ordinaire quand un
entre pour la première fois dans une maison étrangère, eut bientôt dis-
paru.
(( Nous allons tous dîner chez mon frère et ma sœur, me dit mi)n
hôte, et vous viendrez avec nous. Là, aussi, vous serez le bienvenu. » Le
frère, un célibataire, m'accueillit en français, et la sœur en norvégien.
Ils avaient invité tous les membres de la famille puur ce jour-là. Le
capitaine prit mon br;is pour eiilrer dans la salle à manger. Les Norvé-
giens n'ayant point de smôrgas, le diner commença sur-le-champ. Le
capitaine, comme l'aîné de la famille, s'assit au haut de la table ; je pris
place à sa droite, et une nièce par mariage, une dame de la Hollande,
se mit à sa gauche; son mari, un neveu artiste demeurant àDiisseldorf,
était venu ici faire son voyage de noce et revoir en même temps la vieille
demeure familiale; le frère s'assit au bas de la table et la sœur au
centre. Le dîner fut bon et substantiel; on avait tué un mouton pour
cette occasion; on servit du vin do Bordeau.K, et le premier toast de
bienvenue fut purté en mon honneur par le propriétaire de Kroken-
gaard. A table nous parlions sej)! langues — le hollandais, que quclues
dames avaient appris alin de converser avec leur cousine — le français,
l'anglais, l'allemand, le suédois et le latin. Ceci donnera une idée
de l'éducation des gens bien élevés en Norvège. Chaque personne
présente, à l'exception de deux, parlaient plus ou moins bien au moins
trois langues en sus de la sienne ; (pielipies-unes comprenaient toutes
les sept et même encore d'aulics ; nous rîmes beaucoup, car telle était
la confusion, qu'il nous semblait venir de la tour de Babel. Les sujets
de conversation furent très variés et |u-ouvaient que la société avait de
l'observation et de la culture d'espril.
Je m'amusai fort de la dame Hollandaise qui paraissait craindre
(jue je ne reconnusse pas sa nationalité; plusieurs fois, elle prit la
peine de m'expliquer qu'elle était de la Hollande et que les Hollandais
ne ressemblaient en rien aux .\llemands. A cette époque, le sentiment de
la masse du peuple en Norvège et en Suède était ardemment français ;
leur sympathie pour la France éclatait à tout propos, et on aurait dit
que la guerre avait été en partie supportée par eux; ce sentiment se
manifesta partout où je voyageai, et sans doute la guerre prusso-
danoise l'avait encore accru.
UN PAYSAGE IDYLLIQUE 269
Après le café et une exhilarante partie de croquet, nous entrâmes
dans un petit verger où nous cueillîmes des cerises, des groseilles, des
framboises et des mûres; ce fut un charme pour moi, car, l'année précé-
dente, je n'avais pas goûté un seul de ces fruits, et, dans la plupart des
districts, les fermiers ne les cultivent pas. Je ne m'étonnai plus rpie
Krokengaard fût célèbre pour ses fruits. Les premiers étaient tel-
lement chargés, que leurs branches ployaient.
De ma chambre, j'avais une vue superbe du fiord, des montagnes
couronnées de neiges et des glaciers; le matin, je fus réveillé parle
chant des oiseaux, qui ne sont jamais troublés ici par des coups de
fusil, bien que leurs déprédations soient considérables.
Le calme de ces fermes norvégiennes le long de la mer, solitaires,
livrées à elles-mêmes, est très remarquable. Elles n'occupent souvent
que d'étroits espaces de terre couvrant les rochers, avec de hautes
montagnes par derrière, et l'eau du fiord en face; des sapins, des bou-
leaux et autres arbres poussant sur les déclivités ou les sommets de col-
lines pour fournir le combustible; entourées par quelques champs et
prairies; la mer pour unique grand chemin.
A une assez faible distance de la maison, un beau courant d'eau
clair descendait de roc en roc par une étroite gorge transversale,
tombait perpendiculairement d'une hauteur d'environ trente pieds, et
coulait sur un lit de graviers; l'eau était si limpide, que l'on aurait pu
compter les cailloux du fond. Sur ses rives étaient dispersés de
superbes bouleaux aux troncs blancs; à coté, l'œil s'arrêtait sur la
sombre maison du fermier de Krokengaard. Sur le bord de la rivière,
et plus haut, un petit moulin à blé qui fournissait la farine du
domaine faisait entendre son tic lac. Ce coin retiré, entre le cours
d'eau et la chute, avec ses prairies, ses bois et ses rochers, était l'en-
droit le plus charmant de la ferme. On trouve le long des fiords de la
Norvège plus d'un tableau comme celui de Krokengaard.
Le capitaine Gerhard Mûnthe, propriétaire de ce bien, jouissait
parmi ses concitoyens d'une renommée littéraire, car, dans ses jeunes
années, il avait écrit une bonne histoire de Norvège. Souvent deux ou
trois fermes comme celle-ci, non loin l'une de l'autre, et appartenant
aux membres de la même famille, se réunissent. Là, vous trouvez tous
les conforts et les raffinements que donne l'éducation. Les chambres
270 LK PAYS UT SOLEIL DE MIXL IT
sont bien meublées, chaque partie de la maison est tenue avec une
exce.sive propreté; le garde-nian|jer est bien pourvu et il y a toujours
à la cave une j)etite provision de vin |)our recevoir les amis rpii viennent
en visite; les domesliipies sont bien stylés; outre le jardin potager
parlailemenf entretenu, on cultive des fleurs en abondance; le verger
esl bien soigné; les bâtiments de la, ferme sont en Itou étal; le bétail
est beau; les cliamps sont bien labuinvs; on aime les arbres et les
rocliers, et tous les avantages que peut procurer un lieu pilloresque
sont mis h profit.
Parmi les complémenis habituels, il faut citer ; une niaisonnelte
d'été pré.< de la ferme; un banc sous un arbre d'où l'on a une lielle vue;
une maison de bois construite près de la mer on d'un ruisseau venant
de la montagne; un bateau bien peint et solide, dans lequel on peut ra-
mer et pêcher, et un bon » saeter » dans la montagne. Dans la maison,
on trouve généralement un [)iano et quelquefois une harpe, une guitare
ou un violon, car on cultive la musique. II y a aussi une petite bibliothè-
que, une bible et antres onvi'ages religieux, ainsi qu'une variété de
livres utiles. Sur la lablr ilii parloir se prélassent généralemenl (pud-
(pies-unes des dernières publications, une revue illustrée pour les en-
fants, et les journaux des grandes villes qu'apportent une ou deux fois
par semaine les bateaux-poste, donnant les dernières nouvelles, non
seulement de la Norvège, mais du monde entier. Les steamers qui
sont chargés du courrier stoppent à maintes places le long des fiords et
s'avancent jusqu'à leurs extrémités, car il y a des stations de poste par-
tout; les heures de leur arrivée sont fixées; le peuple les attend avec
imiiatience, et, aussitôt que le steamer s'est arrêté, un bateau se
délache ihi livage pour chercher la malle, ou bien un jeune garçon va
la recevoir par le senliei- de la montagne. Les lettres surtout sont atten-
dues impatiemment parles familles; la femme espère apprendre des
nonv(dles de son i)ére, de sa mère ou d'une amie; le mari bn'de de
lire sa correspondance d'aiïaires; la fille aspire après un billet de ses
chères amies de la ville, ou de (pielques camarades de classe, ou de son
amoureux, ou de son frère, qui a quille la maison paternelle pour cher-
cher fortune dans le vaste monde. On attend toujours quelque chose, et
le désappointement est grand ipiand le messager revient les mains
vides. Il ne faut pas parler d'éqnilaliiiii dans ces endroits, car on ne se
MENAGES NOliVEC.IENS :271
sei'l des dievaiix que pour les besoins de la ferme. L'éducalioii des en-
fants n'est |)as négligée; on leur enseigne les vérités de la Bible, mais
pas de cette manière austère, qui souvent est cause que la jeunesse se
dégoûte (le la religion. Tout ce qui tend à produire le développement
intellectuel attire l'allenlion de la famille dans la mesure de ses moyens;
on fait de grands sacrifices pour donner une b(inni> éducation aux
enfants, et même pour les envoyer dans les villes poursuivre rétude
des hautes brandies du savoir. On apprend aux filles à être bonnes
ménagères, habiles dans les ouvrages à l'aiguille, dans la broderie, et
la couture; elles tissent et font elles-mêmes leurs toilettes; une
machine à coudre se rencontre toujours dans la chambre oii l'on se
lient, en sorte que, (juand elles se marient, elles sont capables de pren-
dre soin d'elles-mêmes et de leur famille. Cette vie est essentielle-
ment intérieure, riche en conl'oits dimiestiques; (in recherche une cul-
ture d'esprit solide plutôt qu'un mérite superficiel, car la femme est
souvent la seule compagne (pu égayé les longues heures de l'hiver. Le
})euple est accoutnnn'' à la littératiu'e courante do son pays et aux pro-
grès scientifiques du monde; dans les humbles demeures, on trouve
souvent les ouvrages des pays étrangers. Les eiifanis ap]ii'(Minenl la mu-
sique, et, à l'occasion, lors(pie les voisins viennent en visite, les vieil-
lards et les jeunes gens se livrent au plaisir de la danse. L'église est
parfois très éloignée el la mer seule y conduit; c'est ce qui fait que,
dans le cours d'une année, des familles n'assistent que rarement au
service public, lors de la confirmatidii des (Md'ants, de la communion,
ou quand le temps est très beau. Cependaid, cette rare assistance à
l'église ne semble pas amoindrir la foi du peuple; au contraire, il m'a
semblé que plus il est solitaire plus il devient religieux.
Dans ces ménages norvégiens, la femme est industrieuse et la
mère consacre sa vie à embellir son foyer. Elle est dévouée à son
mari et à ses enfants; généralement elle instruit les jilus jeunes. Le
mari prépare souvent ses garçons pour les écoles supérieures; de plus,
il surveille les liavaux de la ferme, il les conduit avec prudence et éco-
nomie; il calcule combien les récoltes rendront, combien on pourra
Vendre de beurre après avoir mis de côté la jirovision de l'année;
comment il faudra faire pour ménager et économiser le bois, — car les
arbres ne poussent pas vite et deviennent plus rares tous les ans. A
272 I>E PAYS Dr- SOLEIL DE MINI IT
l'occasion, on brûle aussi de la loiirhe. Il Joit voir encore si les arbres
qui ont la taille voulue ont été abattus. De temps en temps, on coupe
quelque grand sapin, soit pour un but de construction, soit pour le
vendre, afin d'augmenter les fonds du ménage quand les récoltes ne
sont pas rémunératrices, ou poui' venir en iiide à nn p;iuvn' voisin, ou
pour payer les dépenses causées par In rrci'plinn iI'uih' sociélé plus
nombreuse que l'on ne s'y attendait, ou encore par une visite prolongée
à la ville. Généralement parlant, l'argent n'abonde pas, et l'économie
est nécessaire. Aucun peuple n'est plus généreux, plus hospitalier
ni plus cordial; la bassesse et la ladrerie sont étrangères au caractère
norvégien ou suédois, et. en considérant leurs ressources, en
aucune autre contrée rélrruiL'i'r n'est si bien reçu ni Imité avec tant
d'hospitalité. J'ai vécu dans les monlagnes avec des gens qui occupaient
de pauvres cabanes en bois, et dont la seule nourriture élnit des pom-
mes de terre; eh bien, ils m'olïraient de bon cœur le peu qu'ils avaient,
et c'est avec grand'peine (jue je parvenais à leur faire accepter de l'ar-
gent. Il leur semblait indigne de vemlre de la nourriture à un homme
alTamé, ou de recevoir de l'argenl |hiiii' rnliri iiuils lui ildiiiinienl. La
bonté de cœur des habitants des districts montagneux et retirés, loin
des routes que suivent les touristes et des voies de trafic, a grandement
ajouté à l'amour et à l'admiration que je professe pour le caractère
norvégien.
Ce fut vraiment à regret que je qnilhii Kiokengaard, ce charmant
foyer, où tous s'elTorcèrent de me rendre la vie agré.ible. Le jour de
mon départ, on avait hissé le pavillon en haut du mal. cnninie signal [)our
le steamer de stopper. A la fin ilii dîner, lors(pie nous étions tous assis
autour de la table, mon vénérable hôte devint particulièrement grave.
Il proposa de boire à ni;i s.irité, me sonh.iila le succès dans mes entre-
prises, puis exprima lespuir qui' j'avais trouvé la Norvège un bon pays,
et les Norvégiens de bonnes gens. « Notre pays est pauvre, dit-il. mais
nous ne pouvons changer ce que Dieu a fait. Nous vous souliailons
succès et santé dans vos futurs voyages. Quand vous reviendrez au liord
Sogne, venez à Krokengaanl, vous y serez toujours bien accueilli. Mais
ne tardez jias trop, ajoula-l-il d'un ;iir rêveur, car (pielipi'iin pdur-
rail bien ne |ijus s'y trouver. » Les visages de la société devinrent tristes
à mesure (pi'il parlait, et je vis des larmes dans bien des yeux. « Oui,
DiNr:R D'Ai)ii;r û'h
rpprit-il, si vous désirez me revoir, n'aUenilez pas trop longtemps, car
jf suis lin vieillard et ma vie approche di' >a fin. Pour vous, mon ami.
un bon et heureux voyaf/e. et revenez à Kidkengaard ! >»
La st'iiaration me toucha profondémeni, et je ne l'ai jamais oubliée;
mes jiensées errent souvent au delà des mers, et je me demande si le
vieu.x capitaine, à la taille droite et élevée, avec ses longs cheveux blancs,
se promène encore auprès du fiord de Krokengaard.
18
CHAPITRE XXII
LE FIOUD AAUUAL
Le liord Aardal. — Sa s|)li'iiilitk' oiiliéo. — Vallées sauvages des lionls. — liateaux sur le lac. —
Retour des «saeters». — Uu lar Ingubie.— La ferme Moen. — La lijaellcdal-foss etia Hagadal-
foss. — La ferme de ILjfdal. — La ferme de Vetli. — Le Mark ou Vetli-foss. — Le liord
Aurland. — Le liord Naero. — Cirandeur de la scène. — (ludrangen. — I,a Xaerodal. —
La bruche de Slalluiui. — In li.'.'.u paysage. — Vossevangen. — Le liurd (iraveii.
Du Lyslcr, L'ii rcM'h.iiil ;iii lim'il |iiiiirip;il. dii ciiln"' il;iiis IWardal,
conliniialidii du So,nii(' ol son Vxtrémilr la plus orieiilalo. A son oiilrée,
s'élève in Huillciiakkcii, i,OfK) iiicds, cl, du L'ôté opposé, la Bdoniioliia-
ase, 3,800 pieds, avec des inuiilagiies encore plus liaules derrière elles.
Les jours d'aiilouine élaient venus, el je naviguais à la voile sur le
liord, lorsipie mon bateau deiiK'iiia (pielipie h'iiips slalioniiaire par
manque de veiil, el à mi-eheiuin enire ees luoniagnes; la scène (|ui
s'olïrait à mes yeux èlail d'iuie grandeur (pii n'esi surpassée nulle [lart,
el rarement égalée, mémo en Scandinavie.
Parnu les vallées sauvages, en liant des monlagnes, il laut ci.ler
Oferdal (Âarferdal); prés du rivage on voyait quekfueâ pauvres fermes ;
des filets sécliaienl sur des perches auprès des liangars et des groupes
de blonds enfants jouaient ensemble; ces endroits d'un aspi'cl si pauvre
regorgent d'enfants. De petits tas de cailloux prouvaiiMit que l'on aviiil
VAI.I.KES SAUVAliES 273
essayé de délilayer la lerri' poiii' la inellri' en riilliiri'. Aanlalstangen est
le dernier liameaii à l'exlréniilé siipéiaeiire du lioi'd.
Dans ces hameaux, les maisons sunl petites, peu commodes et pas
très propres. La meilleure appaitient haliitiiellement au marrliand de
l'endroit, letpiel, — natif de ipiehpie ville ou de (pieique grand hameau, —
dans son humide lidulique, fournit aux habitants les articles dont ils
ont besoin pour leur nouriiture ou leurs vêtements; parfois il se livre à
de petites spéculations sur le beurre, le fi'omage et même le bétail,
qu'il envoie par le steamer dans les grandes villes; ses profits ne son!
pas forts, et il se montre satisfait si, dans le coiu's d'une année, il a |)u
mettre de coté cent ou deux cents dollars. La maison du marchand sert
d'aujjerge, et l'étranger y trouvera propreté et bonne nourriture. Le
marchand d'ici, Jens Klingenberg, n'était pas chez lui: mais son excel-
lente femme et son fils me reçurent avi'c beauconp de lioiilé, d'autant
plus que je leur apportai une lettri' de recommamlalion d'iui de leurs
amis.
Ces vallées des liords son! extrêmement sauvages et âpres; les
fermes ne communiquent entre elles que par un sentier praticable ;'i
cheval. Elles doivent oil'iii' des charmes paiticuliers à l'amant de la
natui'e, surtout ici ipie l'une d'elles contient la [iliis belle (diute d'eau
de la Norvège, la Vetti, appelée aussi Môrk-foss. Le trajet pour y
aller et en revenir demande moins d'un jour.
Dans cette abrupte vallée, qui est la contiiuialion du tiord, à une
faible distance dans l'intérieur, se trouve un lac pittoresque dont les
eaux sont d'un beau vert foncé. Pliisieius grands bateaux plats, fpii
servent à transporter le bétail jusqu'aux sentiers conduisant aux « sae-
ters », étaient échoués sur la plage. La montagne Stigebjerg s'élève per-
pendiculairement au lac. el une cliule d'eau déidiainée tombe en
blanche écume d'une hauleiu' voisine.
Tout était vie sur le lac; les bateaiiv plais chargés de bétail, de
moutons et de porcs, allaient dans toutes les directions. L'été était
passé. Les jeunes filles rentraient dans leurs foyers, eiK'liaidées de
(piilter leurs retraites montagneuses, et les villageois les transpor-
taient avec le fromage et le beurre qu'elles avaient faits. Vers le milieu
du lac, on jouit d'une vue superbement sauvage. D'ime part, la masse
gigantesque des rochers tombe à pii! dans l'eau, et, un peu plus loin.
276
LE PAYS DU SOLEIL DE MINUIT
une grande cascade, la Hellegaard-fdss, se i)réci|>ite en blanche écume
cl ])araît plus blanche encore par la somliic nature des rochers.
Plusieurs « saeters » sont perchés luiit auhaiil, Inii d'eux s'appelle
Kvenli. Peu a|irès apparaît derrière une autre masse lilanclie de va-
gues écumeuses, le Stige-foss, qui est d'abord caché à la vue.
Si l'on regarde en arrière vers le fîord, un spectacle farouche frappe
les yeux, et l'on ne peut croire que ce soit le même pays par où l'on
vient de passer; des monts sourcilleux et d'affreux ravins se lonl voir
dans toutes les directions, et les feuilles jaunissantes des bouleanx et
de l'herbe semblent belles. Près de l'extrémité supérieure, sur son
rivage septentrional, se dessine la vallée de Nondal, avec des fermes
juchées à 2,000 pieds au-dessus de l'eau. A la pointe du lac, la
vallée de l'Aardal prend le nom de Ulladal, et conduit à laVelti-foss.
Elle C(unt piesiiiie parallèlement au fiord Lysler, dont elle est séparée
par des niasses de montagnes de vingl-cin(j milles de large, terminées
par le Horunger, à 7,020 pieds de hauteur, et entouré de glaciers.
Du côté de l'est, les montagnes s'élèvent à G,.S00 pieds, et les lacs et
les torrents offrent à l'artiste des sources de délices. Un sentier qui
part de la Modal, conduit à File fleld et à Nystuen, sur la route
postale de la iioinle du fiord Laerdal à (llirisliania.
Il y a là une jolie ferme, appelée Moen, où l'on trouve des loge-
ments confortables. A (|ui'l(|ne dislance dr la maison, un éjieroii de la
montagne couvert de sapins, semble barrer le chemin; mais, au delà,
on arrive dans un superbe vallon, avec des fernu's, (pii fait l'effet d'une
émeraude. Cet endroit charmant |ieut avoir un niille anglais de lon-
gueur. Knsnite la v.ijlée se l'élrécil et deviriil presi|ne ini ravin jonché
de fragments arnudiés des montagnes et bordé de terrasses occasion-
nelles. On liasse devant la ferme de Svalheim et Ton atteint l'Hjel-
ledal-foss, superbe cascade londiant en nnp|)e d'écume d'une hauteur
de sept à huit cents pieds, et ensuite l'Hagadal-foss, à peu prés aussi
liante. Au-dessus, la rivière est traversée par un pont élroil et IVèle,
formé de deux ou trois troncs de sajùns; de l'aulre côlé, on voilipiel-
ques champs d'orge et des pièces de pommes de terre. En haut, sur la
montagne, se trouve la ferme Hofdal, dont on approche par lui dan-
gereux sentier, i\\h dblige à fr.incliii' des crevasses sim' un tronc
La Velti, ou Moïk-fuss.
LA VETTI-FOSS 279
(rarbiï', ou le loiii;' des rochers glahit's, auxi|ii('ls on a allarlié des
arbres pour empêcher h^s piétons de glisser sur la «lace en hiver.
Même en ce lieu solitaire, où Innienl les vents et où les tempêtes se
déchaînent, on aperçoit des traces de végétation : — assez de foin pour
nourrir ipndqnes vaches pi'iidaiil l'hiver, et assez de bouleaux pour
fournir du chauffage. L'Utladal devient ensuite très étroite et presque obs-
truée par d'énormes quartiers de rochers, qui tombent chaque année des
montagnes et contre lestpiels se brise le torrenl (pii lemplit la vallée
de son rugissement. Soudain elle s'élargit de nouveau, et sur la colline
on eidrevoit la ferme de Vetli, où le touriste peut s'arrêter une nuit.
De la maison, nu sentier en zigzag conduit aux hauteurs et à l'abîme,
du bord duquel, eu se couchant à plat ventre, on peut s'aventurer à re-
garder dans les profondeurs et suivre la chute du regard. Un autre sen-
tier mène dans la vallée et au pied de la Vetti-foss, ou Môrk-foss. Cette
superbe chute d'eau est i'ornu''e par un courant (jui vient de deux lacs
à la base du plateau de Koldedal, haut de 5,510 pieds. Du haut d'un
mur perpendiculaire, formant presque un demi-cercle, le courant se
précipite d'une hauteur de plus de 1,000 pieds. Vers la fin de l'été
son volume d'eau est si faible, qu'il tombe tout doucement en trans-
parente colonne d'embrun, paraissant plus blanche encore par son
contact avec les nuns sombres qui forment l'arrière. Je m'étonnai que
ce nuage d'embrun ju'it produire nu tel volume d'eau, s'élançant si vio-
lemment parmi les rochers, ({ue je ne pus traverser que difficilement de
l'autre côté, d'où l'on obtient une meilleure vue de la chute. Le sol et
les rochers sont couverts d'une sondjre fongosité et tout contribue à
rendre l'embrun plus blanc. Je ne pus voii' de terre au delà; seulement
quelques bouleaux sur le sommet. La chute était verticale, une petite
partie d'eau seulement frappe les murs rocheux. Pendantque je regardais,
la colonne li(piide commença à se mouvoir ; la brise qui se levait
la faisait balayer les muis et se balancer comme un i)endule sur un
es|iace de 250 pieds; un saut île vent plus fort s'étant fait sentir,
toute la masse se répandit en une transi)arenle nappe d'embrun du
sommet jusipi'en lias; le vent cessa et elle se recontracla en une blanche
colonne. Je demeurai longtem[)s à regarder ce fascinant spectacle,
auquel j'eus île la peine à m'arracher. Cette chute d'eau ressemble
à celle de Staubach, dans la vallée de Lauterbrunnen, en Suisse,
'2H[) I>1-: PAYS Dr SOl.Ell. DE MlNllT
et encore, selon les descriptions et les photographies, à la poiiiim su-
périeure (le la chute d'Yosemite, celte fameuse vallée de Californie.
Cctic dernière toniiic vcriii-alemciil d'environ 1,000 ]iieds dans un pré-
cipice de granit et varie en apparence selon son volume d'eau en diffé-
rentes saisons; de même aussi sa colonne li(inide est le jouet des
vents. Mais la Mûrk-foss a plus d'eau. Ces chutes d'eau, pareilles à
des voiles de mariées, se comptent par centaines en Norvège.
l'akuland
Sur le bord méridional du Sogne,à quelques dix milles à l'ouest de
Laerdalsôren, on arrive au grand fiord de l'Aurland. La profondeur de
la mer à son entrée dépasse 3,000 pieds et sa largeur n'atteint pas un
demi-mille; les approches en sont superbes. Les montagnes qui s'élè-
vent de la mer, les ravins, les rochers, les précipices et les forêts se
condiinent pour offrir un spectacle rarement égalé. Sur le bord occiden-
tal se i)résente le glacier de Fresvik, de la base duquel plusieurs vallées
pittoresques s'embranchent dans diverses directions.
Quand on a navigué itcndant huit milles, l'Aurland se bifurque : un
côté s'appelle le fiord Naerô, mais nous suivrons d'abord le premier.
Vue ferme (pie l'on nomme Stege, est perchée tellement haut que l'on se
demande comment font les gens pour y arriver depuis le fiord; sur le
bord opposé, c'est Nedberge, et, sur le Kajipadal, on dislingue deux fer-
mes; les bâtiments sont si éloignés (pi'on les aperçoit à peine avec leurs
toits en terre, ils se confondent avec les rochers. La vallée d'Underdal
est d'un côté, près de Flenje-Eggen ; de l'autre, c'est Steganaase. A l'est
(le la vallée de Skjœrdal, le BlaaskavI s'élève de 5,630 pieds au-dessus
de la mer.
Le hameau d'Aurland a (piehpies maisons peintes et une bonne au-
berge. A quatre ou cinq milles plus loin, on touche à l'extrémité du fiord,
qui finit en une étroite vallée renfermant des fermes.
Une masse rocheuse d'environ six milles séjiare rAiiiiiiiiJ du finnl
Naeri), point culminant de Steganaase, à 5,500 pieds de liauleur. La vue,,
à l'ouveilure de ces deux lioids, est magnifi(|ue, et ici la mer a
l,i90 pieds de profoiuleur. (Juand on perd la vue du fiord Aurland et
que l'on entre dans le Aaeri), h cha(pn^ courbe du terrain, une nouvelle
perspective charme la vue; tout est également grand et beau. L'eau est
J
GASGÀDKS (ilGANTESQL'ES 28.'i
si IranspareiUeel si traiiquille, qu'elle ressemble à im miroir et rélléchil
tous les objets qui reuvironnent : pics neigeux, images argentés et som-
bres forêts. D'immenses masses de granit gris, de gabro et de labradorite
s'éièvenl de la mer jus(iu"aux[)ics les plus inaccessibles, et dans leNaerô-
iioril, le labradorite repose en partie sur des couches de gneiss visibles
le long du bord. A droite, la Haegde se je(te de 1,000 pieds dans la
vallée, en une série de cascades toutes blanches d'écume; c'est la seule
grande chute que j'aie vue dans le fiord Sogne. La première fois que
j'entrai dans le Naerô-fiord, je ne jjus retenir un cri d'admiration;
je demeurai stupéfait devant ce iirodigieux païKuama; la sublimité
(lu spectacle me remplit d'un sentiment de terreur et de surprise ;
à peine pouvais-je croire (pie l'eau sur la(|uelle nous voguions était la
mer.
Quand on arrive en travers de Dyrdal, — qui est découpé dans le roc,
— la scène devient grandiose; de petites fermes, dont les cabanes en
rondins de sajjins ont résisté aux ouragans séculaires, en adoucissent
l'asjject lugubre. A[)rés (|ue l'on a dépassé Gjejteggen et la ferme de
Styve, le liord se contracte soudain, et la profondeur de l'eau n'est plus
ipie de 190 pieds. A (piehjues milles de là, la navigation cesse tout à
coup, et le Naerôdal s'élève iiresijue imperceptiblement de la mer, con-
tinuant son chemin au milieu de ce paysage grandiose, comme le fiord
lui-même.
J'ai navigué sur ce fiord dans tontes les saisons, — par un beau so-
leil, et aussi lors((ue d'épais nuages étaient balayés \r,\v l'ouragan, — mais
j'ai toujours trouvé la scène plus belle et i)lus sublime vers la fin d'un
jour d'été, avant que le cré[)uscule ait disparu. Il donne une grandeur
tellement austère à ces murs gigantesques; leurs contours paraissent
tellement fantastiques, que je doute que l'on trouve ailleuis une vue de
la mer plus sombre et plus fatale cjue celle du Naerô-fiord.
L'entrée de la vallée de Naerôdal est la digne continuation du
fiord. Le hameau de Gudvangen est situé au milieu de blocs gigantes-
ques qui ont été arrachés aux versants de la montagne ; il semble qu'un
jour ou faulre une avalanche doit écraser et recouvrir les maisdus de
ses habitants sans défiance. De l'autre coté, tombe de 2,000 pieds la
chute de Kils-foss ; à certains moments de l'année elle est formée de trois
portions distinctes; à d'autres de deux, et quelquefois d'une; le coui'anl
s
284 LE PAYS DU SOLEIL DE MINUIT
fait un lioinl de ] ,000 pieds sanstoiicluTleroc, sons l('([ncl les portions
se rejoignent.
La scène est si sombre à Gndvangen \y,iv un jour de iu'umo, (pie
l'esprit le plus léger en serait frappé, et, même par un soleil éclatant, on
désire s'éloigner de ce spectacle attristant. Près de là, une petite dia-
pelle, à hiipielle on arrive par un étroit sentier, domine la mer; en i)ln-
sieiirs places, le rocher a été écaillé, et une barrière en fer empêche le
piéton de glisser sur la glace et de tomber dans la mer pendant l'hiver.
Marthinus Hansen, le maître de la slalion, était un paifait honnête
Vinge.
homme, au caractère tranquille; sa femme, avec sa bonne figin-e et son
bonnet blanc, ressemblait à une madone de l'ancien temps. Une fille
nubile, lem- seule enfant, fpi'ils avaient envoyée à l'école à Bergen, les
aidait dans les devoirs du ménage; bien qu'elle sût parler anglais, je ne
pus parvenir à lui faire dire un mot en cette langue. Il y avait aussi
deux servantes, car les voyageurs étaient nombreux pendant celte saison.
La petite auberge constituait toute la fortune de la famille, et était des
plus confortables; à la vérité, les chambres à coucher étaient petites,
mais Hansen disait que, dès qu'il aurait mis de côté assez d'argent, il
Le Jui-'lalsimt
LA BRECIIK 1)1-; STAI.llEIM 287
ajouterait à sa maison un auln; étage. ^ Et, alors, s'écriait-il avec
ciitlidusiasini', les voyageurs amunl des cliauilires grandes et com-
modes! » — l^lis il re|)renait tristement : « C'est si difficile de mettre
de l'argent de côté! » Son liunnéteté l'ernpècliait de trom|)erou de ran-
çonner les voyageurs. Je me suis arrêté |)lusieurs fuis chez le bon vieux
Hansen, et plus je l'ai ((iiiiiii, plus je l'ai aimé. — De temps en temps,
nous nous écrivdus, et, dans sa dernière lettre, il m'a|i|irenait (pie beau-
cou[) de voyageurs s'étaient arrêtés à Gudvangen; je suis sur ipi'ils ont
été traités amicalement et honnêtement.
A partir du fiord Naern, l'un des grands chemins les plus pittores-
ques et les meilleurs de la Xurvége traverse Eide, à la pointe du fiord
Graven, sur l'Hardanger, à une distance d'environ 48 milles. Aucnne
autre vallée de Norvège, où [lasse une grande roule, ne peut être com-
parée en tristesse à la Xaerndil: l'Ile sendile (inir subitement, et on
croit ne pouvoir aller jilns loin; une brèche infranchissable en appa-
rence barre le chemin; mais on voit au loin les faibles contours d'une
route en zigzag permettant le passage : c'est la brèche de Stalheim.
Cette œuvre est l'un des exemples les plus remarquables du talent
déployé par les ingénieurs de la Norvège; la montée est fatigante, et
en hiver, ipiand la glace couvre le sol, elle est dangereuse, et j'en ai fait
l'épreuve. Deux charmantes chutes d'eau descendent d'une hauteur de
plusieurs centaines de pieds; elles jaillissent en embrun sur les rochers,
et forment ensuite la rivière Naero.
De la brèche de Stalheim, la vue de la Naerôdal produit une vive
impression. Le Jordaisnut [nut — cône), immense masse de granit,
surgit comme un dôme gigantesque qui regarde avec dédain l'étroite
vallée. De Stalheim vers le sud, le paysage est riant et beau; on est
heureux de laisser derrière soi la lugubre Naerôdal. Forêts, lacs char-
mants et cours d'eau, vieilles fermes et montagnes couronnées de neige,
tout cela, à distance, constitue un magnifique panorama.
La dernière fois que je me rendis au sommet de la brèche, une
chose me mampia : la figure d'un vieux mendiant de profession, le seul
que j'aie jamais rencontré en Norvège. La première fois que je le vis
guettant les étrangers, je refusai de lui donner quelque chose; saii.^ se
troubler, il se mit à parler du temps, du bel été, et enfin me dit (pi'il
était très pauvre et me redemanda de l'argent. Sur mon refus, il devint
288 I.K PAYS 1)1 sol. EU. DE MINIIT
furieux, cl tiianl de sa jioilic un sac n'inpli de pclilt' inniinaic il le lit
SOUMIT l'ii (lisant: « Tnul li' iikhhIc n'est pas aussi ladre i|ue vous;
voyez que d'aitj;eut on ni"a diiuuê! Regardez! ivgardez! » — .le pai'lis
d'un éf lat de rire et ceci parut vexer encore davantage le vieux miséra-
ble. Quand je m'informai de lui auprès du l'aclenr, il me dit que le vieux
drcMe (Mail niorl.
Près du hameau de Yinge es! la vieille et bi/.ai're église bâtie en
rondins de sa[)ins. il y a deux siècles; le toit est en forme de dôme et
parsemé d'étoiles; les murs sont fasiueusement peints; deux croix,
l'une en fer et l'autre en bois, étaienl les seuls mcunuiients du cimetière;
depuis longtemps oh ne célèbre plus le service divin dans cet édifice.
Je connais peu de districts en Norvège, près d'une grande route,
où les gens soient aussi nial|ii(i|ires (|u"ici ; la plupart des maisons sont
très sales; en voyageant dans l'iiivei', loi'sipn' j'entrai dans une maison,
il m'est arrivé de voir des enfants de dix à douze ans complètement
nus; à la vue d'un étianger, ils allaient se cacher derrière le poêle ou
se sauvaient.
Les stations entre Gudvangen et Vossevangen sont misérables, et l'on
ne peut s'y procurer de la nourriliu'e mangealjle pour un habilanl îles
villes; cependant, on y a de bon cale, et quelipiefnis du lard e( du
poisson.
Sur la route, au|)rés de la vieille ferme de Triode, pauvre station
postale, on voit la Trinde-foss, qui se jjrècipile sur un récif médiocre-
ment boisé, de 400 pieds de haut; ses cascades, si elles ne sont i)as
grandioses, aiiparliennenl lïu nmins aux plus sédiiisanles de l;i Norvège.
Environ six milles plus loin, en passani par luie conlrée pilloresipu',
on alleini le hameau de Yossevangen, sur les boids d'un pelil lac; ici,
la roule se ramilie vers Evanger et Bolsladôreii, ;i la pointe du liord
courbe de ce nom. Les habilanls de la paroisse di' Vosse sont très
intéressants, et un .séjour d'un ilimanche en cet endidil com|»ensera
grandemeni le relaid. Le service à riiolcj rieischer est 1res lion; l'iiôle
parlait anglais et l'endroit m'a paru conl'orlahle ; r'esl le seul où les
voyageurs puissent passer une nuit dans leur roule vers Hardanger,
(iord qu'il n'es! permis ;i auciui des visiteurs du j)ays de ne pas aller
voir.
l'as 1res loin de Vossevanuen, au milieu des collines entre les lacs
La Ti iiule-fûss.
VOSSEVANGEN 291
Rundal et Lionc, ou les dominant, se trouvent des fermes auxquelles,
depuis la vallée, on arrive par une montée rapide. Là, l'étranger peut
étudier le caractère primitif de Texcellent et intelligent peuple de
Vosse. Leurs femmes tissent des couvre-pieds en laine épaisse appelés
aakiaecler , qui, depuis des siècles, jouissent d'une grande réputa-
tion chez les fermiers, lesquels aiment les couleurs éclatantes de leurs
dessins.
Les vieilles gens du pays de Graue et de Norheim me traitèrent
royalement; car leurs enfants, qui vivent dans l'ouest de l'Amérique,
sont mes bons amis, et l'un des petits-enfants du bon fermier de
Norheim a reçu mon nom, par égard pour moi. Les meilleures choses
du garde-manger furent pour Paul, il n'y eut point cesse de « skal »
pour Paul. Dans chacune de leuis fermes, les fdies et les autres
membres de la famille, comme c'est la coutume en Norvège, — ont
d'énormes coffres à l'étage supérieur, oii elles enferment leurs toi-
lettes et autres (d)jets précieux. — Là, chacun avait sa bouteille de
vin soigneusement réservée et que l'on n'ouvrait (|ue dans les occasions
spéciales, lorsque, par exemple, ils désirent fêter de bons amis.
Chacun insista pour me recevoir. Les frères me firent venir chez
eux et il me fallut jiarticiper à leur bonne chère.
De Vossevangen, la grande route jusqu'au fiord (Iraven, distant
d'environ vingt milles, passe par un pays pittoresque où abondent les
sapins; on rencontre quelques anciennes scieries, mais la population est
faillie. Après une coui'se de dix à douze milles, la vallée supérieure se
termine brusquement et une vue magnifique frappe les yeux; la vallée
inférieure, plus basse de quehpies centaines de pieds, est enfermée
dans de hautes montagnes; une route magnifi(pie contourne le récif et
passe à la base d'un immense mur de rochers (jui sur[)lombe. A gauche,
un précipice l'orme le centre de ce demi-cercle, et une charmante chute
d'eau — la Skafledal — tombe en face du récif; elle court de là sur le
roc nu, et va de nouveau se perdre à une pi'ofondeur encore plus grande.
Après avoir traversé le pont jeté sur le courant, où la route est gardée
par des blocs de pierre, nous continuâmes notre chemin en lon-
geant le lac Graven et Ifi rivière, jusqu'à ce que nous ayons atteint le
fiord.
CHAPITRE XXIII
LE RIANT HAUDANGER
Le fiord Hardanger. — Ses beaux paysages. — Mekieiskin. — Roscndal. — Tempêtes d'aiilomne. —
Un dimanche sur le liord. — Toilctle de la fiaiiccc. — Fiancés en roule pour l'cglise. —
Illvik. — Cour de justice. — La ferme Lione. — Accueil amical de Lars. — L'EidIiord. —
Fne bourrasque. — Eau merveilleusement phosphorescente — Vik. — Voyage à la Voring-foss.
Ine vue superbe. — Le Sor-liord. — Les plus eliarmants liords de la .Norvège. — La Tys-
sedal-foss. —Le lac Ringedal. —Eau bleu foncé. — La Skjaeggedal ou Kengedal-foss. —.Norvège.
— Belle chute d'eau.
Le fiord Hardangerfnil un t^ontraste frappant avec la grandeur lugu-
bre du Sogne, avec ses chutes d'eau et ses cascades qui se jettent sur
les versants des montagnes; au pied des glaciers qu'ils surmonlenl, les
collines sont couvertes de bois et de vergers présentant une ricliesse de
feuillage que l'on voil rarement dans les autres parties du pays. Le gai
paysage semble avoir imprimé ses traits sur les habitants des fermes et
des hameaux situés sur ses bords.
Ce fiord est séparé du Sogne par des chaînes de montagnes avec de
petits fioids entre elles. Des steamers de Stavanger au sud, de Bergen au
nord, en font le tour deux fois par semaine, la durée du voyage étant de
trois jours.
La côle norvégienne, un peu au-dessous du 59° vers le nord, est
littéralement déchiquetée de fiords, et bordée d'un véritable labyrinthe
LES TEMPETES D'AUTOMNE 295
d'îles. Le fiord extérieur est connu sous le nom de Bomniel, et formé
parla terre ferme d'un côté et une série d'îles de l'autre, lesquelles, par
leur position et leur nombre, le font paraître complètement fermé par la
terre pendant une distance de 60 milles. Au sud de l'île Bûmmel, à
l'entrée du fiord, la mer a 720 pieds de profondeur, mais cette profon-
deur augmente rapidement; ainsi à quelques milles plus haut, elle varie
de 1,260 à 1,1 20 pieds; puis, diminuant à 408 pieds aux îles de Huglen
et de Kloslernaes, elle revient graduellement à 1 ,614 pieds à la partie
méridionale de l'île de Tysnaes; à l'entrée du liord intérieur connu sous
le nom de Hardanger, elle est de 1,470 pieds; sa plus grande profon-
(li'ur ciilie le bord orieiilal de l'ile de Varals et la terre ferme, est
de 2,140 pieds.
De Bergen, la route du steamer entre l'île de Tysnaes et la terre
ferme passe par un canal étroit et courbe, qui me rappela l'Hudson, prés
West-Poiiit. Pendant que le steamer continue sa course au nord-est,
en traversant de l'autre côté, le panorama de la partie supérieure est
magnifique; ce ne sont que montagnes dans toutes les directions, avec
leurs cimes neigeuses reluisanl an soleil; les champs de neige et les
glaciers du Folgefonn regardeni du haut d'un vaste plateau, et lesfiords
semblent ramper à sa base ,
Après sept heures de navigation depuis Bergen, on arrive à Rosen-
dal, charmant endroit, avec le Melderskin, qui s'élève à 4,550 pieds et
un vaste espace de terre cultivé, à sa base; en face, sur le bord oriental,
le fiord Mauranger s'étend presque jusqu'au pied du Folgefonn. Les
feuilles jaunies révélaient la présence de l'automne; les feuilles rouges
du tremble et du frêne de montagne rivalisaient de beauté avec le feuil-
lage américain à cette époque de l'année, et contrastaient élégamment
avec les sombres couleurs des arbres toujours verts. En cette saison
le temps est très incertain, et des coups de vent soudains descendent
avec une violence inouïe des gorges delà montagne, au grand danger
des mariniers. En passant devant le Melderskin, une de ces rafales vint
frapper notre steamer. La vue était superbe, car le vent soufflait avec une
telle force, qu'en fendant les flots avec nos roues, l'embrun s'élevait si
haut, que parfois tout le fiord était enveloppé d'une brume épaisse.
DeRosendal, la navigation est belle. Ostensôest un des endroits les
plus pittoresques; les maisons sont construites sur les bords d'une baie
2m; LK PAYS DU SOLEIL DL MINIIT
qui a presque la foime d'un fer à cheval ; près d'Oslensû se trouve Sam-
lekûlleii, eulouré par îles collines bien boisées et de riches prairies. En
passant à gauche de Bjûlberg-foss, avec la haute montagne d'Oxen au
loin, la scène est remarquablement belle; le lionl l'ait alors un dèldur
subit au sud-est, et reçoit le nom de Utne.
Je quittai le steamer pour prendre un bateau, et, tandis tju'un vent
léger me faisait avancer lentement, j'aurais pu m'imaginer que j'étais
dans un pays enchanté, tant l'air était embaumé, le ciel bleu, les nuages
argentés et le paysage ravissant, avec les montagnes couverles de neige
et de glace. J'enlendis la cloche d'une église juchée sur une colline el
regardant la mer; je vis venir de toutes les directions des bateaux chargés
de monde; de jolies filles dans leurs pittoresques costumes, le livre de
prières en main; des jeunes gens aux visages virils, fiers de ramer pour
elles; des mères dans leurs immenses bonnets blancs portés seulement
par les femmes mariées; des vieillards el des femmes couibés sous les
années, la vue afl'aiblie par l'âge, accompagnés de leurs petils-enfants
el arrière petils-enfants. En passant près de moi, ils s'écrièrent : « Amé-
ricain, j'ai un fils, j'ai une fille en Américpie. Les- connaissez-vous? Les
avez-vous vus ?»Un autre disait : « Mon fils habite en Minnesota ! Ma fille
est à Jowa,» reprenait un autre ; et un troisième : « J'ai trois enfants dans
leVisconsin!» Ils se rappi'ochèrent, el me saisirent les mains(prils ser-
rèrent avec une force dénotant l'iidensité de leurs sentiments. Je lus
forcé de leur dire qm je ne les connaissais pas, on que je ne les avais
jamais \ns; niaisle lien d'amour était là; ils m'aimaient [)arce que leurs
enlanis leur avaient écrit qu'ils étaient heureux dans mon pays, et eux-
mêmes se montraient ravis de voiripielqn'un qiu vivait sur le même sol.
Lors(pie nous nous dîmes adieu, ils s'écrièrent : « Américain, venez à
notre ferme, vous serez bien accueilli ; nous vous montrerons les portraits
que nos enfants nous ont envoyés, el peut-être, à votre retour, jtourrez-
vous les aller voir et leur dire que vous avez vu les vieux chez eux; que
nous pensons à eux chaque jour, qu'ils nous manquent et que nous
prions Dieu de les bénir. » Et tous, en partant, me lancèrent un affec-
tueux regard.
Je continuai ma route et, dans l'après-midi, je rencontrai une noce
qui traversait de l'autre côté pour se rendre à l'église; la fiancée, avec
sa coui'onne d'argent ipii la faisait ressemblera une reine, et ses vête-
Tuik'tlu de la mariée.
TROIS TABLEAUX NORVEGIENS 299
nienls aux couleurs vives, était assise à côté de sou fiancé; de nombreux
liateaux lemplis de gens qui allaient assister au mariage, suivaient le
leur. Deux liummes jouaient du violon, et, dans les intervalles de la mu-
si(|ue, on buvait à la ronde un couj) de la célèbre bière d'Hardanger;
puis les bateaux reprirent leur course et la musique s'éteignit peu à peu
dans réjoignement.
Rien ne peut mieux illustrer les dilî'érentes phases de la vie norvé-
gienne que les peintures de Tidemand, qui sont d'une scruj)uleuse vé-
lilé, et je ne saurais mieux faire que de donner la représentation faite par
l'artiste de la toilette de la mariée (p. 297); lanière donne les dernières
touches à la luilelle. pendani (pie la grand'mère la regarde et (pie la
jeune sieur tient le miidir. Mais, après la noce, les longs cheveux llol-
taiils ou tressés seront coupés; ell(> (piittera sa gracieuse coiffure pour
prendre un bonnet blanc comme celui de sa mère, et que, seules, les
femmes mariées portent. Je suis heureux de dire que souvent de jeunes
femmes se récrient contre cette coutume, qui, j'espère, sera bient("it
reléguée parmi les choses du passé. Une autre scène représente les
mariés sous le [lorche de l'église, prêts à partir, soit dans le bateau
ipii les attend pour les transporter dans la vieille deineiire de famille,
(tu dans la voiture qui doit les y conduire.
Le dimanche suivant, je vis une autre procession traverser le liord,
mais celle-là demeurait silencieuse et solennelle ; car c'était un cortège
funèbre portant un mort au cimetière. Telle est la vie : hier un mariage,
aujourd'hui un eiilerreinenl ; dans une maison, douleur et larmes; n3o°
tombe d'une hauteur de plusieurs centaines de jiieds, puis nous
traversâmes deux petits ponts sur le déversoir du Ringedals-vand.
Comme j'approchais du bord, je fus frappé par l'apparence parti-
culière de l'eau, qui était d'une couleur bleu acier tout près du bord, et
bleu foncé, (pielques pieds plus avant. Parmi les centaini's de lacs de la
Norvège, je n'en avais jamais vu a|)pnicliant d'iui tel bleu, presque
niiir; la ]ilus bleue des mers tropicales ne peut se comparer avec la
;jU h pays 1)1' SOLKIL UK Ml.MlT
conlour do oo l;n-. i^as plus que los l;u's dos Alpes suissos. Dans un
bassin do granit il doniouro à I.SIO jiiods au-dossus do la mor, mais
jo n'ai pas ou los nioyons de consl:ilor de combien de pieds il es!
an-dessus.
PondanI que nous voiinions, la Tyssodal-foss so présenta inopinê-
monl à noire vue; ses deux branches formant un triangle s'unissaient
on bas on une masse d'oounïo, apri'S une cliule de J .600 pieds, donnant
naissance à des nuages ilendinm; l'eau odiappail ensuite au n'gard,
car elle pass;iit par un canal courbe dans »m précipice pour former une
seconde chute haute de îiOO pieds: à ce point, le granit s'élève jusqu'à
2,;î00 pieds, et sur lui s'appuie une couche de schiste argileux
èp.iissede 720 pieds, sur laquelle l'eau so jette.
J'avais à peine cessé do métonnor do ce spectacle et nous avancions
toujours, lorsque j'entendis le rugissement d'un torrent, et. au môme
instant le Skjaeggedal. appelé aussi Ringedal ^nom que nous adopte-
rons ;\ cause de .s;t prononciation plus focileK s'offrit à nous, plongeant
dans l'abîme au-dessous en faisant un sau! de 800 pieds. Immé-
diatement après, il frappe contre une s;iillie de rochers, et ivbondil en
milliers »le fragments d'écume d'inie blancheur éblouissante. La masse
furieuse, dans s;» course vers l'abime. se jette contre un auliv ivcif. et
forme un nuage d'écume et d'embrun encorv plus épais. L'eau se piv-
cipile avec tant de vélocité, qu'elle crée un puissant courant d'air qui fait
que l'omlu-un juvnd des centaines de formes |»Ihs fantastiques les unes
que les a«»tn>s. A un moment, elle est entortillée dans une colonne
en spirale. — tR»mbo doau. — so pliant et so repliant sur elle-même,
bondissant en avant, ïvculanl. montant, puis descendant, redescendant
encore, se brisant, pivnant de nouvelles formes el des transformations
indescriptibles: puis soudain, elle est pou.ssée eu bas avec une grande
force; elle tlonne contn> un troisième récif el disparait dans une brume
compacio ol impénétrable, qui c:iche la partie inférieure do la chute.
Cet immense nuage blanc, conslanunont nMuiuvelé des hauteurs, descend
en écumani par une gorgi» étroite dans le su|terbo cours d'eau cristal-
lin, qui. après avoir coulé pendant deux cents yards, forme une seconde
chute d'environ 50 pieds, il'où l'embrun, montant jusqu'au sommet des
collines. api^UMit comme une luiuco vapeur notlani dans l'air.
J'avais vu dos oenlaines de grandes el des milliers de jHHiles chutes
IJ; LnilK DES VOYAGIOL'HS .'H.')
cil Norvègf; Ijoriiicoiij) ùliiiciil plus liaiilcs, ni.'iis nnriiiic ne m'a iiii|iros-
sioimo par sa bcniilé comme la Hiiigcdal ; je l'ai icj,'ar(lt''(^ pciidanl des
lieui'cs cnllèros, et toiijoiiis de nouvelles coiiihinaisons cl des l'oiiiies
él(»iiiiaiiles se prodiiisaieiil d'eiles-iiièiiies.
Quand je revins à la ferme, on me piésenla le livre des voyaf^enis.
Qiiehpies anglais y avaieril inscrit leins noms. Deux gentlemen de Bos-
ton étaient venus ici, ainsi ((ue trois dames améi'icaines, les seules
femmes étrangères ijui, à ci'lle époque, eussent visité ei'l endi'oil, sa-
voir : miss Williams, miss Cutler, miss Z. .1. (JdJei', Maine, U. S.,
G juillet 1872. Elles saluaient du pays des Pins, .le voulus les IVdii'iter.
et, dans un accès d'enlhousiasme ipie le lecleur, je l'esiiére, voudra liien
me pardonner, car je suis un admiraleiu' des femmes courageuses, je
m'écriai : « llurrali! poiu' les filles du Maine! ». Une heure après, nous
étions sur le liord Odde, d'où le touriste ne mampiera pas d'aller visi-
ter lo Bucr-Bracen, un des glaciers du Folgefoiui.
A une courte distanei' de Odde se trouve le Sandven-vand. lac ipie
l'on dit être sans i)oiss(Mi, àcause de la froideur de ses eaux, (|ui descen-
dent des glaciers. Non loin de son extièmité inlèiieuie est la vallée de
.lordal ; c'est à sa partie supérieure (|ne repose le Huer-Hracen. Un sentier
conduisant au bout de cet étroit vallon est d'une ascension facile, gra-
dmdle, et dislanl de iIimix milles du glacier. Quatre ans avant ma pre-
mière visite dans la vallée, lui énorme monceau de pierres était lf»ml)é en
produisant ini luiiil terriliaid, ipii, dans l'éloignenient, résonna C(jmme
le tonnerre et répercuta ses échos de colline en colline. A ( haipie [las,
il y avait quelque chosi; h remarquer, soit en regardant les nKJiitagnes,
soit en suivant de l'œil le couiant lorsqu'il arrive à la chute. A une
[ilace, les champs de neige du Folgefonn i{qiosent sur un plaleau for-
mant péninsule, lionlé, à l'est, par k lioi'd Sôr, h; lac Sandven et la val-
lée qui suit; à l'ouest et au n(»rd, [lar l'Hardanger, et, au sud, eu partie
par le lac Aakre. Du coté orientai, comme nous l'avons vu, les monta-
gnes tombent à pic. Au nord et au nurd-ouest, les versants sont plus
bas, moins abrupts et moins nus. Au sud, vers le fiord Aakre, ils sont
encore plus bas, mais en certains endroits très ia[iides el chauves. Le
Folgefoiui est liiu'dé de iiondiivnx glaciei's. l'.iriiii les plus inqioi'iauis
au nonl-ouesl, il fini cilcr li^ liondhus-Braeen, (pii est beaucoup plus
grand que celui ipe- nous venons de déi-rire.
316 LE PAYS DU SOLEIL DE MINUIT
Les limites des neiges peipéluelles vorieiil, en lalitiule 00° 3', vers
l'est, trois mille quatre centquarante pieds; à Blaadalsholmene, 59° 55',
laliludc vers le sud-ouesl, lr(ds mille neuf cent i|uai'anle pieds; à Gjer-
desdal, 61° 8', lalilmlc veis le nord-oiiest, deux mille qualre ceid quaire-
vingt pieds. Le plus haut point de la crête neigeuse est de cinq mille
deux cent soixante-dix pieds. On trouve de nombreux petits lacs près
des glaciers. Une crête de montagne traverse le Folgefonn dans une
direction nord-ouest et sud-ouest, et forme la Swartdal (vallée noire)
el la Blaadal (vallée bleue); une autre cièle lurme la Kvilnaadal. Des
blocs de pierres mêlés au sable prouvent leur origine incontestable.
Le glacier avait atteint ce point il y a de longues années, el s'était retiré;
mais il s'avance de nouveau; plus haut, notre sentier continuait |)ai' un
bois dans lequel on pouvait voir des quantités de pierres couvertes de
mousse, démoiilrant (|ue le glacier n'avait jias atteint cette altitude
pendant un très long temps.
La vue de cet étroit glacier était imposante; elle faisait conccA'oir
l'immense pouvoir destructeur de ce vaste corps de glace mouvante.
Dans l'étude que nous avons faite d'autres glaciers qui se sont retirés,
nous avons vu comment les blocs erratiques et des pierres plus petites
ont élé déposés dans les champs aux é|»oi|ues anciennes, el, par les
manjues de la glace sur les rochers, nous avons |)u suivre leui' cours;
mais maintenant, devant le Buer-Braeen, nous pouvons comprendre
comment les vallées ont élé creusées dans le roc solide |)ar celle
forme d'eau la plus destructive, le glacier, (ielle masse immense, irré-
sistible, avance lentement et avance depuis longtemps. Mon guide me dil
tpie, depuis l'année deriiiè|-e, il ;i marché el s'est avaiic('' de plus de .'iO
pieds, en eiilrainanl Ion! a\ec lui. Tiuil |i' long de la base île la glace, il
y avait inie crête transversale de terre, dans hnpielle de la verdure
fraîche et i\vii pierics étaient mêlées ensendtle; le glacier les avait
poussées en avaid en glissant sur les rochers. Sur la droite, une masse
énorme de roc avait été déc hirée et comme tordue pai' la pression de la
glace (pii s'avance. Le poids ijui a renversé cet oljstacle iloil avoir été
prodigieux, car l'évidence de celle l'oice lerrilianle élail là, devant mes
yeux. Même les solides murs de montagnes, couqiosés des plus durs
rochers, ne pourraient arrêter la marche en avant du terrible glacier. Ce
bloc de granit, arraché au côté de la montagne, avait environ 20 pieds d(!
;
UNE FERME MAL AVUlSINÉE 319
loiii^' sur 15 (le 1,11'ni'. Il ;i ('[(' lii'isé iiiéi^aleniciit, cl éiail encore couvert
(le mousse. Une de ses [larties étnil reconverle de çjlace; la couche
supérieure du glacier, ayant un courant plus Inil (|ue rinférieure, le
couvrira finalement et le cachera à la vue à mesure cjue continuera la
marche en avant. Si le glacier se retirait de nouveau, le bloc serait
déposé en un nouveau lieu. Le glacier est descendu par une gorge
rapide, sautant lidis couches distinctes de rocher et a été resserré
entre des murs solides n'ayant pas plus de 230 à 300 yards de largeur
vers l'extrémité. Les moraines que l'on voit plus haut, de ch.npic
côté, étaient englouties plus bas dans de profondes crevasses formées
parja pression de la glace et des récifs. A gauclie, les montagnes domi-
nent; c'est le mont Reina, à o,2IO pieds au dessus de la mer, et le
second [loinl le plus élevé du Folgefunii. La glace était d'un bleu
magnifique; |;i caverne me p.irul pelile, mais exlrèniement iielle; son
cours d'eau était loin d'être aussi bourbeux que ceux des glaciers du
Justedal. Plus bas, dans la vallée, pas bien loin du glacier, il y avait la
ferme Buer, et du versant de la montagne descendait une cascade
d'une hauteur de 700 à 800 pieds. Le propriétaire de la petite ferme
était en grande tribulation : il voyait avec anxiélé rapproche incessante
de la glace, qui avait déjà détruit une partie de ses pâturages à la
pointe de la vallée, et qui, dans quelques années, balayerait probable-
ment le [)ctit bois oii nous avions passé ; alors le fermier serait forcé de
chercher un refuge ailleurs et se verrait peut-être ruiné. Il avait essayé
de vendre sa ferme ; mais personne n'avait voulu l'acheter, dans la
crainte que ce ne fût de l'argent perdu. Il ne serait pas étrange, en elïel,
([ue, dans 40 ou 50 ans, le glacier atteignît le bord du lac Sandven ; alors
il ne pourrait aller plus loin, car la glace fondrait dans l'eau; mais les
glaciers sont capricieux dans leurs mouvements en avant ou en ariiére;
il se peut que, dans quelques années, le Buer-Iiraeen recule au lieu
d'avancer.
CHAPITRE XXIV
LLS SAETCliS '
Les saetcrs. É|ioi|UC ilii iléput pour les moiilïisriies. — Préparatifs avant ilc se rendre aux
saetcrs. — Hameaux iltscrls. — Départ de Slavanster. — Samson. — La vallée Suledal. —
Réception an presbytère. — Ferme de Samson. — Le lac Suledal. — Sur les monlaiînes il
Kôldal. - Le Valdal. — Le sacler Valdal. — Une famille de Ilardaii:.'er. — Vie du saelcr. —
lilniauclie. — l)opart du iiére pour la ferme. — Hautes munlairnes. — Neige ronge. — Le
saelcr Bjûrn-Vand. — Amliji'ir et Marllie. — Adieu au sacler Hjôrn-Vand.
Los (I saeltM's » so Iriiiivciit ;iii milieu ik'S imjiil;i.i^iies, loin des l'er-
iii(>s. sur les bords de l;ics solitaifes el de rivières, on sur les versants
de inanieloiis. au delà des limites où eroil le t;r;iiii. ('e soiil des liultes,
coiislniiles en roiidiiis ou eu pieri'es hriiles, oi'i, |ieiidaiil les mois
d'élé, les gens iriiiie Terme conduisenl leur hélail an |iàlnra!:i'; ear,
dans ces déserlsde rocliei's, heaneonp de places son! cdiiverles d herbes
ar(unali(|ues (|ui doiinenl an lail nue riche saveiii'. Bien des saelers
soni il lin accès dillicili'; homines el hèles oui à lra\ersei' île hantes
chaiiii's lir nioiilai^nes el des llii|ui'S de iieim'. sans ciiin|ili'r les ri\ièies
qn il laiil passera iiwr. Solilaire esl la \ ie iiu'nn passe dans ces iiionlai;iies ;
une hiisouileuxseidemenl.dnranU'ètè. le lermierv inniile pour voir com-
ment vont ceux (pi'il y alaissès,ap|ireiidre des nouvel les de ses Ironpeanx
Cl savoir si la saison a été bonne. Quand l'été esl i'roiil on hiimrde, on
■21
MŒURS PATRIAHGALES 323
obtient moins de lait; il faut se rappeler que, pour maint fermier, une
abondance de beurre et de fromage est nécessaire, afin de pouvoir, avec
le montant de leur vente, acheter les fournitures indispensables pour la
maison. Lors de ces visites, ils apportent des provisions et remportent
le produit de la laiterie. L;i vie du saeter est aussi très dure; les pâtu-
rages son! fort loin des Inities, et, loule la journée, les filles doivent
suivre le troupeau, (ju'il pleuve ou qu'il fasse beau, et ne rentrer que le
soir, ayant froid, ayant faim, et souvent trempées jnsipi'aux os.
Dans certaines montagnes, les pâturages sont très abondants et les
saeters nombreux; dans d'autres, ils sont médiocres et éloignés.
Presque tous les fermiers en possèdent un; mais ceux (pii ont plus
de terrain dans la montagne qu'il ne leur en faut, en louent une [)artie
aux moins fortunés. Quoique la famille qui possède un saeter soit
quel(|uefois très pauvre et n'ait que trois ou quatre vaches, ses membres
montrent la même impulsion généreuse qui caractérise la nation, et
ces braves gens m'ont toujours aussi bien accueilli que leurs riches
voisins.
Dans beaucoup île districts, on part pour le saeter vers le milieu
de juin; répocpie varie parfois : mais, généralement, elle ne dépasse
pas la Saint-Jean, selon la distance et la hauteur des montagnes à
traverser. On revient entre le milieu et la fin de septembre, et, si l'on
a beaucoup de hauteurs à franchir, dans la i)remière semaine de
septembre.
Des jeunes filles, orgueil de leur famille ou du voisinage, resteront
toutes seules dans les montagnes, où elles se sentiront aussi en sûreté
que dans la maison de leur père ; elles ne craignent pas d'être moles-
tées, car elles se fient à l'honneur et à la loyauté du sang bonde.
Rien ne m'a plus impressionné en Norvège que cette foi simple et
candide.
Le jeune amoureux vient une ou deux fois égayer les heures de sa
bien-aimée, mais seulement pour un jour; s'ils sont engagés, il est
encore mieux accueilli, car, en automne, quand les travaux de la mois-
son seront terminés, la noce aura probablement lieu. Bien des amours
ont commencé et se sont nouées en ces endroits où le cœur de la jeune
fille est rendu plus sensible par la solitude.
Quehjues jours avant le départ pour le saeter, une grande animation
3-2i
LE PAYS DU SOLEIL DE MINUIT
règne dans la ferme; on emballe les seaux à lail, les barattes, les vais-
seaux en bois, le grand pot de fer, le moule au fromage, deux ou trois
assiettes, une ou deux tasses, une poêle à frire, et surtout la bouillotte
à râlé. On n'oublie i)as le sel |huu' le bétail, la farine à mêler au
lait érréiiié pour les veaux, le pain et une bande de lard pour le
dimanche, le calé, le sucre, et les couvertures ])oar les lits. Les filles
prennent leurs habits du dimanche, ainsi que leurs livres de i)riéres;
en semaine, elles mettent leurs vieux vêtements; elles emportent aussi
luie bonne provision di' laine lilée pour faire des bas, des mitaines,
ou des gants pendant leurs heures de loisir, et des morceaux de
toile sur lescpiels elles peuvent broder. Le vieux cheval (pii porte
la charge est laissé en liberté dans les montagnes pour y paître
pendant quehiues semaines; car le labourage est fini, et l'herbe
ou le foin de l'année précédente est mis soigneusement de côté.
Le malin du départ, les vaches, moutons, chèvres et porcs sont con-
fiés aux enfants (pii les empêchent de s'éloigner. Si la ferme est petile. si
les gens sont pauvres, toute la famille va au saeter jusqu'au moment de
la récolte. On voit souvent une mère portant son dernier baby sur le dos.
Avant de jiartir, la fermière i)rè|iare un bon repas pour les ouvriers de
la ferme, ou la partie de la famille qui doit accompagner les filles au
saeter, — les domestiques louées pour la saison. Ceux qui marchent en
tète soufflent dans de grandes cornes dont les sons perçants appellent les
animaux, auxquels on donne de temps en temps du sel pour les ama-
douer; les enfants les tiennent en ligne.
Pendant l'été, les fermes et les hameaux sont déserts; on ne peut se
procurer de lail doux, si ce n'est aux stations de relai; la vie domestique
fait défaut. En cette saison, j'évitais les grandes routes encombrées de
touristes, et j'allais dans les montagnes explorer chaque année un groupe
différent; je vivais toujours dans les saeters, où je vais maintenant con-
duire le lecteur.
Au commencement de juillet, je (piiltai la vieille vilji' de Stavanger.
La navigaliiui sui' le tioni fui liés intéressante à cause des maniues de
mer gravées sur les cotés idchciix de Slenso, aune hauteur de 150 à
175 pieds. On voyait aussi dans l'étroite vallée de l'Aardal quatre ter-
rasses distinctes, les unes au-dessus des autres. Après un trajet de douze
heures, nous arrivâmes à l'cxtrémilé du liord Sands, branche du Stavan-
LES IDÉES DE MON GUIDE 323
ger; j'y débarquai avoc mon guide, Samsou Fiskekjua, qui m'avait été
recommandé comme fidèle et familier avec les montagnes. Samson
était un célibataire de quaranle-cinq ans, lionnête quoique peu brillant,
et dont j'ai conservé le meilleur souvenii'; bavard et amusant, il con-
naissait bien les manières des gens de la ville à la suite de fréiiuentes
visites à Stavanger. Samson devait hériter d'une ferme bien fournie à la
mort de son père, âgé pour lors de quatre-vingts ans; il la dirigeait et
agissait déjà comme propriétaire ; sa mère avait à peu prés le même âge
que son mari.
Avant d'arriver chez lui, il crut devoir s'excuser sur la sim-
plicité de sa maison, qui, disait-il, ne serait pas agréable à un Amé-
ricain. Il se les imaginait tous millionnaires et vivant dans le luxe. Ayant
entendu parler de la Califoi'iiie et de l'Amérique comme du pays de l'or,
naturellement, chacun était amplement fourni de ce précieux métal. 11
commença par dire que les vieux seuls étaient à la maison, et que l'on ne
trouverait point de lait, puis(iuc le bétail paissait au saeter; la nourri-
ture serait trop simple pour moi, sa mère ne saurait comment la faire
cuire et il craignait qu'il n'y eût trop de puces ; linalement, il me suggéra
^^ l'idée d'aller au presbytère. Je lui dis que je ferais mieux de descendre
^^^d'abord chez lui, et ensuite au presbytère, après avoir reçu l'invitation
^^^^ pasteur. Une course de deux heures dans la pittoresque vallée de
^^^Hedal, le long d'une claire rivière, nous fit atteindre sa ferme, où je vis
^^^^■1 père fendre du bois avec une force qui lui promettait encore vingt
^^^nnées d'existence au moins. Le vieux couple me reçut fort bien.
Un bon nombre de fermes étaient disséminées prés de là, et non loin
de l'église. Je me dirigeai vers le presbytère, oii le pasteur, célibataire
de vingt-ciiK] ans, me reçut très frijidement et non pas comme un Nor-
végien, bien qu'il n'y eût rien d'impoli dans son maintien. Je fus pas-
sablement surpris de cette rècei)tion peu habituelle. Tons mes efforts
pour faire sa connaissance demeurèrent infructueux; je lui donnai ma
carte : mais cela ne me servit de rien, car il n'avait jamais entendu mon
nom, ni vu un de mes ouvrages traduits. A ma question s'il lisait le
Skilling Magazine (qui de temps en temps avait donné des récits de
mon voyage en Afrique), il ré|)ondit d'une voix sonore : « Je ne lis jamais
le Shilling Magazine! » Je perdis donc tout espoir d'une invitation au
presbytère et je pensai avec effroi aux millions de i)uces qui viendraient
326 LE PAYS DU SOLEIL DE MINUIT
s
m'assaillir pendant la nuil ; j'avais passé par cette épreuve peu de jours
auparavant et je ne me souciais pas de recommencer si tôt rexpérience;
je savais que, si Samson s'en plaii^nait, c'est que le nombre en devait
être prodigieux; car ces gens n'y font pas alteulidu quand il n'y en a
que cinquante ou soixante dans le lit.
J'allais me retirer, lorsqu'un autre vénérable ecclésiastique, venant
du uoid avec sa femme, entra dans le parloir. J'entamai une conversa-
tion avec Un ; mais, quand je loi eus dil que, dans un été, j'avais Iraversé
le pays, de la Bailique an cap Nord, cl de Bodûà Lulea, il me contredit
netlement, eu disant que cela ne se pouvait pas; en un nujt, le révérend
genlleman me traitait de menteur. J'en conclus que ces deux dignes
messieurs me prenaient pour quelque chenapan, ou pour un agent
d'émigration d'Amérique. Si tel fnt le cas, je ne m'étonne pas qu'ils
m'aient mal reçu, car de tels individus ne sont pas populaires. 11 faut
(lu'il y ait eu quelque raison de ce genre, car, pendant tous mes voyages,
c'est le seul exemple où je n'aie pas reçu le chaud accueil norvégien.
Lorsqu'à mon retour chez Samson je lui contai cette histoire, il eu rit de
bon cœur. Je m'écriai alors d'un ton triomphant : « Ne vous avais-je
pas dil (\n"\\ valait mieux aller au presbytère sans bagages? » Pendant
uuin absence, une métamorphose complète s'était opérée dans la ferme,
où tout était luisant et jjropre; du pain, du beurre, du fromage et du
lait caillé couvraient la table, et les bonnes gens s'excusèrent de ne point
avoir de lait doux, parce (pie les vaches se trouvaient dans les montagnes.
Je dormis ma porte ouverte, car la nuit fut très chaude; je ne crois pas
(jn'ils aient ibunii du toiil, atl(Midu qu'à (piatre heures du malin, ils
m'olfrireiil le c.dè en me pressant de manger, parce que j'uvuis une lon-
gue route ilevanl nmi.
Je partis avec deux bateliers et une femme tenant son enfant dans
ses bras. Il n'y avait que peu de temps que nous naviguions, lorsque
nous arrivâmes devant une belle maison blanche, résidence d'un Slor-
liiingsmand, où nous descendîmes. L'hùle n'était pas chez lui ; mais son
aimable fenuue, ipii avait été prévenue de ma visite, m'attendait et parut
désappointée (juand je lui eus dit (pie j'avais passé la nuil dans la ferme
de Samson. Bien que je lui aflirmasse que j'avais d(qeuné, elle insista
pour que je prisse un autre re])as.
La vallée du Suledal, prés de rextiémilé basse du lac, est très inlè-
DANS LES MONTAGNES 327
ressaiile pour ranli([iiairo en raison dos nombreux tiimuli ou tombes
des époques païennes, dont (piebpies-unes sont creuses, de forme cir-
culaire, et entourées de pierres; d'autres sont carrées. Eu remontant le
lac, nous pûmes voir lessentiers conduisant aux saeters, et des plaques de
neige sur les montagnes. Après avoir rnmé pendant quatorze milles,
nous prîmes terre à Naes, sur la rive droite, près de l'extrémité supé-
rieure du lac, d'oià un sentier conduit aux nombreux saeters placés
entre les lacs Suledal et Rôldal.
La route qui passe sur les montagnes jusqu'à Rôldal côtoie
d'abord un torrent que l'on franchit sur un pont ; on laisse derrière
soi de nombreux saeters où l'on nous offrit du lait. Vers la fin du
jour, le soleil disparut, dorant de ses derniers rayons les collines
et les montagnes couronnées de neige. La nuit nous surprit dans de
sombres ravins, pend;int que nous descendions à Botten, oîi nous
ne trouvâmes à la maison que la tille, son père et sa mère étant partis
pour le saeter.
De Rôldal, un sentier conduit par un pays sauvage à la vallée de
Valdal. Mon intention était de passer l'été, ou du moins jusqu'à l'ap-
parition de la neige, de saeter en saeter, sur les plateaux des montagnes
de Hardanger. Le meilleur moment pour gravir les montagnes est le
commencement d'août; la plus grande partie de la neige a disparu, les
eaux des courants sont basses, on peut les passer à gué sans danger et
l'on traverse assez facilement les marais. Je me procurai vm bon guide,
qui dut prendre son cheval, non pour le monter, mais pour porter nos
provisions. Un cheval n'est point un embarras dans la région du Rôldal;
en général, on peut gravir les collines plus vite que le poney; mais, dans
les endroits difficiles, un cheval de montagne, habitué à se rendre aux
saeters, a le pied très sûr et ne glisse pas sur les pierres ; si on le monte,
on n'a pas besoin de le guider, et on peut laisser flotter les rênes sur
son col. Les chevaux trouvent leur nourriture tout en marchant; ils peu-
vent endurer de grandes privations, la faim et le froid. J'avais un fusil
avec moi, non pour me défendre, mais pour me pourvoir de gibier, si
possible.
Le sentier, en (piittant Rôldal, monte graduellement le long de la
rivière Valdal, et, sur la rive gauche, on voit la blanche colonne do la
Risp foss; en descendant de nouveau et en traversant le courant sur un
328 LE PAYS DU SOLEIL DE MINUIT
pont, nous vîmes, sur le bord opposé, le sentier conduisant au lac Staa
et à Thelemarken supérieure.
Sur la rive droite de la Valdal, on rcnconlre beaucoup de saeters et
de sentiers qui s'embranchent dans toutes les directions. La rivière
coule pendant quelque temps à travers un pays plat, constellé de beaux
pâturages et de petites fermes. Un autre cours d'eau se jette dans la
Valdal et forme une magnifique cascade de 1,000 pieds, au-dessous de
laquelle le courant est si rapide, (pie notre cheval eut de la peine à se
tenir sur ses pieds pour passer le gué. A 12 milles de Rôldal, nous
arrivâmes en vue du lac Valdal; les montagnes descendent en pentes
douces jusqu'au bord, près duquel se trouvent plusieurs saeters. Des
troupeaux de bétail venus des montagnes pour se faire traire, paissaient
sur les bords verdoyants, et, plus liant, à notre gauche, était le saeter
Bakken. A la pointe du lac. In fumée s'élevait en spirales du saeter
Valdal, et nous entendions les cris des filles appelant le bétail qui reve-
nait lentement, en broutant le long du chemin. Nous suivîmes le bord
du lac jusqu'à son extrémité supérieure ; de tous les saeters, on nous
regardait, et l'on se demandait qui nous pouvions être, car on n'atten-
dait personne des fermes.
A notre arrivée, on nous pria d'entrer dans la maison, qui était aussi
confortable qu'une ferme, et les salutations d'usage suivirent; on nous
fit passer du lait, et, après y avoir goûté, nous rendîmes le vase avec des
remerciements. Quand ils apprirent que j'arrivais d'Amérique, ils me
regardèrent avec surprise et s'écrièrent : « Fra Amérika ! fra Amérika ! »
Je fus alors d'autant mieux accueilli que Nels, le fermier, avait une fille
mariée aux États-Unis. Il était arrivé d(> la ferme la veille pour rapporter
chez lui le beurre et le fromage qui avaient été faits; il demeurait très
loin, sur le fiord Sûr, une des branches de l'Hardanger. Sa famille était
nombreuse, et il représentait le type du Norseman (homme du Nord,
norse), hospitalier, mais iicu déinonsli'atif, avec sa bonne et large figure.
Trois de ses filles passaient l'été au saeter, — Synvor, Marthe et
Anne, — pleines de santé et blondes comme des descendantes desVikings
aux cheveux cendrés. Synvor, l'aînée, d'une stature un peu courte, avait
di.x-neuf ans; Anne en avait dix-sept; elle était grande, musculeuse,
auxyeuxbleus perçants, et très capable de se suffire à elle-même; elle
aurait parfaitement posé pour modèle de Valkyrie; Marthe, avec ses
LES FILLES DU FERMIER NELS 329
seize ans, ses cheveux d'or, et ses doux yeux bleus, était de complexion
délicate. Toutes trois passaient pour les plus belles filles de l'Har-
danger et de jeunes fermiers avaient déjà essayé de gagner leur cœur.
J'admirai ces filles du Nord, élevées en plein air, nourries simplement,
habituées au travail et dégagées des entraves de la toilette à la mode.
Je ne connais pas de climat plus sain que celui des saeters en
juillet et en août, surtout lors(iu'ils sont à 3 ou 4,000 pieds au-dessus
du niveau de la mer. A cette élévation, l'air est plus bienfaisant et plus
fortifiant, même pour les Norvégiens cjui vivent sur les bords des fiords
ou dans les vallées basses. L'air qui souffle sur le vaste plateau monta-
gneux et stérile est particulièrement sec et exhilarant. Les elïets se font
promptement sentir: l'appétit augmente et souvent un malade en est
revenu chez lui en pleine santé.
La vie de la montagne est active, et les filles sont occupées depuis
le lever du soleil jusqu'au crépuscule. Les pâturages appartenant à ce
saeter s'étendent dans les montagnes voisines et suffisent à 52 vaches
laitières, à huit autres, et à quatre chevaux. Le bétail appartenait à trois
fermes différentes, y compris celle de Nels ; quelques bestiaux venaient
du fiord Sûr, distant de 50 milles ; deux des filles de Nels avaient la sur-
veillance de ceux qui ne lui appartenaient pas, et on les payait pour
cela. Le lait de chaque troupeau était mis dans les vaisseaux de la ferme
d'où venaient les vaches et on faisait de même pour le beurre et le fro-
mage. Le peuple est si honnête, que pas un fermier ne craint que les
filles favorisent l'un au préjudice de l'autre, ou qu'elles mettent du
beurre ou du fromage dans des vaisseaux autres que ceux de leurs pro-
priétaires légitimes.
Un grand enclos, entouré d'un mur de pierres, contenait une belle
prairie, dont on coupait et séchait l'herbe afin de l'emporter sur des
traîneaux pour l'hiver. Plus de 20 vaches laitières paissaient dans les
saeters de Valdal, outre un grand nombre de génisses, de veaux et de
chevaux. On gardait les veaux à la maison; matin et soir, on les nourris-
sait avec une mixture de lait écrémé, de farine et de sel; si le lait
manquait, on le remplaçait par de l'eau chaude, dans laquelle on faisait
infuser des branches de genévrier.
A quatre heures du matin, nous fûmes réveillés par le tintement des
cloches que certaines vaches portaient au cou; elles venaient d'elles-
330 LE PAYS DU SOLEIL DE MINUIT
mêmes des montagnes pour se faire Iraiie et les filles se levaient. Aussi-
tôt elles se mettaient à l'œuvre, après avoir bouclé autour de leur
taille une ceinture à laquelle pemlail une corne remplie de sel que l'on
donne aux vaches, aux chevaux el aux moutons, le malin et le soir,
quand ils vont aux montagnes ou qu'ils en reviennent.
Après avoir fini de traire les vaches, les filles les dirigent par un
autre sentier vers de nouveaux pâturages, où elles vont et d'où elles
reviennent d'elles-mêmes, ipiand elle connaissent le chemin. A leur
retour les filles vont dans la cluuahre au lait, dont elles ont soin de
fermer la porte; elles enlèvent la crème qui s'est formée, la mettent
dans la baratte et en font du beurre. D'autres emportent les vaisseaux
vides à la rivière, où elles les frottent en dedans et en dehors avec le
sable fin du bord, puis avec des branches de genièvre, et eidln les
rincent dans le couiant. Généralement, les seaux sont en lilanc pin, on
les tient propres et sans une tache. Le jour du fromage est aussi une
glande occupation, et l'ouvrage se fait de la même manière. La cham-
bre où l'on conserve le lait était merveilleusement propre; sur les plan-
ches, on voyait plus de 1 oU seaux i)leins de lait, chacun d'environ 20 pou-
ces de diamètre et 5 de profondeur, en bois de pin blanc et cerclés;
les seaux pour traire étaient siu' Ir plancher, prêts à servir au mo-
ment voulu. Plusieiu's barils pour le lait écrémé et le lait de beurre,
d'autres pour le beurre, étaient rangés dans un ordre parlait.
Le dimanche, quand elles ont fini de traire les vaches, les filles pro-
cèdent à leur toilette comme si elles allaient se rendre à l'église; elles
mettent du linge blanc, leurs robes et leurs souliers des jours de fête.
Celles-ci porlaicnt, comme leiu' mère, des jupons en étoffe de laine d'un
bleu foncé, avec des corsages de mém(> couleur. Lesjupons étaient bor-
dés tout autour d'un ruban vert; le corsage ouvert laissait voir un mou-
choir brodé avec de l'or. Chacune avait pour coiffure un petit bonnet
blanc qui semblait n'èlic posé sur la tète que pour tenir les nœuds de
leur luxuriante et épaisse ciicvchu-e. On ne procédait à aucun ouvrage,
sauf celui absolument nécessaire: un membre de la famille lisait la
Bible et chantait des hymnes de louange. Après le dîner, on allait se
visiter de saeteren saeter et l'on passait l'après-midi de la manière cou-
tumière au pays.
Je traversai le cours d'eau pour aller voir des amis de Rôldal, (jui
LE BIJOU PERDU 331
avaient leurs saetors de l'autre côté : seulement une petite hutte en pier-
res. Le gué fut difficile, car le courant était fort et l'eau profonde, Je
dus monter à cheval , et prendre devant moi Anne, que je tenais forte-
ment embrassée par la taille, car nous n'avions point de selle. L'animal,
qui avait évidemment traversé le gué bien des fois, suivit son chemin
avec beaucoup d'adresse.
Le soir, après que l'on eut trait les vaches, nous eûmes du beau
temps. L'une des fdles voulut s'amuser à courir avec moi; pendant le
jeu, je perdis un petit médaillon de ma chaîne de montre, et, quoique
nous l'eussions cherché partout, nous ne pûmes le retrouver; c'était un
cadeau de Noël, et j'y tenais beaucoup. On furela de tous côtés le len-
demain matin, ce fut en vain. L'année suivante, on le retrouva ; on l'en-
voya à Samson, qui le remit au consul Rosenkilde, à Stavanger ; celui-ci
l'expédia à Christiania, d'où on le fit parvenir à mon ami, Herr Christian
Bors, le très estimé consul de Suéde et de Norvège, cà New York, avec
prière de me trouver et de me remettre l'objet.
Le lundi matin de bonne heure, chacun était debout; on prépara les
chevaux pour le retour de Nels à la ferme, et on eut soin de garnir leurs
croupes d'épaisses couvertures de laine pour placer les bats; le beurre,
le fromage et le lait pour les ouvriers de la ferme ne furent pas oubliés ;
le père, d'un air placide et sans embrasser personne, dit adieu à sa
famille et bientôt nous le perdîmes de vue dans les détours du sentier.
La famille ne voulut pas me laisser partir avant que j'eusse pris un
déjeuner substantiel, qui aurait pu suffire pour presque tout le voyage;
l'expérience m'a appris que ce qu'un voyageur peut faire de mieux, spé-
cialement dans les montagnes, c'est de ne point bourrer son estomac de
victuailles. J'étais prêt à dire adieu, lorsque Synvor disparut tout à coup
et revint avec un superbe fromage qu'elle me mit dans les bras. (( Pre-
nez cela, dit-elle, et mangez-le dans votre voyage, car vous aurez faim;
il n'y a pas beaucoup d'endroits dans les montagnes où vous rencon-
trerez un saeter. »
Quoique je n'eusse point de cheval et que le fromage fût lourd, je
l'acceptai pourtant, par politesse. Je serrai les mains à toute la fa-
mille; dans celle de Synvor, je mis quelque monnaie et un petit
dollar en or. c Non! non! s'écria-l-elie. — Si! si! » réparlis-je;
tous me dirent alors: « Quand vous reviendrez à Odde, venez nous voir;
332 LE PAYS DU SOLEIL DE MINUIT
ne nous oubliez pas, ne man(iuez pas de venir. — Je viendrai, »
répondis-je. Et je m'éloignai en hâte.
Du lac Valdal, le sentier qui se dirige au nord sur les montagnes
est sauvage et triste; au commencement il faut même traverser de
"rands amas de neige.
Après avoir quitté le lac, nous montâmes par une contrée abrupte
au-dessus de la région du bouleau, où le genièvre et les baies arctiques
abondaient. Une heure de marche nous conduisit sur les bords du petit
lac Visadal-Vand,non hiin duiiuel se trouvait un saeler à l'aspect misé-
rable, isolé et construit en pierres sèches. L'intérieur était loin d'être
propre; d'un cùté, on avait placé les lits sur la terre nue; de l'autre, la
cheminée; dans un coin, un las de branches de genévrier, cinq ou six
seaux, un chaudron de cuivre pour faire le fromage et bouillir le lait, un
pot à café, et une baratte. L'homme qui occultait le saeter et sa femme
nous tirent bon accueil ; l'hommi' i»araissait avoir plus do 80 ans, mais
il était bien portant et vigoureux; il avait fait plus de 80 railles pour
venir passer l'été ici et fournissait un bel exemple de l'audace de ces
montagnards. Ce saeter avait 120 vaches sèches, appartenant à plusieurs
fermiers qui les envoyaient au pâturage. Une femme et trois hommes
étaient cliargés de soigner ce bélail, et avaient aussi cinq vaches laitières
pour leur usage personnel, outre leur nourriture. Nous longeâmes le côté
montagneux du Visadal, sur des rochers nus et des plaques de neige,
passant devant maintes cascades et chutes d'eau.
En continuant notre ascension, — le cheval suivait un chemin et
nous un autre, — nous gravîmes une colline rugueuse, en traversant
de larges pla(iues de neige pénéliécs jiar des courants. Presque
directement au nord, (in voyait Haarteigen, à 5,390 pieds de liaut,
constellée de neige, qui étincelait sous les rayons du soleil; Nups-
Eggen était à notre gauche. — Ici, le mica repose sur les roches primi-
tives. 11 n'y avait pas d'autre apparence de sentiers que les lits dessé-
chés des cours d'eau, rem[)lis au prinlemps. Nous passâmes le Steige,
Vand, petit lac sombre et sidiiaire, au sommet de la montagne; là le
bouleau nain même avait cessé de pousser. Quoique le soleil brillât de
tout son éclat, le vent était froid, le thermomètre marquait 48°. De
larges taches de neige descendaient jusqu'au bord du lac, surplombant
souvent le rivage; le lichen gris réappai'aissait. Nous montâmes
LA NEIGE ROUGE 333
encore et nous arrivâmes à plus de 4,000 pieds au-dessus de la mer.
Les i'liam|)s de ueige augmeiitaii'iil de pi-npdiiioii, et nous dûmes en
traverser un long d'un mille et demi : de Idin cii loin apparaissaient des
traces de renne sauvage. Tout à coup nous (niuvàmos une étendue de
neige rouge au milieu de la blanche, la première que j'eusse encore
vue. Je m'imaginai ipron y avait tué un renne et que la neige était
teinle de son sang. « C'est de la gaiiunel snn (de la vieille neige), »
dit mon guide. A mesure (|ue nous avancions, les taches colorées de
rose devenaient plus nombreuses; queltpies-unes avaient 15 pieds de
long ; l'effet en était surprenant. On trouve toujours cette neige rouge dans
les grandes fla(jues fondantes, et celte couleur est principalement due à
la présence de minuscules organismes végétaux contenant un li(piide
rouge huileux, l'algue, connue comme haematococciis (protococcus)
iiirt/fis. Seliiii Elircnberg. ce seraient aussi des animalcules qu'il
appelle philudina roacula. Puis nous passâmes sur la limite de Vas-
dals-Eggen, où les montagnes, largement c(mvertes de neige, vont
dans la direction du nord-nord-ouest. Quand nous eûmes parcouru ce
plateau pendant environ trois heures , nous vîmes (pi'il descendait
vers l'est, et un piétinement l'aliganl dans la neige rouge nous amena
en vue du lacBjôrne; du bétail broutait sur' ses bords, et, non loin
de là , j'aperçus des s[)irales de fumée sortant d'un pifjp sacter
(saeter tenu par une hlle) dans ces montagnes, demeure du renne
sauvage .
Chaque année, vers la fin de juin, un fermier du tiord Hardanger
ou de Rôldal, accompagné de deux filles, avec un troupeau de vaches
laitières, traverse ces montagnes. Pendant l'été, on laisse les fdles
pour prendre soin du bétail et s'occui)er de la laiterie.
Il était tard (piand nous arrivâmes en cet endroit solitaire; les lilles
sortirent iioin- voir quels pouvaient être les étrangers, et disparurent
soudain à notre approche, afin de mettre leurs plus beaux vêtements
pour nousrecev(jir. Elles portaient le costume des filles de Rdidal, avec
leurs bonnets coquettement posés sur la tète ; l'une avait des bas rouges,
l'autre des bleus.
Les petites maisons, en pierres brutes, étaient situées l'une à côté de
l'autre; les murs avaient environ 30 pouces d'épaisseur et l'ai'riére s'ap-
puyait sur un monticule déterre; les toits étaient formés de grandes
33i LE PAYS DU SOLEIL DE MINUIT
dalles soulenues iwr dos planclirs mises en long, largement espacées,
avec des madriers en travers; par-dessus, on avait étendu de la terre
pour empêcher le vent de s'introduire, et, sur cette terre, l'herbe avait
poussé; le plancher se composait de larges dalles de schiste. La che-
minée, construite à l'extérieur, était couverte à son sommet d'une pierre
plate, pour empêcher l'entrée de la [iluie, et la porle consistait eu bois
lourd et grossier.
On nous pria d'entrer, et je fus frappé de l'extrême propreté et de
l'ordre de la chambre, dont l'unicpie ornement était un petit miroir sur
le mur; une seule fenêtre de 20 pouces sur 14, avec cpiatre iietiles
vitres, permettait au jour d'entrer; auprès de la cheminée se trou-
vaient une poêle à frire et une bouillotte à café ; un chaudron île cuivre,
dont l'intérieur brillait comme de l'or et contenant de l'eau, pendait
au-dessus du feu. D'un côté, il y avait des planches sujjportant des ran-
gées de seaux pleins de lait et devant fournir la crème pour le beurre;
au milieu de la chambre, sur le sol, une simple couche de foin cpie
des morceaux de bois empêchaient de se répandre dans la chambre;
des couvertures en laine et des peaux de mouton servaient de couver-
tures; sur une corde tendue en travers, pendaient les vêtements. Dans
un coin, on avait entassé une provision de genévrier et de saule pour
combustible, dont on usait avec beaucoup d'économie, le bois étant
très rare.
Les filles ne reçoivent de visite de la ferme iin'iuie fois durant l'été,
parce que la route sur les montagnes est fatigante et la distance de
90 milles. Auprès de la maison, il y en avait une seconde un peu plus
petite, qui pouvait avoir servi à une autre famille; on y conservait les
barils de lait aigre, le fromage et le beurre, et de grandes quantités de
branches de genévrier; tout à côté, mais construite bien plus grossiére-
remenl, on avait élevé le troisième bâtiment du saeter. L'érection de
ces maisons en un tel lieu ne doit pas avoir été chose facile ; car le
bois, les solives, les portes, les idanches ont été apportées de longues
distances et rassemblement des pierres et la confection des murs ont
été aussi des œuvres de patience.
Les filles se montrèrent charmées de notre visite, et, quoiqu'elles
ne nous connussent pas, elles n'étaient pas effrayées le moins du
monde. Ambiôr, la plus jeune, avait dix-huit ans, et Marthe environ
BON REPAS ET MAUVAIS LIT 333
vingt-six; elles élaienl filles de fermiers ; — Tune liabilail sur le fiord
Hardanger, et l'autre sur les bonis du lac Roldâl. Immédiatement après
noire arrivée, elles préparèrent un repas pniir nous; un petit coffre fut
converti en table sur laquelle une serviette blanche servit de nappe;
elles firent frire des tranches de lard, et placèrent devant nous des
pommes de terre (qu'elles me ])arurent bonnes!), restes de leur repas
du dimanche, du fromage, du beurre et des galettes. Déplus, elles mi-
rent à notre portée un grand baipiet de lait portant une belle crème
épaisse, où nous pouvions puiser nous-mêmes. Quand tout fut prêt, elles
nous dirent : « Soyez assez bons pour manger ce modeste repas; nous
sommes au saeter et non à notre ferme, vous h? savez, et nous ne pou-
vons rien vous offrir de meilleur. » Tout me iilut mieux que les i)lals
les plus fins d'un banquet, car j'avais graud'faim. Elles firent du
café, qu'elles nous servirent après le repas.
A peine avions-nous fini de manger, que le tintement des clochettes
des vaches avertit Ambiôr et Marthe que l'heure de traire était venue.
Elles ôtèrent leurs belles chemises, les remplacèrent par leur tenue de
travail, remplirent leurs cornes de sel, et, prenant leurs seaux, furent
bientôt occupées avec leurs vingt-deux vaches laitières, qui étaient
revenues d'elles-mêmes du pâturage: les animaux reçurent du sel et se
couchèrent pendant quelque temps autour des huttes. Samson, mon
guide, alla loger mon cheval dans un saeter éloigné de trois milles, et
tenu par un homme; il avait été décidé que Paul ne pouvait pas s'y
arrêter, parce que ce saeter était malpropre, sans confort, et infesté de
puces.
Quand vint le soir, on procéda aux préparatifs du coucher. Les
fdles enlevèrent les barrières en bois du lit et étalèrent Therbe sèche,
sur laquelle elles étendirent les couvertures de laine ; nous nous cou-
châmes tous avec nos habits, mais nous ôtâmes nos souliers et nos bas-
Il n'y avait qu'un lit pour tous. Samson ronflait si fort, qu'il ne nous fut
pas possible de dormir; nous aurions voulu le voir dans l'autre saeter,
mais il nous fit rire toute la nuit. A quatre heures, nous fûmes réveillés
par les clochetles des vaches qui appelaient les filles pour venir les
traire.
La contrée environnante était belle; do l'autre coté du lac, on aper-
cevait Saucrflol, vaste plateau onduleux. L'aspect de la nature était
336
LE PAYS DU SOLEIL DE MINUIT
sévère, car la verdure ne venait donner ni couleur ni variété au paysage;
les lacs gisaient cachés au-dessous, dans les profondeurs, et les vallées,
à travers lesquelles serpentaient les courants liiluitaires ressemblaient
de loin à des ravins Idiliieux el smnlires sur ces immenses plateaux
rocheux. Une vue grandiose était celle de l'ouest, où les chaînes du
Vandal-Eggen, et des Nups-Eggen, s'élèvent à o,530 pieds; leurs pics
et quelques-uns des plateaux étaient couverts de neige, et les ravins en
paraissaient remi)lis.
Je demeurai i)iusieursjours au saeterDiôrn-Vand. parce queSamson
élail ;dlé vnii' ini de ses amis dans la niiiiil;igiie. .le passai le temps à
Le saiHer Oioin-Vaiul.
chasser et à errer seul dans cet espace sauvage ; Marthe et Ambiôr ne ces-
saient [)as de s'éliinncr que j'eusse Iraversé le grand Océan. Elles prirent
grand soin de inui, tout en n'él.inl pas salisfailes, car je ne buvais
ni ne mangeais assez à leur gré; quand je parlais le malin, il s'élevait
toujours nue discussion au sujet des provisions dont elles voulaient me
charger plus que de besoin. Quand j'étais prêt pour mon excursion de
la journée, elles me disaient : « Ayez soin de revenir avant le soir, car
vous auriez de grandes dilTicullés à tnaivcr voire chemin dans l'obscu-
rité! » et les deriuers mois (pu' j'entendais él.iicnl liuijdnrs : Vel-
konimnn lilbacje (Vous serez le liienvenu à votre retour]. Comme toutes
les lilles des saeters elles s'occupaient toute la journée. Quand je ren-
trais le soir, je les trouvais généralement réparant les filets, qu'elles
DEUX LETTRES DE SOUVENIR 337
allaiolit cnsuilc Iriiilcc à l'cniljoiiclnirt' du ]u'(it cours d'eau qui se
ji'lail dans le lac, afin d'y inciidi'c des Iriiilcs pour mon déjeuner du
lendemain. Frites dans le licnri'e, ces huiles me semblaient délicieuses.
Le soir du 8 août, le temps changea tout à coup, et le vent glacial
du nord souilla dans les interstices de la Imite. Il faisait si froid sur les
hautes montagnes que les vaches revinrent au saeter, qui était plus bas
et où il faisait beaucoup plus doux; les clochettes nous réveillèrent. Les
lillt's siirlireiil poiu' voir ce ipie cela Vdulail dire et comptèrent les vaches
afin de s'assurer (pruii iiurs n'était pas venu mettre le trouble dans le
troupeau. Le malin, nous nous aperçûmes (ju'unc gelée blanche couvrait
le soi.
Le jour de notre départ, ces demoiselles nous servirent un déjeuner
substantiel avec deux tasses de café. Marthe, qui avait remarqué que je
ne portais que des chaussettes en coton léger, insista }i(jur me donner
de gros bas de laine qu'elle me fit chausser en allant au lit. Ambiôr y
ajouta de gros gants et un fromage qu'il me fallut emporter. Elles tin-
rent à m'accompagner jusqu'au déversoir du lac, que je traversais à gué
lors de mes excursions de chaque jour. Nous nous séj)arâmes en cet en-
droit, et, lorsque je mis le pied dans l'eau, je glissai dans leurs mains un
peu d'argent, en les remerciant de leur amabilité, de leur hospitalité, et
de leur confiance en moi. « N'oubliez pas de venir nous voir. Nos pères
et mères, nos familles, seront heureux de vous recevoir. Bon voyage,
Paul, et que Dieu soit avec vous ! » tels furent leurs derniers mots. De-
puis, je suis allé dans leurs fermes et nous avons entretenu une corres-
pondance; seulement, depuis quelque temps, je n'ai plus de nouvelles
do Marthe; peut-être est-elle morte, ou suis-je oublié. — .l'ai été plu-
sieurs fois à la ferme d'Ambior, car elle se trouvait plutôt sur mon che-
min. La dernière lettre m'apprenait qu'elle était mariée. Qu'elle soit
heureuse, c'est le souhait sincère de son ami Paul.
Je clos ce chapitre en donnant au lecteur la Iradiiclinn d'une lettre
que j'ai reçue d'elle, et d'une autre de mon guide dans les montagnes.
Herr Paul du Guaillu. — J'ai reçu liici- ta ijoniie Jclln' du 21- ctécembre, avec
le présent qu'elle coutenait pour moi; acceptes-eu mes plus cordiaux remercie-
ments. J'ai vu aussi par ta letlie que tu te portes bien, ce qui me fait grand plai-
sir; je puis aussi l'assurer que, mes irens et moi, nous sommes tous dans notre
sanlé liabiluelle. Connue il s'était écoulé Ijeaucoup de temps sans nouvelles de loi,
2-2
338 LK PAYS DU SOLEIL DE MINUIT
jt' craignais que tu ne m'eusses entièrement oubliée, jusqu'à ce que j'eusse reçu
la première lettre du 9 novembre, pour laquelle je te remercie également du
lond iluro'ur, car ces lettres et le piéseut luouvent le contraire; tu excuseras ma
négligence à répondre à la première.
Je vois par tes lettres (pie lu as foi'uié le projet de venir ici au in'intemps (iro-
diain; je t'assure que j'allends ce moment avec inq)atience. l't tu me permettras de
le demander de m'iiirornier de l'époque on je de\r.\i t'atlendic.
lieniis les alTectuenx son\iMiiis de ton amie.
AiiBioiî ÂLsnoïTi^u.
Hehu Paul du (liiAlixr. — Niels 0. 0\erland. de Sonde, se sou\ieiit coidiale-
inent de toi ; c'est pourquoi je prends la plume pour l'informer de ma santé. Je
n'oublierai jamais le |ilaislr (pie nous avons en (piand nous étions ensemble aux
saeters deHaiiKelid. près Holdal. J'ai conservé connue somenir de ce temps le
petit pot d'étain que tu m'as donné. Maintenant je te dirai comme nouvelle que je
me suis marié le ^0 juin 1875, à la s(eur d'.\mbior, un peu plus âgée qu'elle et
qui ne se trouvait pas à la maison lorsque tn \ Ins. Elle était servante chez mes
parents de Sonde. Elle s'appelle Bertlie 0. Il \ a huil jouis, j'ai été a\ec mon lieau-
père à Ole-Yraalsey ; j'y ai vu le cadeau que tu as eii\o\é à Ambior. et j'ai lu ta
lettre. Je vois que tu as riiiteutlon de \isiler lioldal l'c'lé proiliain, et que tu au-
rais \oiilu venir l'aïuK'e passive mais (]iie tu en as été einpéi'JK'': aussi nous espérons
te voir l'été i)rocliain. el j'irai alors à Itoldal pour te parler. Dans le cas on lu
penserais venir à Ciiiistiania et où tu aurais besoin d'un guide sur la roule, j'irai
t'y trouver et je l'acconipagnerai à lioldal ; mais il faudra me dire à quelle époque
tu viendras. La famille d'ObvVraalsey m'a chargé de le faiic parxeiiir les compli-
ments de tous, el enlin Ambior t'envoie une foule de remerciements pour ton pré-
sent qu'(>lle conservera comme un cher souvenir de toi. Ma Koiic (femme) désire le
voir et le parler, de ce que tu as (■!('' si bon (suildi |)our sa so'iir Amiiior el lout(!
la famille. Ainiiior regrette de ne pas être revenue (i'iJdde à lioldal, [larcc qu'elle
aurait pu faire avec loi une excursion à Bergen. Je dois aussi te saluer de la part
de Helge II. liabjje, Niels H. Heggen, el du lensmand U. H. Juvel; tous souhai-
tent de te voir quand lu viendras à Roldal. Maintenant il faut que je cesse en te
saluant amicalement pour moi et pour ma femme. Écris-moi, cela me fera grand
plaisir.
Ton ami. Niels 0. Ovicur.ANn.
C H API TUE XXV
r.luistiaiiia. — Latitude de la ville. — Caiacléristiiiue de ses habitants. — .Maisons. — .Manière
de vivre. — Peuple hospitalier et lion. — l'oyers délicieux. — Société de Christiania. — Un
repas royal. — Convives distingués. — Écrivains norvégiens. — Le palais royal. — L'Uni-
versité. — Édilices publics. — Les environs de la ville. — Le liord Christiania. — Oscar
Hall. — Le Saeter l'rogner. — Sarabraten. — liépart de la ville.
Christiania est située à i'e.xtrénuté interne du iont; li rli;iiin;iiil lioid
de ce nom, au pied de collines boisées. L'automne était avancé lorstiue,
pour la première fois, j'entrai dans la capitale de la Norvège, bien des
mois après que j'avais mis le pieil en Scandinavie. J'étais fatigué de
mes excursions estivales. Dans les dernières semaines, le temps était
devenu si jiluvii'ux, (pic je brûlais de me refaire ilans une ville pendant
quelque temps. Je ])ris mes (|iiailifrs dans rexcclli'iil liotcl Vicloria,
toujours plein de touristes en été, mais désert en cette saison.
La ville est à une latiliidc de 06° .oo ; 3° 08 nord d'Edim-
bourg, et 1° lo, plus au nord que Dnncaiisliy, le point le plii.^
septentrional de l'Ecosse; elle renferme une popuialion de 116,000
âmes. C'est une cité prospère, dont l'importance augmente tous les
jours et qui est le siège du gouvernement norvégien. Le roi de Suéde
et de Norvège est tenu, d'après la Conslitiilion, d'y résilier trois mois
par ■.m.
340
LE PAYS DU SOLEIL DE MINUIT
L'étranger qui orro dans ses larges rues est frappé du maintien ferme
et méditatif des liai)itanls; c'est nn reflet du caractère national, qui
me rappela, sous ce rapport, Gôtcborg en Suéde. La ville u'oiïre pas de
traits particuliers; les maisons sont généralement enduites de stuc, pas
très hautes, couvertes en tuiles, et le peuple habile surtout aux étages
supérieurs ; mais, depuis queltpie temps, on a construit un grand noml)re
de villas, et, dans la partie neuve de l;i ville, on rencontre de beaux
jardins entourant des maisons, et quelques charmantes résidences
particulières. Tout offre un aspect de jjrospérilé et de confort; l'ordre
et la bonne tenue régnent partout. Le long des quais, les navires chargent
et déchargent continuellement leurs cargaisons, les steamers quittent la
ville à toutes les heures de la journée pour se rendre aux villes com-
merciales, aux marchés (pii se tienueiil sur la côte, ou dans les
ports lointains de l'Europe.
.l'aime à me rappeler (Ihrisliaiiia, ses habitants si bons et si hospi-
taliers, l'accueil franc et c()rdi;il ipie je reçus de mes amis norvégiens.
Les personnes à l'aise on! des goûts simples, vivent très confortable-
ment el aimeni l;i \ie de f;niiille. On égaie les longs hivers par des
réunions joyeuses; le patinage, le canotage, le traînage, les dîners, la
danse, la musique aident à passer agréablement la mauvaise saison.
La société est aimable. Les dames, comme leurs congénères
suédoises, sont bien élevées, habiles dans l'usage des langues étrangères,
très attrayantes, sini|»lrs dans li'ur loili'lle, en un mot charmantes. Les
genlli'uu'ii sohl coi'diaux, polis, obligcauls; il y a dans leur tenue une
liberté el uni' viiililé ipii nToiil loujoiii-s phi. Uc n"i'sl (pic ipiaiid on
est admis chez eux, el non ijuaiid on ne les voil ipie de temps à autre;
ce n'est (|ue quand ils vous trailenl en ami, que l'on peut se faire une
juste idée des nobles et belles cpialités du caractère norvégien.
.l'ai n'iiconlié lii'aiiriiii|i d'hommes inslrnils, ipii ont toujours été
prêts à me servir et à me donner loiis les reiiseigneini'uls donl j'avais
besoin, sans se soucier de l'ennui ou de l'embarras ipie j)ouvait leur
occasionner ma demande. L'un m'envoyait un ouvrage ipi'il croyait
pouvoir m'èlre utile, l'autre une carte, celui-ci des statistiipies gunver-
nementalcs, médisant où je devais aller, soit dansdes buts scienliliipies,
ou pour éliiilirr la vie du peuple ifalk-lir), ou [imir voir qiirhpie scène
mngiiiliipie; chaipie fois qiir je parlais, on nrapporlail des Icllres |ionr
LA SOCIETE DE CIII{IST[ANIA 3il
des amis ou des parents, aliii iiue je fusse liien accueilli parloui. Si
une personne n'avait aucune relalion dans un district où je devais aller,
elle courait chez une de ses connaissances lui demander pour moi des
lettres d introduction. Le lendemain di' mon arrivée, j'allai remettre
celles que j'avais précieusement conservées. Elle m'ouvraient les portes
de bien des maisons où je fus accueilli à liras ouverts et reçu avec
beaucoup de bonté. .l'eus bientôt fait des amis, et, pendant les ipiinze
jours que je séjournai ici, j'appris ;i connaître ce qu'est riios[ii-
talité à Christiania.
Ma [iremiére visite fut pour le consul Tho. Jos. Hefige (pii me combla
d'obligeances, avant même ([ue je ne l'eusse vu. Le consul est un habile
financier, (pii a écrit plusieurs ouviages sur les finances; homme de
vastes connaissances et de vues liirurs, malgré ses immenses affaires de
banque, il trouve toujours le temps d'être servial)le à un ami. C'est le
président et l'un des cinq directeurs de la Tnrist Fôrening (Société des
Touristes), cpiia pouroltjel de donnerau peuple le goût des explorations
montagnardes. On compte parmi ses membres le roi et la famille royale.
Le consul est un infatigable gravisseur et explorateur de montagnes;
dans maints districts son nom est connu de Ions; on l'aime à cause
de sa géniale bonté, de ses manières simples et sans ostentation; et
j'ai souvent entendu des bouder, dire en me montrant sa photographie ;
« Voilà un homme qui n'est pas fier. »
Personnellement, je lui dois une reconnaissance infinie pour ses
bontés, son amitié et ses utiles renseignements. « Vous dînez avec moi
demain, me dit-il, et nous causerons de ce que vous voulez faire; en
même temps, je vous présenterai à des savants et autres gentlemen dont
je désire que vous fassiez la connaissance. » Si j'avais eu l'idée que l'on
ne faisait pas à Christiania de réception splendide, j'aurais été bientôt
désabusé. La grande et belle maison du consul est entourée d'acres
de terrains bien cultivés d'où l'on a une vue magnifique du iiord
Christiania. Je montai un large escalier, au milieu d'une petite forêt de
plantes tropicales, et de buissons en fieurs qui me rappelèrent les cli-
mats les plus chauds. Les effets de lumière étaient superbes. On m'in-
troduisit dans un grand salon et mon hôte me présenta à sa charmante
femme, puis à la nombreuse société d'hommes distingués (pi'il avait
invités : professeurs de l'Université, écrivains, journalistes, savants.
342 LE PAYS DU SOLEIL DE MINUIT
ol'lii'iors de l'aniU'C et tic la ilullo, (•(iiisuls (■trangors, membres du Slor-
tliiiig, ecclésiastiques, etc. Plus de qiiaianle convives prirent place à
un somptueux banquet. C'était un repas royal. Après le potage, on
remplit les verres, et Thôte portant les yeux tout autour de la table,
dit : Velhommen til bonlet (Vous êtes les bienvenus à ma table),
manière usuelle de saluer les invités. Telle fut ma première introduc-
tion dans la capitale. Ma seconde réception eut lieu chez un manufac-
turier distingué, Halvor Schou, liomme aussi fort riche et très respecté
de ses concitoyens.
Ceux qui m'accueillirent les premiers furent les savants amis que
j'avais précédemment rencontrés dans le Nord; entre autres, Peter-
Christian Asbiornsen, l'un des écrivains les plus distingués de la Nor-
vège, dont le nom est familier dans le cottage du montagnard, dans
la cabine des pêcheurs, aussi liien ipie dans la demeure du riche; car,
quel Norvégien ne connaît son « Folke Evenlvr», son » Huldre Even-
tyr », et beaucoup d'autres de ses contes, où sont si bien racontées les
vieilles traditions du peuple? En outre, il a écrit sur l'éducation, sur
l'art forestier, et sur bien d'autres sujets. Peu d'hommes de ce pays sont
plus respectés que lui; mais aussi peu de personnes ont voyagé autant
que lui en Norvège; son énergie est élonuanle, en dépit de ses soixante-
deux ans et de sa corpulence. Il a beaucoup pairouru l'Europe, et
maintenant il fait tous les ans des milliers de milles dans son pays
natal. Sa bonté l'engagea tout d'abord à chercher en quoi il pourrait
m'être utile dans mes voyages en son pays, et ses lettres m'ont été fort
précieuses. Il est, sous bien des rajtports, le type parfait du Normand
(Norvégien). Un autre de ses collègues voyageur en Laponie, le pro-
fesseur J. A. Friis, a bien voulu nu^ donner des idiotographies poiu'
illustrer mon ouvrage.
Les édifices publics ne sont pas rcniaiipialilcs par leur beauté
architecturale. Le palais, bâti sur trois cotés d'un carré, est pitto-
rosipicmcul situé au milieu de terrains agréables. Le bâtiment de
l'Université, qui est massif, contient mie belle bibliothèque, un nuisèe
zoologique et gèologi(|ue. La colleilioii d'antiiiuilés septentrionales
n'est pas vaste, mais elle reid'ernie des sjiécimens très rares et très pré-
cieux, parmi lesipiels se trouvent des ornements d'or et d'argent portés
par les anciens habitants à l'époqui' païeiuie, et des monnaies remar-
LA HESIDENCE D'ETE DU ROI ;ii'}
qiiaLlcs. Dans les galeries de peinture nalionaie, on voit des paysages
de toute beauté, œuvres d'artistes norvégiens, dont quelques-uns ont
obtenu une célébrité universelle.
Le Stortliiug est un bel édiiiee, faisanl face au s(piare Charles-Jean,
la plus belle place de Clirisliania. La promenade la plus agréable est
au château d'Agerhuus, (|ui défend rapproche de Christiania; on a
l'ait de ses remparts des allées délicieuses et admirablement ombragées.
La ville renferme de très beaux magasins; ceux des orfèvres argentiers
sont particulièrement lenlanls; l'étranger y trouve de superbes objets
qu'il achète pour emporter chez lui. Les hôtels sont nombreux mais dis-
pendieux. Les écoles publiipies et autres institutions font honneur à la
ville. Les environs sont étendus et fort beaux; le fiord est pointillé
d'îles et ses bords contiennent des villas, des bois ravissants, et des
campagnes riantes. Des routes carrossables conduisent à des endroits
charmants, sauvages et i-elirés; les grandes rouies (pii mènent à la
campagne |)asseiil pu' des paysages de hiule beauté. Le fiord
Christiania a environ 70 milles de long; mais l'étranger qui ne va
pas plus loin (|ue Clirisliania ne peut concevoir la grandeur des fiords
norvégiens.
Oscar's Hall, résidence d'élé du roi, est à une courte dislance de la
ville, sin- le bord du lioid. Il s'y trouve des peintures de Tidemand, il-
lustration de la vie du ])aysan en Norvège, ([ui son! remarquables.
Le saeler Frogner, à 1 ,700 pieds au-dessus île la mer, appartenant
au consul Heftye, n'est qu'à queh[ues milles de la 'ville. De là, on jouit
d'un superbe panorama du fiord, s'étendant jus([u'à la mer, et si l'on
regarde dans la direction opposée, on olilienl la même vue aussi
étendue. On en appi'orlie en Iraversant une grande el sondjre forêt par
une roule conslruile aux frais du propi-iélaire. Sarabràlen, situé dans
une région sauvage, dominant un lac pitlores(pie, est un lieu romantique,
appartenant au même propriétaire, dont l'amour pour les scènes
sauvages l'a engagé à bâtir dans ces endroits des maisons comme celles
que l'on construisait aux lenqis anciens. .Je puis dire avoir passé de
l)(dles journées au saeter Frogi\er et à Sarabràlen. Une communicalion
directe i)ar chemin de fer existe avec Stockholm l't Trondhjem. Les
moyens de sortie de la ville sont divers. En été, les touristes préfèrent
sénéralement vovasïer en carriole. De confortables steamers iiartent
■Ail
LE PAYS DU SOLEIL DE MINUIT
joiinielleiuent pour le'S diiït'iviilos pailics du fionl ol pour Frcilt'rikss-
tad, près de laquelle on voit la lielle chute d"eau, la Sarps foss. Ceux
qui désirenl l'aire un i)lus long voyage, et voir les scènes de la côte,
doivent prendre les vapeurs qui vont à Bergen ou au cap Nord.
Le l'asvig.
iiivière la jilus seiitiMilrionsIe d'Eurojie.
CHAPITRE XXVI
l/ilc (le Gollanil. — Wisby. — Son nncieiine imporlance fommerciale. — Saga sur l'ilp. —
Restes des anciens temps. — Pierres eommémoratives. — Les anciens liabitaiits wikings. —
Fortifications et ruines de Wisby. — Son ancienne prospérité et sa chute. — Vieilles mon-
naies. — Marchands princiers. — Églises. — La crypte île Saint-Gr'iran (Saint-Georges). —
Saint-Lars. — Saint-Mcolas. — Ruines. — Excursions dans l'ile. — .N'onibreuses églises.
— Un pays fertile.
Un autre liiver était passé; le beau temps reparaissait, le soleil
devenait plus chaud chaque juur, (pioitiue l'air fût piquant; la végéta-
lion semlilait plus avancée que Tannée précédente. Les bords méridio-
naux de la Suède sur la Baltique étaient, revêtus d'un manteau printa-
iiier; les oiseaux et les liirondelles revenaient, et l'on entendait déjà
dans les bocages, près de la mer, le ramage du rossignol. Les jours
grandissaient à vue d'œil, le soleil se levait vers trois heures et les
longs crépuscules ajoutaient au charme du malin et du soir.
Le 22 mai, je naviguais de nouveau sur la Baltique; au loin, les
contours adoucis d'une île s'élevaient au-dessus de la mer, — c'était
Golland. En approchant, la vue devint belle; la ligne étendue était
marquée par de jaunes falaises calcaires, ponctuées de bois sombres, de
fermes bien tenues et de moulins à vent ; l'ancienne ville de Wisby,
avec ses murs massifs ruinés, sur lesquels de vieilles tours se dres-
346 LE PAYS DU SOLEIL DE MINUIT
saienl comme des sentinelles et semblaient veiller sur la place comme
aux jours anliciues, et legardei la mer avec défiance. La ville s'élève
en forme d'am|)liithéàtre ; les blanches maisons aux formes bizarres, et
les ruines des églises, en partie cachées par des liduipiets d'arbres, fai-
saient paraître l'endroil plus vénérable encore au grand soleil.
Gotland, l'ile la plus importante de la Balli(iue, est située entre le
56° 53', et le 58° de latitude, presipie au milieu de la mer, en face de la
province russe de Courtaude et de la Siualand suédoise. Elle se
rapproche davantage de la côte de Suède avec larpielle elle court jtaral-
lèlement. Celte île fid autrefois le siège d'une grande puissance,
l'entrepcM principal du commerce de l'Europe septentrionale, et elle
n'avait point de rivale.
La date de son étaljlissement se ])erd dans la luiit des temps, et le
seul souvenir que nous ayons de son histoire se trouve dans le « Gotlands
lagarne. "que l'on croit être un supplément auxloisdupays. On suppose
que cette « saga » a été écrite vers l'an 1200, dans la vieille langue
gotlaniIi(pH\ Gotland ou Gutland, signifie la terre de Gotarne ou Gu-
tarne (des Gotlis), si l'on croit (pie ces colons appartinrent à la race
qui vint de la mer Noire, déborda sur la Germanie et s'établit dans la
partie méridionale de la Suède et en Norvège.
Aux temps anciens, dit la « saga », une belle île basse et obscure flot-
lait sur la meri)endanl la nuit el le peuple la voyait en naviguant çàet là;
mais, le matin, au lever du soleil, elle disparaissait sons les vagues
pour reparaître avec le soir, tlottant à la surfice de l'Oslersjnn (Balti-
que). Personne n'osait y al)order, bien que la croyance générale prélen-
dit qu'elle se fixerait si on y allumait du feu. Enlin Thielvar ou Thial-
fer, y débarqua avec ses hommes, et y alluma du feu. L'île devint sta-
tionnaire, et anjouni'hui une baie s'appelle Thielvarvik, el l'on
suppose qu'un monceau de pierics, ipii en est pmche, couvre la toudje
deTliielvar; mais la saga ne dit pas à (prelle époi|iie il y aborda ni
d'où il venait.
Celte saga rapporle encore qu'ensuile la |iii|iiilalion s'accrut lelle-
meul, (jue le pays ne pouvait plus la nourrir; on lira au soit el chatpie
troisième sortant fut obligé de partir. Ils refusèrent d'obéir et se forli-
fièrent dans un lieu nommé Tliorsburg, d'où ils furent expulsés; ils
allèrent à F;ln"i, d'où on les chassa encore; ils conslrnisiicnl une villi> à
RUINES ANTIQUES 317
Dogu; mais il n'y denieurèreiil pns longtemps avant d'en être expulsés
de nouveau; enfin ils se rendirent sur la rivière Diina, en Russie, et
voyagèrent jusqu'à ce (pi'ils lussent arrivés dans l'empire byzantin,
sur la mer Noire !
Les premiers habilanls de Gotland étaient païens et olïraient des
sacrifices humains dans des liocages sacrés, sur les hauteurs. Ils
croyaient à Thor et à Odiii, et bien des noms de fermes et de lieux rap-
pellent encore aujourd'hui les dieux et déesses de laWalhalla. Le mot
toiHierre, dans la langue de Gollaud, veut certainement dire Tlntr
(Dieu du Tonnerre), (|ui, lors([u'il était en colère, fiappait de terreur les
géants qui habitaient le septentrion.
L'ile est un des endroits du Nord les plus riches en restes des
anciens temps, surtout la côte de l'est, où l'on voit de nombreux mon-
ticules funéraires, ou lumuli, débris en firme de vaisseau, appelés
■slunkers. Un nombre infini d'anliipiités découvertes dans la terre,
prouvent (pie la piraterie et le commerce étaient les occupations princi-
jiales des habitants, qui s'enrichirent par le pillage. On n'a trouvé que
]>eu de restes des âges de la pierre et du bronze; la plupart de ceux
(jue l'on a déterrés proviennent de l'âge du fer. Parmi les plus inté-
ressants, sont les pierres commémoralives piulanl des nianpies gros-
sières, re[)résentant un bateau de Wikings, avec mâts et voUes et une
proue élevée; des hommes sur le pont semblent comlialtre; au-des-
siius, on voit des figincs d'hommes et d'animaux, mais si grossière-
ment faites, qu'il est difficile de les reconnaître.
L'un des délices de l'étranger qui voyage en celte île est de trouver
partout ces témoignages du passé datant soit de l'époque païenne, soit
des premiers temps du christianisme.
Les tumuli, ou lombes les plus anti(pies, comme celles que l'on
voit en face, en Ostei'gotland, et dans la jiartie méridionale de la Scan-
dinavie, sont très clairsemés en Gotland; il n'y en a que deux. Ici, le
plus grand nondjre de lombes sont des amas de petits blocs, au milieu
desquels une urne d'argile conticnl des cendres. A côté des urnes,
on trouve souvent du (diarbon et des os brûlés. On ne découvre que
bien peu de squ(dettes noirs incinérés. Les tumuli de pierre sont par-
fois entourés d'une rangée simple ou double de pierres rondes. De
petites lombes sont feites de quatre dalles, avec une urne renfermant
348
LE PAYS Dr SOLEIL DE MINUIT
des cendres. 11 y a des lalilcllrs. avec des raradèrps riiiiiqiies ; mais
récriture est tellement elïacée (|iic l'on ne lient les lire. Ces pierres
gravées sont en très j;r;nid nombre. Ou les Inuive debout ou renver-
sées; ce furent |uobablciiiciil des pierres commémoialives placées sur
les lombes. On reiiconlre aussi des croir counnémoratives, apparte-
nant à la période cliréiieiuie; elles dateni du xiv" el du xv' siècle, et
portent des caractères rnni(pies. On voit aussi lieauconp d'anciennes
Les imirs ilo VN'ishv.
forlillcalions, avec une mniaillc ronde en lerre, ou enlourées de
pierres brutes.
Aulrefdis sans ddulc 1rs liabilauls de l'Ile, c(uuine ceux de la
Norvège, du Danciiiark, de la Suéde cl lic la cùlc uricnlale de la
Baltique, consistaient principalemeid en Wikings, (pii lireid de
longues et dangereuses expéditions; les souvenirs laissés par eux sur
l'ile indi(]uent ([ue tous l'urenl de la même race. Mais les Gollandais,
étant devenus riches , excitèrent l'envie des pirates ou des chefs
voisins des rivages di' la ]{alli(pie; aussi curent-ils à soutenir des
guerres continuelles.
On est toujours impressionné quand on visite de 'vieilles ruines.
Il est rai'c ipie l'iui suit liMilé de i-ii'c ipiand lui erre sous ces nuus (pii
r.RANDfirn et décadence de wisby 349
s'effritont, on |i,iinii les pilifi-s (''(■rmil{''s (|iii oui luUr contre les
siècles et (|iii liiiii'eiit p.'ir siiccoinher. Ils reiideiit sérieux, car ils
l'ont penser :i la petitesse de l'Iiomnie; l'ii sent que ceux qui les ont
bàlis, moris depuis lon,c:temps, étaient de même nature que nous;
il ne nous es! pas dil'liciic d'imaginer les scènes de la vie dont ils
l'nrfiil autrefois les témoins: mais le silence sépulcral (]iii envi-
ronne le spectateur ini|ii-inie le respeci el la tristesse. Selon toute
apparence, les fortificalions el les vieilles éiilises de Wisby ont été
construites en jiierres tirées des carrières creusées sous la ville, dont
l'aspect, quaiul ou erre dans ses rues, est étrange. Parmi les plus
modernes bâtiments et cottages, apjtarail çà et là une vieille maison
lianséatique, ou un magasin de forme ancienne, aux murs croulants,
couverts de lierre et dominés par des tilleuls, des noyers, des mûriers
et des ormes. Des ruines )iittoresques datant de plusieurs siècles et
des cimelières silencieux se mêlent anx demeures des vivants, qui ne
se font aucun scrupule de construire les porcbes de leurs maisons
avec des pierres tumulaires portant des noms gravés, des inscrip-
tions bizarres, ou des sculptures fantastiques.
La période de fondation de la ville, de même que l'établis-
sement dans l'île, es! incerlaine; mais, qn(dle ipi'ait pu être son
bistoirc primitive, elle eut, anx x", xi' et xn" siècles, une grande
importance commerciale , et entretini ini trafic très étendu avec les
commerçanis d'Angleterre, de Hollande, de Russie, de France, delà
Méditerranée et d'aiihes parties de l'Europe. En 1237, le roi d'An-
gleterre, Henry HI, permit aux Gotlandais d'importer ou d'exporter
des marchandises sans payer de di'oils. Les marchands devinrent énor-
mément riches et eurent des rajqiorts d'affaires avec l'.Vsie et différentes
contrées d'Europe. Tous les négociants du monde étaient admis dans
les murs de Wisby. A cette épo(|ue, le trafic de l'Inde, de la Perse, et
des autres [)arties de l'Asie, se faisait [)ar le Volga jusipi'à Novgorod,
et le commerce s'accrut lors des guerres avec l'Oricnl. La richesse du
peuple devint fabuleuse et la manie de bâtir des églises commença.
La ville eut une carrière féconde en évéïn'inenls : idle dut soulenir
liien des sièges el fui mise à sac. Les mnrs exislani aujourd'hui on!
été édifiés en 1288 ; trente-six loiu's on! éli' éle\ée>|iar les halulants de
l'ile, chaque tiiiy (conilé ou |>aroisse)en consiruisil une. Les murs étaient
3o0 LE PAYS DL' SOLEIL DE MINLIT
perci's (le meurtrières, et deux tours li.ird.iicnl ch.Knie entrée. Un voit
encore les restes des gargouilles |i:ir lesi|uelles la garnison [touvail
lancer de l'huile liouillanle, de l'eau chaude, ou du [)lonilj fondu sur
renneiui. Outre ces murs et ces tours, trois fossés étaient creusés à
l'extérieur. Il reste vingt-huit tours dont l)eaucou|) ont de GO à 70 pieds
de haut, et de plus |)etites se dressent encore eidre elles.
Ln ville comi»tait autrefois plus de douze mille bourgeois, et des
quanlilés d'artisans habitaient hors des murs ipiand la [ilace devint
trop petite pour les contenir. La cité était aloi-s indépendante; elle
battait monnaie et levait ses propres forces militaires.
L'île est surtout riche en vieilles médailles. En 1870, à Sindarve,
dans Hemsô, on en a trouvé, dans une seule place, au moins quinze
cents, pesant plus de dix livres; c'étaient des monnaies impériales
de la partie occidentale de l'empire romain, en argent, dont la plupart
y dataient du premier siècle du Ciu'ist. Petites et épaisses, (dles poitaieid
des images bien découpées d'emiiereurs et d'impératrices; on les
appelait denarii. On trouve souveid d'autres coins, très usés, ce (pii
prouve le long usage (jue l'on en avait fait avant qu'ils fussent enterrés.
En quelques endroits, on a découvert des pièces romaines eu or,
appelées solidi, mais jamais plus de 40 ou 50 ensemble, et généralement
elles datent du iv' el du v' siècle. On a aussi mis à joiu' une grande
quantité de coins kuli(pn's, venant de Kufa, Bagdag, Samarcande,
Bokliara et d'autres villes de l'Asie; ils sont en général grands et ronds,
sans elligies, et couverts des deux cotés d'inscriptions arabes; on
en a déterré {dus de dix mille dans l'île; les plus anciens sont du
\\f et les plus récents du x' sié( le. Des monnaies anglaises, avec
des ligure de rois mal exécutées, iW^ ix' et x' siècles, et un grand
nombi-e de [lièces allemandes, ainsi (pu- d'antres représentant des
évèqnes, des villes, etc. soid de la période ci-dessus.
J'ai acheté une pièce d'argent (pi'nn fermier venait de trouver en
labourant; elle porte l'image de l'empereur Commode, fils de Maixuis,
qui monta sur le trùne en 1 80 après .I.-G. et mourut en 1 92. On a exhumé
des ornements précieux, consistant en liagin's unies el onvragées';des
anneaux pour le col el les bras, en argent el en or, el (|nel(|iierois décorés
de perles; des bijoux de bronze; des boucles de cliairssure; des cein-
tures avec ligures; des épingles à cheveux; des lingots d'(M- et d'argent
GOTLANDAIS ET DANOIS 331
pirls à rlit' li'aiisformés en luuiiniiic, et serv.iiil itrokiblenuMil comme
types de valeur; des cidliei'S d"aiidiiv. de veirc cl d'ari^ile de toutes
couleurs; des pei^tiies d'ivoire et Ijeaucoup il'autres objets.
On a conservé aussi des sceaux de corporations autrefois i)uissanles
et portant le nom d'un saint patron.
La ville, au moment de sa plus haute prospérité, possédait dans ses
murs non muiiis de quinze églises et deux couvents; hors des murs,
une é'dise et un monastère de religieuses; beaucoup ont été construites
par lies marchands étrangers résidant en ville. Pendant les xf et xii" siè-
cles, jilus de cent églises furent érigées dans lile; presque toutes exis-
tent encore et Ton y célèbre le service divin; il en est dont l'architec-
hire est Inrt Indle.
Cette ville remarquable fut assiégée plusieurs fois, car sa richesse
priivoijua l'envie de puissants voisins. Malgré ses fortifications, Wisljy
lui prise d'assaut en 1301, par Waldemar 111, de Danemark : depuis
longtemps, l'ancien traité était devenu lettre morte, et la Suéde ne put
rien contre la puissance du Danemark. Le pillage fut énorme; les orne-
luenls d'or et d'argent îles églises en formèrent une grande [lartie.
Waldemar entra dans la ville [)ar une brèche faite à la porte du Sud,
près de laquelle on voit une croix, élevée en mémoire de ceux qui fu-
rent tués pendant ce siège, avec l'inscription latine encore lisible, dont
Voici kl traduction :
« L'an 1301, après la Saint-Jean, les Gotlainlais tombèrent devant
les portes de Wisby, fi'appés par la main des Danois. Ils sont enterrés
ici. Priez pour eux! »
xMais le butin qu'emporta le roi victorieux n'arriva pas en Dane-
mark; les vaisseaux qui le portaient sombrèrent dans une tempête
auprès de lile de Carlsô.
Leâ ruines racontent l'histoire de la grandeui' et de la décadence de
1,1 ville et iap|ii'llenl l'instabilité des choses humaines. Il y eut un temps,
ïians doute, oit les marchands princiers de Wisby Crurent que la gran-
deur de leur cité durerait toujours et que ses richesses ne feraient que
s'accroître; mais ces rêves sont évanouis depuis longtemps. Les peuples
de ces jours sont oubliés; ils gisent inconnus depuis des siècles sous
les [lierres tumulaires ou sous le gazon des cimetières. Les souvenirs du
passé n'ont point de récit qui raconte le trafic et les fêtes des anciens
332
LE PAYS DU SOLEIL DE MINUIT
temps; mais les pages de l'Iiisloiiv el les annales des mines croulantes
démontreiil que Wishy lui une des villes commerçantes les plus fa-
meuses du moyen âge en Europe.
Errons un peu mainlenant au milieu de cette étrange ville, res-
pirons les i)arl'ums des cerisiers, des pruniers et des pommiers en
Heurs; promenons-nous dans ces liabitations el ces magasins lian-
séali(pies, autrefois résidences des gouverneurs danois, ou propriétés
de riches marchands; (pielques-unes sont encore eultonélat; d'autres,
délabrées, semblent gémir sur les bons momenls du passé; entrons
Cioix commémoiatives.
dans ces maisons pavées d'anciennes dalles, autrefois pierres tumn-
laires, sur lesquelles sont gravées des armoiries, des monogrammes,
des inscriptions avec dates et rôles; dans ces humbles cottages aux
teiièlres envahies |iar des piaules grimpantes, des arbustes et des
fleurs; dans ces jardins, au milieu de ces vieux murs bi'auianls, cou-
verts d'un lierre plusieurs fois séculaire, de glycines qui tombent en
festons gracieux; passons sous les branches des tilleuls, des ormes,
des noyers, des érables, des nuiriers, et d'autres arbres. Au delà des
nuus cl des tours ap|iaiMisscnt, avec la mer à l'arriére-plau, des
bateaux de pècheiii's érlidués sur la ])lage du pclil purl de AVisby. Des
aigles de nif'r volent siu' l'eau, guettant leur proie, et 1' uleml les
cris perçants des mouettes. Sur le front des falaises, les vagues ont
creusé des grottes qui, pendant les chaudes journées de juillet, devien-
nent les rendez-vous favoris de ceux qui aiment la vue de la mer.
ijaint-î.anroMl.
23
LES EGLISES Di: r.dTF^AND 3oo
L'uiiP (les plus licllcs l'iiiiu's do la ville est celle de Sainte-Ca-
therine érigée jiar les moines franciscains vers 1233, rebâtie plus
lard en couvent.
Le corps de l'église est un carré oldong avec douze piliers octo-
gones sur deux rangs et un cliœur pentagone. Oiiginairement, l'édi-
fice avait été construit dans le style roman; mais, depuis, on l'a
transformé en style ogival. Le tint est enlevé et il ne reste que des
arceaux (pu semblent sur le point de s'écrouler. L'herbe pousse par
terre, la plupart des dalles ayant été enlevées pour faire des seuils
de porte; mais j'en ai remarqué une sur laquelle était ciselée la
figure d'un prêtre qui tient en main un calice portant la date de
1380. Sous la partie méridionale de l'église, il y a une petite
crypte. V
Du sommet de l'église ruinée du Saint-Esprit, datant du xni" siè-
cle, on a un(> lielle vue sur d'autres ruines et sur l'extérieur de
l'église de Saint-George dont la partie basse a 84 pieds de long sur
47 de large, soutenue par quatre piliers d'environ 14 pieds de
haut; les fenêtres et les portes sont en plein ceintre. La partie
supérieure repose sur (piaire piliers ronds de 10 pieds de haut,
et de là jiart un escalier qui coiidnil an toit ; les murs sont percés
de profondes crevasses causées, dil-on, par un tremblement
de terre survenu en 1.540. Derrière cette église est l'iKjpilal de la
paroisse.
Non loin du Saint-Esprit, on voit les ruines de Saint-Laurent
et de la Sainte-Trinité, éloignées l'une de l'aulre de vingt à trente
yards. Saint-Laurent a été construite sous la forme d'une croix
grecque, et, comme ses voisines, appartient au milieu du xii° siècle.
Une autre église, du même style architectural, se trouve encore en
Golland. Intérieurement elle a 106 pieds de long, sur 76 de large.
Le long du mur extérieur régne une galerie (pii s'étend sur Irois cù-
tés, et à hupiclle (in alioulit par deux escaliers séparés; les arceaux
sont ronds. On dit que Saint-Laurent est d'un demi-siècle plus âgée
que la Sainfe-Trinitè. Santa-Maria a été consacrée, àce(iue l'on croit,
en 122o; c'est la seule église de Wisby, où l'on célèbre un service
|udjlic. Elle a 173 pieds de long sur 73 de large; elle est pavée d'an-
ciennes dalles de dilférentes périodes, oùsontinsrrilsdesmonogram-
3S6
LE PAYS DU SULKIL DR MINUIT
mes, des caractères runiques, tics inscriplions latines, datant du
xif au xv" siècle, en vieux gotland. en allemand, en hollandais et en
danois. C'est la dernière demeure de plusieurs importants person-
nages qui se rattachent à l'histoire du Gotland. et, parmi eux, de Phi-
lippe Axelson Thotl. gouverneur danois de l'ile à cette époque,
mort en 1464. En face de l'autel, j'ai vu trois fort Itpaux spécimens
Kglisc du Sainl-Esjiiil.
de ces dalles ; il isl regrellahlc de se dire (|iii' j'usiu'i' conliniiclli' à
laquelle ('lies son! e\|ii)séi's. (inira |)ar eil'ai'cr graduellemenl Iciu's anti-
ques dessins. Dans le cimetière, (piel(|ues tombes dalenl de i'Mm à
1400: il en est (|ui ont servi plusieurs fois, ainsi (pie cela ressort de
la succession des dates. Au|)rès de l'église, on aperçoit les restes
d'une baleine, i|ue. dans les premiers temps, on a ciiis èliv ceux d'une
vierge géanle ipii aniail ((inslruil l'èdilice. .le deniandai ;mi ddcleni' —
mon <-icéi-oni'. ipiel élail le mauvais plaisaiil (pii avail dsé suggérer
que ces os étaient ceux d'une baleine : <■ Pus d'aulic (pie Linnée. »
me répondil-il. Dans les vieilles chroiii(pies. on rapporle (pie, près de
Église Saint-.Mcolas.
y
ENVIRONS DE WISBY 3S9
VVisby, on prit, un poisson cpii criait comme un homme ; que tous ceux
qui l'entendirent et le virent en furent émerveillés, et qu'on le suspen-
dit à l'église de Sainte-Marie.
De Sainte-Marie j'allai à Saint-Nicolas, construit vers 1240. C'est
une belle ruine (|ui était la plus ,unindo église de Wisby. Elle
appartenait aux dominicains. C'est un mélange de style roman et ogi-
val; la largeur interne est de G5 pietls, et la largeur de 199; dix pi-
liers carrés, dont deux endommagés, sont encore debout. Le bâtiment
principal a 22 fenêtres ; du côté de l'ouest il y en a trois très gracieu-
sement placées.
Parmi les églises dont il reste à peine un vestige, il faut citer
Sainte-Gertrude, construite par les marchands de Hollande, située au
sud-est de Saint-Nicolas; sa longueur était d'environ 0.5 pieds, et
sa largeur de 23.
Saint-Jean est une des plus anciennes et des plus grandes de Wisby.
C'est l'église dans laquelle le premier pasieur [troteslant prêcha, vers
1525; à peine en reste-t-il quelque chose. Saint-Jacob et Saint-
Michel ont été entièrement détruites.
J'errai de ruine en ruine jusqu'à ce que je les eusse toutes
examinées, et, finalement, je me retrouvai auprès des gris et som-
bres murs, auprès des tours dont chacune a son histoire. Les rint/-
imircn (fortifications et murs) (jui entouraient toute la ville, déter-
minaient une surface de 135 tunnland (environ 170 acres).
Quittant Wisljy par la vieille Norreport (porte du Nord) flanquée
des deux tours élevées pour la défendre, je me dirigeai vers la
campagne. Des routes se croisent dans toutes les directions, en
sorte que l'on peut aller partout où l'on veut. Quelques fermes
semblaient bien aménagées ; mais la population, en majorité, habite
de petites maisons plâtrées. Le blé d'hiver (sarrazin) et le seigle
venaient bien, et tout le momie était occupé dans les champs ;
beaucoup de fermiers plantaient des pommes de terre. La contrée
est belle dans beaucoup de districts. Les maisons étaient petites et
blanches, avec des toits pointus et les fenêtres garnies de plantes.
Les jardins et vergers, les champs et piairies, les plantations de
houblon qui les entourent, prouvaient (jue les fermiers étaient en
bonne position. Ici, le pays est très morcelé, et les propriétaires
360
LE PAYS DU SOLEIL DE MIXIIT
font rendre à leurs petils domaines tout ce (iifils peuvent pro-
duire.
De temps à autre, nous arrivions à l'une de ces gracieuses églises
dont l'île est si riche. Tout est si calme et si paisible autour d'elles,
que l'on voudrait y reposer quand on aura IV'i'mé les yeux fiour jamais.
Kglisc (le Ci.iiik', clans lile dr linthiinl.
Les lilas en pleine lloraison. 1rs violettes au milieu de riierbe, les
champs verdoyants et les prairies, l(tiit ajoutait au cliarmr de la prome-
nade; plusieurs chênes magniliipics poussaient au bord du chemin, et
les prunuMs, les cerisiers, les poiriers et les pommiers élalaient les
couleurs délicates de leurs lleiiis. Le priiileni|is semble commencer ici
a peu prés à la même ép(i(|ue (|n";i ^■e\v-^(H•k. dans les années ordi-
LA MILICE DU PAYS 361
naires. On Iroiive dans lieaucoup de dislricts le bouleaii, le chêne,
l'orme, le frêne, le noisetier, le peuplier, le sorbier et le tremble; au
sud, le noyer et le mûrier prospèrent.
Les fermiers étaient à la charrue, et les oiseaux les suivaient dans
les sillons pour se régaler de vers. Presque toutes les maisons de ferme
étaient propres mais petites. Chaque fermier a une marque particulière ;
les instruments aratoires el autres en sont estampillés. On appelle cette
vieille coutume Bo-marken, et loiiles les familles ont hérité de leurs
ancêtres de cette marque distinctive. Les paroisses ont X^m Bo-marke.
Le long- de la route, dans plusieurs endroits, la chaux affleure le sol.
Nous traversâmes des forêts de sapins, de pins, de frênes, el de quelques
chênes, et nous rencontrâmes, de temps à autre, des blocs erratiques et
des marécages. Des femmes coupaient des ponnnes de terre qui
devaient être plantées le lendemain. Les maisons d'habitation, con-
struites en pierres calcaires, étaient couvertes de tuiles rouges; d'autres
n'avaient pour toit que des iilanches et même du chaume. Ou avait
attaché aux arbres de petites boites pour servir de nids aux oiseaux;
partout nous entendions chanter les grives, et les alouettes remplis-
saient l'air de leurs iKiles stridentes.
Le pays prés di' la mer est chai'mant. Les falaises forment de
hautes crêtes sur lesquelles on voit des bosquets de pins et d'autres
arbres; les fraîches teiides vertes du printemps ajoutaient à la beauté
du paysage. En se promenant le long de la baie, l'œil rencontre partout
des preuves distinctes et irréfutables du lent soulèvement du pays; dans
certains endroits, à uni' distance considêi'.dile du IkuiI. la mer, dans
son action incessante, a taillé dans les falaises de grands et hauts piliers
de jùerre calcaire qui sont là comme des marques de l'ancien rivage
contre lequel venaient battre les vagues.
L'architecture de beaucoup d'églises est très gracieuse el celle de
Garde doiuie une belle idée du slyle.
On a institué une milice spéciale piuir la défense du pays, mais elle
ne peut être appelée hors de l'île. Tout lionmie de dix-huit à cinquante
ans est tenu d'assister aux manœuvres six jours consécutifs par année ;
il fait ensuite partie de la réserve jusqu'à soixante ans. Les chefs de
famille, les tenanciers, les hommes qui exercent une profession et. quel-
(jues autres, ne sont appelés qu'en cas de nécessité pressante. Les officiers
362 LE PAYS DU SOLEIL DE MINUIT
commissinnnés sont nommés par le roi; les ollicicrs non-commission-
nés sont choisis par les hommes.
Le recensement de 1870 a donné une popuhTtion de 53,946 ha-
bitants, dont 28,205 du sexe féminin. A celte date, l'He i)ossédait
11,000 chevaux, 8,500 bœufs, 1,000 taureaux, 14,000 vaches,
4,800 génisses au-dessous de deux ans, 38,000 moulons, 700 chèvres,
et 5,700 porcs. On exporte du liélail, des moulons et des grains.
Le climat est même jihis doux (jue celui de la partie la plus
méridionale de la Suède, grâce à l'influence de la mer. Sous ce point de
vue, l'île est comme l'Angleterre, comparée aux contrées adjacentes.
Les ormes sont très beaux; les mûriers et les chàlaigniers acfpiièrent
une grande taille, et la vigne réussit en espaliers. La floi'e est très
riche ; elle comprend plus de 960 variétés de plantes.
La géologie de l'Ile est aussi très intéressante. En bien des
endroits, en remuant le sol à trente pieds, on arrive à la roche
calcaire, qui a été polie et striée par les glaciers. La terre superposée
a préservé la roche de l'action du temps, et elle est aussi lisse que
du verre : elle ressemble à de l'émail. Quelquefois les entailles sont
profondes d'un pied. La direction générale de ces entailles va du
nord-est au sud-ouest; les glaciers vinrent, sans doute, de Finlande.
De Hôgklint (hautes falaises), non loin de Wisby, à 150 pieds au-
dessus delà mer, au point le plus élevé de l'île, nous eûmes une vue
très développée du pays. On pouvait distinguer, à une longue distance
au nord, les bords dentelés et les falaises. La Baltique était par-
faitement calme, et ses eaux étaient si claires, que l'œil pouvait pénétrer
jusqu'à une grande profondeur, même près du rivage. Entre les falaises
se trouvaient d'anciennes baies el des plages n'ayant pas plus de
30, 40 ou 50 pieds au-dessus du niveau actuel de la mer, tandis que
dans l'eau, à quehjue distance du bord, on pouvait voir des traces
incontestables d'une baie submergée, qui, si l'île continu(^ à s'élever,
reviendra à la surface. Il y a des endroits sur file où l'on peut compter
40 ou 50 différentes marques de marée, les unes an-dessus des autres,
prouvant sans conteste que le pays s'est soulevé lentement dans le cours
des âges. L'origine de la légende que j'ai citée plus haut ne viendrait-elle
pas de là? La géologie a démontré qu'il y a eu des alternatives de
soulèvement et d'abaissement du sol à diflérentes périodes, en cette
ABAISSEMENTS ET SOULEVEMENTS DU SOL DE L'ILE 303
région commo ailleurs : (lémonslrrilioii (|ui conduit l'homme attenlil' à
réili'chir sur les grands [irogrès des diUrrentes branches de la science,
et pourtant les tentatives faites pitur corriger les idées erronées des
anciens temps ont été et sont encore blâmées et méprisées par ceux
(jui ont la folie de craindre ijue ces découvertes n'amènent la ruine de
la religion. Mais, comme de nouveaux faits viennent au jour d'année en
année, le monde nous semble plus beau, et la sagesse du Créateur
apparaît plus merveilleuse à notre faible intelligence. Il est triste de
penser que la seule récompense de laborieux investigateurs a été
souvent le mépris pendant leur vie, et que le bon peuple, à la suite de
fausses notions de ce qu'il croyait juste, a trop souvent accumulé les
injures sur les hommes dévoués à la science. Heureusement pour la
cause de la vérité, ceux-ci no sont [las effrayés par les fréquents
conflits dans lesquels ils peuvent être écrasés ; leurs constatations des
faits étant irréfutables, le fanatisme irréfléchi est forcé à la fin de s'ap-
puyer sur eux. Chacun sait que, sans la dis(;ussion, on ne peut faire de
véritables progrès en investigation ; mais le blâme n'est pas un argu-
ment, et les dénégations sans démonstration des faits ne jettent aucune
lumière sui- un sujet controversé. Les vrais savants ne tendent qu'à
élargir le champ des connaissances humaines. Ils travaillent péni-
blement et pensent plus péniblement encore ; ils passent souvent les
nuits sans sommeil, emportés qu'ils sont par l'intensité de leur
enthousiasme; ils oublient les soins de leur santé, et trop souvent ils
font naufrage en arrivant au porl. Quel est leur but? S'enrichir? Non;
car il aurait mieux valu pour eux et pour leurs familles, qu'ils
eussent un peu moins pensé à la science et un peu plus à leur intérêt.
Acquérir des connaissances et propager ces connaissances, voilà
quel a été leur but, et, de nos jours encore, c'est celui du savant
véritable et convaincu.
;
>
CHAPITRE XXVII
Upsal. — Ll'niversitc. — Les .Nations. — La Bibliollièqiic. —La Cathédiale. —La vii'illi:' l'psaL —
Les .Monticules du Roi. — Surexcitation en ville. — Les étudiants. — Chant en chœur. —
Sérénades aux dames. — Cérémonie de la délivrance des grades. — Diplùmes. — Le ban-
quet. — Menu. — Le bal. — Jeunes femmes suédoises. — Le gouverneur de la province.
— Sa descendance écossaise. — Le vieux château. — Un concert. — Uiner au château
— lue charmante famille.
Uitsal est mil' villi' rliri'i' à l;i Siii'ili', non si'iilrmi'iil ;i l'Hiise ilo sa
haute antiqniti', mais ciiron' pafci' qii'L'Ht' a été, pemlaiil des siècles,
son centre île savoir. Ujisai esl essentiellement une ville universitaire,
avec sa population d'environ 16,000 âmes: la rivière Fyiisan la traverse
et ses rues larges sont pavées de cailluux. L'I'niversilé d.iie de \1 i9, et sa
renaissance sous Gustave-Adolplie. de Kilii. F^oiir \ élie admis, l'étu-
diant doit passer un examen dans une îles éléineittars/,()l 1,1 vieille l|isiiL
Lo loiidomain i\o mm aiTivéc, j'assistai à la cérémonie de la'
gradualion. .\ neuf iieiurs trente du malin, les anciens irfadiiés de
l'Université se réunirent et se rendirent en procession ci la catliédrale.
Ils étaient venus de Ions les coins du [lays pour faire honneur à leur
CEREMONIE DANS LA CATHÉDRALE 369
ulma muter; ou voyait |(,niui eux des gouvcmeucs de provinci', des
noliles, des officiers eu uuil'omie. des juges, des avoeals, des
uiaicliaiids, des fermiers, et des vieillards ployant sous le poids des
années. Ceux (jui neportaient point l'uniforme s'étaient iiiis en grande
toilette et en chapeau de soie, — car le Suédois est scrupuleux et
inènie formaliste dans les occasions de gala. Par déférence pour la
coutume, j'avais endossé l'habit noir, mais naturellement je n'avais
point de chapeau à haute forme et je portais un panama. Lorsque je
me joignis à la procession, je me sentis mal à l'aise, mais je n'y pou-
vais remédier; nous marchâmes deux par deux jusqu'à la cathédrale, à
travers la foule épaisse qui remplissait les rues et qui, par la voix ou
l)ar le geste, montrait qu'elle reconnaissait les grands hommes du i)ays
mêlés dans les rangs. Les étudiants, en grande tenue, suivaient la pro-
cession de leurs anciens, et tons enirèreiit dans le vieux bâtiment en
Itriques qui constitue la cathédrale d'Ups:il.
Le colossal édifice était comble jusqu'à la suffocation ; il y avait là
une immense (|uantité de dames vêtues avec goût, mais simplement,
selon la mode suédoise; les couleurs nuancées de leurs accoutrements
ajoutaient à l'intérêt de la scène. Le vaisseau de l'église avait été ré-
servé aux étudiants, qui portaient Ions leur casquette blanche. L'un
des commissaires, ayant pour insigne une écharpe rouge, eut la bonté
de se charger de moi et me donna une bonne place. En face de l'autel
se tenait un corps nombreux de collégiens en toilette de soirée,
qui étaient les musiciens en cette occasion. Auprès d'eux se faisait
distinguer un groupe brillant de jeunes dames, dont l'une, soliste de
talent, était norvégienne. Le chancelier et la faculté de l'Université
occupaient une plate-forme d'où ils allaient conférer les grades, et en
face d'eux avaient pris place des hommes vénérables gradués diqtuis
un demi-siècle. Toutes les classes se confondaient dans la foule; la
fUcka, avec son mouchoir sur la tète, coudoyait la grande dame.
La cérémonie commença par un clneur chanté par de jeunes dames,
renforcéi's de ipielques voix mâles; il dura une demi-heiu'e. Puis,
après une courte pause, le recteur prononça un discoins lalin auquel
on prêta peu d'attention et qui prit vingt-cinq minutes; c'est une iiar-
tie du programme exigée par la coutume. Eu terminant, il posa sur
sa tête une couronne en feuilles de chêne. Ce fut le signal d'une dé-
24
370 LE PAYS DU SOLEIL DE MIMIT
cliar,i,'i> (le ijuatre canons dont les éclios se répercntèrent sous les ar-
ceaux de la vieille cathédrale. Puis retentit de nouveau un grand chœur
composé par des étudiants. Lorsciu'on appelait un gradué et qu'on lui
mettait sur la tête une couronne de laurier, on tirait un coup de canon;
il recevait alors son diplôme Après la cérémonii'. un çhanla encore,
et deux des gradués, le Pr'nniix cl le Sfciiiidus^ nKinléicnl sur la plaie-
forme, et prononcèrent en laliii le discuurs d'iidieu.
En regardant la foule autour de moi, je reconnaissais, à leur face
rayonnante, les pères, mères, sœurs et amoureuses des étudiants ipii
venaient de passer l'épreuve. Quehpies jeunes gens étaient mariés et
d'autres sur le pdint de l'être. Des années d'éliiile avaient été récom-
pensées en ce jour, cl les gradués, héros de la fêle, se promenèrent
dans les rues avec leur couronne sur la tête. Lcui' vie joyeuse d'étu-
diant était tinie, le monieut du dépari venu ; mais ils ne devaient jamais
ouhlier leur chère l'psal, et leur iihiia mater. Les Ahnnni élaieid ac-
courus de tous les poinis de la Suède, et li'uis casipietti^s iilanches
allaient retournei' au nord lointain, dans li's montagnes de la La|toiiie,
dans la Finlande suédoise, el dans cliaipie |ii-ovince du l'oyaume.
Le même jour, à trois heures précises, j'étais dans la salle Linnée,
en compagnie de trois cent quatre autres convives, mangeant le smôr-
gas, afin d'ouvrir l'appétit pour le diner. Quand on ouvrit les portes de
la salle du hanquet, les arbustes et les plantes dont on l'avait garnie
lui donnaient l'apparence d'un jardin ; l'effet en était ravissant. Le
chancelier présidait la tèle. dont \oici le menu :
tlrdii si)|i|ia s(iii|ii' M'iic . sdi'lc île juliciiiic.
(liilijuiiis Siiiiil-.liiiii'ii. de.
Slii'ii) |i;ili',
.MauiiilKiist' |iala\ iiiia\(iiiiiaist3 (te sauiiidii!.
IhuU saiiteriie.
Spaetiail u\ lilel ilitet de li(Lnit|ii((iici,
Fritiasscrad hinica (langue fricassée),
l'cirter.
YmA sparris (asperges fraiclies);
Ilorlvlii'iincr et eau de Seitz '
Kuivling nied salad ( poulet- de irraiii el salade):
I. Les Siii'dois aimenl à liiiiiv de l'i'iiii de Scll/ après les aspcr^rr;..
LE BAXnri:T des ETUDIANTS 371
Cabinet creiiiant (vin tlo Champagne).
Glace och krokan (crème glacée et gâteau pyrainidiili.
Vin de Porto (vieux supérieur',
Sherry ]i;il.',
Dessei't et UKiet- liaïKloil.
Les plats élaieiil bii'ii préiKiiés et k- scrvici' excclleiil, ce (jui iin'
surprit, en raison du grand nombre de convives. IMus le dîner s'av.inra,
plus la compagnie devint gaie; car il veut des toasts continuels entre
amis au dessert; on porta la sauté du roi, mais sans faire de discours,
et l'on proposa encore d'autres toasts. Puis le monvemenl devint géné-
ral, le vin ayant égayé li'S ('(ein's. Au delà du poiclie, nous apercevions
le jardin botani(|ue, oii |iiiisienrs milliers de personnes s'étaient rassem-
blées dans la belle avenue (|ni l'ail face au bàlinu'iit. On y voyait des
(lames, des enfants, et toutes les classes du peuple. Ou demanda (pie
l'on cliaulàt, et les étudiants enloiuiérent en graïul clneur :
i.i: en A. NT lit: i.i:ti hia.nï
(^Suéildis. )
Chantons les jouis heiiieuv de l'étudiant,
Jouissons du printemps de la jeunesse;
Notre cœur liât encore de saines |)ulpitatiuns,
Et l'aveiiii- qui point est à nous.
Les tempêtes n'ont [las pris encore
Domicile en nos esprits:
L'espérance est notre amie,
Nous avons foi en ses promesses,
Nous contractons une alliance
Dans les liosquets parl'iiUK'S,
(Jù croissent les gloiieiiv lauriers. — Hourra I
On servit le café, et l'on versa du piincli suédois, ad libiiuin. L ai-
Chevèque d'Upsal, le chancelier et le recteur de l'Uinversité furent pla-
cés de force dans des chaises et portés à travers la foule sur les épaules
des étudiants, au milieu d'acclamations générales. Les vieux redeve-
naient jeunes; anctnie distinction de ratigs; [irofesseurs et élinliants se
ijidiui naient liras dessus, liras dessous. Je perdis mes amis dans la
372
LE PAYS DU SOLEIL DE MINUIT
foule el je ilemoiir.ii lout étonné de celte joie tumtilUieuse; évidemment
le inwirii l'iiisnit son effet. Au milieu de la multilude et tout près de
moi, je vis un gentleman en grand uniforme, qui me demanda de la
manière la plus aimalde, et en excelleid anglais, si je ne m'appelais
pas Du Chaillu. Sur ma réponse afiirmative, il se prèsiMil.i lui- même
comme le comie llamillon, gouverneur de la h'in d'Upsid. Il m'invita
avenir le voir le jour suivant à sa résiilence dans le Slutl, ou ancien
palais.
Les fêtes du jour Unirent jjar un graml bal (promolions bulcii) dans
une des salles de la Carolina-Rediviva, qui renferme la magiùfiiiue
bibliothè(jue de l'Uinversitè. .Je fus surpris de ce choix, et il me sem-
bla que Ton commettait une grosse imprudence en exposant ainsi celle
belle cidieciion ;i un i'is(|ue (rincendie. Plus de deux mille bougies
Vieux rliiUeaii dt psal.
brûlaient et la s;dle èlail disposée très élégamment; de [ietit{\s fon-
taines, à chaque exliéinilé, l;nie:iieiit des jets d'eau et rafraîchissaient
l'atmosphère; la salle éliiil comble. Les jeunes dames étaient accou-
rues en masse de tous les coins du pays; on voyait là des Ijeaulés
suédoises en aussi graml nombre iiue les vioielles dans l'herbe. J'admirai
la simplicité de leurs atours; les robes en mousseline blanche garnies
de rubans de diverses couleurs dominaient, et la coilïin-e, malgré sa
sinqilicité. drmil.iil beaui-ou[i de goût. La sidie se trouva si pleine de
monde, que ceux qui voulurent danser eurent à peine de la i)lace. On
avidt dû refuser bien des demandes d'invitation, faute d'espace. Je
LE VIEUX CHATEAU D'UPSAL 37:$
rencontrai un Américain, auquel je n'étais pas étranger; il avait été
étudiant à l'université du Michigan, à Ann-Arlior, lorsque j'y fis des
lectures. Il avait entrepris un voyage en Suède, afin d'étudier l'his-
toire du pays.
Le lendemain, j'allai au vieux cliâleau où je lus reçu avec une
amabilité exquise par le gouverneur, la comtesse et les membres de
leur famille. J'y trouvai toute une compagnie d'hommes distingués
qui étaient venus assister à la cérémonie de la graduation. Chacun par-
lait anglais; le gouverneur, la comtesse et leur fdie aînée s'exprimaient
extrêmement Ijieu en cette langue; en fait, presque tous ceux qui
étaient présents avaient de l'aptiludc à parler anglais, français et alle-
mand. Au bout de peu de temps, je me sentis aussi à l'aise que chez
moi; il en est toujours ainsi lorsque le tact, la culture et les belles
manières prêtent leurs charmes à la réception. Quand vint le moment
de partir, je quittai à regret ceux qui m'avaient si amicalement
accueilli.
La branche suédoise de la maison llaniillon. représentée par le
gouverneur d'Upsal, descend de Claudius, baron de Paisley.un des fils
de .lames, quatrième duc de Chatelherault. Les fds de Malrolm, arche-
vêque de Cassel, entrèrent dans l'armée suédoise de Gustave-Adolphe,
en 1624, et se distinguèrent tellement, que le souverain, en reconnais-
sance de leurs services, leur permit de prendre le tilre baronnial
de leurs ancêtres en Ecosse. Ils sont hautement honorés et respectés
en Suéde. La comtesse de Hamilton est la fdlc de l'illuslre historien
suédois Geijer.
Le gouverneur n'occupe (pi'une partie du vieux château, ijui a un
aspect imposant et domine une immense étendue de pays. Certains
murs de cette énorme structure en bri(pio ont douze pieds d'épaisseur.
Les scènes des siècles passés revivent pour riiistorien lorsipi'il visite
cet édifice. Le meurtre de Nils Sture et d'autres, par l'idiot et sangui-
naire Erik, qui marque une ère d'effusion de sang et d'assassinats en
Suède, est un de ces souvenirs historiques.
Le concert des étudiants fut donné le jour suivant. En peu d'iieures,
la salle de bal avait été transformée eu salle de concert, et les mêmes
étudiants qui remplissaient les fonctions de commissaires du bal se
chargèrent de nouveau de cet office. Ils tirent tout ce qu'ils purent pour
:j7i LE PAYS Dr SOLKIL DF, MIXllT
liicn loccviiir fi'iix (|Mi viiivi'iil h U|is;il. I)i' même (jiie pour le liai, la
salle fui linji |ii'lili' |)oui- iKiiivoir admettre ceux (|ui désiraient assister
au concert. L'assistance était presijue entièrement composée de dames,
les honuues leur ayani cédé leurs places. Le premier morceau du pro-
t;ramme lut le chant. « Hôr oss, Svea » (Entends-nous, Suède), suivi
(lu « Solvirkniii!^» (Leselïels du soleil) par Kjerull', et <' TlieHi'udefaerdi
Hardan,m'r » ( le voyage nuptial à Hardanger,) deux chants norvégiens.
Les auditeurs semblaieul froids en a])pai'ence, mais ils accueillirent ce
dernier niorcean par des applamlissements enthousiastes.
MAIICIIE liKS liTlIilANTS
(SiK'ilois.)
Enteiuls-noiis, Svea ', ù iioOr iiirrc ;
Nous soiiini's pivts il coiiiliultri' ft à iiMiiuir pour loi!
Jamais, non jaiiiuis nous no raiiauiluMiicidiis.
Accepti' noire srinii'nt, le nirnic dans tous nos destins!
Nous te défendrons avec notre sanj;- el noire \]i\
0 pays liljre, qui es 1(^ nôtre.
niiaque Jiartie de riiriila£;e
Tu nous l'as donni'e en sai:a el en rlianl.
Si la lialiison cl la pei-liilic
Te inenaeaicnl de disididi' cl do violence,
Nous croirions cneiuc au nom du Seiirneur,
(lomme nos aiirctres y crurent aulrelois ;
Certes il est liloiieux
De vaincre dans la lialaillc ;
Mais il est plus lilorieux cncoi-e
De mourir ]iour loi, ô nuire mère!
I . SvcM. Sucilc.
CHANTS NATIOXAIX 373
l.KS EriRTS nr soleil (SOLVIliKMNO)
(NorvP!;ii'n. ;
Au loin dans li's montagnes, sur les versunls rouverts de |iins
Une noble vue sOuvie devant nous;
C'est Ifi que passe le sentier du saeter.
(Test là que réonme des torrents tombe en rascades!
L'air fortiliant est d'un bleu clair,
C'est le soleil de la Saint-Jean, c'est le milieu du joui'.
Les rayons étincelants se jouent
Sur la rivière, et sur ses sombres bords ;
L'embrun du brouillard se lève tranquillement,
Quand le foss se jette dans les profondeurs.
Là, la rivière ])0ursuit son cliemin cacbé.
Elle ne connait pas le i)rùlant soleil de la Saint-Jean ;
Mais le versant de la niontagne
Est enveloppé d'un flot de lumière dorée!
Vovez les sapins au sonunel du mont.
Avec son cône lu'illaut et sa base ombragée :
Sur le sentier tremble avec des rayons d'argent
La bruyère florissante, le précipice bordé de mousse.
VOYAGE M'I'TIAI. A IIARUANOER
L'n et incelant jour d'été luit
Et cbaulïe les eau\ du tiord Hardanger:
A quelle liauteur vertigineuse et dans quelle trinli' hli'ue
S'élève la puissante chaîne de montagnes !
Fjlle reluit depuis le glacier, elle est verte sur les collines
La nature s'est revêtue de ses habits de fête.
Voyez! sur les vagues claires et vertes
filisse un cortège nuptial.
Aussi lière que la tille d'un roi d'aulrelois.
Avec un collier d'or, et de l'écarlate,
Sur l'avant est assise la splendide liancée.
Aussi belle que le liord et que li' jour.
376 1>K PAYS DU Si IL El L DE MINLMT
lIciiriMix, le Hiincé agite son rliajioau :
11 emmôiip cliez lui son chiT lii'sur:
Il voit dans ses doux jeu\,
Sa vie comme une fête nuptiale.
Tout murmure les cadences enchanteresses
Des airs et des mélodies sur les vagues:
De montagne en montagne roule le bruit du fusil,
Et des éclats de joie répondent de la forêt.
On plaisante avec les filles d'honneur de la nwriée
Et le chef-cuisinier n'a pas oublié
De remplir sans cesse la cruche.
En honneur de la maison nu|itiale.
Ils vont ainsi, jouant des airs joyeux,
Sur la surface éclatante des eaux ;
Les bateaux, l'un après l'autre, vienneut les rejoindre.
Avec leurs in\ités poussant des cris de joie.
La lumière est bleue sur les falaises, elle descend du glacier;
Le parfum des pommiers en fleur embaume l'air ;
L'église en cet endroit apparaît vénérable,
Et les bénit au son du carillon de ses cloches.
Nous allâmes ensuile sur In tciinsse d'où nous eûmes une vue
magnifique sur la plaine (|ui s'étcndail à nos pieds, fraîche et verte avec
ses teintes prinfanières et ses fleurs sauvages qui s'épanouissaient. Les
immortelles abondaient; les deux demoiselles de la maison en firenl
une couroiuie (pi'olles posèrent stu- ma tèti? en juTseuce de tmile la
société; — compliment inattendu et peu mérité. La plus jeune fille,
charmante et modeste enfani de Ireize ans, aux yeux bleus, à la taille
délicate, me duim.i nu pelil lunKiiiet de a ne m'oubliez pas » et d'im-
mortelles, que je mis aussitôt à ma boutonnière, au ravissement
de cette aimable enfant. J'ai conservé la ronronne et les lleurs comme
un souvenir de cette délicieuse visite, et je me demande quelquefois
si celte hospitalière famille se souvient encore de moi.
\
CHAPITRE XXVIII
Les i^ei (le la jiiene, ilu bionze, et ilii fei' en Scaiulinavic. — Climat ilu premier àgc île la
pierre. — Extinction des grands mammifères après le premier âge de la pierre. — Kjôkken-
môddinger, ou amas de coqnilles. — Les constrncteurs des tombes de l'âge de la pierre. —
Ustensiles grossiers. — Poteries. — Quatre différents groupes de tombes. — Tombes en mon-
ceaux de pierres. — Tombes à passage. — Cercueils de pierre. — L'âge du bronze. —
Étrange rocber gravé. — Tombes avec des ossements brûlés et non brûlés. — Ustensiles et
ornements de bronze et d'or. — Poteries de l'âge du bronze. — Rocher gravé avec chevaux
et bétail. — Fin de r:\ge du bronze.
Pour faii'e mieux oompiriidi-c le coiilcmi de ce chapitre sur les
l'aces préhistoriques de la Scandinavie, il sera bon de donner d'abord la
classification usuellement acceptée des « âges » de l'homme primitif.
Aucun de ces Ages préhistoriques n'a été nettement défini; ils arrivent
par degrés les uns dans les autres. Cette classification ne spécifie pas
des divisions de temps, mais des degrés de développement indiqués
par les matériaux employés par Thommc pour ses ustensiles domes-
tiques et guerriers avant la périoile hisloritiue. Il y en a trois : l'âge de
hi pierre, l'âge du bronze, et l'âge du fer; le premier est le plus ancien
et le dernier se fond dans la période historique.
1. Pendant le premier dye de la pierre, le climat était plus froid
(jur maintenant; alors l'homme co-existait en Europe avec le, mam-
moiilh, le rliiiiocéros, l'hippopotame, le bœuf musqué et autres grands
SIR LR PAYS nr SOLEIL DE MIXTIT
pt petit? mamniiiV'ros. Les iistensilps employés élaiciil de pierre hruto:
on ne connaissait ni la poterie ni les mêlanx. Le peuple ilenieurait flans
des cavernes, vivant princi[)alenieiil de la chair du renne qui se trou-
vait alors dans l'Europe centrale et méridionale: de là, on a nommé les
hommes d hommes des cavernes ». et répoi|ue « la période du renne».
Dans le dernier àfjO de la ji'ierre. les grands mammifères ont ilis-
parn. Les métaux étaient encore inconnus, mais on se servait de poteries
faites à la main. A cet àn;e ap]iarliennent les monceaux de débris Scandi-
naves (kjâlilie/iini')ddin(/er), (pi(d(|ues demeures des lacs de la Suisse
(lacustres) et la jdupart des monticules funéraires décrits dans ce cha-
pitre. On continua de se servir de lirossiers ustensiles de pierre,
comme, en fait, on agit dans les âges subséquents; mais ]n'esqne tous
étaient polis.
t. h'ùije du hninze est caractérisé ])ar l'eniiiliti de ce métal et de
l'or, de Tambre et du verre pour ornement. La poterie était mieux faite
et portait des manpies géométriipies. On coidinua de se servir de la
pierre itour poiidi's de lléclies, de lances et pdur couteaux. Les carac-
tères des tiiiiiiili el de l('\ii- conleiHi soi:! décrits plus loin.
3. Quant à Vùije du fer, il suflira de dire ici (|ue l'on connaissait
l'usage des métaux ordinaires, et (pie la civilisation s'était avancée de
l'état sauvage et nomade à celui de communautés agricoles, avec
des habitations fixes, des luis, un gouvi'inement, et y\\w l'on entrait dans
l'âge historique, mais encore à demi barbare, si nous en jugeons par
les types modernes.
Les deux races plus essentiellemeid hélèrogènes qui habitent main-
tenant la péninsule Scandinave, aj)partiennent à la division aux mâ-
choires droites; mais les Lapons sont brachycéphales, tandis que les
autres sont doliclioréiiliales. I^i' plus grand munlire de crânes trouvés
dans les lombi's de l'âge di' la pieri'e sunl duliclnicépliales, mais beau-
coup sont brachycéphales, ou semblables à ceux des Lapons, dénnm-
Irant ainsi que deux races diflèrentes doiviMit avoir habité le pays durant
cette période. Généralement, les crânes dolichocéphales sont plus
allongés (juc ceux du peuple aciuel. On ne [leut que conj(H-turer auquel
de ces ty])es appartenaient ceux du piciiiier âge de l;i iiicrre en Scan-
dinavie ; car. jusqu'à présent, mi ne connail point de tombes de cette
période dans le pays. Il est, par (•onsè(pient. fort douteux iju'il ait eu
LES AfiES PHEHISTOliinrES 370
ilrs liMhilaiils |HMidant cet âge éloigné; en IdiiI cas, cela n"a pas été
prouvé avec cerlilude.
Après la séparation géologiipie de la Scandinavie de rAllemagne
du Nord par l'intervention de TOcéan. il n'y eut point de rennes en
Suéde ; les kji'lkkenm'iddinger ne contiennent pas leurs os, bien que
l'oM iMi trouve dans les tourhiéres du Danemark et de la Suéde, car
la migration du Sud n'élail plus possible. L'aurocli y vivait alors et
niènie dans l'âge suivant.
Les constructeurs des tombes de l'âge de la pierre furent un
peuple foi't, vigoureux, babitué à l'usage du feu. ayant du bétail
domestique et, jus([u';i un certain point, agriculteur.
Parmi les plus anciennes traces de l'homme en Scandinavie, il
faut, comme nous l'avons déjà dit, compter les kjokkenmoddinger,
ou amas de débris de cuisine. — comme les nwnceaux d'ordures
modernes, contenant toute sorte d'immondices de ménage, — d'après
lesipiels on peut se former une idée des habitudes de la vie chez ces
peuides. Ces monceaux consistent en coquilles d'huîtres et de moules,
en arêtes de jtoissons. en os d'oiseaux et de mammifères, tels que
le daim, le porc, le lashii'. le phoque, l'aurocli. l'ours, le r(Miard, le
liiup. Ir lynx, la marli'e. etc.; avec des débris de vases d'argile.
(Cependant, certaines parties de la Suède étaient habitées à l'époque
des amas de coquilles danois; cela est prouvé par le fait que Ion
a trouvé euSkane iScanie) des ustensiles en silex de la même forme
que ceux des kjokkenmoddinger.
Ces monceaux affirment (pie les habilaiils du Nord, aux temps pré-
liistoriques. et peut-être seulement il y a 3.00(j ans, vivaient dans
l'état le plus primitif. Au milieu et près de ces amas, on a trouvé
un grand nombre d'ustensiles et d'outils en silex , en os, en corne, et
lies fnigments brisés de silex ; on a trouvé aussi des cheminées faites
avec quflipirs pierres grossièremml assemblées. — I un des exemples
les plus anciens di' l'induslrie humaine. — démontrant qu'à cette
é|iiiipie, les hommes étaient exclusivement chasseurs et pécheurs. On
Vint une (piantité de ces ustensiles de pierre dans les musées de la
Suéde l'I de la Norvège. Les amas de débris dans la péninsule scan-
ilinive. (pidique très anciens, sont d'une date plus récente que ceux
(pii oui été trouvés en Danemark.
380 I.R PAYS Dr SOI.EIL DE MINl'IT
On n'a besoin (|no do comparor les grossiers ustensiles en silex de
la première période de Tàge de la pierre en Scanie avec les beaux spé-
cimens d'une période plus récente, pourvoir les progrés accomplis par
l'homme avant la découverte de l'emploi des métaux. En fait d'usten-
siles, on n'a tro\ivé (pic les vases d'argile mentionnés ci-dessus, dont
l'un a élé liié d'une (ombe en Scanie ; l'autre vient d'un monticnle l'u-
uéraire à Herrljunga, en Vestergôtiand. Les outils trouvés dans les
amas de débris sont des plus grossiers, et le progrés pour arriver à les
mieux finir a été uaturellement lent.
Dans la dernière partie de l'âge de la [)ierre, les animaux domes-
tiques sont introduits, comme le démontrent les os de bétail, chevaux,
moulons, pourceaux, et chiens trouvés dans les tombes. Peu importe
qu'un peuple soit inférieur : il veut des ornements d'une certaine sorte,
et c'est pourquoi, dans l'Age de la pierre, on portait des chapelets
d'os et d'ambre, comme on en a trouvé dans des lombes en Vester-
Uotland.
On n'a point déconvert de lombes du premier âge de la pierre
dans la péninsule Scandinave , mais il en existe une gi-ande quantité
appartenant à la dernière période de cette époque. Ces tombes peu-
vent être classées en quatre groupes : tombes en monceaux de pierres
[stenriâsai'); tombes à jiassage ou galerie (f/ai)f/(jriftPi')-^ cercueils de
pierre isolés [htill/,i>ihir], et cercueils de ]iieri'e recouveris |iai- nn
monticule do teri'e on do pioiros, (lénionii'anl luio avanci' considérable
pondani la diTiiiéro parlio A^' I âge de la piorr(\ Los t(Mnl)es stendôs
sont les plus anciennes, et les cercueils recouverts de uu)iiticnlos les
derniers; ils prouvent la transition à l'âge du bronze.
L'étude de ces tombes est d'un immense inlérôl, ol je n'ai jamais
pu demeurer dovanl elles sans é|)rouver un vif sonlimonl do respect,
car l'ilos porsonnilionl la vanilé de la vie hnmaine : l'Inimme vient,
s'en va, ol est imblio; la tiimbe révérée aujourd'luii |tai- huit un
peuple, est profanée domain par ceux ipii le snivoni dans la mar-
che du temps.
Les stendôsar, cromlo(dis ou dolmens (jui ont olé découverts, con-
sistent en trois dii (pialii' |iiorros élevées en forme de cercle, avec un
large bloc au sommet. Ils olaionl destinés à ne contenir (pi'un sou]
cor|is enterré dans une position assise, accompagné d'ustensiles et
LACE DE LA PIERKE
.•J81
d'armes en silex; les murs de la cliambre sont tonnés par de grandes
pierres épaisses mises debont. allant du sol an faîle, lisses à l'inté-
rieur, mais lirnles extérieurement ; le sol esl de saiilc ou di' i^ravier;
le faite est fornn'' |)ar un et ipndquet'ois par plusieurs gros Mocs de
pierre également lisses intérieurement, mais autrement irréguliers. La
forme de la chambre esl ou carrée, on ovale, ou pentagone, on à peu
prés ronde; sa longueur varie de 8 à 15 pieds; sa largeur de o à 7
pieds; et sa hauteur de 3 |)ieds à 5 jneds 1/2.
La plupart des blocs giseni à l'inlérieur, ou sur le sommet d'un mon-
Vase d'argile de l'âge de la iiienc trouvé
dans une tombe en Scanie.
Trois liiiitièmes de sa grandcnr récllo.
Vase d'argile grossii,'re Irocivo dans un cercueil
de pierre eu Vestergôtland.
Trois huitièmes de sa graudeur.
lienle (pii, presque loujours. pari du l'aile; mais, eu bien des cas, ces
chambres sont déciniverles. Le moiiliciilc. ipii est généralemeni rond,
(|nel(juefois oblong en Suéde, est entouré à sa base par de grandes
liierres. Quand le monticule est oblong, la Unube de pierre se trouve
pins prés d'une extrémité cine de l'autre; paifois on rencontre deux
tombes de forme oblongue.
La tondie de pierre reprodiiile plus loin se lroii\e prés de Haga,
en Biduislan; sa longueur sur le sol esl de 7 [lieds, s;i largeur et sa
hauteur d'envii'on G 1/2; la plus grande longueur de la pierre servant
de faite est de dix pieds. Quand elle est fortemeiil pressée dans
un endroit par sa bordure, la grosse pierre reçoit un mouvement de
bascule qui produit un sou sourd et étoulfé. ,0n a observé cette
■.iHÛ LI-: PAYS Dr SOLEIL D L MLNLIT
liusilioii dans dilïï'i'eiites toiiilus ik' iiicno au iioiil ft dans d'aulii's
contrées.
Les tombes à galerie (ganggrifter) décrites et figurées ici (elles
ont lonles été construiles jtar ih'S races dolichocéphales), l'nreni jiro-
hablenient destinées aux familles des chefs et comme devant durer
pendant des générations; elles n'ajjpartiennenl donc pas à la période
sauvage, (pioiqne étant de Tâge de la pierre. On n'a pas découvert d(!
traces d'habitations île celle période, (pii proliabienii'hl furcnl pins ou
moins souterraines, i-onslniilcs l'u prlilcs pierres loml)é('s à l'iiilé-
rieur, ou en terre (pii a disparu avec le lemps. Ces lombes consistent
en une chambre, et en une galerie étroite y conduisant; le tout est
recouvert d'un monticule dont la base est généralement entourée d'un
cercle de pierres pins grandes ou pins petites.
La chamlirr il'une tombe à passage est on oblongne, ou cai'rée.
ou ovale, ou prcsipie ronde; les murs ressemblent à ceux des crom-
lechs et sont formés d'énormes blocs posés deboul. (las loul à fait
lisses, (pioique unis ;i l'inlérieur; généralement, les inlei'slices sont
remplis par des fiagmenis de pierre, du gravier, ou du .saide; ipiel-
quefois on a foui'n'' de l'écorce de bouleau enire ces blocs. Le faîte
est formé d'immenses dalles un blocs plais, lisses en dessous, mais
bruis en dessus; les iidei'slices sont biiuclu's île la niènie façon ipie
ceux des murs. Parfois, le sol esl couveii de peliles pienes plaies,
mais babiluellement de leire.
Sur le cùlé le plus long de la rlianibre. ;i l'esl ou au sud, une
ouverUne donne accès à un jiassage eonslniil de la inènn' manière
ipie la ehandire, mais plus long el plusélinil. (le passage, au nujins
dans la pailie iiderne, esl recoiiverl de blocs ressemblant à ceux du
faite de la chambre, mais plus petits, l'rés de l'ouverture intérieure
du passage et de l'extrémité exiérieui'e de sa [larlie couverte , on
trouve fort souvent um^ espèce d'eniboilemenl de poile, consislaid en
un seuil de pienr el deux élniils clianibraides.
Une lomlie à passage sise auprès de réglise de Karleby el de
Falkôping, a été ouverle en \H12; liuil à tail eu dedans du seuil, 'on
a trotivé une dalle plaie el presque rectangulaire en |)ierre calcaire,
de la même largeur ipie rouverlure exlérieure, ipii servit tiés i)roba-
blement de porte, ipioiqu'elle soit londiée. Les londtes à passage
LES CEKCLEILS DE PIEIIUK :W3
siiéiloises vnrient beaucoup en dimensions. La longueur de In cliam-
bre est de II 1/2 à 23 pieds, sa largeur de o à 10, et sa hauteur de
3 1/2 à 4- 1/2. Le passage est souvent aussi long que la chambre,
fn'MjuemnicMl plus long; sa largeur va de 2 à 4 pieds; sa hauteur,
de 3 à o. Quelques-unes, dans le voisinage de Falkoping, où ont été
trouvées, en majeure p.irlie. les tombes de l'âge de la jiierre, soid
[lins grandes; les chambres ont de 30 à 40 pieds de longueur. La plus
grande tombe à |)assage, en Suède, est située prés de l'église de Kar-
leby. La chambre, ipii est recnnvcrte di' neuf gros lilocs de granit, a
52 pieds 1/2 de liuiguein'. 7 de largeur; la longueur du passage
est de 40 j)ieds.
Les cercueils de pierre isolés sont formés de dalles plates mises
delioul, et ont ([uatre ciMés; mais li's deux plus longues ne sont pas
parallèles, ce qui rend le cercueil ]tlns èli'oit ;i nue extrémité (pi'à
l'autre. La plupart ont pioli.dilenu'nt été couvei'ls d'inie ou de plu-
sieurs pierres, bien (pTen beaucoup d'endi'oils elles aient été détrui-
tes ou enlevéï's depuis longtemps; on en trouve encore ([uelquefois
H leur place. La direction de ces cercueils di' pierre va presque
toujours du nord au sud, et, en général, ils sont entourés d'une col-
line en terre mélangée de pierics. Cette forme de tombe est probable-
ment venue île la suppressi(tii du [)assage. Il y a aussi [)lusieurs formes
intermédiaires, prouvant ipie le passage a diminué graduellement; sou-
vent on ne le suit que dans l'étroite ouverture ;i rexiréinilé méridionale
du cercueil. On reconnaît cette forme intermédiaire dans une tombe à
Vamb-Nedregârden, prés Skôl'de,Vestergi"ttland; du côté oriental s'étend
un petit passage, qui, bien que n'étant pas semlilable à ceux des tombes
à passage régulier, foiine la conlinii.ilion de la tombe, court dans la
même direction, et est à peu prés aussi large (pie la tombe elle-même.
La communication entre le passage et la tombe n'est pas formée par
une ouverture entre la dalle de la porte et les pierres de côté du passage,
mais par un trou presque circulaire d'un demi pied de diamètre, dans
le bloc final. La longueur du cercueil, en excei)tant le passage, est
de 13 [lieds 1/2. En 1839, on a trouvé dans celle tombe pinsieuis
squelettes, ciiKj poignards et fers de lance en silex, deux pointes
de flèche en silex, deux pierres à aiguiser en schiste, et une aiguille
eu os.
384 LE PAYS DU SOLEIL DE MINUIT
La lonifueur du cercueil de pierre est iiénéralemeiit de 8 à
13 pieds 1/2, sa largeur de 33 à60 pouces, et sa hauteur ou profondeur
de 2 1/2 à 3 pieils. Quelques-uns. spéciaiemeiil eu Veslergôtland, ont
de 19 1/2 à 31 pieds de longueur. La plus longue tombe connue de
ce genre eu Suède est celle de Slora-Lindskulle, en Vestergolland.
Sa longeur est de 34 pieds, et sa largeur de 8. La planche suivaiile
représente une spacieuse tombe de cette forme, qui, comme beaucoup
d'autres avec des cercueils de pierre, était appelée par le peuple
« la maison du géant »; elle gil au loin dans les bois de Skaltencd,
en Vestergolland, près Venersborg. Ce sépulcre va du nord-est au
sud-oues! ; il a 21 pieds 1/4 de longueur du coté de l'est, ipii est un
peu courbe, et 20 pieds 1/2 de longueur du côlé ouest, qui est iires-
que droit. La largeur est de 7 pieds 1/2 à rexlrémiié nord-est, où a
été placée une pierre plate, et de 5 pieds à celle du sud-ouesl, (pii
est ouverte et en face 'de laquelle le cercueil dcvicnl [dus éh((il. La
hauteur des pierres est de o à (i pieds; lonles soni jointes ensemble
et habilement disposées, de telle sorle tpie chacune, sans troubler
l'égalilé, déliasse un peu la précédente cprelle supporte. Des couver-
cles en pierre, probablement composés de cinq ou six dalles, il ne
reste (pie deux dalles avec un morceau de la troisième; toutes
les autres sont écroulées dans la londir. A rcxtrémité sud-ouest est
couchée une i)ierre qui appartenait au faite ou qui servait de porte.
Le fond du cercueil semble s'être enfoncé d'environ deux pieds dans
la terre, et, de trois eûtes, il est entouré d'un monceau de pierres
sur le(piel le mur s'élève seulement de (pielques pouces.
Presque tous les autirs ceicm-ils de piiMie, comme les lombes à
galerie, n'ont point de pierre ;i rcxin'niilé méridionale. Ceci ne
peut-être accidentel; c'est un point de (jnelipu' importance, car cetti;
ouverture peut être considérée comme luie continuation de l'entiéi'
des tombes à passage, qui, elles aussi, étaient tournées vers le sud.
Un autre fait vient appuyer l'opinion que les cercueils de pierre
étaient ouverts à leur extrémité méridionale; c'est (|ue beaucou[) sont
|diis bas et plus étroits vers celle cxlrémilé. Lue remarque à faire en-
core sur l'entrée des tombes à passage, c'est l'ouverture qu'on voit quel-
ipiefois vers la moitié de la longueur orientale du cercueil de pierre.
En 187,3, un cercueil a été e.\aminé ;i Herrijunga, en Vestergolland,
Viii.' iIl' iiiulil iriiiii' l"Uilii> il |ii^s:iiri', pus île Kaileby.
Plan (l'uni; imulie il passa^'O.
I.e< liiîiie; inrgiilici-es tlésigneut la position îles ilalles i|ni ernivienl la tunibc.
CHOMLECnS 387
o( on y a trouvé celle oiiverlure de 8 pieJs de largeur; la longueur de
la lomlie n'avait pas moins de 30 pieds.
Quel(|uefois les cercueils de pierre isolés ne sont pas enlière-
ment ouverts à l'extrémité méridionale, et n'ont (|n'une ouverture
(arrondie en dessous) de 2 1/2 pieds en hauteur et de 16 pouces en lar-
geur. Outre les cercueils de pierre ci-dessus décrits, on en a trouvé
plusieurs entièrement couvei'ls de terre ou de jjierres qui, évidennucul,
appartiennent à l'âge de la pierre. Ils sont généralement formés de
pierres plates mises debout et couvertes d'autres, de la même manière
que les cercueils de |)ierre ci-dessus déciils; mais ils sont lialiiluel-
lemenl plus jtelils; ils ont de G à 10 |»ii'(ls de long, et sont fermés
sur les quatre côtés. Cependant, on trouve parfois à l'extrémité méri-
dionale une ouverture comme celle que j'ai déjà mentionnée. Une
des plus remarquables de ce genre est située auprès des tombes
à passage de Karleby ; elle a été explorée 1874. Sous un monticule
de pierres, grand mais pas très profond, on a ouvert une tombe faite
de dalles en calcaire divisée en plusieurs chambres, une grande et
deux plus petites; le faite était aussi en pierres semblables et de ni-
veau avec le terrain environnant. Dans la [)ierre servant de cloison
entre la tombe proprement dite et la chambre interne, existe une ouver-
ture ronde de 2 pieds de largeur; l'extérieur de cette (uiverture était fer-
mé par une espèce de porte consistant en uin' dalle plate plus petite,
tenue en place par des pierres rondes. Dans la séparation entre les
antichambres intérieures et extérieures, il y avait aussi une ouverture
de 2 1/2 pieds de large, laquelle, cependant, était faite dans l'extré-
mité supérieure et fermée par une large pierre. La largeur de la plus
grande chambre au centre comportait 13 pieds, sa largeur G .3/4, et sa
hauteur 6 pieds. Ou y a trouvé plus de GO squelettes, et, à côté d'eux, un
grand nombre de poignards, de fers de lance et de flèches, et autres
ouvrages en silex, prouvant que cette tombe appartient à une période
où les ustensiles de pierre étaient encore en usage. On doit, par con-
séquent, attacher beaucoup d'importance à ce (pie l'on a trouvé jtarmi
les squelettes, dans la [lartie basse de la tombe, une couple de cha-
pelets de bronze et de fers de lance de même métal, prouvant que l'âge
du bronze avait commencé en Yestergotland à répo(pie où l'on utilisa
cette tombe. Cen'est pas le seul cas où des ustensiles de pierre et de
388
LE PAYS DU SOLEIL DE MINLIT
liidiizc ;i|)|)arli'ii;iiil .m iiicmÛT fiiio du hroiizc, ont été trouvés (huis
CCS loinlics.
Certaines niaïqucs sur la pierre du sommet sembienl incli(iuer ([ne
r(iii,'nanl en silex iSuialaïul). Moilif Je sa taille réelle.
la coutume (rulfiir des sacrilices au mort prédominait; on voit sur les
sommets de quelques cromlec'hs et tombes à i)assage, des trous d'envi-
.TOn deux pouces de lari^eur. Il esl iiroliahle (|ue les sacrifices, sous
nue lornii' nu sdiis niie .iiilie. luiviil comnnins pendant l'àiJîe de la
C.rumlee'h, pivs de Haiça ilkiluislân).
pierre. Une semblable tombe avec des trous concaves sur la pierre
servant de l'aile a été ouverle prés de Fasmiiriip, en Scanie. Une
autre tombe do même sorte esl située prés de réi,dise de Tanum, en
Boliusli'in.
On a souvent ramené au joiu' des ustensiles de pierre, qui, sans
aucun dout(!, lurent soigneusement enterrés dans un but quelconipie.
Nous "en donnerons quelques exemples : près Ryssvik, dans le Sma-
USTENSILES ET ARMES EN SILEX
:w!t
land méridioiuil, on n dà'ouvcrl ni 18:21, ([iiiiizo grandes l),iclips bien
jiolies, placées en demi-cercle; en 1803, une semblable trouvaille,
mais moindre, a été faito prés Bro, en Nerike, où l'on a mis la main
sur cinq grandes haches bien polies, placées en ligne, sur le bord du
lac à moitié desséché de Mosjcin; ])rés Knem, dans la |)aroisse de
Tombe à [jassage Kaileby (VesliTiînIlaiiili.
Tauum, en Bohuslân, on a exhumé, en 1843, sept scies, un fer de lance,
el un ràcjdir, tous en silex ; sur chacun de ces objet était posée une pierre
jilate; prés de Skarstad, en Bohuslan, on a trouvé, en 1843, sous une
dalle polie, dix scies en silex île la inênie loiine: dijis la paroisse (h;
Scie en sik-x. Bohuslân. Trois liuUièiiics de sa taille.
Skee, en Bohuslân, il y a quehiues années, dix scies semblables,
enveloppées dans de l'écorce de bouleau, furent déterrées. On a fait de
pareilles trouvailles dans des tourbières. Ainsi, en 1803, on a retiré
d'un marais, près de Halmstad, vingt scies en silex, déposées tout iirés
l'une de l'autre.
La province de Vesiergôlland est la plus riche en restes de l'âge de
390 LE PAYS DU SOLEIL DE MINUIT
la pierre. Celles qui s'en rapproclienl en richesses de ce genre sont : la
Scniiie, Blekinge, Hallaiitl, Boluislâii, Dalsland el In partie sud-ouest du
Verniland. Dans la plaine (|ui entoure Falkôping, bien que la terre soit
labourée parla charrue depuis des siècles, on a trouvé encore, en plus
grand nombre que parliml aillcins. des tondtes de i';'iL!c de la |)iiM're;
cerlainos parties du Siualand s(»iil de uiéiue riidies eu souvenirs de cet
âge, surtout les districts de i'(tuesl cl les alentours des grands lacs et des
cours d'eau qui, par les rivières de RIekinjie et de llalland, sont
ndiés à la mer.
Ce qui semble plus renianiuahie, cesl ipùm n"a pas trouvé une
seule Idiube de l'âge de la pien-e sur la cnle de i'csi. el (pie les restes
éparpillés de cette période, si nombreux dans les dislricls de la côte
occidentale, sont 1res rares sur la cùle orientale au nord de Kal-
marsund; il est remarquable aussi (|ue les tombes el les anliqnilés de
cet âge sont très rares en (loliand et en Olaiid, si riclies cependanl en
restes des périodes plus récenles des lemps ])aïeiis. Il vani la |ieiiie de
nienlionner (pu^ les dilTéreiiles aniiiputés el formes de londie ne sonl
pas unilormément distribuées dans la parlie de la Suéde ipii élail liaiii-
tée pendant l'âge de la pierre. Les ustensiles typicpies du plus ancien
âge de la pierre jusqu'ici connus en Suéde, [ont été, à peu prés tous,
obtenus en Scanie; on a aussi trouvé dans cette province un nombre
cunqiai'alivenn'nl grand de haches en silex aiipai'Ienant an plus l'écent
âge de la piei're, (pu sonl rares au nord de la Scanie.
Tout cela semble démontrer ipie la Scanie ne fut pas seulement la
plus peuplée, mais aussi la parlie la plus tôt habitée de la péninsule.
Fins remar(piable encore est la dishilnition des dilférenles fornu's de
tombe. Celles déjà menlionnées soni : 1° les sfendôsar ou cromlec'hs;
2° les tombes â passage; ii" les ceri'ueils en pieiMv isolés, el -i" les
cerciu'ils en piei-re rouveris de nionlicules de pierres on de lerre ipii
apparlienneni à la lin de l'âge de la pierre et furent aussi en usage
pendant la [iremiére période de l'âge du lironze. MainlenanI, il arrive
(pu' l'on ne trouve de cromlec'hs (pi'en Scanie, Halland el lîohnsh'in
et dans l'ile d'Oland, où, cependanl, on n'i>n a déconverl i|ni' ipiaire
loul prés l'nn de l'anlre. A i'i'xceplion de ce groupe solilaire, on ne
voit le cronilec'h — la plus ancienne forme de Unidie anjonrd'hui
connue — qu'en Scanie el sur la lôle occidenlaie; le pins seplenirio-
USTENSILES ET ARMES EN SILEX 391
liai en Suède est situé i>ivs (le Masselberg, en Bohush'iu ; on n'en con-
nail (|ii'un en Norvège, non loin de la limite du Boliuslân.
Les tombes qui se rap|troilient des cromlec'lis comme âge, les tom-
bes à jiassage, sont très nombreuses en Scanie, mais surtout en Skara-
l)oi'gslân du Vestergôtiand ; on en trouve aussi (iuel(|ues-unes en
Bohusiân. Dans les 140 tomlies à passage actuellement connues en
Suède, [dus de 110 sont dans b^ Skaraboigsh'iii, et la plu|tarl [irès de
Falkôpiiig. La partie du Vestergôtiand appartenant à rElfsborgsh'in,
n'ollVe (pic deux tombes à passage planes, et encore elles diffèrent consi-
dérablement des tombes à passage proprement dit. Les tombes de
pierre qui paraissent être les dernières de l'âge de la jiierre ont une
distribution beaucoup plus large que les formes plus anciennes. Les
lombes isolées de ces dernières (/i/////,-/stor) sont abondantes en Vester-
gi'jtland, spécialement en Elfsborgslan, en Bohusiân, Dan, et le Verm-
lanil du sud-ouest. On a trouvé des sépulcres couverts de monticules
appartenant à l'âge de la pierre dans presque toutes les jirovinces où
se présentent les tombes de formes plus anciennes. Ainsi, eiiBlekinge,
Smaland, Oslergmliand du sud-ouest, et dans l'Ile de Tiotland ; — en
d'autres termes, dans les environs où l'on n'a jias découvert les autres
formes. Les cromlec'lis (sfe/idôsar') — il faut le remarquei- — sont tou-
jours près de la mer, rarement à plus de sept milles de la c(Jte. Ainsi
que nous l'avons mentionné plus baut, on trouve souvent les autres tom-
bes de lâge de la pierre au loin dans rintérieur; mais ])resque toujours
2
LE TAYS DU SOLEIL UE MINllT
snil-oiu'sl, dans le voisinaiic de Wiiii^akor. On peut cii trouver l'expli-
caliiin dans le fait qu'une Iiranclie de la impulation se rendit des impor-
tanls (■■laldissemenls de la partie si'pli'idrionale du Vestertrûtland,
[lar Xeiike. dans le Sudcrnianland (lecidental. Il est évident aussi,
d'a|iivs Cl' (pii précède, (|iir le piMipIc qui a laissé après lui ces anli-
qnilés. ddil être venu du sud, on plulôl du sud-ouest c'est-à-dire
du Dant'inaïk. Cette miiiralion du sud-ouest est d'aulaid plus remar-
ipiahle. (pie celle du sud-est et des régions à l'est, pendant les
périiidi's suivantes el jusipraux siècles plus récents, a été d'une extrême
Cercueil de liierrc, jirés Skalloncd, Veslorij'ûllaml.
iinpiMiance pour le Jiays. Quand ou se rap|iell(' ipiids n'dcs inipor-
lanls ont joui'' Oland cl (lolland |iriiilaiil l'à^r du fer. ou peut s'éton-
ner qui' li's restes de l'àtii' de la pieri'c soient si rai'es dans ces îles.
Oidre li's antiquités déjà menlioiniées de l'âge de la pierre, ipie
l'o'i n'a Irouvées que dans les parties du sud et du milieu delà Suéde,,
ou \oil, dans les parties septentrionales, plusieurs antiquités de pierre
polie — généralement du scliisie — ipii, elles-mêmes. pioii\enl qu'elles
n'apparlieruienl pas à l'âge de la pieiie du .■^uil de la Scandinavie, ni an
pi'ujile qiu a coustnul les crondec lis el les tomlies à passage. Ces
MOXTICLLE TOMIJAI.
39;i
antiquités, appelées « aaliquos », ont élé trouvées principalemenl en
Norrland et en Laponie, où les objets de pierre du type Scandinave
sont très rares. Les dernières nommées appartenaient à nu peupir
différent; c'est ce que prouve le fait que les deux genres n'oiil
jamais été trouvés ensemble; que les antiquités arctiques olïrent une
grande similitude avec celles qui ont été découvertes en Finlande,
et que les Lapons, les Finnois et les peuples de la même race habitaient
les contrées septentrionales, où les ustensiles de pierre de mêmes formes
et de mêmes matières que ceux de la Scandinavie du Sud sont presque
inconnus.
l'iMlil irmi iiionticulc tombal près Dominerslorp.
11 n'exisle (pie peu de cas où les pointes de lance el couteaux de
schiste particuliers à l'âge arclique de la pierre aient élé trouvés en
Svealand ', au sud de Dalarne, et en Gôtiand, el il esl aujourd'hui
diflicile d'expliquer ce foit. à moins de supposer que les La|)ons ont
habité autrefois, bien qu'en [lelil nombre, au sud de Dalelfven, ou que les
ustensiles de schiste furent en usage chez le peuple du sud Scandinave
à Tàge de la pierre, el qu'il les recul de ses voisins du Nord. Comme
il semlile probable que. dans la péninsule, on a trouvé des restes de
deux peuples différents qui y demeurèrent dans l'âge de la pierre,
il serait important de savoir en quelle relalion d'époque l'âge arctique
de la ])ierre se tient avec la Scandinavie du. Sud. Le [iremier a-t-il
commencé plus lot ou plus l.inl ipic li' drrnier"?
1. En Svealauil, au-dessous iW. Dalaruo, |ilus ilc •,',:i(iii uslcusilcs lic |iiurro
Scandinaves ont clé trouvés, mais souionicnt 12 fers do laucc li couteaux de schiste;
laiidis (jue, dans lu parlie méridionale, où l'on a récollé jilus de 44 000 aiilii|uilés de
liierre, on ue connaît qui' cinci fers de lance en schiste.
"2. Il n'est pas riouteux ([u'en Scandinavie l'ilge de la [lierre n'ait l'iidjrassé
une longue période de temps; ceci est prouvé par le grand nonihre de tomljes,
ustensiles, outils, etc., ([ue Ion y a trouvés, el (|iii iudiipieul aussi le perfec-
394 LE PAYS DU SOLEIL DE MINUIT
Diiraiil l;i diMuière partie de làs^e de la [licrre en Seamlinavie, on
lit des progrès considérables [en agriculture et en élevage du hélail,
(juoiijue la chasse et la pèche demeurassent encore des occupations
très importantes.
La connaissance de la i'abrication du bronze arriva sans doute aux
peuples de la péninsule, du sud et du sud-est.
La planche précédente offre la section d'une grande tumlie, jnès de
Dommerstorp, en Halland méridional, appartenant à Tàge du bronze,
laquelle a été examinée avec beaucoup de soin, il y a ([uebjues années.
Au milieu du fond du monlicule, en a, était construit un grand cercueil
de pierre ayant 6 .3/4 pieds de longueur, contenant des restes humains
qui n'avaient i)as élé brûlés. A trois autres places, plus haut dans le
même monticule et près du Imrd, on a trouvé trois jilus petits cercueils
de pierre, n'ayant que 1 à 2 pieds de longueur, remplis d'os brûlés. Près
du sommet du monticule, était disjjosé un pot d'argile avec des os
brûlés et un cerceuil; en Z», il y avait une pierre plate, couvrant unirou,
où se trouvaient aussi des os brûlés. Le grand cercueil, placé au sonunel
du monticule, el l'un di's deux autres plus |ietits, renfermaient, outre
les ossements, des antiipiilés de l'âge du bronze; indubitablement les
trois autres appartiennent aussi à la même période. Il est évident que
le grand cercueil avec des ossements non brûlés, au fond du monticule,
doit être ])Ius ancien que les autres puisqu'il n'aurait pu être construit
sans Ius près du fond que les dernières. Il s'ensuil donc que les tombes de
l'âge du Itronze, avec des restes non brûlés, doivent être cousidéréi's
comme plus ancieiuies (|ue relies où les ossements sont brûlés. On peut
ajouter, c(unme coidirmaliou de ceci, (pie ]»lusieurs lombes avec
ossements non brûlés, considérées comme appartenaid à la première
période de l'âge du bronze, s(ud 1res semblables à celles de la i)ré-
cédenle période de l'âge delà pierre, et que les tombes de la lin de
lidimeiiii'dt !j;ni(liicl du pcuiiio. Copemlaul, cd Agi' s'est, imiiorcoptiblomcut I'oikIii
dans l'âge du hrouze; car, même après que l'on eut acijuis la couuaissancc de ee
métal, ou se servit encore d'ustensiles de pierre pendaul imc période considérable.
L'AGE DU BRONZE 395
l'âge du bronze se sont développées d'après celles de son commencement.
On peut donc dire (pie la forme des lombes suédoises suit une chaîne
ininterrompue de développenicnls, dontle commencement esl la i^rande
chambre tombale de l'âge de la pierre, et la fin les insignifiants tunudi
couvrant des poignées d'os brûlés. Les plus anciennes tombes connues
de l'âge du bronze, en Scandinavie, sont les cercueils de pierre
renfermant plusieurs scjuelettes; ces cercueils, finalement, décroissent
entaille jusipi'à ce qu'ils ne deviennent pas plus longs i|ue 6 3/4 pieds,
ou juste assez larges pour contenir un corps. Ces cercueils de ])ierre,
de la largeur d'un homme de taille moyenne, sont intéressants comme
indi(piant la Iransilion avec les plus petits (|ui contiennent des os
brûlés; quelques uns de ceux-ci, d'une taille calculée pour un corps non
brûlé, n'ont contenu que de petiisjlas d'os incinérés, et appartenaient
évidemment à la période pendant laquelle la crémation des cadavres
prévalut.
Beaucoup de ces petits cercueils de pierre sont à peine assez
grands pour renfermer un pot d'argile, dans lequel on rassemblait les
ossements.
Quelipicfois on ne (rouve pas de cercueils, mais seulement des
pois d'argile avec des cendres, un petit coulean de bronze, un mor-
ceau de scie en bronze, ou quelque chose d'approchant. Enfin, dans
quelques cas, les os étaient simi)lement mis dans un Irou jiercé dans
le monticule, et on recouvrait le tout d'une dalle en pierre. D'après
les traces trouvées dans les tombes de cet âge, il est probable qu'en
Scandinavie, les serfs furent quelquefois brûlés avec leurs maîti'es
défunts. En fait de mobilier et d'ustensiles, rien n'a été conservé à
l'exception de vases d'argile, de bronze et d'or, el, çà el là, quelques-
uns de bois, mais naturellement très communs, et cpii ont rarement
résisté aux ravages du temps. Les vases d'argile sont diversement
façonnés, mais souvent intérieurs à ceux de l'âge de la pierre en
ornementation et en i)ureté de la matière employée.
Dans deux lombes qui appartiennent certainement à la période en
question, .on a trouvé des boîtes rondes en bois mince, avec couvercles,
à peu près comme celles qui sont encore en usage. La plupart des
vases de bronze oïd la forme ci-dessus décrite, et on en découvre
assez fréquemment avec une sorte de couvenlc de biunze, soi! pour-
306
LK PAYS DU SOLEIL DK MINLIT
vus ilo doux poigiit'i's. soil ;iv('c des liouhiiis en forme de roue, aux-
quels sont attachés les liens qui jitiiini'nl le vase et le couvercle. Ce
dernier est toujours d'autant plus pelit, ((u'a|iparemmeid on ne le
ààâlaodoi?pooS^^B^^,
linl en or (r)li'kinge).
rnellait pas immédiatement sur le vase, mais ([u'on l'altachail un peu
au-dessus. L'usage auipiel seivaieut ces vases est encore inconnu.
I.'nne îles quatre dalles du cereiieil, prés Kivik, en Scaiiie.
Seliiii Imile probabilité, les vaisseaux on vases d'dr trouvés eu
Blekinge servaient de coupe à boire; ils soni très miiu'es, ornés de
ligures en lepnussé, el apparlieiuirul pi'obablcmont à la dernière
période de l'âge du bronze.
Couvercle du vase.
Vase de bronze suspendu, Iroiivé en Veslerg"itlnnd.
Ya tU'^ poignards, des
liaches, des épieiix (mi lanci's. des arcs el ili's nèclies. et pndtahlemenl
.i02 LE PAYS DU SOLEIL DE MINUIT
aussi des massues et tles froiules. L'arme de défense essentielle fut le
bouclier; on peut y ajouter les épées et, dans quelques cas, les heau-
mes. 11 l'aul encore mentionner les magnifiques cors de guerre en
bronze, trouvés en plusieurs endroits. On fabri(piait généralement les
boncliers en bois ou en cuir, et ils sendilent avoir été ornés d'une
plaque ronde en linmze avec une pointe dans le milieu: quelquefois
ils étaient entièrement de bronze. Plus de 300 épées et poignards
ont été trouvés en Suéde.
On a exhumé de belles haches de bronze près d'EskiIsluna, non
massives, mais consistant seulemeni (>ii une mince coquille di' bronze
moulée sur de l'argile qui est encore dans l'inlérienr; elles ne peuveiii
donc jias avoir élé employées pour la guerre, mais simplement comme
ornements.
La même diftlculté pour distinguer, entie les haches de balaille et
celles (|ui pimvaient être utilisées comme outils, se présente pendant
les âges de la pierri' el dn bionze.
L'uni' des |ilaiichi'S suivaiiles représente des navires, d'après un
rocher gravé, en Bohuslân. Un rocher semblable à Tegneby, dans la
même province, esl de 1res grande taille : vingt-six |)ieds en hau-
teur et seize en largeur. On croit (pi'ils ont appai'Ienn à l'âge du
bronze à cause de 1° la dilTérence entre en\ cl les pierres runiipies
de l'âge du fer; 2" la profondeur de la graviu'e, car les picncs l'U-
nicpiesn'en donneni ipie les contours; T les diverses sortes d'épées;
4° les dilfèieiiles formes île navires ; — ceux de l'âge du bronze
ont les exirémilés dissemblables l'une de l'antre, tandis que. dans
ceux de l'âge du fer, elles sont semblaldes; o° l'absence de rimes
(on sail que les l'inies fureni nsili''es pendaul les premières pi''riodi's de
l'âge dn l'rr. mais nulle pari on n'en a Irouvé sur les rochers gravési;
0° la dissemblance des signes symboliques religieux : <■ la roue » el la.
K croix angulaire ». Sans doute ces deux symboles oui été employés
comme tels, quoique à dilfèrenles périodes, l'endanl l'âge du bronze,
on ne se servait que di' la roue, et la croix n'a|)parail que durant
l'âge du fer. Tout c«da indiqur que les gravures des rochers doiveni
avoir été exécutées avant l'âge dn 1er; il n'est, i)ar conséiiuent, néces-
saire que de constater s'ils ai»parliennenl â l'âge du bronze ou à la
périoile précédente.
LA CliKMATION EN SCANDINAVll'] /i.()3
La prt'si'ncc riV'(|iM'iil(' iré])(''OS dans l'es gi'avaves sur les rochers
-[H'ouvc (|ii'('lles ii'oiil pas existé pendaiil l'âge de la [)ierre, où l'épée
élail ignorée. La plupart des gravures aujourd'hui eoiinues en Suède
>f' présentent dans le Boliuslân septentrional, rOslergôtlnid, dans le
sud-est de la Seanie et, plus rarement, en Blekingc, Dal, Verniland,
et Uplainl; on eu coiiiiait encore deux en Angermanland el en .lemtland
dont nue peut-être apjiartienl à la niérnc péiidde (pie celles des jiro-
\inces plus méridionales. On a trouvé lécemmenl, en Norvège, hon
nombre de l'ochers gravés ]>rincipaiement dans la partie du pays (pii
touche au Bohuslân ; — de grandes dilïérences existent cependant
entre ces gravures dans différentes parties de la péninsule Scandinave.
Celles du Bohushin, par exemple, lepréseiiienl souvent ilt'f. hommes
ci des animaux; ce (pii est rarement le cas pour celles d'autres pro-
vinces. En Ostergotland, des épées et des boucliers, non portés
par des hommes, sont assez fréipn^mment représentés, el c'est à
•|ieine si ['{)[[ en vnil sur les rochers du Bohuslân. On reconnaît
I.E PAYS DI' soLKH. 1)H MIMIT
ri|iiM|iie ;ill;iiii du coiiiiiifiiii'iiii'iil ilf l'i-re clirétieiiiie jusque vers
riihiii'i^ i.'lf). rii Sc.iiiilin;i\ir ; 2" le milieu île rà.s;e du fer, de i.'iO à
Tilii eiivinin ; 'A° l;i lin de ITii^e i\[\ fer. ou ce ijue l'on appelle le der-
nier ;ii,'e du fer. Je Tan 700 ;'i la ileiiiii'ic moitié du xii" siècle.
I lie Liraiidi' ipianlilé de monnaies, de vases en liron/.e et en \i'rre,
d'arnies, etc.. etc.. el même d'o'iivres d'ail d'iiriLiine runiaine. |iron\i'nl
i|iii', |iendanl le dernier iîiic du fer, les Suédois eurent des rapports
iiiniiiicrciaiix passaldement élendus. siiil direcli'Uicnt aM'C les Romains,
suit avec un peuple rpii comuieiiail avec eii\. l ne des ]»lus remar-
i|naldi's trouvailles d'ouvraiies rinnains a élé l'aile en 1SI8. à Fickliuge,
pré< \'estvras; là. un a reliri' d'un iin.inlicnle himlial un i^rand vase
i\r Iniinzi' CDiilciianl des os liriilés el ipirl(|iics morceaux de \eiri'
liiiiilii. Le Mise piirle une inscription disant ipi'il a élé consacré ;i
\pidliiii lirannus par Ammilius (^onslans. surintendant ilu templi^ de ce
dieu. Ce mauniliipie vase a environ dix-liuit pouces de liaul ; les orne-
niriils aul(Mir du hurd snpi''rii'ur smil incrusl(''s d"arj^'enl. Des vases
iMiii.iin.s. en hriMi/.c. sans inscripliMH, mil l'Ié di''couverls i^n (înlland.
• •n a Iniini'' en Norvège heancdiip d'.ancicnnes lomlies iiininli-
ciilrv apparlenaiil à Tàfie du Irr. On \ a déi-iiuverl en 1res i^rand
iMHiihre des objets intéressanls. enirr autres une pièce d"orle\rerie en
m. Iravaillée en liligrnne, d'un dessin si plein de goùl el si linemenl
'■\è,iiiè. ipic c'est sans dmilr le pins lieau morceau Iroiivé dans les
iiiniihi-iilcs de la Scandiiiax ic. En outre, l'or esl à peu près |)ur l'I'A ca-
lal^ . Dans 1 annexe i paroisse) de Iluviii. près de la slalion du cliemiii
de 11'!- à Trugstad, Smaalenenes-Aml. est situé le Halviieliaug imonli-
nili- Ar Hakiiei prohahlrmenl le plus grand monticule des rovaiimes
MMiidinavrs ; il incsiiic (i(l picils en liaiileiir cl ilOO pieds iMi iliamèire
à sa hase.
\ l'aide des Iriinvailles de l'ancien âge du fer faites au noi'd. nous
I \iins olilenir une idée assez exacte de la vie el de la civilisation
en Scandinavie dnrani les siècles où le paganisme et le clirislianisme
cdiiiliallirenl l'iui cinilre l'anlrc pour rascendanl sur le monde romain,
et iiii les attaques contre les froiilières de l'empire par les nalions
;jenii,iiiiqne>, de\eiines pins frèipienles el plus violentes, linireiil
par la victoire des >■ liarliares ". la ruine de Hoiin'. el la deslrnclion
i|iparente de l'ancienne civilisation.
.JlLl
.-^
4;
.'u/..'^
Uoclier gravé, près Backa, en Bolmslân.
Muiiticiili; ili' pifrrt's. sur la cOh; di; Culiiislfm.
COSTUMES ET USAGES DE LACE DE FEU 115
La plaiiclii' (le lu page 417 (loniu' une idée de la manière doiil se
vêtait un chef norseil y a quinze cents ans. La représentation n'est pas
imaginaire et peut à hon droit être considérée conàme liisli)ri(|uement
vraie. Les vêtements, armes et ornements sont les dessins exacts de
ceux trouvés dans les tourbières danoises à Thorslijerg et à Nydam,
et dans le Julland méridional. La tourlie a conservé d'une manière
étonnante les choses les plus délicates et le plus l'acilement péris-
sables, en sorte que nous sommes à même d'avoir, dans un [jarlail
état, l'habillement, l'armement, etc., du premier âge du fer. Les vête-
ments sont en laine; le tissu paraît plus beau que celui de l'Age du
bronze. Les parties principales de l'habillement sont : une longue
jaquette avec manches jusqu'au poignet, et des hauts de chausses
retenus autour de la taille par une courroie de cuir et rattachés sur
les pieds à de longues chaussettes. La chaussure se compose de san-
dales de cuir, avec ornemenis liien travaillés. Sur les épaules est jeté
un manteau bordé d'une frange. Un manteau retiré de ces tourbières
a conservé sa couleur, qui est verte, avec bordures jaune et vert
foncé.
An commencement de l'âge du fer, apparaît une autre nouveauté :
les ciseaux, très semblables à ceux actuellement en usage. Pendant
cet âge, les vêlements étaient généralement retenus par des épingles
ou des lioucies que Ton a trouvées en grand nondji'e dans les lombes
de celte période. On voit rarement des boulons ou des agrafes. D'ajjrés
les trouvailles tombales, — la seule source de connaissance pour
l'usage de ces boucles et autres ornements, — on a i)u aflirmer ipie
l'on portait plusieurs bouclesà la fois. Ainsi, dans unr lunibc rimlr-
nant un squelette, on n'en a pas exhumé moins de quatre. On en
mettait une au col, une sur (diaipie épaule, et une au milieu dr la
poitrine. Les armes étaient à peu de chose [très les mêmes que celles
de l'âge du bronze, quoique de formes un peu dilTérenles. L'épée à
double tranchant était commune.
Durant cette période, les cornes servaient de coupes à boire; on
employait aussi les vases de verre, de bronze, d'argent, et aussi de
bois et d'argile. Ces derniers, qui, probablement, furent presque
entièrement de fabrication domestique, sont beaucoup plus beaux,
plus minces et mieux cuils que ceux de l'âge du bronze. La forme
ilo
F,E P.\Y> Dl" S(il,i:il. DK MINTIT
.iiissi ilriiiilr plus ilr tiOi'it. Ls's v.ises (l';iri;ili' ilii pirmieT fr^o ilii IVi-.
.iiissi liii'ii (|ii(' ci'nx ilos ili'iix ;\i,'i'S |ir(''céil('iils. ne siinl |i;is vci'iiis.
Le M'ni' fiil Irrs ;i|i|ii't''ci('' |iriiil,'iiil cclli' pT'i'ioilc ; un pciil l'in-
IV'rci' lie rc ipii'. ihiiis pliisiciii-s Piinhcs, on a li-diivi'' (l(N vnscs il'iii'Liili'
i|;iiis li'sipn'ls lin av.iil insi'i'i'' i\r> nioi'coaiiN ilr vorri' cassi'' cnniine
oniciin'ii l>. Oiilic les \asi's à Iniin'. nu a pailois ilrli'i'iM'' îles ilrs ri
ili's ('l'Ii ii|ui('i>. Sui" nnc picnr ili^'onvcrlc en \ plnnl. cl rnnsci\(''('
Vase roinnin imi iMcni/o, Ininvr pii'S deVi'sInas Wi^liiiaLiliinil
aiijiMM-irinii an Musi'c nalidiial ilr SIih-KIiiiIiii. (in vnil nn lialcau de
l'ài;!' (In Ici'. Ir(''s scnililalilc à ccnx cncdic en nsaiic sur la ('("île île
.\oi'V(!'l;('. sp(''cial('ni('nl en Xiinllaiid.
(îi'MK'iali'nicnl, les hmilics de Tàuc dn 1er sont couvcilcs d'un
niiinli('ul(' 1(111(1 (111 iiIiIiiiil:. en Iciic (in eu |ii('i'n's. Sduvcnl ils Sdul
suiuKiiili's (le iKitildslcnar (pierres luiiiiilaiivsi. Liiaudcs d pnsées
deJKinl. (piclipiet'ois ih' iiaulenr considéiaiile. Un des plus vasies de
CCS idianips fuui''i'aii'es. eu Scandinavie, esl sihn'' à dridiv. |in''.s
Chef norsc ilans sun cûslume iilii plus amii'ii iii;c du fer).
l'H'i'ivj iiiuiliahs illniit istcnac , a liivhs, ni l;ll'lu^lâll,
LES RUNES 41!)
drebbestad, sur la côlc do lîolmslân. Il y a encore plus de ci'iil liii-
(|uante monticules, eu parlio ronds, en partie oblongs, tout près l'un
do l'anlro, et au sommet de cliacun, ou entre eux, s'élèvent de mas-
sifs baulastenar dont le plus haut mesure au moins (pialorze pieds
au-dessus du sol. Les baulastenar de cette période sont maiulenanl
à |ien jirès illisibles, parce (pie li' souvenir de ceux en rininneur
desquels on les a érigés est éteint depuis bien des siècles. Paii'ois
l'ini lieux porte une courte inscription donnant généralement le nom
de la personne décédée. A Hjorkelorp. en Blekinge. non loin de
Konneby. on voit trois magiiiliijues pierres, dont l'une porte une
iiiscriplion conlenani une m.déiliclion sui' celui ipii dèlrnirait ce
nuuinini'hl. Il y a iranciennes rimes ipii m' ressemlileiil [las à celles
des }»ierres d'une période pins récenle. On a trouvé ciii(| arlie la plus ép;iisse, outre
plusieurs ornements — probablement pour épées — dont le métal était
remanpiablement pur: car il contenait 98 ]iour 100 d'or. De cette
magnili(pi(! trouvaille, on n'a sauvé (pTune petite partie poui'
l'Élat, le reste ayant élé foiidn iiv.oil ipic les autorités eussent enlemlu
parler de la découverlt'. Très souvent, on a trouvi'' des anneaux en spi-
rale dans d'autres endroits, el on croil qu'ils ont servi cononesignes de
valeur, ou de monnaie.
Les plus belles de lonlesles trouvailles d'or de lére païenne soni
Irois grands et larges colliers — conservés maintenant au Musée liis-
loriipic (le Slockliolm — pesant de uni' livre et demie à deux livi'es
chacun. Ils consistent en plusieurs luhes (3, .ï, ou 7) posés les uns sur
les autres, couverte d'un liligranc exipiis cl d'autres ornements; il y
a par derrière une jointure, cl. (1<' l'ace, le collier esl assemblé par les
extrémités des tubes enirani l'un dans l'aulri'. L'un d'eux a élé trouvé
sur le versant du inoiil Alleberg, prés Falk(")|)ing; un autre, prés de
l'église de .M("ire, à environ dix-se|it milles du |>r(''i'édenl endroit ; el le
Iroisième (représenté par la planche ci-contre) a été trouvé en 18G0, à
Torsiunda, prés Fârjesladi'u, en Oland.
GHxVPIÏRE X}
LK DEUNIEU ACE UU FEU OU UE.S VIKINGS.
1.e tloniiev âge du fer ou des vikiiigs. — .\|i]iaiilion subite îles Vikiiigs dans l'Euro]ic occiilciUalc
et inéviilionale. — Armes dont se servaient les Vikings. — Eviicditions pacifiques et guer-
rières. — Inscriplions intéressantes sur des pierres rnniques. — L'ancien pont de Tâliy. —
Ponts avec pierres runiqnes. — Contumes et habitudes des Scandinaves dans la ilernière
partie de la période [laïenne. — Manière de bâtir. — Point de cheminées. — Forts île pierre.
— Restes il Ismanstorp. — Ustensiles de ménage. — Manière d'enterrer pendant l'époiiue
viking. — Une pierre runique remarquable. — Construction de vaisseaux chez les iXorscs.
— Grandes Hottes. — Pierre runique expliquant les formes des vaisseaux. — Xrvirc viking
trouvé dans la .Norvège méridionale. — Comment on enterrait les Vikings.
A |);irlif de 700 .ipivs Jésus-Chrisl eiiviioii, itistin'i'ii 1000, .i|)|t;i-
riil, sur les riv.-ii^cs de TEufope occideiilrilc cl iiirrididicdi', un |HMi|ilt;'
(|iii fui la lei'i-eur de leurs habilants, car il ne venait ([ue pour piilei'.
Les llolles de ces liommes du Nord (Nortlimcn) domiiiaieul sur la mer,
el leur |tuiss;iiiee, (jne^pie pari (|u'ils allasseid, semblait presque irré-
sislilde. Aprt's un certain temps, ils s'établirent sur jdusieurs poiids
lie la cùle ([u'ils avaient cumpiise, el y fondérenl des royaumes. A celle
époque, la sociélé. plongée dans le cIimos, ne s'était pas relevée de
l'obscurité dans Lujuelle l'avait jetée la ciaile de Rome.
Les cbroniipies françaises et anglaises de celle période ne d(jiinent
qu'une idée im[iarfaite et même erronée du caractère des Vikings. Il
424
LE PAYS DU SOLEIL DE MINUIT
nous faut laiipeler (juc cos ivcils oui (Ml' écrits par leurs ennomis jurés,
hommes qui ne prolessaienl |)asla uième religion el qui regardaient les
viclorieux Northmen comme l'incarnation de la cruauté et de tout ce
ipii est vicieux. Mais les Vikings u'élaient ni sans culture, ni sans
nobles qualités. Ils furent iiraves et téméraires, el, si nous pesons ini-
partialenieid les faits qui sont venus jus(pi';i nous, nous appreiulrons
(pic beaucoup de ces puissaids guerriers lircnl pivuve de grande liabi-
Iclé. (pi'ils gouveniérent bien les pays conquis par eux. et que. après la
l'Iaiinos ilo lironze. avec ligures en rcliel', Irouvées en CMand.
bataille, ils se montraient — comme en général tous les braves — gé-
néreux envers leurs ennemis vaincus. Les hommes, sans qu'ils s'en
doutent, falsilient souvent l'histoire lorsqu'ils sont aveuglés par la haine,
le préjugé ou la bigoterie; (pielquefois aussi pour satisfaire leur
intérêt.
Les nombreuses IronNaillcs faites el les sagas nous donnent d'excid-
lentes inf/>rmations sur les armes (pii rendireid autrefois les Vikings si
redoutables. Par elles, on voit (pie ce furent en grande partie les mêmes
(pie penilant le premier âge du fer, et la planche ci-dessus offre des
plaipies de bronze avec figures repoussées, représentant difl'érenies
formes de casiines en usage |ienilant celte période. Les armes usitées
étaient l'épée, l'épieu, la lance, la massue, l'arc et les lléches. el la
1res redoutée iiache viking. Les l'ers de lance, aussi bien que les haches,
étaient souvent incrustés d'or et d'argent. On se servait généralement '
d'arcs et de flèches pour la chasse; mais, dans les batailles navales,
ces dernières armes jouaienl aussi un lolo important.
ijcs jiliis foiniidables èlaieni les épées à double IranclianI, très
PIERRES RUNIOUES
42a
estimées par les Norscs anciens. Les Skaldes, dnns leurs clmnts, ont
vanté leurs qualités, et les vieilles sagas nous disent comment ces
armes passèrent i)ar héritage du père au fils, pendant des générations;
on a même fait remonter la possession de quelques-unes jusqu'aux
Asagods. Beaucoup étaient (irnées de dessins en or, argent et bronze
finement exécutés. Il y a peu d'années, on en a trouvé une l>ien con-
servée, en Scanie méridionale; on peut la voir aujourd'hui dans le
musée de l'État.
Un grand nombre de pierres rnniipies ré[)andues dans diiïérenles
parties du pays, témoignent des nombreux voyages entrepris vers l'est
Pierre ruiu(|ue à l'exlrémile imnl du poiil de Taby, en rplaiid.
par les Vikings, dans des buts pacifiques on guerriers. Sur une pierre
rinii([ni'. en Sôdermanland, il es! écril (in'rllc a été érigée pai- Sirid en
mémoire de son mari Sven, qui navigua souvent, avec des vaisseaux de
prix, vers Semgallen. jirés dr Tuniisnis. Scnigallen est la partie
orientale de la Courlande, sur la rivière Diina, et Tumisnis est
Domesness, le point le plus septentrional de la Courlande. Sur une
autre, maintenant dans une tour du château de Gripsholm, les carac-
tères runiques disent : « Tiila a élevé celte pierre à son lils Havalt,
frère d'Ingvar. Il s'en alla Inavemeiit à Kul , cl mourut plus loin
\-2C> LK PAYS DU SOLEIL DE MINIIT
à l't'sl, à K,if:i, au sud do Sj'irkland fpays sarrasin). Eu iralili',
ces pit'i-i'ps ruiiiques semblent aiiparlenir à la iiremiére moilié du
.\i° siècle.
Il en est d'autres qui nous parlent de voyages en Grèce. Dans la
paroisse d'Eds, Upland, il y en a une dont les runes ont été taillées
par un certain Rai^nvald, (jui fut en Grèce chef de l'armée. A Finkeby,
non loin d'UiJsal. une autre a été consacrée par un jiérc à la mémoire
de son lils, donl I'imi lui clicf des Vikings iV/'/ri/ii/ar/ii'K cl ipii alla
en Grèce, mais ipii nionrul chez lui. On trouve des iiierrcs parlant
d'expéditions en Grèce, non seulement dans les provinces de la cote
d'L'pland, Sodermanland et Osleriiuiland, mais encore dans les
districts lointains du pays. Sur l'une de celles (pii ont été découvertes
en Uplaiid, on lit une insciipliou ipii }iarli' d'ini lionuuo nnirt eu
Lan^bardceland (Lombardie), dans l'Ilalie septentrionale.
A Tj'iby, an noi-d de Stockholm, la route, encore à présent;, conduit
à un vieux ])ont ayant sur ses côtés plusieurs grandes pierres posées
à dislances égales et f|uelques-unes i)lus jjelites, hirmaid une chaîne
d'un bout à l'autre. La grande jtierre, à l'extrémité mnd ilii pont, porte
l'inscriplidn suivante : « laiiahanke a i''iigé ces iiicrrcs pour lui-mèiue
pendant (|u'il était encore vivant. Il a cunsiruil ce poid imin' le saliil
de son àme, et il était propriétaire de tout Taliy. Oue Dieu sauve sou
âme ! »
La l'oiane de ces runes, aussi bien ipie celle de quehpn's antres
trouvées dans le même voisinage, l'I (pii portent également le nom di'
larlalianke, nous prouve ipi'il vécid au m'' siècle, cl pliilôl dans la
première moitié que dans la seconde. Il y a par consé(pieiit ciivii'ou
huit siècles (|ue le pont de Tâliy est eu usage.
Dans d'autres endroils de la Suède, ou peut enc(H-c voir des |)onls
ilont les |)ierres ruiuipies remontent aux premiers lenqis dn christia-
nisme. Lois(|iron reconsirnisil, vers l8o<), le poni ipii passe sur un
cours d'eau près de l'église de, Ivullerslad. en Oslergôtland, ou
trouva une picric tondièe et oubliée (pie l'on rideva. Sou inscriplion
(■(unmencc ainsi : « liakuu a fail ce pont, mais on l'appcdlcra pont de
Guiuiar. ■) — « Une pierre à Snndby, prés d'Upsal, nous dit que
Turc avait l'ail des sâloliiis (des (piaiiicrs) après la mort de sa femme.
De semblables ipiarticrs fnreid bàlis sur le hoid îles chemins soli-
MŒURS, COUTUMES ET INDUSTRIE 427
laires. où lo voyageur faliguê no iiduvail Iruiivcr un loit pour aluiler
sa tète.
La grande masse, })eut-è(re la jiUis grande, de la population de
la Scandinavie, pendant la dernière partie de l'époque païenne, vivait
4lans des villages (|ui, en majeure partie, peuvent avoir porté alors
les mêmes noms et eu la mèni(> situa! ion qu'à présent, on au moins
jusqu'au moment où la nouvelle division du ]tays les lit disparaître.
On peut le voir par cotte circonstance, qu'à côté de cliaque village,
surtout dans les provinces autour du lac Malar, il existe encore des
cliam}»s funéraires où reposent les populations [laïennes do ces
villages. Comme l'art de lnùlor la chaux ot les briques ne fut proba-
blement introduit dans le N'onl (pi'au temps du christianisme, les
maisons de cette époque furent évidemment do la mémo sorte que
celles dont on a découvert les ruines à Hiorkou, ou lac Mâlar. Ces
ruines, les plus anciennes do la Suéde, consistent en morceaux d'ar-
gile durcie qui ont retenu parfaitement leurs formes. C'est par eux que
nous |)ouvons dislinguei' outre doux sortes do bâtiments, les huttes de
terre et les maisons de bois dans losquollos les jointures entre les
solives sont fermées par de l'argile. Los ruines do bâtiments do la
première sorte nous offrent des morceaux iFargile de formes irrégu-
liéres, habituelloment lisses sur un côté, mais sur l'autre — tourné à
l'intérieur — offrant des impressions do brindilles ayant souvent [ilus
d'un demi-pouce d'épaisseur.
La partie interne de ces maisons consistait généralement en une
<'hambre carrée, oblongue, donl les côlés les plus longs étaient bas,
souvent moins élevés (pi'uno haulour d'iiouimo, et manquant de
fenêtres ainsi que de portos. L'entrée se trouvait à une extrémité, et
un porche la protégeait. Loi'S(|iron y ailaiilail luio fouélic, on la
plaçait sur lo toit, (pii all.iil on pointe ot r(q)osait sur i\rii traverses
portant d'un mur à l'autre. Ils n'avaient point do cheminée, seulement
une ouverture dans h' loit ]iar où soitait la l'innée qui s'élevait de
l'àtro, situé au milieu de la chambre. Le toit était couvert on paille, en
gazon, ou avec des bardeaux. Le mobilier, dans les maisons des paiens,
n'était ni abondant ni précieux. Des bancs et des couchettes attachés
aux murs, de grandes tables en face de ces bancs, et une armoire ou
doux pour conserver les trésors de la famille, tels étaient los articles
■i-2H
LE PAYS UL' SOLEIL DE MINUIT
priiicipaux du mobilier, sinon loul le mobilier. On a parlé (lucbiiicl'ois
(le rliaiscs, mais pas soiivenl. Odin s'exprime ainsi d'après le chant de
ll.'ivanial :
Slli' hi ciiaisc d'or,
(lillilud m'a ilniiiu''
A Iioii'r le coûteux liydiiMiiel.
El, dans une sai^a irlandaise, on nons dit conimenl nn liomme
loiiilla dans un nioulii-nle lombal de Norvège, eu lUll, el v trouva
riiiii' riiiiii|iii' ;ivor li^nres. prés I.evode, en Gollanil.
ll("i_ybou (habitant du umuliculei assis sur une chaise, ayant sons ses
pieds nue cassette remplie d'or el d'ari^cnt. On a également li'onvè, et
d luie façon assez inallenilnc, des restes de coussins de l'èpoipie des
Vikings. il y a (|ui'lipies années, on a l'ail uni' seniblalde découvei'le
dans nn nmnlii-uli' londial li.ius l;i p.iilii' sud-esl de la Norvège.
Il est exIréuienii'Ml |n'obable ipie la niajeiu'e partie des forts en
jnerrc! ipie l'on voit siu' les haideius, dans diverses provinces, ont été
construits comme refuges et coninn' protection contre les attaques et
les incursions des ennemis. Ils S(MiI en grand nombre autour du
.M;ilar el d.ins les iles de ce lai'. La planelie suivante repi'éseule un de
ces l'orls à Ismanslorp, eu Oland. Le mur, en blocs de granit el en
calcaire, est très solide, bien (pie l'on n'y V(»ie auciuie trace de mor-
tier; sa bailleur com|torle environ (piinze pieds, et sa largeur neuf
au sommet, où il n'est pas endommagé. Plusieurs ouvertures con-
nUINES A ISMANSTdHP i2\)
(luisent à ce l'oil donl le dinmèlre n'a pas miiins de 400 pieds. On
apeiroit encore à rinléiieur les murs de fondation de nombreuses
maisons.
Pour l'aire du feu, on se servait de sili'x cl de lHi(|n('is en ncier, dont
beaucoup oui été Irouvés dans les tombes de cet âge. On peut se
former une idée assez exacte des ustensiles employés durant cette
période, d'.ipi'és ceux trouvés d.ins les tombes. Une i|uantité de vases
Fort à Isiiiansl(ii-|i, en Oliuicl.
surtout ont été conservés. Les ustensiles de cuisine élaienl de
bronze, d'argile, de pierre ou de fer; les vases ;i boii'e, d'or, d'argent,
de verre, d'argile et |)lus généralemeni di' c(n'ne. On se servait de
conleaux, et on avait aussi des cuillers de bois et de coi-ne. On a Irouvé
lies vêtements en fourrure, en peaux, en laine el en lil. et qnelipn'fois
eu soie; les ornements de bronze, d'argent et d'or étaient aussi en
usage. Des dés et des échiipiiers ont été découverts et aussi des
traces de pièces d'écliecs, (|ni prouvent que ce jeu doil avoir été conini
pendant le ix" siècle, sinon avaid.
Le mode d'inhumation durant l'éporpii' Viking est démontré par
le grand nombre de tombes de cette période ; on les trouve en Nor-
vège jusqu'à Lofoden ou sur la terre ferme. On voit par ces tombes
WO LE PAYS DU SOLEIL DE MINUIT
(|uo l;iiilùl on Iii'ùl.iil les corps et qiio t.iiitùt on l.'s enlerr.iit s;iiis
les lirùlei-. Li-s lombes sont m:iniiié:'s soit par des monlicules ou des
pierres eu carré, par une li.uure à Irois pointes, ou par les contours
(l'un navire. Ce dernii'i- imlicc était probablement sur des lombes de
V'ikings. Au sommet des monticules, ou voit souvent des pierres ron-
des, a ptrémontées de cercles ou d'autres figures.
Prés (le Biôrkon, appelé ;inssi Hirka. on a ti'ouvé hcmcdup de mon-
ticules funéraires, pr(dialdi'uienl |ilns (pi"( ii loid anhc lien delà Scan-
dinavie; le nombre de ceux encore visibles dépasse douze cents; maison
en a énormément détruit pendant les siècles passés. Dans ces dernières
années, onae.xaminé avec soin i)lus de cin(| cents de ces tombes ; tout ce
(pi'on y a découvert prouve (pielles ont appartenu à la dernière par-
tie de l'ère j)aïenne.
Une remarquable pierre riniiipie a été trouvée dans l'église de
Roks, en Ostergotland. C'est la plus longue inscription iiini(pie sin-
la(|uelle ou ait encore mis la main. La voici traduite:
Ces runes sdiit laite.-; en iiii'iiioife de Vainod ;
Varen, son \mv, les a laiilées
Après la iiioil de son lils.
Je parle do mon (ils, (pu piil doii/e l'ois un donlile Ijnlin sin- des lioniines dif-
iï'cenls. Je dis ceciconinii' l'antre, ecniinient il l'nl entom-i' par ne((r Iroujies tl'enne-
niis \eniis de l!edi;ols, et trouva ainsi la mort dans la liataille.
Antielois. le roi,
Ca|iitaiiie des coinaLiciix N'iiùngS,
ili'iliiail sur li's licnds (li''l!ejdsea.
(îe roi ^éni'reux
Ksi aniK' sur son coursier,
1:^1 sur son ('paide
Pend son liouelier.
Je dis eeci eoinnie le douzième,
Coninii'iit le clieval de A'alkviia Je loup
Tron\e du l'ourraiic en (pianliti'' sur les prairies
0('( sont liiudii s \in,;;t rois.
Je disceri eonnnele treizièiue,
One viii^'l rois sont assis en Zealand
Dans cpiatre lii\ers, avec quitre noms,
Fils do quatre frères : cinq du noai
INSCHIPTIOXS TIMILAIHES 431
De Yalke. lils de Raclulf; cinq Hejdulfur,
Fils de Riii-'ulf ; cinq Hairislnr,
Fils de Hiiivad ; cinq (ianiMiiinliii',
Fils de Oi'ii... Je [larlc de nidiilils, dcsccndunl
De lieras : c'esl ^'ilen. Il pi'iit toujours
Ti'a>erscr les \agiies: c'est N'ileu.
Les Yikini;s l'iiienl.
L'arl (le coiislriiifc les vaisseniix élait 1res avaiicé dans le Noi'd el
les Norsemen possédaient des navires en grand nombre. Snorre Stur-
lasson dil : " Dans une guerre avec le Danemark, le roi Anund Jacob
eul une Ibdie de |tliis de 400 vaisseaux. » A une aulre époque, on
parle dini nombre plus élevé encore. La saga sur saint Olaf dit : « Dans
son allaque contre la Norvège, Kiud le Grand (Canut) arma une Hotte
de quatorze cent quarante navires. Ils étaient mus en partie par les
voiles, en partie parles rames. Chaque vaisseau n'avait pas plusd'un
mal et (finie voile. Ces voiles élaienl liabiluellement en grossière élotre
de laine, et quelqucfiiis de soie, avec des raies bleues, rouges et vertes.
Le nomiire des rames était souvent très grand et on connaissait la taille
d'mi navirefpar la quantité de sièges des rameurs. Le vaisseau d'Olaf
Tryggvesson, Oriiicn Luiujc (le grand serpeiil i, le jilns fort de la Nor-
vège à cette époque, avait 34 paires de rames, et un éipiipage il'à peu
|»ii's KlOO lioinmes. Canut le Craiid possédait un Draf/on (un vaisseau
a\i'c iww tète de dragon à la [loiipei qui avait plus de (iO [laires de
rames.
D'apivs les gravures que jiortent les pierres tumulaires et les rochers
en Scandinavie, et d'après les trouvailles, on peut se faire une idée de
la forme des vaisseaux dont on se servait aux temps anciens. Dans la
paroisse d'Alskog, à Tiângvide, dans la partie méridionale de Tiie de
(lotland, se tronvail une pii'ire riinique (renviron cinq pieds de hanl ;
elle est maintenant au Musée de Stockholm. A la base, ou voil un
vaisseau-dragon avec un seul mfit el lun» seule voile. Sur le poni se
lient une rangée d'hommes armés, l't. au-dessus du loiil. un cheval à
huit pieds. — représenlalion de Slei|iner. le chi'val d'Odin, — devant
leipicl des hommes déposeni des offrandi'S.
L'inhumation dans des navires se faisait assez fréquemment au
Nord, ilnranl l'agi' \ikiiig: cela es! alteslè par les sagas, el par plusieurs
432
LE PAYS DU SOLEIL DE MINL'IT
Irouvailles récentes. Eu Suède, Norvège et Danemark, un a découvert
des monticules renfermant des navires dans lesquels les guerriers ont
été ensevelis avec leurs armes et leurs chevaux.
Dans la saea de Hakou le Grand. Snorre Sturlasson donne le récit
-^^.^ -^#7=^^"
i^-ï
l'ieiTC raiii(iiie à Tjangiide.
d'une lialaille (|ui' ce roi livra, en 944, aux fils d'Erix Hloodaxe et à
leur mère Giudiild ; ces derniers furent défaits. A c»Mè de Hakou liuuha,
avec bcaucou|) d'autres, Eigil Ullsârk. Après avoir remporté la victoire,
le roi Hakon s'empara des vaisseaux des fils d'Erik, (pii avaient été
tirés sur la plage ; il fit déposer dans un de ces vaisseaux Eigil Ullsark
et tous ceux qui avaient succombé à coté de lui. et l'enterra sous un
EXHUMATIONS DE VAISSEAUX
433
monticule de terre et de pieries; il ensevelit ensuite ses ennemis dans
d'autres navires. On oit encore ces monticules au sud de Frejderbjerg
à l'entrée du fiord nord. De hauts bautastenar indiquent la tombe,
d'Eigil Ullsârk.
Près de Borre, dans le voisinage de Horten, non loin du liord
Christiania, on a trouvé, en 1852, dans un grand monticule, les restes
d'un vaisseau qui avait eu de 30 à 55 pieds de long, et, dans ce vais-
seau, des ossements humains brûlés, les squelettes de trois chevaux et
d'un chien, outre plusieurs antitpiités précieuses. Une tradition préleiid
Navire vikiinl tioiivo diins im uioiilictilc funéraire à Tune.
que ce monticule renfermait les tombes des rois de Vestfold, Oslen et
Halfdan, (pii llorissaient à la tin du vm° siècle.
Dans un autre monticule, à Ultuna. au sud d'Upsal, on a ramené au
jour, en 1855, les restes pounis, mais parlaitemenl visibles encore,
d'un vaissi'au dans lequel avait été enterré un homme avec ses armes et
ses chevaux. Les chevilles (jui assemblaient les planches se trouvai(Mil
encore à leurs places. Le bâtiment semble avoir eu la taille d'un petit
sloo]». A côté du corps gisait une épèe avec une magnifique poignée en
bronze, superbement ornéi'. ainsi ipn' les rcslcs d'un fourreau en bois
et ses moidures dorées. En sus de ces objets, on ramena un c.TSipie
avec cimier d'argent, incrusté de lironze, — le seul casque des tenq)s
païens découvert en Suéde ; — l.i boucle de fer d'un bouclier incrusté de
bronze, la poignée de ce boucliiT, un paquet de pointes de llèches,
deux mors de bride, trente-six pièces d'ècliecs, trois dés et des débiàs
de deux squelettes de chevaux. A l'arriére du vaisseau, on avait déposé
un gril en fer, un jiol faltriqné avec des plaqnes rivées et un manche à
28
434 LE PAYS DU SOLEIL DE MINUIT
demeure, et des os de porc et d'oies, — restes de la fête fiinélire, ou
du festin préparé eu l'honneur du défunt pour son vovrii^e vers la
Valhalla. Ou fabriquait ces articles en fer, excepté ipiaud C(da était
autrement spécifié.
A Nydaui, sur la cote méridionale du Jutland. on areliré d'un ma-
rais, en 1803, un jirand et beau bateau eu chêne, (|ui était mis en
mouvement |)ar (jualorze avirons de chaque c(jté. Il avait 80 pieds de
long, et 11 pieds de large dans sa partie la plus développée; liant et
pointu à chaipu' exirémilé; au ccnln'. il plongeait de .'i jiieds dans
l'eau, et ressend)iait assez au clippcr de nus jdnrs. Ou l'avail cdii-
struit avec onze lourdes planches, cin([ de cliaque cùté, et la dernière
placée au fond en forme de (]uille. Les madriers se recouvraient l'un
l'autre et étaient rivés ensemble par des chevilles en fer dunl li's (êtes
rondes apparaissaient extérieurement ; h's espaces avaient élé cal-
fatés avec de la laine trempée dans de la poix. Ces mailrins éliiicnt
ajustés d'une curieuse manière aux membrures du bateau ; à chaipie
place où ils les touchaient, on avait ajouté une bande longiindinale
de chaque côté; un trou était jiercé à travers la membrure el à travers
ce trou passait une corde, faite avec la partie ligneuse de l'écincc du
tilleul. On donnait de la sorle an lialean ini éiiiiiiciil degré de sou-
plesse, très avantageux dans le ressac el dans les uhms houleuses. A
chaque extrémilé, une poutre, s'élevant de beauconp au-dessus du ba-
jean, retenait les madriers. A traveis la partie supérieure ili'. chacune
di' ces poutres, on avait percé un gr.ind h(in, dans hMpicl. ;'i en juger
par la manière doni ils siuil usés, on passai! iiroliablenicnl des cordes
(piandle liatean devait élrc lin'' snric ri\age. Mênie à léïKupic des Vi-
kings, les plus grands navires l'Iaient amenés à Icric |»i'ndaiil l'hiver.
Les deux extrémités dn bateau se ressemblent tellement, (pi'il est dif-
ficile de décider (pnd est l'avant ou l'arrière. Cette forme rappelle
d'une façon frap|)anle la description des navires des Suiones donnée par
Tacite, ipuMcpies généralions seulemeid avant la conslruclion du bateau
de Nydam, (|ui, selon les monnaies loiuaincs (pie Ion y a trouvées,
doit avoir été effectuée environ trois cents ans après l'ère chi-
lienne. Tacite dit que les navires des Suiones ne ressemblaient pas à
ceux des Romains, car, dans quelque direction que l'on ramât, ils
avaient toujours un avant pour aborder à terre; ils ne portaient point
LE TUMLLUS DU HOI, A GOLKSTAD «3
lie voiles. Le bateau de Xydam ne |)()iivait avancer ([u'au moyen des
rames, et Fou iTa pas liniivi' de (races d'nii mât; les avirons, de même
l'orme que ceux maintenant en usage, avaient une longueur de douze
]iieils. Sur un côté du lialean. on a trouvé le gouvernail. i|ui est
('troit et ressemlde plus à une rame iju'à ceux de nos jours. — Les
^gouvernails de la plus ancienne période, et jusqu'à répo(|ue
médiévale, étaient attachés à droilc de l'arriére, et non au milieu,
comme maintenant. C'est le côté (pie nous appelons tribord.
En 1867. on a extrait d'un monticule à Tune, en Smaalenene,
Norvège, un vaisseau viking, aujourd'hui au musée de Christiania.
€e navire, qui n'avait i)oiiit de [tout, est en chêne; les |danches
étaient attachées à la charpente par des chevilles en bois. Le boisage
est snpéricnremeni l'ail; la (piille, formée d'une seule pièce, a été
^entièrement préservée. Le Ijateau a environ (|uarante-deu\ jiicds dr
long, sur douze de large; sa hauteur ne doit pas avoir excédé (|uatre
I)ieds trois i)Ouces ; l'avant et l'arriére sont très pointus et exactement
semblables. Le plat-bord étant complètement détruit, les trous des
rames manquent, et le nombre d'avirons employés est incertain; mais
le vaisseau itortait aussi des voiles, et la partie inférieur!' du mal,
qui était en sapin, est encore en |)lace. Le gouvernail, ressemblant à
une rame, se trouvait un jti'u en an-ière du mât; cependant, l'appa-
rence de la barre du gouvernail prouve (pi'on l'altachail sui' le colè
du vaisseau. Ce navire contenail le cadavre non Inùlé d'un cin'f, [dus
trois chevaux, des épées, dfs épicnx, des boucliers, etc.
Sur les bords dn liord Sande. à l'cnlrée dn liord Christiania,
une trouvaille plus remanpiable encore a été l'aile en 1880. Dans la
ferme de (iokstad, est situé le cèlèlu'e Kong's Hang (monticule du roil.
En creusant à cet endroit, on a ramené au jour un navire bien conservé
de l'époipie viking. Sa coque a 70 pieils de long et environ I '(• pieds
de large jtar le travers; sa liaulenr perpendiculaire ne peut pas avoir
■dépassé 3 pieds; contrairenieni an baleau de Tune ci-dessus men-
tionné, qu'il dépasse de beaucinq) en laille, il est très long, étroit et
bas. Au milieu est ajustée une j)Oiilre, dont les deux extrémités sont
taillées en queue de poisson; elles servent à supporter le mât, (hnil
un morceau existe encore, mais la parlie supérieure, qui a été coupée,
gît au fond du navire. Dans ce vaisseau, et à côté de lui, on a déconverl
436
LE PAYS DU SOLEIl. DE MINUIT
dos portions de deux ou trois bateaux jdus petits, et aussi des mor-
ceaux de voiles, de £;réement. de rames, le gouvernail, (|ui était atta-
ché sur le côté du vaisseau, etc. Les plats-bords étaient couverts de
boucliers dont les moidures en fer, aussi iiien (iiic les pièces peintes
de diverses coulems. (nil été conservées. Hors du vaisseau étaient
les ossements de trois chevaux et d'un chien. Quand les Vikings arrê-
taient leurs vaisseaux, notamment itendant la miil, ils avaient cou-
Restes (lu navire trouvé à Ui'ikstad.
tume d'élever des teides au-dessus d'eux pour les proléijer. Sur ce
vaisseau, — comme le repos du chef devait durer justpi'à Ragnarok
Ha lin des lemps-. — au lieu d'une lente, on avait conslriiil une
cliindiir funéraire en Imis. Elle était située un \)Ci\ en arriére du mal
et formai! ciininn' le loil d'uiii' di'ini'in-i'. Mallii'tinMisemriil, la [iressioii
de la masse de terre ipii le couvrait a brisé les espars (pii soute-
naient la siruciure; il est évident aussi (|u'à une époque antérieure,
celle chambre a été visitée; celui qui a remué la terre a crevé le fond
du bateau, et sans doute dérobé une graude partie du contenu de la
LE TUMULUS Dr ROI, A GOLKSTAD 137
tombe; c'est pourquoi on n'y a trouvé que peu de cliose; mais ce peu
de chose est néanmoins d'un grand intérêt : débris d'ossements non
brûlés, restes de vêtements magnifiques, d'élolïe brochée de soie et
d'or, de brides et de liarnais, montés de belb's }ilaques en bronze
doré, parmi lesquelles on compte des pièces admirablement Iravai-
lées et d'une excessive rareté. Ces trouvailles sont d'une haute valeur,
car elles illustrent les récils des vieilles sagas, sur la coutume d'en-
sevelir dans son vaisseau le champion décédé. Ce fut sans doute sur
des navires comme ceux-ci (]ue les Vikings exécutèrent leurs témé-
raires prouesses.
CHAPITRE XXXI
.Foires en Scandinavie. — Toire à Laerdalsoren. — Arrivée à la foire par hateaiis. — l'ne
place enoonibrée. — Coftiinics ilii dislricl de Laerdal. — Articles de vente. — Comment
le peuple est loijé aux foires. — Marchandises populaires. — Bons moments. — Paroxysme
de la foire. — L'ne foule joyeuse. — Manière de faire la cour. — Arrangement.-. — Scènes
d'adieu.
Dans loulo In Scandinavie, il se tient des foires, une ou deux fois
l'ail, aux endroits les mieux disposti's jiour de grandes agglomérations
de gens ; les négociants envoient des maixliaiulises pour ces occa-
sions et souvent on bâtit des maisons spécialemenl piuir les loger.
Il y a aussi des foires aux clicvaiix et aux hesliaux. el d'aiitics où
Ton ne verni (pic des marcliandises et des prodiiils iiiaiiiilacliirés.
Nous étions en septembre. De nombreux bateaux vogiiaicnl vers
le bord pour se rendre ;ï la foire ipii allait se tenir à Laerdalsoren.
localilé située à la pointe du fiord Sogne. Hommes el femmes
ramaient; mais, en approcliaiil du rivage, les bateaux s'anéléfetil
pmif donner aux rameurs le temps de procéder à leur loilelle avant
d'aborder. — Les femmes mirent leurs jupes et leurs corsages sur
leurs colilldiis, peignèrent leurs clieveux. ajustèrent leurs lionnets
neufs ou (loniiérenl la dernière touclie à leur toilette; car. s'il est une
chose à iaipielle tienne particulièrement la femme d'un bonde,
LA FOIRE DE LAEUDAL 439
c'est d'être propre et bien aiTaiit;ée ijuainl elle se montre en
public.
Après avoir débarqué, je trouvai les rues étroites de Laerdalsoren
remplies de monde, et surtout d'un liraiid nombre de femmes; elles
étaient vêtues de leur mieux. — Les hommes, vestes en drap bleu
foncé avec des boutons d'argent, et (juel(|ues vieillards en culottes;
les femmes, en robes montantes de laine bleu foncé ou noire, les
corsages fermés par des boulons d'argent. Les matrones [)ortaient
les coitTures caractéristiques des différents districts, et les dennti-
selles des mouchoirs ou de petits bonnets.
En atteignant la rue principale, je me vis tout à coup entouré
d'amis (pu me souhaitèrent la bienvenue à Laerdal. La foire devait
durer trois jours, et chacun était venu pour acheter ou vendre, les
fermiers ayant principalement besoin de morue séchée, de harengs,
de sel pour le bétail, de farine, de Ihé, de café, de sucre, etc., pour
la saison d'hiver ; les femmes désirant des vêtements pour elles et
leurs familles.
Plusieurs magasins demeurent ouverts toute l'année et sont rem-
plis de marchandises envoyées en consignation par les marchands
de Bergen. La saison s'ouvrait au moment de ma visite. Les nou-
veautés pour l'année — ce qu'on appelait la dernière mode — s'éta-
laient à profusion, et, parmi les articles exposés pour tenter l'ache-
teur, brillaient au premier rang les châles, les mouchoirs en soie, en
laine ou en coton; puis venaient les marchandises en coton de tout
genre, et un grand dé|)loiemenl de parapluies, car chatjue femme
semblait mettre son orgueil à en avoir un à elle. Quelques joailliers
étaient venus de Bergen, et leurs bijuuv alliraient les femmes, les
filles et même les hommes.
Presque tous avaient apporté leurs provisions dans des boites
ovales en bois, souvent fastueusement peintes. Ils logeaient dans des
maisons des alentours ; chaque chambre à peu près comble. Ils payaient
le logement et le café, iiuelques-uns aussi le repas. Mes amis
me présentèrent aux personnes de districts où je n'avais pas encore
mis le pied ; bientôt il me sembla cpie je connaissais tout le
monde ; une société venait me trouver et faisait une promenade avec
moi; une autre s'emparait de moi et m'emmenait; en sorte que^
440
LE PAYS DU SOL?:iL DE MINLIT
nous nous rencontrions et nous séparions plusieurs fois par jour.
La manie d'aclieter semblail posséder ces bonnes gens; linale-
menl elle me saisit aussi. J'achetai à droite et à gauche, ici un chfdo,
là un para}»Uiie ou un mouchoir en soie, en me promenant avec de
bons amis et leurs tilles ou leurs sœurs, jusqu'à ce que nous lussions
arrivés aux joailliers. Le moment était venu de faire voir que je n'avais
pas oublié les bontés que l'dii avail eues pour niiii. Mes compagnons
se rassemblèrent autour des vitrines, où llambovail [oui un assorti-
Jcune lille de liergcn-SlilV.
ment de cuillers d'argent, de cliaiues. de broches propres à satisfaire
le goi.t dt's gens de c pays, il de grandes quantités de bagues
d'argent ddiil beaucoup étiient ornées de petits cœurs en or, de
manis ciiIk lacées; mais ralli'açlioii la plus lorle était produite par
les bagues d'or. L'ambition d'une jeune lille est de posséder un de
ces trésors, une bague en or uni' étant sou princii)al ornement du
dimanche et des jours de l'éti-. Il y avait, en outre, des dés à coudre
en argent, don! (jutdques-uus dorés à l'intérieur, et des boulons d'ar-
gent que perlent beaucoup les hommes et les femmes de ce district ;
les'fenmies suiIomI en nicllenl sur leurs robes. Quelques-uns étaient
unp: foulk joyelse au
sertis de pierres rouges. On venilait aussi des montres d'argent pour
hommes, en ipi.iiililés considérables. J'achetai d'abord une chose, |)uis
une autre; ceci pour Brita, et cela pour Ingeborg, Inger, Sigrid, Dorte,
Anne, et enfin pour Ole, Lars, Mikkel. Un présent fait à la foire a bien
plus (le i)rix qu'en toute autre occasion. J'éprouvai un grand plaisir
à faire ces modestes cadeaux et je voulus aussi me donner un joyeux
moment en rendant mes aniis lii'ureux.
La foire sembla arriver à son pinacle vers cinq heures du soir, lorsque
le monde eut dîné et se sentit en bonnes dispositions. — De tous C(Jtés
les invitations pleuvaient sur moi. l'iiis le jour avançait, plus nous deve-
nions amis; sept d'entre eux me jurèrent une éternelle amitié, et,
en effet, jusqu'à ce jour, nous sommes demeurés bons amis.
Pendant que je me promenais avec deux demoiselles, un l)rave
garçon, qui, évidemment avait ingui'gité plus de boisson qu'il n'en
pouvait supporter, voulut manifester son affection à l'une d'elles. Elle
lui dit en riant : '< Vous savez bien que je ne vous aime pas ! » Et elle
lui recommanda « d'aller trouver Berit, car c'était elle qu'il aimait ».
Puis elle me dit confidentiellement : « Paul, ce gaillard-là a fait la
cour à Berit pendant plus d"uii an, et mainlenani il vent courtiser une
autre fille; mais je ne suis pas cette fille-là. » J'avais continuellement
sous les yeux de ces innocentes intimités entre jeunes gens du même
hameau. Ou voyait des garçons se promener en tenant par la taille des
demoiselles auxquelles ils irélaienl |ioiiit engagés, — la fille d'un
voisin, on la sœur d'un ami. — peul-èire le commencement de ce qui
finirait par un mariage. Parfois, cependant, une jeune fille repoussait
un garçon d'une manière (jni donnait une haute idée de la vigueur de
son bras, aux grands éclats de rire de tous ceux qui étaient témoins de
la déconfiture du pauvre hère. Ces filles de fermiers sont bien iilus
fortes que les jeunes femmes de la ville.
Vers la iinil, beancdiqi d'Iiommes élaicnl foitement lancés, ayant bu
un peu trop, mais pas une feinnic n'avait (hqiassé la mesure; les fer-
miers n'auraient |)as été satisfaits de leur séjour à la foire s'ils n'avaient
fini la journée dans la joie. Il n'y eut pas de (pierelle, pas de langage
grossier, pas de jurons, car les bouder mirvégiens ne jurent pas.
Quand rdbscinilé fui venue, un alluma les lampes dans les magasins
et la foule (•(uilinna d'acheter. A huit heures, elle avait déjà dimiiuiéet
o
M2 LE PAYS DU SOLEIL DE MINUIT
les femnios s'étaient presque entièrement éclipsées; cliaqne maison île
l'enilroit et toutes les l'ermes environnantes re.uorgeaient tle monde.
Les logements, ([uoique restreints, sullirent cepenilant à accommoder
les étrangers; trois ou ipiaire filles dormirent ensemble dans un lit
et beaucoup d'hommes sur le plancher. A neuf heures, cliacun se ivlira
et la foire l'ut virtuellement terminée.
La maison dans laquelle je dormis était occupée par une armée de
paysans, tous mes amis, et ma chandire contenait trois lits qui servirent
de couches à tlc^ dormeurs autant (pi'ils purent en admettre. La ]dupart
quittèreni la loc.iiité le lendemain malin, et je demeurai seul à regarder
chacun sVn aller. Le même senlimcnl ipii m'avait porlé ;i l;i gaieté,
m'engageait maintenant à partir, et rien n'aurait pu me retenu' un jour
de plus. Si j'avais accepté les invitations de mes amis, j'aurais été occupé
pendant plusieurs mois.
Au iiiomciil 1)11 jaillis uiiiiiler dans ma cai'riole, un iiean gai'çon me
donna une liidie chaîne di' montre en argeni; une lllle vint nu' remettre
une bague de même métal avec deux mains entrelacées, comme signe
d'amitié, tandis (pi'une autre me présentait une petite boite sculptée,
en me disant : " .l'ai deux fréi'cs et deux sieurs en Amériipie, où l'on
est lion pour eux. Prenez cette pclilc lioilc : elle m'apparliciil pai' héri-
tage l'I ili'piiis des centaines d'années elle est dans ma faniille. Prenez-
la, Paul, ciimuic un iiihidr ilémoignage de souvenir) de moi. » Kt elle
ajouta : « (Jnand vous irez en Amérique, tâchez de voir mes frères
et mes sœurs, et dites-leur ipie Dieu a pris soin de nous tous; que
notre père devient vieux, mais que notre mère est bien; dites-leur de
ne jamais oublier Dieu, et de l'aimer comme ils l'aimaient eu
Norvège. »
CHAPITRE XXXII
lu su|ht1)0 i.'ranil r.ifniiii. — Eiitiro ilo h I.aenlal. — \.e portail ilc Lysiic. — I.e di'lili' de i;al-
(lerne. — Abomlaiico de saumon. — La renne do lliisnni. — Le vieux Hoar Halverseu. —
Comment on liérite des noms de famille. — Indépendance du peuple. — Commenl nue ferme
])asse d'un iiére à son fils. — Une lonchanle seène dé famille. — La nonrrilure des distrieis
ruraux. — L'ancienne église de Borgund. — .\dieu à Husum et à Laerdal.
A Lnprflnlsoi'cii i(Mili'(''t' de l.i Licnliili comnienre l;i siiperlif jir.iiKU'
roule (lui relie le linrd Sogiie ;'i l;i ville de ClM'i.- Pnis,
avec un regard sup[tlianl, Roar reprit : » 0 père! tous vos enfants
et moi sommes souvent peines de vous voir si fatigué quand le tra-
vail de la journée est lini; l'ouvrage de la ferme est trop dur pour vous;
il est temps que vous vous reposiez el ne fassiez [dus rien. Ueposez-
vous dans voire vieillesse. Laissez-moi prendre votre place au haul de
la table. »
Tontes les figures étaient devenues extrêmement sérieuses, et l'on
voyait des larmes dans tous les yeux, c Pas encore, mon fils. — Oh ! si.
448
LE PAYS Dr SOLEIL DE MIXLIT
mon père. » Alors toute la famille s'écria : » Le temps est venu de
M)us reposer. »
C'était dur pour le vieux liomlc. (pii avait été si longtemps le chef
(le la famille; mais il se leva, Roar iiril sa jilace, et fut alors le maître.
Son père, dorénavant, ne devait plus rien avoir à l'aire, (pi'à vivre
dans ime maison confortable et recevoir annuellement un montant
4/ .
m
Église lie Ikirs-'ninl.
sti[iulé de grain un de farine, de pomiues de terre, lait, fromage, beurre,
viaiule, etc.
Roar, le lils aillé, est un de mes bons amis; intelligent, alioniié à
plusieurs journaux, excellent cn'iir el parfait mari. Sigrid, sa femme,
est industrieuse, toujoui's occujjée à remi)lir ses nombreux devoirs de
ménagère; en été, quand bcaucou|) de voyageurs s'arrêtent pour la nuit,
ou pour manger, ces devoirs ne sont pas peu de chose.
Presque toutes les grandes fermes norvégiennes ou suédoises
29
CUISINE NORVEGIENNE 451
ont un ceil.iin ndmbre di; j/hnis, ou forj), pelils endruits avec maisons
et un peu do Ijonne terre qui en dépend, lesquels sont loués à de cer-
taines condiliniis. Les Norvégiens appellent ceux qui les détiennent
huf^mucitd, et les Suédois torpare. Ils doivent })ayer par an une
somme convenue, ou, plus généralement, travailler un certain nombre
de jours par année, comme payement pour le logement et la terre culti-
vée dont les produits leur appartiennent.
Le mois (l'(jctobre est l'époque de la boucherie. La ménagère alors
a beaucoup à faire pour préparer les saucisses et le lard qui doit durer
jusqu'à rantomne suivant. La viande est salée, séchée ou fumée'.
La môljii, (pie l'on fait avec du sang mêlé à de la farine, se fabrique en
grandes tpiantités, et on la conserve dans des vessies ou dans des gâ-
teaux; quand on s'en sert on la fait bouillir ou frire.
Les Norvégiens ont plusieurs sortes de pains. Le f'Iadbrôd se fait
d'une pâte non fermentée de Farine d'orge et d'avoine, souvent mêlée
de farine de pois. La pâte est roulée en grandes feuilles circulaires,
d'un diamètre de deux à trois pieds et de l'épaisseur d'un papiei- fort
ou d'un carton mince ; puis on la fait cuire sur un feu doux ou sur un
plateau en fer. La pâte est souvent pétrie avec des pommes de terre
bouillies. Ce pain peut se garder au moins une année . Il est beau-
coup plus mince {[ue le pain suédois et plus cassant. On fait le kfse de
la même manière que le fladln'ôd, mais on ne le cuit qu'à moitié et on
le replie sur lui-même quatre fois. On conserve le tladbrod dans le
garde-manger, en masses cylindriques, souvent |)endant une demi-
année; lelefse, dans sa forme convenable, est utilisé pour les voyages.
Le (jrôd (espèce de potage) est le plat journalier du paysan norvé-
gien. On le fait (|uel(piefois avec de la farine d'orge et même avec de
la farine d'avoine ou de seigle. Quand le grôd a été retiré du feu et qu'il
a cessé de bouillir, on y ajoute de la farine pour le rendre consistant; on
l'appelle alors naevergraut^ et on s'en sert en voyage, ou quand les
paysans sonl à Toiivrageà quelque distance de la ferme. Onmange géné-
ralement le grôd avec du lait écrémé, mais on préfère (ju'il soit caillé. La
pomme de terre est la nourriture principale; elle pousse jtarfailement et
I. On faille qie leliind m f-A\A\\i et séchant i'iiihlemi'iil hi viaiidi', généralement
des gigots et (les éjanl's de uKiiiton.
432 LE PAYS DU SOLEIL DE MINUIT
est lie bonne qualité ; le peu|iio s.iil bien coninicnt l.i cuire. On fait graml
usage de poisson ; le liareng salé se mange avec les pommes tic terre,
ainsi que la morue sèclie, c|u'on laisse tremi)er tout une nuit dans l'eau
avant de la cuire. Sur la c(jte, on consomme beaucoup de ])oisson l'riiis.
On .le sert consiiléi.ihlenienl de beurre et de l'mmage comme ali-
menls. H y a Mois sortes pailiculiéres de fromage : 1° le iiii/sost, qui est
f;iil ;ivec le |ie(il lail restant du fromage commun, bouilli jusqu'à ce que
l'eau soit évaporée; on le façonne alors en pains carrés pesant de
deux à cinq livres; sa couleur est d'un brun foncé. Il faut (pi'il ail au
moins un jour avant d'être bon à manger. On ne le fait que dans les
saeters où le liois est aliondanl, car il exige une grande ipianlilé de
combustible. On le mange en lr;iiH-hes minces avec du pain el du
beurre; les femmes el les enfants en sont surtout friands. Le meilleur
es! celui qui est l'ail avec du lait de chèvre. On ])eut à peine le quali-
lier de fromage; car il consiste principalement en sucre et en lait. 2° Le
(/ammelost, que l'on confectioime avec du l.iil c;iillé, est un fromage
l'oiid feruienli', ipic l'on conserve |H'iid;inl des mois diins la cive. 3° Le
/lultost est aussi un fromage fermeulé, auipiel on mêle de la graine de
cumin; on ne le fornu' jias eu pains, mais (in le consei've dans des
lubes en bois.
A une courle dislaiice au-dessus de Husum. un iciicuniir un .luIre
beau délilé. Viudlielleii. Ici, la nouvelle miih^ siiil aussi la rivière, cl, eu
liicn des l'iidi'nils, elle rsl lailli'i' d;iiis le nie. Au delà di' Mmllii'llen. la
vallée s'élargit de nouveau el l'iiu ;iirive eu vue de plusieurs fermes el
de la vieille église de lîorgnnd. rinii' îles plus inléressaiites de la .\or-
vège. Celle curieuse église el celle de llilleidal apparlienueiil ;iu plus
ancien style de l'archileclure ecclésiasUipic du pays; celle de Borgund
dale pnibalilenieiil du li'Uips de saint Olaf, nu de son fils M;igiius. Sa
ciiiili'ur siunbre el sa fin-nie iiarliculiére .illirnil (nui de suite l'allenlinn
de l'étranger. Son clocher est surmonté d'une lléclie, et les toits en bar-
deaux sont ornés de tèles de dragons el de croix. Une galerie basse
et ouverte sur le terrain protège une parlie de l'édilice, dont les entrées
sont couvertes par des pon lies. L'inlèrieur, avec ses curieuses décou-
pures et ses ai'rangemenis, esl inesipie aussi liizaiir qur l'exlèrieur.
Un espace d'environ vingl-ipiaire pieds carrés forme l'enceinle princi-
pale et esl enlouré île dix piliers, derrière lesipiels sont des bancs pour
L'ÉGLISE DE B(3RGUND /io3
la congrégation. Les anciens fonis baplismnux sont le seul objet en
pierre. La nouvelle église, construite pour la commodité des fidèles, —
car la congrégation est devenue trop grande pour pouvoir célébrer le
service divin dans Tancieiuie, — est si prés de l'autre, qu'elle en gâte
l'effet.
Les jours passèrent agréablement à Laerdal avec ses bons babi-
tants, parmi lesquels je compte beaucoup d'amis, beuroux de me
voir et avec lesquels je corresponds quelquefois. Avant de quitter
Husum, la femme de Roar m'offrit des gilets de dessous tissés à la
maison, en me disant: » Paul, le temps est froid en Norvège pendant
l'biver, et je les ai faits pour que vous les portiez. » En même temps,
elle me remit une pliotogra[)hie la représentant avec son mari et ses
enfants. Après un adieu cordial, et la promesse mutuelle de nous écrire,
je quittai Husum pour continuer mon voyage.
CHAPITRE XXXIII
La feinif ilc Xy^liicn. — l'ne maison île refuge. — Vie ii Nystuen. — Deseente dans Valilers. —
Cuslume des liabitants. — Ilosiiilalité à Vaiig. — Éiiiiuette parmi les Bôiidei-s. — Caiactèie
du lionde norvégien. — Habilelé des hnnders. — Riles sacrés d'iiospilalilé. — Comment je
vins il Vang. — Un Stortliingsniand. — I. 'église de Vang. — Un ecclésiastique modèle. —
Travaux du pasteur delà paroisse. — Ferme de llaugen. — Comment les invités sont traités.
— Naissance d'un enfant à llaugen. — Ferme de Kertrôst. — Un baptême. — Danse k
Yalders. — Amis célibataires.
A une distaiico de viiigl-iiiiJili'c milles de l'éiilise de Borgmid,
après une excursion romaiiti(|iie, j'arrivai à la ferme montap;neuse de
Nysliien, siluée sur les bords Sdiilaires de l'Ulruvand, à il. 102 pieds au-
dessus du niveau de la mer el près du poiiil le plus èlevè de la niule.
Cet einlidil es! le hienveiiu eu hiver lorsipie, glacé el allamé, le voya-
geur atleint sou loit hospitalier et obtient un cordial repas, un verre de
vin, une excellente tasse de café et un bon lit. Â ce moment de l'année,
la foule des touristes a disparu, el, des fenêtres de la chambre chaude,
on peiil jduir de la vue du lac congelé et du })aysage hivernal, avec son
ciel sans nuages pendant le jour et ses étoiles scinlillanles pendant la
nuit; on peut aussi voir arriver une tempête de neige et se féliciler de
ces agréables quartiers, ou écouter les sifllements du vent, (jui, parfois,
fait trembler les maisons et qui les renverserait, si elles n'étaient con-
struites ])arallèlement à la vallée et selon le sens de la lenipèie.
UNE N(U'YELLE ARCADIE 453
Les étés sont très courts ici ; le grain n'arrive pas à maturité, quoique
riierhe soit ahondante et qu'il y ait assez de pâturage et de foin pour
nourrir on liiver beaucoup de vaches et de chevaux. Les longs et rigou-
reux hivers ne sont pas solitaires; car, régulièrement, les gens, dans
ces endroits écartés, ont de nombreuses familles, et leurs enfants et
petils-enfants en font une colonie. Le vieux Kvuit Nystuen était le
progéniteur d'une kyrielle de descendants. Il a transmis la station à son
lils et occupe maintenant, avec sa digne épouse, une maison où se
trouvent à l'étage sujiérieur des chambres pour les invités.
Ils ont leurs plaisirs et la paresse leur est inconnue. Les femmes
lissent, illeiit ei tricotent; les hommes pèchent et chassent; ils
aident aux travaux de la ferme, et vont chercher du bois et du foin,
quelquefois à de longues dislances.
De Xystuen, la route vers l'est descend rapidement dans Valders,
au milieu d'un paysage sombre, animé par la rivière, par des bois
de bouleaux, et quelques fermes. A neuf milles environ, on atteint la
pointe de Vangs Mjosen, à 1494 pieds au-dessus de la mer.
Il est peu de paroisses en Scandinavie dont je me souvienne avec
autant de plaisir que de celle de Vang. Je n'oublierai jamais les fermes
W'Ojidal, de Tune, NerlKÔst, Kvale, Haugen, Ellingsbo, Bu, Sôyne
Kattevold, Baggelhun, Kvam, Lene, Sparstad, Nordland, et autres.
Chaque ferme a son nom en Scandinavie; (pielquefois elles ont été
partagées soit par héritage, soit jiar d'autres causes, o\ chaque
proiiriélaire bâtit une maison sur la partie qui lui appartient, mais
toutes [lortent le même litre. Là où le sol est bon, il y en a un certain
nombre à de courtes distances l'une de l'autre, reliées par des
routes grossières et étroites, où peuvent passer les chariots.
Yalilers est un des districts intérieurs les plus romauliiiues de
la Norvège. Le panorama toujours changeant, qui au nord est lugubre,
devient plus gai quand on descend dans Slidre et Aurdal; dans ce
dernier district quelques vues sont exquises, spécialement t[uand la
route gravit la pente orientale de la Tonsaasen. par une montée
graduelle de plus de sepl milles. La |)arlie septentrionale de Valders
est pauvre; car, de même que dans d'antres parties de la Norvège, les
pierres y abondent, la bonne terre est rare, et les familles sont nom-
breuses; mais les pâturages de montagne sont riches, et les habitants
43G LE PAYS DU SOLEIL DE MINUIT
lirciil un moilesle revenu du prodiiil de leurs laileries. Cliaque fdis
que j'allais à Yanjj, la seule chose (|ui nreiinuyàl élail de déeider à
quelle ferme je rn'arrèlei-ais d'alidid, car je ne voulais pas causer de
jalousie; aussi, afin de li'iir faire senlir (|ue je les aimais lous, je
faisais une visite à cliaciui.
Nombreuses sont les semaines charmantes que j'ai passées dans ce
séjour arcadien, où les gens semblaient rivaliser entre eux à qui
rendrait leur ami Paul pbis heureux; rien n'élail trop bon pour lui. Feu
importait à quel moment il arrivait : jour on nuil. toujours il était le
bienvenu; on plaçait devant lui les meilleurs plats possibles. Je ne
pouvais faire de visite nulle par! et obtenir la permission de me
retirer, sans prendre im bol di' la il, une tasse de café, une }oetite
larme de lirânvin, ou manger quelque chose. Impossible de refuser, et
souvent je me suis trouvé mal à l'aise pour aviiii' Iriq) Ini et trop mangé.
Les culottes de cuir sont passées de mode, et le costume consiste
aujourd'hui en une jaquette, un gilet à boulons d'argent, et des pan-
talons. Les parties fashionables de la toilette sont l'écharpe en laine et
le chapeau de feutre rond, (pie l'on conserve siu' la léle dans la mai-
son ou à la danse, dans l'idée que c'est plus comme il fini. Les fem-
mes portent les robes habiluelles eu vadmal ou autre tissu léger, ou
un mouchoir de couleur sur la tête.
Une des particularités du fermier norvégien, c'est que l'étiquette
demande qu'un ami qui \ient le visiter ignore que l'on a fait des
|iiéparalifs ]ii}ur lui. Le commensal n'est pas plus tôt assis, que le
café est mis sur le feu et le manger jirépaié. Lors(]u'il voit (jue ton!
va être prèi, il se lève el dil : » Adieul » sur (|uoi on le prie de
rester, el, après une faible résistance, on le conduit à l'étage
supérieur, ou dans une chambre voisine. Les tasses de café sont
toujours remplies de façon à déborder, car autrement cela semblerait
jnesipiiii.
Une autre coutume m'amusail beaucoup : c'est quand on o lire le lait
ou le brânvin; le commensal refuse d'abord, en disant : << Ne le gas-
pillez pas pour moi ! » L'iiole insiste ])our ipi'il boive ; alors il lé
sirote, et rend le bol ou le veric, en disant : « C'est trop. » Une autre
démonstration a lieu, et enfin, à la troisième fois, il avale le contenu
du verre.
RITES SACRES DTIOSPITAMTK 437
Le iMinde iionéjiion est vigoureux, calmo el l»rave. Sous son exté-
rieur grossier, bat le plus noble cœur; froid extérieurement, mais faci-
lement amené à l'autre extrême, bon pour la famille et compatissant
pour ses bêtes; il faut le connaître pour l'apprécier. Il est véritablement
et honnêtement pieux; ses sentiments religieux sont profonds et ont été
cultivés dés sa plus tendre jeunesse. Il est rare ipie le fanatisme puisse
aveugler son excellente nature et fasse de lui un bigot.
Dans le caractère des hommes et des femmes, il y a une veine de
sérénité el de mélancolie, résultat dû, sans doute, à la nature austère
qui les environne. Les parents sont bons et indulgents pour leurs
enfants, et je ne me rnj)pelle pas en avoir vu se servir envers eux d'un
langage grossier, ou les frapper. Les membres d'une famille ont beau
coup d'affection l'un pour l'autre, iiieu qu'ils soient réservés. Les que-
relles sont très rares ; même dans les fermes les plus communes, je
n'ai jamais été témoin de scènes de violence entre mari et femme.
Les fermiers sont très adroits en tout genre de main-d'œuvre.
Quand l'un d'eux veut bâtir une maison, ou faire une addition à sa
ferme, il va dans la forêt, abat les arbres et se constitue son propre char-
pentier. Il sait aussi, à l'occasion, être tanneur, bourrelier, forgeron, cor-
donnier et meunier ; le long de la côte, il construit des bateaux et des
navires, et est en outre un pêcheur expérimenté ; il est encore fabricant
d'instruments de musique et de meubles, orfèvre et joaillier. Chasseur
dans les montagnes, il poursuit l'ours, le renne sauvage et le ptar-
migan.
Point de contrée en Europe où les rites de l'hospitalité soient con-
sidérés comme plus sacrés que chez les Scandinaves. Le voyageur est à
la fois surpris et charmé de voir partout ce beau trait du caractère du
peuple. Le pauvre même ne permet pas que l'on quitte sa demeure sans
qu'il ail olîert (jnelque chose à manger ; refuser serait offenser sa fierté.
Partout l'étranger se souvient de ces paroles de l'ancien Edda :
Celui qui vient coiuine un liùte
A besoin d'eau, de serviette et d'hosiiilalité ;
Failes-lui éprouver une disposition amicale ;
Qu'il [)uisse parler et répondre.
Voici de quelle manière je vins la première fois à Vang. Je voya-
/,o8 LE PAYS DU SOLEII> DE MINUIT
goais sur l'im dos stonmers qui vonl de Bergen au lloi-d Sogiie.
Comme d'Iialiiiinle, je m'étais mêlé au peuple et je liavardais avec les
liûiider. l'eiidaiit que je dînais avec plusieurs d'enlie eux, je remarquai
\\u homme ([ui nous surveillait et sur le visage duquel passait de temps
eu temps un sourire de contentement. Ainsi que lui-même me l'apprit
ensuite, il était charmé de voir un étranger si libre, et eu apparence si
heureux dans la société de gens qui, comme lui, étaieni des hi'lnder.
Au dessert, il s'approcha et me d(>manda si je n'étais pas Paul Du Chaillu ;
et, sur ma réponse alïirmative, il me dil ipTil s'appelait Nils Tune, de
Vang, en Valders; il ajouta qu'il était membre du Storthing et que je
serais le bien accueilli à sa ferme. Il comprit que j'étais veiui pour étu-
dier la vie domesli(pie des Scandinaves; il me dit (pi'il me présenterait
ù ses voisins et ([u'il était sûr que j'aimerais les gens de Valders.
J'acceptai son invitalidii, et, dés mon arrivée, je pus mapeicevdir qu'il
avait favorablement ])ar!é de moi. Parloul où j'allai, je reçus, dés la
première fdis. un charmant accueil.
Ails Tune avait été élu au Stmlliing |iar la po]iulalion de Valders.
En Norvège, les constituants ruraux sont les libéraux, et ceux des villes
les conservateurs. Il n'y a point de dnule (pi'un sentiment amer ne règne
entre eux. C'est ce que j'ai recueilli dans une cnnversalinn avec les
Jxjuder, donl beaiicoiq) croient qu'ils sont méprisés par les hcri-cr (sei-
gneurs). Ouand ils me parlaient ainsi, j'essayais toujours de les
détromper, mais c'était en vain. Un jour Nils, en causant de ce sujet,
me ilit, avec des yeux flamboyants de colère : <( Oui, Paul, bien des
gens dans les villes ci'dienl (pie mins ne valons pas mieux (pie du liélail. "
.le ne mainpiai pas de lui faire des remontrances et de lui ciler des
gentlemen de Christiania, qui, il lesavait, ne méprisaient par lesb('Jnder.
Entre la grand'route et Vangs-mj(")sen se trouve la vieille église en
bois, et près d'elle le presbytère avec de grands et commodes bâtiments.
C'était une âme noble que le pasteur Prest Konow. Il se montrait
si généreux envers les pauvivs de sa paroisse, que la ferme apiiarleiianl
au bénélice de l'église ne pouvait reulreienir, lui et sa famille. Heureu-
sement, son père, qui habitait Hergen, était riche et lui envoyait dé
l'argent; mais il ne l'avait pas plus l(jt reçu, qu'il en consacrait une
grande part à secourir la détresse du pauvre. Il donnait do la manière
la plus silencieuse, suivant en cela le jirincipo de la religion (pi'il
UN ECCLESIASTIQUE MODELE ioO
professait; mais, de temps à aiitic, un homme reconnaissant et chargé
de famille, ou une pauvre veuve ne pouvait s'empêcher de raconter ce
DU SOLEIL DE MINUIT
inviléi' à prentlre un petit voiri' do lnâiiviii; puis on pronoiu-a une
bénédiction et les convives s";issiienl à leurs pUices respectives; le
(liner commença. Longtemps avant la brune, la majeure ]iarlie des
convives était en pleine iiilarité. car on avait bu beaucun|i. On
avait servi de tout avec autant d'abondance que dans une fête joyeuse et
beaucoup ne dormirent pas. Le lendemain se passa à manger et à
boire, et un étranger se serait cru à un banquet de noce et non à une
hcijrdrfhc.
In bon fiMuiier supposa {|u"i'n Amérique nous devions faire bien
autre chose en semblables occasions, le peuple y étant si riche! Quand
je lui eus dit que nous ne mangions ni ne buvions rien et que nous
rentrions directement chez nous après reuterrement, il s'écria : « Sont-
ils donc si ladres dans votre pays? » L'idée que l'on allait aux funé-
railles sans avoir rien à manger (mi à boire, le frappa comnie une
vilenie, et il tourna le dos en signe de dégoût.
Le souvenir de ma dernière visite à Vang est encore vivant en moi,
et surtout celui des deux jours (|ui précédèrent mon départ. J'avais à
voir tous mes amis, même au delà du lac, el je dus manger partout
oii j'allai. Le dernier soir, j'étais absolument abruti; car j'avais
du prendre part à trenle l'epas en deux jours, lioire Irente-ipialre
lasses de café el autant île skal. Pas moyen d'y échapper; j'avais
mangé chez leurs voisins. pounpH)i ne ferais-je pas de même chez
eux? N'allais-je pas partir pour rAméri(|ue? ne seraient-ils pas long-
tenq)s sans me revoir?
Quand je pris congé, la mère et les lilles me tendirent des itas
de laine, des gants, des mitaines, ou îles poignets et me dirent :
(< l'aul, nous les avons lails pour vous, gardez-les en souveinr de
nous. » Souvent mes initiales on les leurs étaient lu'odées sur ces
(dijels. Quel(pies-unes me donnèrent une bague en argent, une
lu'oche. ou autre témoignage d'amitié. De vieilles matrones se mon-
rèrenl plus piatiipies : ce !>anl, direnl-(dles, lu'enez ce fromage
t'I ces saucisses. » Les remontrances eussent été vaines; on ré|ioinlail
toujours: .. L'Amérique est bien loin, et vous ])ouvez avoir faim
pendant la route. »
Je fus profondément touché des sentiments douloureux que
causa mon dép;u1. Je vis des larmes dans leurs yeux, et la
SOUVENIRS DE VANG 465
tristesse de leurs visages (Mail plus élo(|uente i|ue leurs paroles.
« Paul, me direiil-ils, ne nous oubliez pas; écrivez-nous irAmérirjue.
Vous serez toujours le bienvenu ici; Dieu soit avec vous sur le
vaste Océan! » Et ils me serrèrent la main. Quand je (juittai le
hameau, John n'était pas chez lui; mais Ole et Lars m'accom-
pagnèrent pendant une assez longue distance, dans une tristesse
presque silencieuse.
Bien des mois se sont écoulés depuis que je n'ai [)kis rien appris
de Vang. — Une chose ou l'autre m'a empêché d'écrire, mais je me
rappelle souvent les bons amis que j'y ai laissés; leurs excellentes
figures sont toujours devant moi et j'entends résonner à mes oreilles
leurs exclamations de bienvenue. .Te chérirai toujours le souvenir des
jours heureux (pie j'ai passés au milieu d'eux. Bien des jeunes gens et
de belles fdles se sont mariés ; de timides lilieltes sont devenues d'a-
venanles demoiselles; le temps, dans sa course, a amené force chan-
gements, heureux et tristes. Le bon gouverneur Wangensten, deKvam.
est mort; bien touchante est la dernière lettre qu'il dicta pour moi
à son fils, Iors(|u"il avait à peine la force de signer son ikuu. Il parle
sans récrimination ni plainte de ses souffrances et de sa lin prochaine
et ajoute : « Quoiqu'il soit probable (jue je ne serais plus IJupiand vous
reviendrez ici, ne manquez pas devons arrêter à Kvam; vous v serez
bien accueilli par ma famille. » Nils Tune aussi a (piitté ce nu:>n(h',
et, sur sa tombe, la rancune politique a été oubliée et pardonnée; il
fut honnête et incorruptible.
J'aime beaucoup à lire les lettres de mes amis de Vang. Maris,
femmes, fdles el fils m'écrivent alïectueusement, et rien ne me
charme plus que les missives des enfants. — Sigrid Nesln"»st, la
femme de John, me mande : <( La petite Berit (leur fille) pleure parce
qu'elle ne peut écrire à Paull » La petite Anna Hangen m'a envoyé,
dans une lettre de son père, un cœur et une bague en perles
de verre. Ole, qui s'est marié de])uis, m'écrit : " l\'ndant Christmas
(Noël), nous avons eu beaucoup de réunions, dans lesquelles nous
avons porté des toasts à notre ami Paul, et John a composé deux
strophes que nous avons chantées ! » Je les donne ici :
30
46S LE PAYS DU SOLEIL DK MINUIT
Maiiileimnl, h la Noi-l, il j a de la joie,
Dans le Nord, comme dans le Sud,
A l'arbre de Noël et au dîner.
Ici le toast à Paul est vidé à fond.
Selon la contunie du Nord.
Un toast à Paul Du (Ihaillii :
Donnons-lui une ainialile (ille,
Qui pourra embellir sa vie;
Une heureuse nouvelle année.
Voilà ce que lui souhaitent
Lars, Ole, John, cl tmis, jeunes et vieux.
CHAPITRE XXXIV
Norvège méridionale. — Un longue grande roule. — La po|iuliilion fermière. — Belles fermes. —
Maisons conforlaWes. — Villes de Norvège. — Comment on maintient la paix piibliiiue. —
l'ieux excnrsionnisles. —La demeure d'un Juge. — Prestation de serment. — Saelersdal. — Un
jieuple de haute taille. — Costumes du Saelersilal. — Vieux Stabburs en Osse. — Ciraotère
du peuple du Saetersdal. — Valle. — Paul Panlsen.
La Norvège, à son êxlrémitt' méridionale, forme un riuil.icictix
pronioiiloiic treiiviron 2(10 milles de largeur dans sa parlic la plus
développée, et de 125 milles de longueur, se terminant à Lindesnaes,
en latitude 57° 59'. — Ce vaste territoire est borné à l'ouest par la mer
du Nord, et au sud, ainsi qu'à l'est, par le SkagerRack, dontl'e.xtrémité
intérieure esl, pour ainsi dire, le lîoi'd Christiania, qui court du nord au
midi. Les fiords n'ont pas la grandeur de ceux plus du nord. Les seuls
lerrains plais de la côte de Norvège, Listerland, Dalaren et Jaederen, se
lri)iiv(Mil ii'i. A Listerland, liitis piiares sont loiil près l'un de laiilre,
et ont été ainsi construits pour (|u"on les voie séparément en cas de
danger. Une grand'route borde la cote de Christiania au cap Tungnaes
à ipiehpies milles au nord de Stavanger, distante de 500 milles, où h;
liitid Bukiie empêche d'aller plus loin. — C'est une continuation du
grand chemin ([ni court le long des rivages de la Suède et de la
Norvège, depuis Haparanda jusqu'à Christiania, distance d'environ
468 LE PAYS DC SOLEIL DE MlNLlï
200 milles. On y voit île nombreuses rivières sur les eaux tlesquelles
on fait flotter les bois en immenses quautités, car les grandes forêts y
sont très communes.
Les vallées renferment les meilleurs districts a ratoires de Norvège,
et leur [lopnlation fermière est toute dilTèrente de celle (jue nous avons
décrite dans les montagnes. Dans les fermes confortables, les maisons
sont peintes en blanc et ont des toils en tuiles rouges, à la vieille mode
hollandaise. Des pianos, des livres et des journaux }iiouvenl la cidture
de ces gens dont les habitations soni enluurèes de vergers et de jardins.
Tout le long de la route de Christiania à Dranimen, on a des vues
cliarmaides sur la mer et sur le pays, et, en longeant la cùte, le trajet est
des plus beaux. La planche suivante, qui représente Hof, donne l'idée
des maisons d'une ferme importante.
Le dimanche, les fermiers vont à Téglise, avec leurs familles, dans
des voitures et des carrioles de fantaisie. Les hommes portent haliituel-
lement de hauts chapeaux de soir, on des feutres avec de larges rubans
gris ou noirs; en été, ils mettent des vestes de toile. Les femmes, en
chapeau, bonnets, châles et jatpiettes, sont velues comme les fermiers de
l'Angleterre ou des États-Unis. Après Féglise, ils tiennent des réunions
hebdomadaires dans lesquelles les comniéiages vont Inu' train.
La Norvège est une contrée particulière, en ce (pie ses cités et ses
grandes villes, à (|uelqnes exceptions }n'ès, sont situées sur la cùte. On
s'y adonne principalement aux pêcheries et au commerce des bois.
Celles (]ui sont consacrées aux affaires de bois sont construites près de
remboucliui'e de rivièics et de cours d V;iu i|iii coidenl à ti'avers le
pays où l'on trouve de vastes forêts, tandis que celles ipii s'occupent
des pêcheries sont localisées daiTis la position géographique la plus
avantageuse. Plusieurs villes augmentent d'importance ; d'antres
demeurent sans changement, ou t(unbent en décadence, selon ipie le
hareng (juitte telle ou telle partie de la côte.
La plupart ont été construites pour se conl'ormer aux irrégularités
dn bord roilieux on des collines pierreuses (pu les ceignent de tous
(•(■)tés, et les maisons sont perchées sur chaque roc en .saillie, ce qui '
produit un singulier elfel. La propreté des rues est remanjuable; les
maisons sont en bois et bien peintes. Il n'y a jtoinl de centres
niainifaciuriers, in de grandes industries du fer en Norvège. Certaines
A H END AL
460
villes, (|iioique petites, son! très i-iches; idiisieiiis maivliands passent
pdiir (Mre millioiiiiaires; ils posséilenl de nombreux navires qu'ils
envoient dans toutes les parties du monde ; les eiitrepi'ises de transport
sont extrêmement importantes en Norvège. La petite ville ([ui m'a
produit le plus d'impression par son activité est Arendal. Il y a peu
d'années, elle a été détruite par le feu; les maisons en bois ont été
remplacées par d'autres en briques enduites de stuc, et les magasins
ont des devantures en glaces importées de France.
La paix publique est mainleiuie par nn petit corps de pidii'iers; car
le peuple respecte la loi; et le brigandage ainsi que le vagabondage son
Ferme île Hùf, à Aker.
inconnus. La configuration du paysinleidit l'exécution de chemins de
fer; c'est-à-dire que, matériellement, on pourrait en établir; mais le
cont en serait si considérable qne jamais l'exploitation ne deviendrait
rémunératrice. Les communications par bateaux à vapeur sont très
dévelop|)ées.
J'ai souvent rencontré, pendant les mois d'été, sur les steamers, des
troupes de personnes appelées lâsare (piétistes), que le bon peuple
regardait comme des espèces de religionnaires fanatiques et senti-
mentals. Dés qu'ils étaient montés à bord, ils chantaient leurs hymmes
et continuaient ainsi pendant toute la traversée, jusqu'à leur cam-
pement.
Connaissant l'hospitalité de ce peuple, j':ivais coutume, lorsqu'une
maison attirait mon attention, d'arrèler mon cheval devant la porte et
i70 LE PAYS DU SOLEIL DE MINUIT
d'y tMiIrer. Depuis une couple iriicuics, j'avais (|uitlé Holnipsli-aud,
village pilloresque au pied de falaises hoisées, et je venais de passer
le hameau de Saiide, lorsque j'arrivai à une belle maison; je mis pied à
■ terre el j'enli'ai. A ma liraiide surju-isc. je fus accosié par deux jeunes
femmes liahillées à la dciniére ludde. Je vis sur-ie-rlianip i|ne ce
n'étaient pas des filles de fermiers; je m'excusai sur la manière peu
;.*r('monieuse avec laquelle je m'étais approché et je fis mine de me
/étirer, mais elles me prièrent de rester.
La maison où je fus introduit était la résidence d'un juge qu'une
<
CHAPITRE XXXVI
Tlielemarken suijéiieuie. — Mjiîs-Vainl. — Sn|)ci-l)e Iriiite. — l'ii ('(range (loflciir. — Charme
(les voyages il iiioil. — Popiilaiité du l'ille Itemingtoii. — Tûtak-Vaml. — Coslume de Ij
Tiicleiiiaikeii supéi-ieure. — Vieux hàtilllcnf^. — Éirlise île lîaudiand. — Lt^ende du cheval
hrnn de Fumaes. — Ferme de Raiidland. — Ferme de lierge. — Manière jiriiiiitive de
faire la l'onr.
La TlielemarkiMi siipr'iii'iin' csl riclio cii paysages sombres ol liigii-
])i'ps dans ses vallées [iroluiHles, el ses iiioiiiaiîiies sont i^ni-seiiiécs de
nombreux lacs. Le chasseur erre dans ses forêts en quête de giliier el
longueur de 27 milles. Ses bords sont très lirégnlicrs; son exlréniilé
méridioiiaii' se divise en deux longues branches élroites, tandis (pie,
vers le nord, il se termine au milieu de la scène l;i plus sauvage. A une
courte distance de l'église d'Aamotsdal, la ijonne roule fait place à un
chemin très raboteux, sur lei|uel cependant peut passer un chariot el
qui mène à l'extrémité inférieure du lac, appelé Kromviken, route (|ue
>
)
)
48i LK PAYS Dr SOLEIL DE MINUIT
j'ai souvent prise. Les bords, en liieii des endroits, sont parsemés de
grands espaces appelés mi/r (marécage) cpii oiïreiit du danger ; car
souvent ils ne sont couverts que d'une mince croûte d"un sol herbeux
trop faible pour supporter le poids duii homme.
Vw IVrnii' ;ip|iarail çà et h'i, dahuil incsqui' des âges préhistori-
ipii's. Tout pi'és de la ferme dr Hovilen, on a consiruil une école et
une chapelle luMive dans laquelle on célèbre le service diviu quelques
fois par an. La |»lupart des saeters appartiennent à des fermiers voi-
sins (pii en tirent un modeste revenu en les amodiant. J'ai i>assé bien
de jours agréables chez les gens de cette région solitaire.
Les amusements ne soul p;is nombreux; la danse dans les fermes
lien! le jtremier l'ang. Par occasion, ils Imil une délii)iiche de biâiivin.
Quand l'un deux va à la ville, tous se cotisent et fournissent une
certaine somme pour aclieler le li(piide qui est mis dans un petit baril ;
le partage se fait à la ferme. .le ww souviens (pi'uue fois en rentrant à la
maison, le fermier nie dil : ■< l'aul. le docteur Dunk est veiuil » C'est
le nom (|u'ils ilimnenl an baril. .Ne sarlianl pas ce ipie cela signiliail, j(,'
lépondis : « .l'en suis heiu'enx. Es|-il ;il|é chasser dans les nion-
Lagues? » Il s'apercnl de ma méprise, mais ne répli(jua ])as. Le soir,
je lui dis : « Où donc est le docleur Dunk? je trouve étrange qu'il
ne soit pas encore rentré. » D'un ton conlidenliel, il murmura : » Le
docteuresl ici ; »et, me coinlnisanl dans une pelile chambre, il ajouta :
(c Le voici, regardez. » .le dirigeai mes yeux vei's li' point indiipié et
j'aperçus le baril; il continua en l'iant : « C'esl le doclenr Dunk;
(juand il ai'iave chez nous, (pii vi\i)ns dans les nionlagnes, il est
toujours le liien\enu, cai' il rend nos ca'urs joyeux. » Puis la fête
commence; les fermiers s'asseudtleni et ni' (piitlent pas la place avant
que le l'nl ne soil \iile, et chacun hoil sa pari. Mais, h( leinlemain
malin, un violenl mal de léle ne mampn' pas de faire son a]ipaii-
lion, et le fermiei' dil : << Paul, le doclenr Dunk n'esl pas si ai-
mable le lemlemain (pie le jour de son arrivée chez nous. "
L'ini des gramis charmes du voyage en celle conlire, c'esl de
la parcoiu'ir à pied, de qnillei' la grande ronle, di' suivre les senliers
(pii conduiseni .in\ passes des monlagnes, ddii l'on olilieni des
vues don! (Hi ne peni se l'aire idéi' siu' les roules.
Je connais peu de lacs où la huile soil aussi abondanle que
Li Riukandfoss.
v>
LI-: UIFLK liEMINOTON 487
dans ci'liii (le Mji"is-V;iii(l. A pi'ino cxisli'-l-il on Xorvèj^c uni' rivière
aux eaux clairt'S ou un lac (ii'i l'on ne Ironvc |)as ce poisson. Il n'y en
a réellemenl que deux varii'lés, le snlutn crio.r ol le salmn a/phu/s,
ou truite alpine. Dans certains lacs, s[)écialemeut dans ceux de la
Thelemarken supérieure, la première atteint une très jjraude taille; j'en
ai vu Ijeaucoup pesant de 0 à 12 livres, et, dans des cas rares, jus(pr;'i
20. Ces deux variétés IVèqueuleul les rivières el les lacs; cepemlanl.
ou ne trouve la dernière ipi'an nord. En septembre el au commen-
cement d"octolir(\ elles remontent les rivières pour frayer et on les
prend en ,mand nombre dans des lilets; on les sale pour l'hiver. Ce
poisson a une saveur des plus agréables, et sa cliair est d'une belle
couleur rose; les fermiers font souvent cuire le frai dans de la crème:
c'est un mets délicieux.
Le chasseur et le pêcheur doivent savoir où aller. Il y a dans
les montagnes des lacs et des rivières qui foisonnent de truites.
.l'ai vu des centaines, des milliers même, de rennes sauvages réunis ;
mais il fini une gi'aude habileté pour les approcher. On est des
semaines sans eu voir un, et le succès d(''pend de la dii-ectimi du vent.
Le renne marche toujours contre le vent, et, s'il se |)roduit un change-
ment dans son cours, il disparait aussitôt. Rien ne m'otfrait plus de
plaisir (pie de m'en aller seul, avec mon Remington, arme légère et
splendide, à la recherche de ces animaux. Ce rifle est très [)opulaire
chez les Norvégiens, qui semblenl le préférer à timl antre.
De Mjôs-Vand, un sentier conduit au lac Tolak, 2170 pieds au-
dessus de la mer; il a environ 1 7 milles de long et il est le plus large à
son extrémité du sud-est. Ses fiords profonds pénètrent comme des
baies dans les sombres montagnes, dont (pudipies-unes s'élèvent à
3tJ00 pieds au-dessus de la mer; le coniraste de l'eau d'un veil
loncé avec les rochers produit un effet aussi étrange que sombre. Le
coslume de la Thelemarken snpéiieure esl moins grotesciue que celui
de la pallie inférieure de la province. Le vêtement des hommes est
une jaipielte d'un bleu foncé ou noire, un gilet avec boutons d'argent,
et un pantalon de même étoffe. Les femmes se mettent sur la (ête un
mouchoir (pi'elles disposent d'une façon particulière el oui un jupon
foncé.
Maint bâtiment de ferme est très vieux; il eu est ipn sont occupés
488 LE PAYS DL' SOLEIL UE MINUIT
par les descendants de familles qui y vécurent lontïtcmps avant l"é-
jiO([ue de la peste (13o0) et (jui lurent épargnées par le fléau, lequel
parcourut le pays cnnînii' l'aniiê (le la mort. On raconte de timcliantes
légendes sur cette époque terrilianli', alors (pie la poi)ulalion de dis-
tricts entiers l'ut détruite.
Cette peste (|ui désola l'Europe, dépeiqila les dislri( ts de la Suéde
et de la Norvège; il y a une tradition ipii prélrmi que, dans la pro-
vince de Vermiand, l'épidémie ne laissa en vie tpi'uii liomme el une
femme. Le fléau apparu! aussi eu Islande el eu dreenland ((init'nland) ;
comme il ne reste aucun souveinr des florissantes colonies de ce
dernier pays, on snjqiose ipie la population entière en fut détruite
alors.
L'église de Raudland est l'orl ancienne. Quand je ipiillai le cime-
tière, j'arrivai à uiu' excavaliou ipd me |iarul singulière. C'était le
lieu que la tradition assigne comme sépulture àw Dcn hniiu' Funi((es
//est (le cheval luim de Fornaes), qui forme le sujet d'une légende
des jours de la Soj'/c f/o^/ (peste noire). Le montagnard (jui m'accom-
pagnait devint extrêmement sérieux quand il me raconta l'histoire du
noble animal ainsi (pi'il suit :
La peste noire atteignit la Norvège eu 1349 et I3o0, visita ses
régions montagneuses les plus sauvages, el pénétra jusqu'aux districts
les plus lointains. En beaucoup d'endroits, les habitants des hameaux
et des fermes périrent, el personne ne resta pour raconter l'histoire.
Le fléau vint aussi en Thelemarken el passa comme une avalandie sur
Raudland et Mjus-Vand. Sur la livi' liu dernier, en face du Hovden,
se trouvait la feime de Fornaes, à Li(|uelle le fameux cheval ap|tar-
lenait. A cette èpcupie, il n'y avait poinl d éLîlise à Hovdeu , ni
de cimetière; les gens devaient aller priei- el se l'aire enterrer à
Raudland. Tous les jours, pendanl que la pesie lil rage, le cheval
vint au cirneiiére apporlaul les ('(niis des décédés; au bout de (piehpie
temjis, il conniil si bien le clieiuiii, iju'il u'eni pins besoin d'èlre guid(''.
Rienl(Jt ])ers(inne u'enI plus la force de le suivre; mais (piand le traî-
neau avait été chargé de cadavres, il allail de lui-même à Raudland,
el, dès (|ue les gens chargés du service du cimetière avaient accompli
les rites funéraires, rintelligeni animal nqjrenait tout seul le (diemin
de son donncile. Ce fidèle serviteur n'avail iKiint de nqios; car, dès
LA LEGENDE DU CHEVAL DE FlItNAES 48!)
qu'il (''l;iil ifvfiiu à Mjds-Vand, il r;ill;iit de iiuiivcaii l'inmciier il'.iiilics
cadavres; souvcnl il riait si l'atigné, qu'il chancelail dans la ncigo
où il enfonçait et avait à peine la force de s'en tirer. Quand la neige
était durcie, il allait et venait promptement; s'il faisait doux, il fallait
qu'il marchât lentement. Enfin le moment arriva où tous les gens de
Mjôs-Vand furent morts, un seul excepté. La peste l'attaqua aussi ;
se sachant perdu, il mit des fers à glace au cheval, le harnacha,
s'attacha lui-même avec une corde sur le traîneau, et mourut. Le
cheval enmena lentement le dernier habitant de Mjos-Vand vers le
cimetière de Raudiand; mais, en route, lorsqu'il eut atteint Fal-
keriset, à 3040 pieds au-dessus du niveau de la mer, la plus haute
colline entre Mjôs-Vand et Raudiand, il perdit un de ses fers. Sentant
qu'il ne [murrait aller [dus loin [)arce ipi'il enl'oneait de plus en plus
dans la neige, il poussa un hennissement formidable, comme pour
ai)[)eler à l'aide. Les gens de Raudiand l'entendirent, lui apportèrent
un autre fer, et il put continuer sa route. Quand le corps eut été
enterré, le cheval entra dans le cimetière, alla sur les tombes de tous
ceux (pi'il avait amenés de Mjôs-Vand et s'airèla un peu devant cha-
cune. Il avail fini son travail, les gens ipi'il a\ail cdinius élaienl tous
inhumés là, }>ersonne n'avait plus besoin de ses services. Il s'en alla
lentement, la tète basse, vers l'une des anfractuosilés entre les mo-
raines, un peu à l'est de l'église, et, là, brisant ses fers, il se laissa
aller dans le trou, soujiira et mourut. « On appelle encore cet endroit
médit le paysan, en me désignant la crevasse, hp$tc dohkcn (le Iruu
du cheval), et on se souvient encore chez nous Aç Ft(maes hruitc ; ce
fut un noble cheval, et nous aimons raconter cette histoire à nos
enfants comme nos [lères nous l'ont racontée, afin ([ue son nom passe
aux générations futures. Oui, ajouta-t-il, ce fut un triste temps pour
la Norvège; à Odelield, à l'autre extrémité du lac, il ne resta (pi'inie
femme mariée.
Le presbytère n'était pas aune grande dislance ; le pasteur avait
encore la charge de deux autres églises, dont l'une était celle de Mjôs-
Vand, où il officiait six fois par an. Il était quelque peu poète et avait
[lublié des hymmes; il était franc dans ses manières, libéral dans ses
vues, et vraiment hospitalier.
L'église luthérienne est l'église nationale de la Suède et de la Xor-
/jllO LE PAYS DU S 01. EU. DE MINUIT
vège; ce n'est que depuis peu (pic ir.MiIrcs sectes ont été nuloiisées à
bâtir (les maisons iradoralion; ccpi'iiihnit, même aujourd'luii, certains
offices ne peuveni èlrr cr'lélii'és ipic par des lulli(''i'iens.
Non loin de l'église est située rancienne i'eiane de Raudland, avec
un stahhur (jue l'on dil avoir été construit vers l'an lOUO. Frés du
liord, es! la lerme de Berge, embrassant huit bàlinienls — -la maison
d'iiabitatlun est un type de rarcliileclure de Thelemarken. A gauche
de l'entrée, il y avait une chamlire de 20 ]tieds carrés environ, avec la
cheminée habituelle dan-^ un cdin, meublée d'une grande laide ]i('inle
en rouge, d'un banc de bois el lic ipHd(pies (diaises de formes bizarres,
faites chacune d'un tronc d'arbre; les fenêtres consistaient en petites
vitres de verre. Dans deux coins de la chamlire, on avait construit des
lils (|ui ressemblaient à des coques de navire; ces lits étaient peinis en
coulcnis vives et ils atteignaient pres(|iie le plafond, qui avait 8 |iieds de
haid. Un iiurfel colorié (■(ininie les lils. aussi haut ipie la chambre et
scelli'' au mur, contenait des assielles, des verres, des cuillers, etc.
Trois fenêtres, dont deux ornées de pois de lleurs, donnaient un
jour suffisant. Le plancher était sale, car on ne le lavait que tous les
samedis et les gens y entraient sans cesse avec les souliers crottés. En
face de la maison d'habitation se trouvait le slalibur, datant sans dnule
de |ilus de cin([ cents ans; mais j'ai vu des maisons de bois beaucoup
plus vieilles dans diverses parties de la Norvège. La planche de la page
'i7() doiuie une juste idée d'un slabbur..Te montai par une échelle rapide
à l'élage supérieur et j'entrai dans la chambre après avoir fait tourner
dans la serrure une énorme clef; la |)orte tournait sur des goinls d'une
fiirnie (irange, el le jiuir n'arrivait dans la pièce (|ne par uni' ouverture
fantasliipu' de la piazza. (Vite cliainluc sombre sentait le moyen âge,
car tout y Jtaraissait vieux el très bizarre; les i)rincipaux objets étaient
d'énormes armoires porlard les noms de leurs propriétaires; chacune
des trois filles de Rickard, le niaili-e de l'endroit, avait son armoiic
niaripièe de son nom, et dont le coidemi devait former une pari iuipor-
lanle de sa dol, sous fornu' de hardes, vêlements el bijoux. Siu' des
traverses pendaient quatorze peaux de mouton blanches comme la neige;
plusieurs nappes avec des ouvrages de fantaisie au crochet à chaipie
bout, et des couvertures de couleurs Ijariolées de Vossevangen, étaient
disposées autour de la chambre. H y avait un lit où dormaient autrefois
LE FMirrAdK EN NORVEGE 491
II' iii;iri l'I 1,1 lVimiie;mnis,d('|iiiisi|iii' les lilli's ;iv;iii'iil nr.iiidi.loiilos ocrii-
|i;iii'ul li'iii's clianibrcs dans la maison |iivct''di'iiiiiirnl dociilc. La (diambrc
du lias coutonail de grands casiers à grain placés I'mii à cuir' deTaiiIre;
de plus, des provisions de niouloii el de lard salé, des sacs de farine
et iU'<. [laniers de laiiii', doni une parlie était cardée. Rickard et sa
femme Sigrid se montraient Imspii.diers au suprême degré, et Torhiôr,
Sigrid et Ingeborg, leurs Mlles, élairnt des nnidélcs de [trospéiilé. .le
me souviendrai longtemps des belles journées que j'ai passées à Berge.
Parmi les anciennes coutumes de la population rurale qui régnerd
encore sur bien des points de lu contrée, il faut compter celle
appelée fricri, qui signilie en réalité « faire la cour ». .l'ai eu
occasion d'en être témoin el ipiehpielnis je m'en suis beaucoup
amusé.
Le samedi, les parents qui veulent avoir une nuit de bon repos
et ne pas être éveillés par des cognements incessants, laissent leurs
[tortes ouvertes; car, s'ils ont beaucou[) de fdles, ils peuvent être sûrs
ipi'elles auront aussi beaucoup de visiteurs. Les demoiselles demeurent
souvent fort loin; conséquemmcul li's amoureux ont à faire des
milles, et parfois par des nuits ob'jcures, sur la neige et sur des lacs
glacés, ou par des sentiers dangereux quand le temps est très froid ;
mais rien ne semble arrêter leur détermination, si ce n'est une pluie
battante. Il est généralement convenu (pie l'heure de l'arrivée ne doit
soiiiH I' ipie quand les vieux se sont retirés.
Un étranger peut à peine croire à celte absence d'artifice dans
bien des districts, et il lui est diflicile de la comprendre. Quand je
revenais fatigué et mouillé de la chasse, ou d'une excursion dans la
montagne, ou de la ferme d'un ami. l'un des membres féminins de
la tamiile me mettait au lit ciuiime si j'eusse été un enfant, et
bordait ma couverture en me recommandant de bien dormir et en
me souhaitant « une lionne nuit ». Le lendemain matin de bonne
heure, quand j'étais encore au lit. la mère ou la lille m'apportait
une tasse de café.
/
CHAPITRE XXXVII
Songciilal. — l"n orage dans les montagnes. — Chevaux solitaires. — J'arrive il un snotcr. —
Course dans la montagne. — Arrivée il liaernnulcn. — L'approche de Ihivcr. — De
Crunsçcilal il llaiikelid lielils. — Le lac Stad. — Le sactcr Haukelid. — Une tempête de
neige. — Knnt Bi'irgiifscii. — Ferme de Ilavredal. — Lellavredal. — Une fête il ILivredal. —
Sur la ronle de liûldiL - lîienvcnne ii liûldal. — A travers le Hardanger.
L';is|)'>cl (lu paysage, à rcxtrémitô siipiM'it'ure du Inr Totak,
proditil iiiie i)i-ofoiRle impression, car Rauilland fields s'élève de
28 'lO pieds au-dessus de ses eaux irtiii verl loncé. D'ici, l'étmil
SiHit^adal, dans un ondroil eidièfemeel iiloqué par des rochers
iininenses, jirend sa rmile dans la diierlidn du iinril-ouesl.
l'endanl ipie j'errais seul pmu- iii'approclier du lac Songa, dans
l'intenlidii d'alleindre la l'ernie nninlagneiise de Raeriinnien, je fus
snrjtris par un mage épmivantalde. La pluie élait froide cl le veut
siiui'llail |ties(|iie en Icnipèle; le lu'ouillard devenait si épais que
je ne pouvais plus reconnaiire les contours des montagnes ipii nu'
servaieid de guide, et je |ierdis mon chemin. Tout en maichant
cl en essayant de retrouver le sentier, j'arrivai à un saeter oii lo-
geaient deu.\ hommes de Tlndemarken inférieure, qui gardaient du
bétail.
L" MOT KL liUYAL 403
.l'on fus r;ivi, car il so faisail laid. Criaiciil ilo vieilles connais-
sances. Gi'anil fnt lenr (Monnemeni lorsque j'entrai dans la huile; ils
fireni de leur mieux pour nie hien accueillir, jelèrenl du liois sur le
l'eu el me dunnéreul de lii'and cieur leur nourrilure ordinaire.
Killel, excellent garçon, me dit en plaisanlani : « Ami Paul, ceci est
l'Iiôtel royal. » Nous en rimes beaucoup, car le lieu n'était guère
appétissant.
De la paille mal|iropre étalée par terre nous servi! de lil, el les
peaux de mouton étaient lniii d'èlre appétissantes. Ils s'excusèrent du
pauvre logement qu'ils avaient à m'ofl'riret me dirent que, s'il n'avait
pas été si tard, ils m'auraient conduit à un saeter tenu par des fdles.
« Car vous savez, Paul, ajoulércnt-ils, que ces saeters sont beaucoup
plus propres que ceux des hommes. »
Le lendemain, le temps s'étant remis au beau, je dis adieu à mes
amis et je continuai ma chasse tout seul, le district m'étant bien connu.
Tout en marchant, je fus saisi de crainte en entendant un lourd piéti-
nement; c'était un groupe de onze chevaux qui paraissaient enchantés
de voir un homme et qui arrivaient sur moi en gambadant et en se
rémoussant; ils appartenaient ;'i différents saeters où on les avait
laissés brouter durant l'été. Pendant une de mes excursions, la briino
était venue quand j'arrivai à un saeter, siin|ile hutte en pierre, dans
laquelle j'aperçus, à travers les fentes de la porte, la lumière d'un
feu qui llambait, et j'entendis des sons de voix. Je frappai en disant :
— Ne voulez-vous pas ouvrir la porte à l'étranger?
Aussitôt on lira le verrou de lidis, (pii servait à empêcher le bélail
d'entrer dans la huile, el je vis deux femmes, une jeune tille d'envimn
vingt ans et l'autre |)lus âgée. La hutte me parut propre; un lil élail
perché très haut et, sur un coté, on avait établi un foyer; sur des
planches, on voyait des vases contenant du lait. La comparaison de ces
femmes avec celles ipie j'avais l'eiiconlréi's ilans les saeters de Hardanger
ne leur était favoraldi' ni en aspect, ni en i)r(iprelé. Ce saeter avait
vingt-six vaches laitières, vingt tètes de bétail et deux chevaux. Il était
situé sur la rive d'un cours d'eau, le Valasiô. qui se jette dans la Songa-
Vand.
Le trajet vers le nord sur le Sauerllot me pnul charmani, car le
plateau ondulait, le sol étail ferme sous les pieds, et les marais solides
-illi LE PAYS DU SOLEIL DE MLXIIT
jini'siiilc (le l;i s^choresse de ri''h''.()ii .iv;iil placé à ilc coiirlos ilislaiiccs
df'S hldcs (k' iiicrrc liauls ilv plnsiems pieds, picsipie en vue ruii
do l'autre, pour indiipier le cheiuiii, et le [)ays élail enliéiviueiit eou-
veit de lichen.
Non loin de Songa-Vand se Irouve la ferme solitaire de lîaer-
unulen, où je fus reçu avec beaucoup de bonté par la famille.
Des coups (lèvent froids et soudains m'avertirent (jiie, dans les ré-
gions siipérieui'es, l'hiver arrivait. De Haeiininlen, j'allai dans (Irnnge-
dal, et j'arrivai à la su[»erbe gramle roule (pii va de Hardanger à Chris-
tiania, avec l'intention de liaverser les Haukelid lields jiisipi'à Ri'ikial,
et d'aller de là à Odde.
L'obscurité itendanl la nuil, dans les vallées ondiragées par les
montagnes, est si intense avant (pie la neige couvre le sol et (piand
le ciel est couvei'l, (pie soiiveiil (iii ne dislingiie pas à deux pas de
soi;ilm'esl airi\é bien des fois. a|)rés avoir l'ail (pieNpies pas Inirs
d'une porte, de ne })lus pouvoir la relrouver, el j'éprouvais la même
sensation de frayeur rpie celle (|ue j'avais ressenlie peiulanl une aveu-
glanle lempéle de neige.
De (iiiiniiedal, pauvre disirici avec ipie|(pi(>s fermer, Li roule
moule gradnelleiuenl aux. llaiikelid lields. eu eiiloyaiil inaiiils lacs soli-
taires. Sur les lioi'ds de la Yaagslid-Vainl, on voit la ciinfoilahle ferme
de lîolneu. el. plus loin, celle de A'aagslid. Le lac le plus élevé el le
liliiti(]n-i libn'i. —
Écoles l.'i
CHAPITRE IV
Charles XV, roi de Suède et de Norvège. — Son accueil amical. — Conversation sur dif-
férents sujets. — Sa sympathie pour les Français. — Il est opposé à la peine de mort.
— Une visite au palais Ulriksdal. — Goûts de Sa Majesté. — Le parc Haga. — Un
dimanche en Suède. — Palais de Rosendal. — Un visiteur matinal. — Photographia».
— Murt (lu roi Charles. — Regrets sur sa perte :i()
CHAPITRE V
Appareillage vers le soleil de minuit. — î(avigation à vapeur dan-; la Baltique. — Caracté-
ristique des passagers. — Arrangement. — Aspect de la côte. — Débarquement. —
Fêtes à bord. — Un liaineau. — Hiparanda. — .Manière de voyager 40
32
498 TABL1-:
CHAPITRE YI
l,a contrée en dedans du cercle Arcticpie. — Je iinilte Ilaparanda. — Une station finnoise.
— I.es moHstiquf'S. — Conducteurs féminins. — Bonté du peuple pour les bètes de
somme. — Fermes confortables. — Un hameau. — Le soleil de minuit. — Sattajârvi.
— Désir d'aller en Amérique 5!>
CHAPITIUÎ VII
Deux manières d'aller au nord. — Traversée de la Torne. — Montée de Muonio — l^ne
station de bateaux. — Fabrication du goudron. — Fonrmi<. — Mnoniovaara. — Le
Palojoki. — Pluie d'orage. — Ferme-; solitaires. — Pècbeurs. — Une maison de
refuge. — Descente vers la mer .\rclii|iie ■;.'>
CHAPlTiil-: YIII
L'île de Magerô. — Gjaesver. — Saleté des maisons de pécheurs. — Charmant foyer septen-
trional. — Bétail Carnivore. — Temps pluvieux et changeant. — Fiord verdoyint. —
Ascension du cap Nord. ^ Paysage désolé. — Un oiseau errant. — Le soleil de minuit. 11)
CHAPITRE I.\
Fusion du lever et du coucher du soleil. — Bodô. r- A travers la péninsule Scandinave. —
Vcnset. — Vallée Saltdalen. — Rognan. — Mes voyages africains en Norvège. — Gens
simples et contents. — Race primitive. — Hameau abandonné. — Hospitalité. — Filles
du village d'Almindingen. — Diner de famille. — Storjord. — Légendes de la côte. —
Le précipice Kvaen et la baie de l'Homme mort. — Orage arctique. — Lang-Vang.
— Puces Scandinaves. — Skjimstuen. — Fagerli. — Ferme de Larsen. — Candi, billou
et baisers. — Moulins à bic. — Préparatifs pour traverser le pays. — Mot) bagage et
mes provisions 119
CHAPITRE X
Tenue d'été laponne. — Scène aride et désolée. - Sulilelma et son grand glacier. — Campe-
ment lapon. — Intérieur désagréable. — Malpropreté et vermine. — Bon traitement.—
Pure existence. — Le lac Pjeskajaur. — Passage à gué de la rivière. — Tente laponne.
— .\spect d^s femmes et des hommes. — Vases et cuillers, nouvelle manière de les
laver. — Arrivée d'un troupeau de rennes. — Le lait et la façon de le traire. — Fro-
mage de renne. — Voyage difficile. — Njnngis. -• Qvickjock. — Siavi. — Jock-
mock. — Le baron de Dûben. — Feux dévastateurs. — Vuollerim. — Superbes chutes.
— Luica. — Prison. — Ivrognerie. — Bécpplion par le gouverneur 133
CHAPITRE XI
climat d'été en dedans du cercle Arctique. — Végétation lli^i
CHAPITRE XII
Les saisons près du cercle .\rctique. — Maisons de ferme. — Chambre de réception et
cuisine. — Nourriture habituelle. — Holinsund. — La maison D... et C'". — Sa pré-
voyance et sa philanthropie. -- Umea. — Réception par le gouverneur. — Écoles
TABLE 49!)
d'agriculture. — Un accueil cordial. — In ohariiianl jarilin. — l'Ials natifs. — Scène
religieuse. — Jolis noms Ue femmes. — Banques. — L'a cas de fièvre typhoïde. . . . 170
CHAPITRE .Mil
Provinces méridionales de NVeslerbollen. — .Ansernianlainl. — L'ne liclie rivière. — Ornskôl-
dsvik. — Une cote pittorcsiiue. — Hcrniisand. — Je quitte llcnnisand. — Une route
charmante. — Scène rurale. — École d'agriculture à Nordvik. — lîeaux hiitiments. —
Quartiers des étudiants. — Règienients. — .\ccueil hospitalier. — Un diner. — L'hù-
tesse. — Honnêteté du peuple. — .Vmélioration dans la végétation. — rominiçrs. —
Le hameau de .N'ora. — Changements de température. — Une réunion. — La rivière
Angermann. — Une belle ferme. — Gi'ande hâssja. — Fabrication du beurre. —
Harnianeer. — L'église paroissiale. — Épitaphes dans le cimetière. — Comment on
a soin du pauvre. — Funérailles à Njutanger 182
CHAriTHE XIV
D''Ostersund en Morvège. — Maisons de fermiers en Jemtland. — Paysage sur la route.
— Un troupeau de bétail. — La ville d'Ostersund. — Une confiante hôtesse. — Frôsô.
— Fossoyeurs. — Départ d'Ostersund. — Forêts immenses. — Gibier. — Une pitto-
resque contrée. — Une cheval intelligent. — Areskutan. — La frontière norvégienne.
— Desrente vers la mer. — Scène superbe. — Une ancienne ferme. — Levangcr. —
Un district fertile. — Trondbjem. — 192
CHAPITRE XV
Fin de la saison du touriste. — Mauvais temps. — Voyage avec une jeune dame. —
« Prenez garde k vos courroies. » — Un cheval paresseux et intelligent. — l'ne ferme
de montagne. — Les montagnes Dovre. — Destruction des récoltes. — Gelée. — Déses-
poir des fermiers. — Une tempête de neige. — Traînage en Septembre. — La Romsdal.
— Belle vue. — .Nombreuses chutes d'eau. — Une confortable auberge de campagne. — •
Le fiord Molde. — La ville de Molde. — Diner chez le gouverneur. — Routes commodes. 2ll>
CHAl'lTRE XVI
BEllGEiN
Le port de Bergen. -- Fondation de la ville. — Un endroit pluvieux. — Le marché au poisson.
— Une vision de beauté féminine. — Une intéressante école industrielle. — La cathédrale.
— Confirmation. — Jours de changement des servantes. — Aspect animé du .Strand-
gaden. — Hospitalité de Bergen 22S
CHAPITRE XVII
LES FIORDS
Fiords de Scandinavie. — Leurs murs et vallées terminales. — Action des glaciers. — Ter-
rasses ou brèches de mer. — Phénomènes et causes. — Lignes de eûtes et marques de
la mer. — Élévation et abaissement du pays dans les temps modernes. — Ne peut être
utilisé comme mesure de temps. — Vues du professeur Kjcruif sur ce sujet. — Théories
de l'iceberg et du glacier. — Mouvements inégaux et intermittents, et longues
périodes de repos. — Changements dans le climat et dans la distribution de la
vii des plantes et des ani'naux 2.'tS
500 TABLE
CHAPITRI^ XVIir
LES GLACIEUS DE LA SCANDINAVIE
Imiuenses cliain]is (le neiges perpéluelles. — Sources des glaciers. — CommenI on le? apiielle.
— Glaciers au nord du cercle Arcticiue. — Glacier au sud du cercle Arctique. — Élu-
de sur la naissance et l'accroissemeul d'un glacier. — Causes de sa foruialion 2i9
CHAPITRE XIX
LE F I 0 H D S 0 (3 N E
Le Sogne. — Kntrée du liurd. -~ Profondeur du linrd. — Les branches latérales et leur
profondeur. — Bouder à bord des steamers. — Passagers de troisième classe. —
Vallée des fiords. — Le lîord Fjaerland. — Glaciers. — Je quitte le Fjaerland. — Le
liord SogndaL — La vallée Sogndal. — Vue superbe du liord. — Lu beau cône. — Le
fiord Lyster 2.'j:i
CIIAPITHE XX
LES s N E B R A E E 11 J L S T IC D A L
Les glaciers Justedal. — Vastes cliauips de neige. — La vallée et l'église île .lusteilal. —
Le glacier Nygaard. — Faaberg. — .Maisons de ferme malpropres. — Peu engageant.
— Draps de lit. — In saeter. — Aspect du glacier Lodal. — Une superbe caverne de
glace. — Marche du glacier. — Un glacier, riviéi'C de glace. — Mouvement il'un glacier.
— Moraines. — Le glacier .Stegeholt iCO
CHAPITliE XXI
IieuN agréables connaissouces. — Une iuviUilion ii visilcr Krnkengaard. — Arrivée à ia feiMie.
— Un bute vénérable. — Une réunion de famille. — Une dame de llollaiide. — Un jeu
de croquet. — Fruits délicieux. — Foyer d'un gentleman. — Vie auprès du liord. —
Familles industrieuses. — Hospitalité Scandinave. — Diner d'adieu. — Adieu il Kroken-
gaard 2G(i
CHAPITRE XXII
LE FKtRD AAliDAL
Le fiord Aardal. — Sa splendide entrée. — Vallées sauvages des liords. —Bateaux sur le lac.
— Betiiur des saeters. — Un lac lugubre. — La ferme Moen. — La lijaelledal-foss et la
Hagadal-foss. — La ferme de llofdal. — La ferme de Velti. — Le Mark ou Vetti-foss.
— Le liord Anriand. — Le bord .Naero. — Grandeur de la scène. — Gudrangcn. — La
.N'aerodal. — La brèche de Stalheim. — Un beau paysage. — Vossevangen. — Le fiord
Graven -l't
TABLE 301
CHAPITRE XXIII
LE RIANT HARn.VXC.EU
Le fiord Hardanger. — Ses beaux paysages. — Melderskin. — Itosendal. —Tsiiipétes d'automne.
— Uu dimanche sur le liurd. — Toilette delà fiancée. — Fiances en route [lour I enlise. —
Ulvik. — Cour de juîtice. — La ferme Lione. — Accueil amical de Lars. — L'EidIiord. —
Une bourrasque. — Eau merveilleusement pliospborescente. — Vik. — Voyage à la Voring-
foss. — Une vue superbe. — Le Sor-liord. — Les plus charmants bords de la .Norvège.
— La Tyssedal-foss. — Le lac Ringedal. — Eau bleu foncé. — La Skjaeggedal ou Rengedal-
foss. — Norvège. — Belle chute d'eau 292
CHAPITHE XXIV
LES s A E T E R s
Les saeters. — É|iOipie du départ pour les montagnes. — Pi-éparatifs avant de se remlre
aux saeters. — Hameaux déserts. — Départ de Stavanger. — Samson. — La vallée
Suledal. — Réception au presbytère. — Ferme île Samson. — Le lac Suledal. — Sur
les montagnes à Rôldal. — Le Valdal. — Le saeter Valdal. — Une famille de Hardanger.
— Vie du saeter. — Dimanche. — Départ du père pour la ferme. — Hantes mon-
tagnes. — -Neige rouge. — Le saeter Bjôrn-Vand. — .Vmbjtlr et .Marthe. — .\dieu au
saeter Bjôrn-Vand 320
ClIAlMTliE XXV
Cbrisiiania. — Latitude de la ville. — Caractéristiiiue de ses habitants. — Maisons. —
Manière de vivre. — Peuple hosiiitalicr et bon. — Foyers délicieux. — Société de
Christiania. — Un repas royal. — dmvives distingués. — Écrivains norvégiens. — Le
Palais Royal. — L'université. — Édifices publics. — Les environs de la ville. — Le
bord Christiania. — Oscar Mail. — Saeter Frogner. — Sarabriiten. — iJéparl de la
ville .339
CHAPITRE XXVI
L'ile de Gotland. — Wisby. — Son ancienne importance cummerciale. — Saga sur l'ile. —
liestes des anciens temps. — Pierres comméinoratives. — Les anciens habitants Wikings.
— Fortibcatious et ruines de Wisby. — Son ancienne prospérité et sa chute. — Vieilles
monnaies. — .Marchands princiers. — Églises. — Dixième, onzième et douzième siècles. —
La crypte de Saint-GOran Saint-fieorges). — Saint-Lars. — Saint-N'icolas. — Ruines. —
Excursions dans l'ile. — .Nombreuses églises. — Un pays fertile 313
CHAPITRE XXVII
Cji^iil. — L'Université. — Les Nations. — La bibliothèciue. — La cathéilrale. — La vieille
Upsal. — Les monticules du roi. — Surexcitation en ville. — Les étudiants. — Chant en
chœur. — Sérénades aux jeunes dames. — Chant. — Cérémonie accomjiagnant la déli-
vrance de» grades. — Diplômes. — Le bauiiuet. — .Menu. — Le bal. — Jeunes
dames suédoises. — Le (jouverneur de la province. — Sa descendance écossaise. — Le
vieux château. — Un concert. — Miner au château. — Une charmante famille 3G4
CHAPITRE XXVill
Les âges de la pierre, du bronze et du fer en Scandinavie. — Climat du premier âge de la
pierre. — Extinction des grands mammifères, après le premier âge de la pierre.
302 TABLE
— Kjrikkenini'pdlinger, ou amas de foi|iiillcs. — Les conslrncteiics îles tombes de l'âge
de la pierre. — Ustensiles grossiers. — Poteries. — Quatre ditt'éreiits groupes de
tombes. — Tombes en morceaux de pierres. — Tombes à passage. — Cercueils de
pieire. — l^'àge du bronze. — Étrange rocher gravé. — Tombes avec ossements brûlés
et non brûlés. — Ustensiles et ornements de bronze et d'or. — l'oteries de l'âge du
bronze. — Rocher gravé avec chevaux et bétail. — Fin de l'âge du bronze 317
CIL\PITRE XXIX
PREMIER, DEUXIÈME ET DERNIER .Vr.E.
Les premier, moyen et dernier âges du fer en Su kle et en .Norvi-ge. — Leur durée. — Trou-
vailles de coins étrangers. — Rapports conimeiciaux avec les Romains. — Tombes nom-
breuses de l'âge du fer. — Intéressantes trouvailles de l'iige du fer. — Beaux objets ou
ornements de bronze, argent et or. — .\ccoutremeut d'un chef norse. — Valeur des
objets de verre. — Baustasti'nur (tombes). — Les Runes. — Alphabet runiijue. —
Runes anciennes et récentes 411
Cil .\ PITRE XXX
LE DERNIER .VC. E DU EER OU DES VIKINGS.
Le dernier âge du fer ou Viking. — .Vpjiarition subite des Vikings dans l'Europe occidentale
et méridionale. — .\rmes dont se servaient les Vikiugs. — Expéditions paciliques et guer-
rières. — Insciiptions intéressantes sur des pierres runiciues. — L'ancien pont de Tâby.
— Ponts avec pierres ruuiipies. — Coutumes et habitudes des .Scan
2 r-
2 5
>
"- >;<
o
c. n
2>